Chapitre 1 - 410n3

Tic. Tac.

4 + 10n = 3. Trouver n. J'approche le bout du crayon de ma bouche, et le mordille.

Tic. Tac. Tic. Tac.

n = -0,1.

Je griffonne le résultat de l'équation sur le papier, espérant que je puisse me relire plus tard. Des variables, des équations, des chiffres positifs et négatifs à répétition. Mes calculs rythmés par la pendule au dessus de mon bureau.

Tic. Tac. Tic. Tac. Tic.

Je replie le papier. Violemment. J'en ai assez de faire du calcul aujourd'hui. Je lève les yeux sur l'horloge.

Tac.

Minuit deux. Minuit trois, maintenant. Il serait bien que je me couche.

Je ne veux pas aller dormir. Je tourne la tête vers le lit. Tic, tac, tic, tac, tic, tac...

Je me décides enfin d'aller vers la commode. Je déboutonne ma chemise, et la jette sur le dessus du meuble. J'enlève ma ceinture, puis mon pantalon, ensuite mes chaussettes, et pose tout en un tas au même endroit.

Je soulève ma couverture, et me faufile dessous.

Je sens mes paupières tomber immédiatement et je me laisse porter.

Tic... Tac... tic...

tac...

ti...

J'ouvre les yeux, mais je ne peux pas bouger. Le signal passe, les doigts bougent et les membres se débattent, mais je suis retenu.

Je regarde autour de moi, très restreint puisque je suis ligoté à une chaise.

Mon pouls s'accélère, alors je fais de mon mieux pour analyzer la situation de manière objective et rationnelle.

Mon corps est intacte. Je n'ai qu'une couche d'habits fins et humides. Je suis dans une cellule de ce qui semble être un cachot. L'air est humide et froid. Ça pue la rouille. Quelqu'un crie quelque part pas loin. J'entends des armes métalliques se faire trainer au sol, des clés s'entrechoquer, des portes s'ouvrir et se fermer, et des pas.

Les pas s'approchent.

La personne qui marchait jusqu'ici - un humain, blanc, aux cheveux blond sale et aux yeux bleus, s'arrête devant la porte devant moi pour l'ouvrir et arriver dans la salle, puis fermer la porte derrière lui.

Est-ce qu'il me veut du mal?

J'essaye d'enclencher un combat, d'attaquer, mais ma magie n'a pas l'air de fonctionner. J'imagine qu'ils ont dû enchanter cet endroit si ils veulent y emprisonner des monstres.

"Tu t'appelles Gaster, hein?"

Je n'ai pas l'envie de parler.

Il s'approche de moi, brandit une grande épée à la lame cachée par la poussière et le sang. À travers son sourire démoniaque, il sort des phrases, toutes interrompues les unes par les autres, avec plusieurs voix.

"C'est de ta faute. Tu le mérites. Tu n'as rien fait. Tu es faible. Tu dois mourir. C'est le prix à payer."

J'essaye de bouger, mais rien n'y fait, mes liens ne se défont pas. Il lève son arme au dessus de moi, et juste avant l'impacte,

je me redresse d'un coup sec dans mon lit, en sueur. Ma gorge est nouée, mon cœur de squelette fait une valse pressée dans tout mon corps, je sens encore l'odeur immonde de la rouille, j'entends encore des cris dehors. Je vois que mon œil fonctionnel fait de la lumière violette, et je profite de cette lumière pour regarder l'heure.

Deux heures moins le quart.

Je prends le temps de souffler, du mieux que je peux. Je ne sais pas si j'y arrive.

J'entends des cris. C'est trop silencieux. Il fait trop noir. Je sens la rouille. J'ai froid. J'ai chaud. Je suis seul. Je n'ai pas envie d'être seul, je n'ai pas envie d'être vu.

Mais bordel, qu'est-ce qui m'arrive?

