Chapitre 9

Mon frère embrasse mon front et quitte l'appartement. Nous avons mangé des makis et des sushis faits maison - j'adore ça ! -, puis regardé une comédie romantique La proposition. En dessert, j'avais préparé une tarte aux myrtilles et chantilly, accompagnée de ses boules de glace vanille et caramel beurre salé. C'était juste exquis (oui, s'envoyer des fleurs est très bon pour la santé).

Je sèche mes cheveux, les enroule dans une serviette et prends mon téléphone pour écrire à Estéban. J'inspire un bon coup.

Moi : Comment était ta journée ?

Je me lève, me sers un verre d'eau fraîche, puis fixe mon portable : j'attends sa réponse avec impatience et appréhension.

Quand la petite lumière bleue clignote, je sais qu'il m'a répondu; alors je retourne dans mon canapé, souffle et ouvre le message.

Estéban : Nous avons dû intervenir sur un accident de voiture. Heureusement, il n'y a pas eu de morts, seulement deux blessés. Ils sont hospitalisés, mais leur pronostic vital n'est pas engagé.

Moi : Je ne sais pas comment tu fais. Je suis trop émotive, je serais incapable de gérer ce genre de situation.

Ce mec a toute ma reconnaissance et mon admiration. Il met quotidiennement sa vie en danger, s'occupe des autres, sauve des vies. J'ai une chance incroyable que ce gars me soit destiné.

Estéban : L'habitude. Je me forge une carapace et puis j'extériorise en faisant du sport, par exemple. Et ta soirée avec ton frère ?

Moi : Heureuse d'avoir passé du temps avec lui. Depuis qu'il a un colocataire, il passe plus de temps avec son pote qu'avec moi et je me sens un peu seule. C'est de ma faute, je ne sors pas énormément. Je devrais rencontrer du monde...

Estéban : Tu as l'air très proche de ton frère. Je crois qu'on ne peut jamais comprendre réellement la relation qu'entretiennent les jumeaux.

Moi : Thomas est très protecteur, un peu trop je dirais ; personne n'a le droit de m'approcher. Mais il prend son rôle de frère à cœur et je me suis toujours confortée dans la relation que nous avons créée. Tu as des frères et sœurs ?

Estéban : Nous sommes trois, mais ils vivent tous loin. Pas trop stressée pour demain ?

Nos messages se croisent, se cherchent, se mêlent à la perfection comme une conversation téléphonique. Il ne manque que sa voix, à l'autre bout du téléphone. Je ne me rendais pas compte de la difficulté de ces échanges. Je n'avais pas imaginé une seule fois que je pourrais ressentir un certain manque. J'ai déjà envie de ses bras, de sentir son parfum, de toucher sa peau. Est-ce qu'il a une barbe ? Et comment sont ses yeux ?

Moi : J'aimerais tellement pouvoir t'imaginer...

J'inspire, serre mon poing contre ma poitrine. Il reste encore tellement de semaines avant de pouvoir découvrir les traits de son visage, ses mimiques, sa voix.

Estéban : Je suis curieux. Comment est-ce que tu me vois ? Dans ma tête, tu es plutôt petite, brunette aux yeux noisette. Des cheveux courts, peut-être, et un sourire à tomber.

Oh !

À part pour les cheveux, il a tapé dans le mille. Je pourrais très bien lui avouer de suite qu'il voit juste. Mais j'aimerais, avant tout, voir si c'est son idéal féminin. Si j'étais différente, est-ce qu'il continuerait de discuter avec moi ?

Mais bien sûr, Juliette !

Moi : Tu serais déçu si je n'étais pas comme tu m'imagines ? De mon côté, je te vois grand, musclé (au vu de ton métier), des yeux marron et des cheveux presque noirs. Un genre de Clark Kent!

Estéban : Peu m'importe, tu me plais déjà beaucoup, Juliette...

Je relis le message une bonne dizaine de fois. Le pincement au cœur, qui survient à la lecture du SMS, me fait un bien fou, comme si j'avais besoin d'être rassurée sur la réciprocité de nos sentiments. Il me plaît également; moi aussi, j'aime discuter avec lui. Je saute sur mon téléphone dès qu'il vibre en espérant que ce soit Estéban qui m'écrive. Alors je peux déjà certifier que, oui, il est fait pour moi.

