Chapitre 21
Je me retourne, encore et encore, pousse la couverture, cherche le sommeil qui n'arrive pas à cause de la chaleur. J'ai trop chaud. Pourtant, les nuits sont censées être fraîches au printemps, mais je n'ose même pas ouvrir les fenêtres de peur d'organiser une réunion familiale pour les moustiques.
Banquet gratuit les gars !
Je n'ai pas envie d'être couverte de boutons boursouflés, de me gratter jusqu'à me faire saigner pour ensuite me retrouver avec des jambes hideuses. Non, je dois être parfaite pour...
Mais attendez, de quoi est-ce que je parle ?! J'allais dire «pour coucher avec Morales», sérieusement ?!
Je plonge mon visage dans mon oreiller et je crie aussi fort que je peux pour libérer mon esprit de ces idées farfelues. Jamais je n'aurais imaginé ne serait-ce qu'une seconde que je pourrais intéresser le pote de mon frère. Et pourtant, ce week-end, nous nous sommes embrassés. J'ai réussi à faire fuir la sainte nitouche qui vivait en moi depuis des années. Vous savez, celle qui porte des chaussettes jusqu'aux genoux, des vêtements dénués de couleurs qui ne mettent pas sa silhouette en valeur, celle qui regarde des films d'amour et rêve d'une histoire d'amour passionnée, mais qui est trop timide pour la vivre en vrai. Je crois qu'elle a pris ses valises et qu'elle est partie !
Bon vent sœur Marie-Antoinette !
— Bon...
Je me hisse hors du lit, appuie sur le bouton qui est censé allumer le ventilateur de la chambre, mais rien ne se passe. Je vérifie la prise : c'est branché. Je teste tous les autres boutons sans plus de succès. Le vieux machin ne bronche pas.
— Direction la chambre de Thomas, marmonné-je.
J'enfile un petit gilet par-dessus ma chemise de nuit et galope sur la pointe des pieds, dans le couloir. Mon objectif : atteindre silencieusement la chambre de Thomas. Je donne deux petits coups discrets à la porte, et là, surprise ! Elle s'entrouvre dans un grincement presque macabre sur une scène assez inhabituelle.
Mon cher frère est torse nu, assis sur le rebord du lit. Mais là où ça devient vraiment inattendu, c'est quand je réalise qu'il y a quelqu'un à califourchon sur lui :
— Émilie ?
Oh, mon frère adoré, tu aurais dû mettre un écriteau "Chambre occupée" sur ta porte!
J'entrevois à peine la brune sursauter et se retirer de l'étreinte de mon frère, car, instinctivement, je viens plaquer mes mains devant mes yeux, gênée de les avoir surpris tous les deux. Je me tiens là, telle une statue, avec les mains barricadant mes yeux comme si ma vie en dépendait, comme si mes paumes pouvaient effacer à jamais cette scène de ma rétine. Si seulement elles pouvaient également effacer ma mémoire.
— Euh... Merde, jure la brune.
Thomas éclate de rire.
— Tu veux quoi Juliette ?
— Je venais juste te voir, mais je vois que tu es déjà en charmante compagnie, alors je vais...vous laisser, bégayé-je.
Je me retourne prête à partir quand mon frère m'interpelle.
— Tu n'as rien vu, OK ? Et ferme la porte derrière toi, s'teu plaît.
OK. Retour à la case départ.
Je souffle devant la porte à présent close et me demande si je ne devrais pas aller me jeter dans la piscine.
— Tu ne dors pas ?
La voix de Morales s'invite dans ma nuque.
— Non, le ventilo ne fonctionne plus dans ma chambre. Je voulais aller dormir avec Thomas pour profiter du sien, mais...
— Mais il est en pleine séance de sport avec Émilie, se marre-t-il.
— Comment tu...?
Je me retourne, tombe nez à nez avec l'Espagnol décoiffé. Sexy. Sauvage.
Punaise...
— Ils couchent souvent ensemble, juste comme ça.
— Et Isaac ?
— Je crois qu'il s'en doute. Sa sœur est majeure, elle fait ce qu'elle veut.
Ce n'est pas logique pour tout le monde.
— Oh! OK. Bon... Je retourne dans mon four.
— Tu veux prendre mon ventilateur ? glisse l'Espagnol, un sourire au coin des lèvres.
J'opine discrètement, le remercie et le suis dans sa chambre. Il me fait entrer, pose la bouteille d'eau fraîche qu'il tenait dans ses mains sur la table de nuit en bois et avance vers le ventilateur.
— Tu ne vas pas avoir trop chaud si je te le prends ? m'enquiers-je.
— Je peux ouvrir la fenêtre.
Il s'agenouille, débranche l'appareil, le porte et me suit. J'amorce le pas jusqu'à ma chambre. J'ouvre la porte, le laisse entrer pour qu'il dépose le Graal. Morales le branche et l'active.
— Autre chose, mademoiselle Berne ?
— Ce sera tout, merci, monsieur... Euh, c'est quoi ton nom de famille ?
Morales écarquille les yeux, passe sa main dans ses cheveux, puis frotte sa nuque.
— Il est compliqué à prononcer. Je te ferai un cours d'espagnol demain, si tu veux. Mais là, c'est direction le lit, Juliette !
Morales attrape mes épaules et me fait pivoter pour rejoindre le matelas. Je grogne et, lui, il rigole.
— Bonne nuit.
Il dépose un - trop - long baiser sur ma tempe. Cela fait naître des frissons le long de ma colonne vertébrale. Il se recule lentement, ses yeux plongent dans les miens, captant mon trouble. Mais au lieu de dire quelque chose, il choisit de garder le silence. Il fait un pas en direction de la sortie, mais alors que mon cœur bat la chamade, ma main agit de son propre chef. Mes doigts se referment instinctivement sur un pan de son tee-shirt, comme si je voulais le retenir à tout prix.
