Chapitre 22
Estéban Morales.
Il y a quelques semaines.
Je jette un dernier coup d'œil à l'adresse donnée par Thomas. C'est un immeuble haussmannien, typiquement parisien, donc. Je pose le doigt sur l'interphone, quand un jeune homme sort. J'en profite pour me faufiler dans le couloir.
— C'est là.
Je sonne. La porte s'ouvre sur le visage lumineux de mon vieux pote. Tandis qu'il m'offre une accolade amicale, je lui demande si c'est chez lui. Une tape sur l'épaule et une seconde étreinte plus tard, je quitte mes chaussures pour entrer.
— Tu te souviens de ma sœur jumelle, Juliette ?
Je la toise. Je l'ai déjà vue. Où ?
Bordel ! Thomas, je te déteste.
J'avance ma main vers elle instinctivement pour la poser sur son épaule et lui taper la bise, mais la nana la saisit en vol pour la serrer. Elle me fixe, ne détache pas son regard du mien. C'est électrique. Je grimace, retiens avec peine l'envie de régler mes comptes avec son frangin qui m'a menti pendant des années. Il remarque ma moue décontenancée et affiche un sourire dont lui seul a le secret. C'est un mélange entre une risette impassible et un smile constipé. Il sait à quoi je pense. Il se souvient lui aussi du coup de cœur que j'ai eu pour la jeune femme, un jour, en sortant de l'école. Il m'a caché la vérité.
Sa paume, toujours dans la mienne, me brûle. Tout ce qui nous entoure s'estompe soudain, ne laissant place qu'à cette alchimie torride qu'elle éveille en moi. Elle ne détourne pas les yeux, alors c'est à moi de couper le contact si je ne veux pas plonger dans la spirale du désir qu'elle m'inspire.
— Bière ? crié-je un peu fort.
Nous nous dirigeons vers la cuisine de Juliette pour prendre notre boisson. Au moment de trinquer, je m'approche de Thomas et lui lâche un « Tu n'es qu'un connard ! ». Il explose de rire et tape dans mon dos en répétant :
— C'est du passé, gars ! N'est-ce pas ?
J'opine. Mais ce que je ne lui dis pas, c'est que sa sœur me plaît et que ça n'a pas changé, même après toutes ces années.
***
Bon, hier j'ai un peu joué au con. Faire peur à Juliette, me comporter comme un salopard de première, n'était peut-être pas le meilleur plan pour qu'elle s'intéresse à moi. Mais je crois comprendre que mon pote est assez protecteur envers elle. Donc si je m'approche trop près de sa sœur, je risque de le perdre lui. Est-ce que ça en vaut la peine ? Bien sûr que non.
J'ouvre mes paupières et là, surprise ! Je découvre Juliette, en mode inspecteur des travaux finis, qui scrute mon corps à moitié nu sur son canapé. Je peux admirer le rouge lui monter aux joues pendant qu'elle se mordille la lèvre inférieure. Bizarrement, elle ne semble pas se rendre compte de son comportement. Je patiente quelques secondes, mais elle ne me lâche pas du regard. C'est comme si elle craignait que mes muscles ne se volatilisent dans l'air d'un coup de baguette magique. Alors, histoire de la sortir de sa transe, je tente un petit mouvement et ose une blague. Elle arrime enfin ses yeux aux miens : son regard est rempli de gêne. Eh bien, au moins, je sais que ma musculature a un effet sur elle !
Est-ce que je ne viens pas de dire qu'elle ne valait pas la perte de mon meilleur pote ? Est-ce que je suis dans la merde? Carrément! je dirais même la grosse merde !
Après être descendu dans les rues de Paris pour aller chercher un petit déjeuner décent, je retrouve les jumeaux dans l'appartement de la belle brune. Café à la main, mes yeux sont attirés par une publicité aux couleurs flashy, qui trône sur son plan de travail.
— Tu t'es inscrite à ce truc ?
Pitié, non, Juliette. Si tu cherches un mec, je suis là !
— Non, ce n'est pas mon genre, réplique-t-elle.
— Encore un truc pour les désespérés...
Thomas parle, mais je ne l'écoute déjà plus. Mes pensées sont toutes tournées en direction de Juliette qui est rouge pivoine. Est-ce qu'elle pense quand même tenter l'expérience ? Je suis sûr qu'elle n'a pas besoin de ça pour trouver l'amour. Cette nana est tellement belle. Je dois l'en dissuader, à tout prix.