Moi : Estéban...

Estéban : Juliette ?

Moi : Je suis en train de m'endormir, mais je n'ai pas envie de poser le téléphone...

Estéban : On peut se caler un autre moment pour discuter. Demain soir, si tu veux ;).

Moi : Avant, dis-moi ce que tu avais concocté, dans ta tête, pour fêter mon nouvel emploi...

Je m'enfouis sous mes draps, ne laissant que mes cheveux dépasser sur l'oreiller. J'attends sa réponse comme une ado qui se cache pour lire un livre interdit ou un petit jeune qui mate une brochure de sous-vêtements féminins. Voilà de quoi j'ai l'air. Je sais très bien ce qu'Estéban a en tête, mais surtout je suis prête à lire ce qu'il rêve de me faire. Je crois que j'ai la même idée, là, tout de suite.

Estéban : "Écrit..."

La petite bulle s'affole, ma libido aussi. J'attends, j'admire les petits points qui rebondissent, mais rien, toujours aucune réponse au bout de deux minutes. Il n'ose pas ?

Moi : Estéban, je suis en train de m'endormir, alors grouille !

Il efface, recommence, me fait patienter quelques trop longues minutes.

Estéban : Impatiente !

Quoi ? Juste ça ?

Je n'ai pas le temps de lui renvoyer un message que le suivant débarque.

Estéban : La soirée idéale : tu m'as bien sûr envoyé le message tout de suite après. Alors j'ai demandé à la caserne de me laisser partir plus tôt parce que j'avais quelque chose à fêter. Je t'envoie faire quelques courses, demande à ton frère (en espérant qu'on devienne assez proches pour que l'on puisse organiser des surprises dans ton dos :D) de t'occuper le temps que je rentre préparer quelque chose. Ma mère trouve que je cuisine bien, alors, muni de mes ustensiles, mon tablier et mes casseroles, je prépare ton plat préféré (et là, il va falloir que tu me dises lequel c'est, miss 76%). Tu dors ou tu veux la suite ?

Je souris bêtement, m'emmitoufle encore plus, n'écoutant que les palpitations de mon cœur qui caracole, juste sous ma poitrine. Ce mec est un romantique, comme moi. Et cette idée me met les larmes aux yeux : je suis heureuse.

Moi : Estéban, je vais me fâcher ! (j'adore les tomates farcies, miam. Ma mère m'en faisait beaucoup quand j'étais enfant).

Estéban : Je suis sûr que tu es mignonne quand tu es en colère. Je continue, si je ne veux pas me faire étrangler virtuellement alors...

Estéban : « Écrit... »

Je force mes paupières à rester ouvertes. Je ne veux pas me laisser sombrer dans un sommeil profond avant d'avoir eu le fin mot de ma soirée avec lui. Mais mon écran devient flou, mes yeux pétillent de fatigue, mon corps se raidit, je baille. Alors je me fous deux ou trois claques pour me recentrer sur le téléphone. Il vibre... La suite est là.

Estéban : Tu rentres enfin et tu découvres la table dressée avec deux bougies en son centre. Je t'aide à te débarrasser de ton manteau et tu rigoles parce que tu réalises que je ne porte rien sous le tablier (je déconne, mais rien que l'idée de te faire rougir à distance, me fait plaisir).

Oh le con!

Il m'a déjà bien cernée à ce propos. Je suis en mode pivoine, là.

Estéban : Je passe ma main sur ta nuque, approche mes lèvres des tiennes et t'embrasse tendrement. Nous nous installons, mangeons nos tomates garnis - que tu trouves excellentes soit dit en passant, parce que je cuisine vraiment bien - et trinquons au champagne. Ensuite...

Mes yeux sont humides, ébahis par ce qu'ils lisent. Estéban est parfait. Mais le stress s'empare de moi soudainement : il y a forcément anguille sous roche. Ce mec ne peut pas être parfait.

— Calme-moi, Juliette. Tu le connais à peine; tu le découvres seulement. Tu as bien le temps de voir ses défauts, me soufflé-je.

