Chapitre 27
Estéban Morales.
Thomas est là, les pieds dans l'eau où se reflète le coucher de soleil. Après notre altercation, il a disparu. Alice nous a prévenu que Juliette avait trouvé un covoiturage pour rentrer à Paris. Mon pote est allé courir des heures pour réfléchir. Quant aux autres, ils n'ont pas posé plus de questions et n'ont jugé personne : ni Juliette, ni Thomas, ni moi. J'ai rejoint Lara qui pleurait près d'un local poubelles et je lui ai dit ce qu'elle voulait entendre : ma vérité.
« Tu es sublime, solaire et toujours franche. Tu as eu une place dans mon cœur, qui ne disparaîtra jamais, mais toi et moi, ça ne fonctionne pas. Lara, tu mérites un gars qui ne voit que toi. Ce n'est pas mon cas. »
Puis je suis moi aussi allé me défouler dans les rues pavées.
Voir Thomas seul ici me donne une chance d'aller lui parler. Alors j'approche, retire mes chaussures et me cale à côté de lui, lui tendant la bière de la paix. Mon pote l'accepte, mais continue de fixer l'horizon sans dire un mot.
- Je vais tout te raconter. Ensuite, à toi de voir si tu veux me détester, me pardonner ou me frapper encore, dis-je sur un ton calme.
Thomas hoche la tête, esquissant un léger sourire, comme s'il repensait à l'instant où son poing a heurté mon visage.
- Thomas, soufflé-je en regardant l'horizon comme mon pote. Un jour un mec auquel je tiens énormément m'a dit : " Peu importe les obstacles qui se dressent sur ton chemin, tu vas y mettre tout ton coeur".
Il ne relève pas, alors je continue.
- Ta sœur est une bouffée d'air frais. Elle a cette beauté qui fait tourner les têtes, mais ce n'est pas tout. Elle pense toujours aux autres avant elle, c'est fou. D'ailleurs elle a des doigts de fée et...
À peine ai-je fini ma phrase que Thomas se retourne brusquement, le visage empreint de colère pour évaluer cette affirmation.
- Non, non, attends ! Pas dans le sens où tu l'imagines ! m'empresse-je de rectifier en levant les mains en signe d'innocence. On en n'est pas là du tout, crois-moi. Tu me connais et tu connais ta sœur...
Il reste silencieux, reprend sa position initiale, le goulot de sa bière pressé entre ses lèvres.
- Bref, ce que je veux te dire, c'est que j'aime ta sœur. Ce n'est pas physique, c'est bien plus profond que ça. Nous avons appris à nous connaître par messages, grâce à des conversations interminables qui nous ont rapprochés jour après jour. Nous nous sommes ouverts l'un à l'autre, nous nous sommes taquinés, nous nous sommes soutenus. C'était si agréable que je n'avais égoïstement pas envie que ça se termine. Tu vois ? Quand j'ai réalisé que LoveScience nous avait connectés, j'ai su que j'étais dans la merde. Les statistiques étaient énormes et ...
- 12%, mec. Redescends sur terre, me coupe-t-il.
- Pour elle, mais j'ai du mal à y croire.
- Tu aurais dû m'en parler.
- Et t'aurais fait quoi ?
Le brun se tourne vers moi, me fixe : je connais sa réponse.
- Ouais, je crois que je t'aurais défendu de l'approcher... avoue-t-il en passant une main dans ses cheveux.
- Et pourquoi ?
- Parce que t'es mon pote. J'ai merdé avec sa meilleure amie à l'époque. Je ne veux pas que ça m'arrive...
- Espèce de sentimental, me moqué-je. Cette histoire, c'est du passé. Vous étiez jeunes. A vingt-huit ans, on est plus mature, non ? Et puis, ta sœur me plaît, je suis sérieux et tu le sais, Thomas. On est pote depuis assez longtemps pour que tu saches que ce n'est pas un jeu pour moi.
Il soupire. Touché.
- Tu veux savoir le pire, Morales ?
- Ouais.
- J'serai heureux que ce soit toi qui prennes soin d'elle et crois-moi, ça m'fait chier d'l'admettre.
Je place une main sur le cœur et joue la carte de l'humour pour cacher que je suis réellement touché par ses mots.
- Oh là là! Ai-je votre permission, ô mon seigneur, de courtiser votre précieuse progéniture ? Oh! non, je veux dire, votre sœur adorée. Pardon, votre grandeur.
- Ta gueule, Morales. Juliette est rancunière. Elle va t'ignorer jusqu'à la fin de tes jours.
- Je suis prêt pour ça...
***
Thomas a raison. Juliette ne répond ni à mes messages, ni à mes appels. Elle m'ignore aussi lorsque je frappe à sa porte.