— Ils prétendent qu'ils peuvent trouver l'amour de ta vie avec seulement un questionnaire ? C'est osé comme pari. Et tu as vu le principe ? Tout doit se passer par messages et sans voir le physique de l'autre... n'importe quoi, m'insurgé-je.
— Ah ben c'est sûr que, toi qui ne te bases que sur le physique de tes conquêtes, tu ne risques pas de tenter un truc pareil. Et puis, franchement, plaire sans ta belle gueule, tu en es incapable, rebondit Thomas.
Mais il ne la ferme jamais, celui-là ?
Juliette a déjà quitté la conversation; elle attrape le sac poubelle et disparaît dans les couloirs.
— Tu penses sérieusement que les filles avec lesquelles je suis sorti ne se sont intéressées à moi que pour mon physique ? Sympa, mec.
— Prouve-moi le contraire. Inscris-toi.
— Je n'en ai pas envie.
— Si tu arrives à trouver une meuf avec ce truc et qu'elle accepte de te rencontrer après t'avoir parlé, alors tu ne devras plus me payer de loyer pendant un an.
Je relève mon visage, surpris par le pari qu'il vient de lancer. C'est intéressant, très intéressant. De plus, si on me trouve quelqu'un de compatible, je pourrais moi aussi, peut-être, trouver une femme pour moi et oublier l'idée de charmer la soeur de Thomas.
— Et si je perds ?
— C'est moi qui ne paierai pas pendant un an.
— Et si on ne me trouve personne ?
— Le pari s'annule.
Je tape dans sa main, acceptant ainsi le défi.
***
Quelques jours plus tard, me voilà accroché à mon téléphone, dans le petit jardin extérieur. Les mains moites, le coeur battant, je cherche une manière agréable de saluer la jeune femme qui m'est destinée.
76% ce n'est pas rien, putain !
J'ai une pression énorme sur les épaules. Cette fille, c'est celle avec laquelle je pourrais bien passer le restant de mes jours. Je ne la connais pas encore, mais je suis déjà obsédé par l'idée de la rencontrer, de la voir en chair et en os. Je veux découvrir si elle rougit aussi rapidement que Juliette quand on la taquine, si elle a cette discrétion, cette timidité, cette réserve qui me font fondre chez la soeur de mon pote. Je veux savoir si elle aime la cuisine, si elle apprécie les soirées en amoureux devant un bon film.
Ah! Tiens, justement, voilà Juliette qui débarque les bras chargés de sacs de courses. Ses cheveux virevoltent au gré des caprices du vent; elle passe rapidement sa langue sur ses lèvres pulpeuses - un tic que j'ai déjà remarqué chez elle et qui attire inévitablement mon regard vers cette partie si irrésistible de son visage.
Je me lève d'un bond.
Il faut que je me barre d'ici et vite.
Je ne résiste néanmoins pas à l'envie de frôler la jeune femme pour sentir discrètement son parfum. Elle me tend l'un de ses sacs, mais je refuse et fuis à grandes enjambées.
Trop dangereuse pour moi.
Je profite d'un petit moment de répit dans le café voisin pour entamer la discussion avec la mystérieuse jeune femme que l'expérience m'a dénichée. Joueuse, elle propose un petit jeu pour deviner nos prénoms respectifs. Et devinez quoi ? Elle porte le même prénom que ma mère. Et encore mieux ! Elle s'appelle Juliette, comme la sœur de mon pote. Comme par hasard ! Alors soit c'est une putain de coïncidence cosmique, soit c'est un signe du destin qui joue avec ironie.
***
Nos conversations vont bon train et je trouve cette Juliette de plus en plus captivante. Je la découvre d'une manière différente, bien loin des échanges de regards séduisants et des sous-entendus que l'on peut faire lors d'un rencard physique. Elle réussit presque à effacer de ma mémoire la sœur de Thomas qui, entre nous, me déteste cordialement. De plus, j'ai appris qu'elle fréquente quelqu'un. Eh bien, tant mieux pour elle! De mon côté, je m'investis à fond dans cette relation virtuelle. Je n'ai pas encore parlé de tout ça à mon colocataire. Il sait que LoveScience m'a trouvé quelqu'un, mais je préfère garder nos conversations secrètes. C'est une affaire privée et je ne veux pas trahir la confiance de ma Juliette à moi. C'est dingue de penser que tout cela a commencé avec un stupide pari.