Je remets mon pantalon et mon pull d'il y a quelques heures à peine. Je veux m'étirer, mais si quelque chose, ou quelqu'un entrait, là, comme ça? Pourquoi est-ce que ça arriverait? Je sais pas trop. J'ai peur. Je suis un homme adulte, et j'ai la trouille. Je veux pas faire pitié. Je veux de l'aide. Oui. Non. Peut-être. Jamais. De temps en temps.

Un hurlement sort de ma cage thoracique, une très légère décharge magique sort de mon être, et les papiers volent autour de moi.

Ça y est, je suis réveillé. Je ne suis sans doute plus le seul à l'être. C'était stupide. J'aurai dû fermer ma gueule et retourner dormir.

Malgré ça, je sors de ma chambre. Je tâtonne le mur à côté de moi, et aussi tôt l'interrupteur senti, j'appuie dessus pour allumer les lampes de l'étage du dessus, qui fait comme prévu. Ça m'éblouit. C'est largement assez pour éclairer la maison.

Je ne vais plus dormir, alors autant faire bon usage de la nuit que je vais passer éveiller, comme... J'ai perdu compte du nombre de nuits que j'ai passé sans fermer l'œil jusqu'au matin. Des centaines. Des milliers. Des millions? Un gogolplex...

J'arrive enfin à voir sans devoir plisser les paupières, alors je descends.

Je regarde l'heure. Deux heures moins dix.

Le bar est sans doute toujours ouvert. Autant faire usage de mon temps.

Dehors il fait froid. Je n'ai pas envie d'aller dans le froid. Je veux boire.

J'enfile ma veste épaisse, et pars dehors. Je ne veux pas rester, alors je cours. Il fait froid. Je sens le froid. Il n'est pas désagréable pour un squelette de s'aventurer dans le froid, sauf si il s'est fait...

Non, non, non! N'y pense pas. Ça n'en vaut pas la peine! J'ai déjà eu assez de cauchemars comme ça, je ne veux pas que ça se termine en catastrophe dehors à Snowdin à deux heures du matin. Je vais boire. Oublier. Bonne idée.

Boire. Oublier.

J'ouvre la porte du bar en vitesse. Celle-ci claque contre le mur derrière elle avant de se refermer. Je ralentis le pas jusqu'au comptoir.

"Bonjour, Gaster."

"Désolé pour la porte."

Grillby reste muet juste un petit instant. "Ce n'est pas grave. Elle n'est pas endommagée. Et si elle l'était, je sais que t'aurais remboursé les réparations."

Ça sent la rouille. Non, l'alcool. Ça sent l'alcool.

Je regarde derrière moi. Je suis le seul dans le bar.

"Qu'est-ce qui te ramène aussi tard, si je peux me permettre?"

J'inspire un coup pour lui répondre, mais il prend la parole à ma place. "J'imagine que t'as eu du mal à rester endormi?"

"Oui."

"Je suis désolé pour toi. Je te sers comme d'habitude?"

"Sers-moi quelque chose de fort."

"Comme tu le souhaites, Docteur."

Il m'a encore appelé docteur. J'ai l'impression que respirer est un effort en trop quand il m'appelle comme ça. Je le laisserai même m'appeler Wingdings plutôt que ça. Je suis pas docteur dans son bar. Dans son bar, je suis le client.

Il remplit un petit verre d'un liquide qui empeste jusqu'ici. Cette eau est transparente, légèrement bleue phosphorescente.

"Qu'est-ce que je vais boire aujourd'hui?"

"C'est fait à base de fleurs d'écho. Le goût est particulier, je te préviens, mais c'est plus fort que tout ce qu'il y a d'autre ici."

Je regarde les bouteilles sur les étagères. Il y a vins, vodka, cidres, eaux de vie... Grillby se reprend. "C'est plus fort grâce à la magie. C'est vrai que quand on compare avec ce que j'ai, il y a de la compétition."

Je hoche la tête. Il me donne le verre. Je regarde le liquide. J'ai l'impression qu'il me murmure quelque chose. Non, pas de murmures. Pas aujourd'hui.

Je prends le verre presque par instinct et j'avale tout. Une, deux, trois gorgées.