- Juliette, est-ce qu'on peut discuter ? supplié-je devant son entrée.
Je n'entends rien, pas de bruit, pas de réponse. Il est déjà neuf heures du soir et je sais qu'elle n'est pas du genre à sortir. Je souffle, pose mon avant-bras sur la porte, puis laisse retomber mon front contre celle-ci.
- Il y a quelques années, j'ai craqué sur une jeune femme. Elle lisait un livre devant la sortie de l'école. C'était toi. Je ne savais pas que tu étais la sœur de Thomas; lui, par contre, il savait très bien que je voulais venir te parler... Tu dois te demander pourquoi je te dis ça ?
Un petit rire sort d'entre mes lèvres. Je repense à cet instant où j'ai eu un coup de cœur pour Juliette malgré mon jeune âge. Je n'ai même pas pu lui parler. Évidemment, Thomas m'a devancé prétendant qu'il avait cette fille dans son collimateur depuis un moment déjà.
Bien joué !
Aujourd'hui je lui ai pardonné parce que je sais qu'à l'époque, Juliette et moi, ça n'aurait pas fonctionné. Pourquoi ? Parce que je lui aurais brisé le cœur en repartant en Espagne quelques années plus tard. Il le fallait, je devais dire au revoir à ma sœur.
- Si je te raconte tout ça, c'est parce que je veux que tu comprennes que ce n'était pas un jeu. J'étais moi-même derrière cet écran et je cherchais juste une chance pour me rapprocher de toi sans que ni toi, ni moi ne soyons obligés de nous cacher de ton frère. Tu n'aurais pas réussi à vivre notre histoire. Alors qu'avec Estéban, c'était plus facile, chuchoté-je ensuite.
Je tape encore à la porte, dans l'espoir qu'elle m'ouvre, qu'elle me pardonne. Je me suis livré à elle et je veux croire qu'elle appréciera. Je continue de patienter sur le pas de sa porte, quand deux rires résonnent dans les escaliers. Je me retourne et découvre Juliette, accompagnée par son amie Evangeline.
- Salut ! lance la blonde.
Juliette détourne le regard, fixe un objet invisible sur le sol du couloir et ne m'adresse pas la parole.
- Hey ! Juliette, on peut...
- Bon, Eve, me coupe la brunette, tu veux boire quelque chose ?
- Non, ça ira, je vais...
- Non, tu viens, supplie-t-elle en accrochant le bras de sa patronne.
Eve comprend et moi aussi : je suis de trop et elle ne compte pas m'affronter aujourd'hui. Alors que la blonde fait une grimace désolée, elle lui emboîte le pas. Je me décale, laisse le champ libre à ma petite timide ; je sais que je ne dois pas la brusquer ou être insistant. Juliette risque de se braquer, de prendre peur et je ne veux pas ça. Je la veux fraîche et dispose pour notre conversation.
- Je ne vais pas vous embêter davantage les filles. Juliette, quand tu seras prête à discuter, fais-le moi savoir.
Je crois que rien ne peut être plus déchirant que le silence, symphonie de souffrance et d'indifférence. J'ai besoin d'entendre sa voix, même si elle est emplie de reproches et de cruauté. Je veux plonger dans ses yeux, même s'ils reflètent toute sa colère. Je désire sentir sa peau contre la mienne, même si cela signifie souffrir et endurer la douleur. Je suis prêt à tout, sauf à subir ce silence insoutenable. Chaque absence de réponse est une lame enfoncée dans ma poitrine, me rappelant combien je l'aime et à quel point je me déteste de l'avoir laissée partir. Maintenant, elle s'éloigne sans un mot, laissant seulement son parfum flotter dans l'air. Quel cruel supplice!
Les deux femmes entrent dans l'appartement de Juliette et je ne peux réprimer le pincement au cœur qui me submerge. Comment vais-je pouvoir obtenir son pardon ?
- Ma sœur boude toujours ?
Sur le palier, Thomas m'attend les bras croisés, contre le chambranle de l'entrée.
- Ça va être compliqué. Elle ne me regarde même pas.
- Elle a dû mal à gérer ses émotions. Elle sait que si elle te regarde dans les yeux, elle va craquer et pleurer.
Je sais. Et je ne me pardonne pas de lui avoir fait autant de mal. Je pince l'arête de mon nez, entre dans l'appartement et m'avachis dans le canapé.
- Un conseil à me donner ? tenté-je.
- Juliette m'écoute. Je peux aller lui parler.
- Non, laisse. C'est mon combat. J'ai foiré, je dois assumer même si ça me crève.
Thomas se place à côté de moi, sans dire un mot. Il reste là, comme soutien moral.
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