Estéban : Ensuite... je te laisserai me proposer un film (tu disais que tu aimais les comédies romantiques, ça me va !). Nous, sur le canapé, ta tête sur mon torse et mes mains qui jouent avec tes cheveux. À la fin, tu me demandes de rester dormir chez toi (on ne vit pas encore ensemble, mais c'est un projet qui nous tient à cœur). J'accepte; nous nous faufilons sous tes draps et plus, si affinité et consentement ;).

Je m'endors directement avec ce dernier message qui a fait jaillir un tas de papillons dans mon bide. Il vient de me greffer des images merveilleuses pour passer une belle nuit. Est-ce qu'on peut tomber amoureuse d'un gars derrière un écran ? Je crois pouvoir répondre que, oui, ça peut arriver. Les sentiments naissent avec le temps, petit à petit, mais Estéban est sur la bonne voie.

***

— Je n'y suis pour rien si les extincteurs se sont déclenchés et que l'appartement est trempé !

Morales retire son haut, dévoile son torse musclé, puis il essore le tissu au-dessus de mon évier et souffle sur ses mèches trempées qui lui collent au front.

Merde, trop sexy pour moi, même à vingt-trois heures quarante-huit. Si tu ne détournes pas le regard, Juliette, tu vas aussi devoir aller te changer...

Mes yeux dérivent sur mon frangin, dans l'entrée, qui utilise mon sèche-cheveux pour sécher les fringues encore présentes sur lui. Il est rouge de rage.

— Bro', tu m'expliques pourquoi tu as allumé une cigarette sous le détecteur de fumée ?

Thomas hausse le ton, cherche à faire passer sa voix au-dessus du brouhaha de l'appareil qui balance de l'air chaud sur son corps mouillé.

Je rêve ou mon frère vient d'appeler son pote « Bro* » ?

— Oh! ça va, je ne savais pas que ça allait déclencher une averse dans l'appart', se justifie-t-il.

— Mais qu'il est con !

Il est presque minuit et j'ai deux mecs à moitié à poil chez moi en train de sécher leurs fringues.

— Je ne te permets pas de m'insulter, enchaîne l'Espagnol. Putain, mais qui installe de extincteurs automatiques chez lui ? Normalement c'est seulement une alarme, mec !

— Et qui fume dans un appartement ? Morales, surtout toi, tu devrais le savoir que c'est pas un truc à faire...

— Oh stop! Si vous voulez régler vos problèmes de couple, vous allez voir un psy conjugal. Mais surtout, surtout, laissez-moi en dehors de ça ! m'énervé-je.

Ça devait faire trente minutes que je dormais. Je rêvais de mon bel inconnu, de ses messages, de ses baisers dans mon cou. Je voulais continuer ce repas aux chandelles, écouter son cœur qui bat, ma tête posée sur son torse. J'étais perdue là-dedans avant que mon frère ne décide de taper à la porte avec violence pour que je les héberge cette nuit.

Pas pudique pour un sou, Morales retire à présent son pantalon - dans ma cuisine - et grogne dans son coin. Je suis hypnotisée par son corps athlétique. Mêmes ses mollets sont musclés. Je ne parle même pas de ses cheveux bruns, trempés, qui gouttent dans son dos. L'eau roule, tombe jusqu'à l'arête de son caleçon noir. Pendant que ses doigts s'affairent à l'essorage de ses fringues, les miens rêvent soudainement de glisser le long de sa colonne. Finalement, je crois bien que ma culotte va devoir passer au sèche-linge...

— Et pourquoi tu avais besoin de fumer d'ailleurs, Morales ? enchaîne mon jumeau sans relever ce que je viens de dire.

— Je me suis embourbé dans une mauvaise situation, j'avais besoin de réfléchir...

— Je réitère: qu'il est con ! insiste mon frère. Encore une histoire de meuf, j'imagine.

C'est bon pour toi, ça, Juliette ! Plus il y a de l'eau dans le gaz, plus vite la combustion se fera et leur amitié explosera. Tu retrouveras tes instants frère/sœur comme avant. Je t'aime conscience !

Je ne peux m'empêcher de sourire à cette idée. Et je sais déjà comment ajouter un peu - beaucoup - d'huile sur le feu. Personne ne touche à la sœur de Thomas. Donc si je suis assez maligne, si j'arrive à intéresser Morales, mon frère le dégagera illico presto.