C'est plus salé que l'eau de mer et j'ai l'impression que tout mon système digestif qui n'existe pas vraiment est en feu. Je me penche en avant, me tape le torse et tousse.

"Je t'ai prévenu." Grillby me tape le dos.

Je tousse encore un coup, deux coups, quelques autres coups, et je pose mes coudes sur le comptoir avant de tenir mon crâne avec mes mains.

"Tu veux autre chose?"

Je reste silencieux, le temps de réfléchir à ce que je pourrais demander d'autre. Le vide derrière moi est lourd, ce vide me tire par derrière et un frisson me parcourt le dos pour me dire 'Tu n'es pas seul, tu n'es pas en sécurité.' Je tourne la tête, mais il n'y a personne. Je me recroqueville sur le tabouret.

"J'ai besoin de contact physique."

Je me rends compte que d'homme adulte à homme adulte, c'est extrêmement ridicule. "Je sais que tu ne peux sans doute rien faire pour moi, c'est pas grave..." je n'ai même pas le temps de finir ma phrase que Grillby fait le tour du comptoir, approche un tabouret du mien, s'assoit dessus et enroule son bras droit autour de moi, derrière mon dos. "Le contact physique ne me dérange pas. Je sais que tu en as vraiment besoin. Tu vis seul, et tu ne vois personne."

Son bras est chaud. Je dirais même presque brûlant, mais d'une manière qui est tout sauf mauvaise. Mon corps se relâche. Mon cœur s'arrête de faire les cent pas.

Ayant tout relâché, des larmes dévalent enfin les pentes de mes pommettes, un hoquet puis deux échappent de ma mâchoire, et je me retrouve à sangloter dans les bras du barman. Il me rapproche de lui, je le rapproche de moi. Je n'arrive pas à croire que celui qui me sert de l'alcool tous les jours, me serre maintenant dans ses bras. Et j'aurai jamais cru que j'en aurais eu besoin. Mais je suis si seul chez moi.

Ça sent la fumée. Ici, ça a toujours senti la combustion, ce qui n'est pas une grande surprise vu que le barman est un homme de feu. Mais je n'y ai jamais fait attention jusqu'ici. Je suis si près de lui que l'odeur m'envahit tous les sens. Je pourrais rester ici des âges, à laisser cette odeur de brûlé entrer dans la boîte crânienne. C'est mieux que de rester seul. C'est mieux que de penser aux autres odeurs. C'est mieux que rien, et c'est mieux que tout.

"Je vais devoir fermer, Docteur." annonce Grillby après ce long moment de silence. "Il est presque deux heures." Le silence était agréable pour une fois. J'aurai aimé rester encore un peu.

Je le lâche enfin. "S'il te plaît, appelle-moi juste Gaster."

"D'accord, excuse-moi." Il descend du tabouret haut, puis me regarde faire de même.

"Ce n'est pas grave." Je lui souris. C'est juste désagréable de me faire appeler par mon titre. Je me suis fait nommer bien pire durant ma vie. "Je devrais y aller, et te laisser fermer. Désolé d'être venu si tard, t'aurais sans doute pu partir plus tôt si je n'étais pas venu."

"Et faire quoi, poiroter chez moi? Je préfère encore faire du ménage. Je ne dors pas beaucoup, à cause de ma propre lumière..." me confie-t-il.

Je pouffe de rire. Je m'attendais à tout sauf celle-là!

"Ce n'est pas drôle..."

"Excuse-moi, je ne m'y attendais pas. Je te plains, cette lumière, tu ne peux pas l'éteindre."

"Et toi, pourquoi as-tu du mal à dormir?" Grillby me regarde. Je réfléchis à une manière de lui dire que j'ai des cauchemars à mon âge sans lui dire que je fais des crises de panique en plein sommeil. "Excuse-moi, c'est peut-être indiscret." Il regarde ailleurs, et se frotte le bras droit.

"Non, non, ça ne l'est pas, c'est pas grave. J'ai du mal à l'expliquer, c'est tout." Surtout du mal accepter que je fais encore des cauchemars à mon âge.