La séance de sport finie, j'éponge mon corps, quand une silhouette brune débarque dans la salle. Tous les mecs crient de joie, heureux de voir la jumelle de notre prof, Thomas. Un premier gars s'avance, renifle curieusement la boîte qu'elle tient entre ses mains et se demande ce qu'elle a bien pu apporter. Je me pince pour vérifier que je ne rêve pas, mais non, c'est bien Juliette qui s'est arrêtée dans une boulangerie pour apporter le goûter aux élèves de son frangin. Franchement, c'est adorable de sa part. Je ne peux m'empêcher de me demander si elle apporterait aussi des croissants à la caserne...
— Je veux des mains parfaitement propres ! Et si je dois sentir vos paumes, je le ferai, prévient-elle. La pâtisserie se respecte.
Je rigole, lui balance un petit « Tu es flippante », suis son frère qui s'installe sur un banc et qui pioche dans le carton.
— Bonjour à toi aussi Morales ! Le lavage de mains te concerne !
Je lèche ma paume, ne la lâche pas du regard en attendant sa réaction. J'aime la taquiner, la rendre dingue. Je ne sais pas pourquoi. Elle rétorque un :
— Gamin !
Je ne relève pas, croque dans la tarte et lance un compliment.
Il faudra qu'elle me donne l'adresse de la boulangerie.
— Ma sœur vient d'obtenir son diplôme dans la pâtisserie, mais elle fait ça depuis des années; elle est hyper douée, m'informe Thomas, les yeux pétillants de fierté.
Attends, quoi ? Il vient de dire que sa sœur a fait le gâteau ?
Pas bien sûr d'avoir bien saisi, je demande confirmation, le cœur battant, les mains tremblantes. J'ai justement peur d'avoir bien compris.
— Juliette ?
— Non, le pape ! rétorque-t-elle.
Bordel.de.merde.
Il n'y a plus aucun doute. Juliette Berne et ma Juliette sont la même et unique personne. Je me plonge rapidement dans les détails de la pâtisserie, me remémorant la photo qu'elle m'a envoyée plus tôt dans la journée : la décoration est identique.
Un soupir m'échappe alors que je dépose le morceau de tarte dans la boîte. Puis, sans un mot de plus, je sors à l'extérieur pour tenter de clarifier mes pensées. J'ai besoin de me vider l'esprit, de fumer, de crier, ou même de frapper le mur si cela peut soulager ma confusion. Je ressens un besoin intense d'extérioriser mes émotions et de digérer l'information qui vient de m'être révélée. Je suis perdu. Je ne sais pas quelle décision prendre. Devrais-je mettre un terme à cette relation au risque de perdre Juliette ? Devrais-je tout révéler à son frère et le persuader de nous laisser tenter notre chance ? Ou bien devrais-je tout avouer à la belle brune, prenant ainsi le risque de l'effrayer et de la mettre en fuite ?
Je fais les cent pas dehors et allume une cigarette lorsque je remarque le visage préoccupé de Juliette qui me fixe.
— Je suis désolée.
Tu n'as pas à t'excuser, Juliette. Je n'ai rien contre toi. Au contraire, je veux tout de toi: ton cœur, ton amour, ta tendresse, ta sensualité, ton parfum sur mon oreiller chaque matin, tes lèvres sur les miennes. Je souhaite caresser chaque centimètre de ta peau, me perdre dans la magie de ta présence. Je veux être ton pilier, je veux te guider avec bienveillance, t'assister pour que tu gagnes en confiance. C'est moi qui suis navré, car Estéban devra briser ton cœur et mettre un terme à tout cela, par respect pour toi, pour nous.
Note de l'auteure ;
Je pars en vacances vendredi (28 juillet). Par conséquent, il n'y aura donc pas de chapitre en cette fin de semaine. Néanmoins, accro à l'écriture & à vous toutes ( >.< ), je vais prendre mon ordinateur portable et vous poster un, deux ou trois chapitres pendant mes vacances ♥.
Je reviens le autour du 15 août.
Bonnes vacances 🌴
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