Je jubile, imaginant déjà la scène. Maintenant le plus dur est d'attirer l'attention de ce maître de la drague. Et pour ça, je suis bien contente d'avoir mon recueil, mon graal, mon carnet de note avec toutes les techniques de dragues, vues dans mes films préférés... Tout ce que j'ai regroupé à l'intérieur va enfin servir. Et pour la première fois de ma vie, je crois que je suis capable de réussir un challenge que je me fixe : pousser Morales à la faute.

Je ne sais pas si je suis assez jolie pour lui, mais une chose est sûre - je l'ai appris dans mes comédies romantiques -, c'est qu'une femme peut plaire à n'importe quel gars avec un peu de maquillage et des vêtements adaptés. Je n'ai qu'à suivre les techniques de drague généreusement offertes par les réalisateurs et le tour sera joué. Le bad boy sera tout à moi et mon frère lui pétera son nez.

J'ai envie de rire à gorge déployée comme les méchants dans les dessins animés, mais je me retiens, vise mon objectif, mordille mon pouce : je suis en chasse !

— Ça va Juliette ? s'enquiert mon frangin. Tu étais perdue dans tes pensées.

— Hum ? Ouais, ouais, ça va, il fait juste un peu chaud ici.

Je pose mon dos contre le mur derrière moi, m'évente le visage à l'aide de ma main droite et retourne admirer la silhouette parfaite qui se dessine devant mes yeux. J'appuie mon regard sur chaque détail de son anatomie: ses pectoraux qui bougent au même rythme que ses mains, sa cage thoracique qui se gonfle et se dégonfle, ses abdos sculptés en forme de tablettes (ils feraient un excellent entremet au chocolat ceux-là !), son ventre. J'aime qu'il possède des poils, qu'il ne soit pas imberbe. C'est très masculin. Morales passe une main dans ses cheveux, les ébouriffe. Trop sexy. Et là mon cerveau se prend pour un IPhone dernier cri et se la joue slow motion, mettant en valeur chaque geste de ce type.

— Ju', tu fais quoi là ?

La voix de Tommy est cassée, rauque; elle déraille comme celle d'un ado en pleine mue. Son ton est accusateur : il n'est pas bête, il comprend ce par quoi je suis obnubilée. Très bien, je vais l'achever et, en prime, montrer clairement mon intérêt pour mister connard.

— Je mate Morales, presque à poil dans ma cuisine.

Le concerné lâche son jeans dans l'évier, se retourne les yeux aussi ronds que des billes et jette un œil à mon frère.

Oh! il flippe le petit Morales ?

J'ose à mon tour une œillade vers mon frangin qui bout. Super, il séchera plus vite comme ça. Sourire aux lèvres, je retourne à mon exploration. Yeux baladeurs, je mordille ma lèvre inférieure. Et voilà, j'ai tout le kit de la parfaite nympho prête à sauter sur le gars. Le plan est activé et, cette fois, même mon habituelle timidité ne sera pas un barrage. Pourquoi ? Parce que je ferai tout pour mon frère. Un jour, un proverbe indien est né : Quand tu vois tout gris, déplace l'éléphant.

Mon pachyderme, c'est le pote de mon frère et croyez-moi qu'il va vite dégager de mon champ de vision et de notre vie.


Thomas grogne, nous dévisage, son pote et moi, chacun notre tour, et amorce quelques pas dans ma direction. Il se place devant moi, bloque ma vue, prend en otage mon avant-bras droit et me tire de force dans ma chambre.

Bien ! Je crois que, cette fois, j'ai toute son attention.

— Bon, Juliette, il se fait tard, vas te coucher! ordonne-t-il.
— Non, mais j'étais bien dans le salon, moi, râlé-je.

Je n'ai pas envie de me mentir, j'étais vraiment bien. Entre le regard perdu de Morales, mon frangin en pleine crise, dévoré par la colère, et moi avec une petite voix dans ma tête qui criait « victoire!», le spectacle était jouissif. Tommy me fusille du regard, crispe sa mâchoire : je crois que j'y suis allée un peu fort ce soir. Après m'avoir demandé de dormir, il claque la porte, signe de son mécontentement, et rejoint son pote dans le salon. Mon plan machiavélique est en place !

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*Diminutif de brother qui veut dire frère en anglais. 

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