Y a-t-il un âge pour faire des cauchemars? C'est ridicule, il y aurait un âge pour quelque chose qu'on ne contrôle pas. Du moins, je ne le contrôle pas tant que ce n'est pas un rêve lucide. Il y a peut-être pas un âge pour faire des cauchemars. Mais ceux qui font des cauchemars ont souvent une raison pour laquelle ils en font. Je n'ai pas envie de lui raconter quoi que ce soit. C'est un barman, pas un psychologue.

"Tu fais des cauchemars?"

Merde! C'est toujours les choses qui ne sont pas à deviner qu'il arrive à savoir.

"Oui." Je fais de mon mieux pour ne montrer aucune émotion.

"Je suis désolé pour toi, D-" Il se fait tousser. "Gaster." Il me regarde, et son visage s'assombrit légèrement. "Ah, tu viens d'en faire un, pas vrai?"

"Oui." Je fais de mon mieux pour ne pas me souvenir de ce cauchemar. J'entends un grincement vers la porte, et je suis immédiatement prêt au combat. La porte n'a fait que grincer, c'est ridicule. D'un coup, je sursaute. Grillby s'est précipité vers moi pour me prendre l'épaule. Je me détends, c'est juste Grillby. "Calme toi Gaster, on est dans l'Underground, personne ne peut te vouloir du mal ici."

Je pousse la main de Grillby. "Excuse moi. Je devrais partir."

"Au revoir."

"Au revoir, Grillby. Merci pour tout."

Je marche jusqu'à la porte, l'ouvre, mets deux pas dehors, et ferme la porte derrière moi.

Il fait froid. Il fait humide. Il fait sombre. Je regarde vers le haut juste assez pour voir qu'il neige.

Il fait froid. Il fait humide. Il fait sombre. Je dois partir. Je ne suis pas sûr d'être en sécurité ici.
C'est illogique. Grillby lui-même l'a dit, je suis dans l'Underground. Si je suis en sécurité, c'est ici plus qu'autre part. Les humains sont à la surface.

Mais je cours quand même.

"Gaster! Tout va bien?" dit une voix derrière moi. Grillby. Non. C'est pas le moment.

Je m'arrête. Je prends même pas la peine de me tourner. Grillby trottine jusqu'à moi. "Tu veux que je te raccompagne?" Il approche sa main de moi. Il l'approche de ma main. Nos mains s'effleurent. Nos mains se touchent.

Ce. N'est. Pas. Le. Moment.

Je me jette sur le côté et cinq os jaillissent du sol pour empêcher Grillby de s'approcher plus. "NON!" Qu'est-ce que j'ai foutu?! "JE SUIS UN HOMME ADULTE, JE NE VEUX PAS D'AIDE!" Je me relève et fonce jusqu'à chez moi.

Ce n'est pas le moment.

Pense pas à l'endroit.

Pense pas à Grillby.

Pense pas.

Pense à rien.

Rien.

Rien. Pas d'aide. Pas d'amour. Pas d'amis.

J'ouvre la porte de chez moi et la claque derrière moi. Je me laisse glisser sur la porte.

Qu'est-ce que j'ai foutu encore..?

Qu'est-ce qui m'arrive..?

Pourquoi est-ce que je me laisse être seul, quand j'ai besoin d'aide...

Des larmes lourdes et brûlantes coulent sur mes pommettes et mes mains, passant par les trous dans mes paumes, des soupirs et des hoquets sortent de ma bouche, tout mon corps tremble, rien ne va.

Je suis seul, de nouveau.

Et Grillby aurait pu être à côté de moi. Je n'ai pas envie de penser à lui. Je me sens vide, et seul. Non!

Je ne veux pas ça!

Qu'est-ce que je veux, putain?! J'ai besoin de quoi? Pourquoi j'ai repoussé la seule personne à qui je peux faire confiance?

J'ai besoin d'amis, d'amour, de quelqu'un, n'importe qui. J'ai besoin de Grillby. J'en ai pas envie, mais je ne peux pas ignorer un besoin.

Bordel, je pense à lui comme si je voulais le marier.

...

Oh merde.

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