Je n'ose pas lever les yeux vers lui, craignant de me perdre dans le tourbillon de mes sentiments. Je crains d'affronter son regard interrogatif, car je sais qu'il pourrait lire en moi comme dans un livre ouvert. Pourtant, malgré ma réticence, je reste accrochée à lui, incapable de le laisser quitter cette pièce. Mon geste silencieux parle plus fort que toutes les paroles du monde : je veux qu'il reste.
Parle. Dis-lui.
— Tu veux... que je... reste un peu ?
Ouf ! Morales a capté le message muet que mon corps lui a adressé. Je hoche la tête, toujours sans le regarder, intimidée par le geste que jamais je n'aurais cru faire un jour, surtout pas pour lui.
— Ok. Viens.
Il enveloppe ma main dans la sienne et nous dirige vers le lit. Il s'assoit au bord, je l'imite. Ses doigts délicats se glissent sous mon menton, me forçant à relever mon visage vers le sien. Il m'ordonne avec une douceur exquise de le regarder, de ne pas avoir honte.
Et là, je suis soudain captivée par ses pupilles. Elles brillent avec autant d'intensité que dans le couloir qui menait aux toilettes, l'autre soir, quand ses lèvres se sont posées pour la première fois sur les miennes. Son regard est aussi pétillant que nos éclats de rire de ce soir, pendant le match de babyfoot, et il est brûlant,à tel point que je peux d'ici sentir sa chaleur me transpercer.
— Morales, murmuré-je, incapable de retenir mes pensées du moment, je ne veux pas faire partie de ton tableau de chasse, avoué-je avec une pointe de gêne.
Une risette apparaît au coin de ses lèvres, accentuée par sa magnifique barbe parfaitement bien entretenue. Je ne peux m'empêcher de remarquer à quel point sa bouche est sublime, un détail qui ne fait qu'ajouter à son charme et à mon envie de goûter encore à sa texture.
Juliette, tu craques...
— Ce n'est pas le cas, Juliette. Tu n'es pas un trophée, pour moi, affirme-t-il.
Il se rapproche délicatement; ses doigts repoussent les mèches de cheveux qui obscurcissent mon visage. Son geste tendre me procure un réconfort certain, même si une part de moi reste méfiante. Est-ce que je peux vraiment lui faire confiance ? Est-ce que ce sont des répliques qu'il utilise avec toutes les femmes qu'il pense pouvoir séduire ?
Il capte mon regard hésitant et comprend immédiatement ce qui me travaille, mes doutes silencieux. Avec un léger soupir, il laisse échapper :
— Juliette, je comprends tes inquiétudes et tu apprendras à me connaître avec le temps.
Son regard pénètre le mien. Je suis vulnérable, si vulnérable que mon visage se rapproche du sien et que ma bouche vient frôler la sienne. Il répond avec un tendre baiser, rapide, mais doux et agréable. Il est sincère.
Le bel Espagnol se lève gracieusement, contourne le lit pour venir se positionner à ma gauche. Il s'allonge, croise les mains derrière sa tête et contemple le plafond avec une expression paisible. Je me glisse doucement à ses côtés, me positionnant sur le flanc gauche, et passe mes mains sous son tee-shirt. Je cherche à sentir sa chaleur, à le toucher, à le caresser tendrement. Dans un geste plein de passion, l'homme à mes côtés se tourne également vers moi, effleure mon visage avec une délicatesse envoûtante. Je me laisse aller à ces sensations, fermant les yeux. Je profite de cette fusion entre la chaleur espagnole et la douce brise fraîche du ventilateur. Un sentiment de bien-être m'enveloppe.
Alors que je m'abandonne lentement au sommeil, je crois entendre la voix de Morales, mais je ne suis pas certaine du monde dans lequel je me trouve : le rêve ou la réalité. Dans cet état de semi-conscience, je me perds dans les méandres des mots susurrés jusqu'à ce que mes pensées se dissolvent dans le sommeil.
— J'aimerais tout te dire ... Je manque de courage. Ne me déteste pas.
***
— Bon, il y a eu un bug sur la réservation, m'informe Thomas.
— Zut. On va en trouver un autre, le rassuré-je.
J'avance dans les allées piétonnes de la ville et admire les belles bâtisses en pierre que nous longeons mon frère et moi.
— Ici !
Je montre du doigt une jolie devanture avec, dans la vitrine, une tonne de cupcakes arc-en-ciel.
— Je crois que les gars voulaient quelque chose de plus ... masculin, si tu vois ce que je veux dire, se moque mon frère.
— Oh ! Je vois. Des œufs, des saucisses et de la charcuterie au petit déjeuner.
— C'est ça !
Je comprends que, pour notre dernière matinée tous ensemble, il faut bien se faire péter le bide comme si nous n'avions pas déjà abusé de la nourriture ces derniers jours. Ce soir, nous partons et, pour une fois, j'ai une petite boule au ventre. J'ai bien aimé passer quelques jours avec les potes de mon frère. Ils sont cool, sauf peut-être Lara, qui m'a un peu saoulée. Oui bon... Je vais continuer de nier quelque temps la raison de cette petite guerre avec elle.
— Là !
Mon frère s'arrête devant le menu d'un restaurant à la devanture noire et or, très classe.
— Bon, appelle Morales pour lui dire où ils doivent nous rejoindre. J'ai plus de batterie, j'ai oublié de charger mon tel cette nuit.
Il avait des occupations plus passionnantes... En tout cas, il ne s'est peut-être pas réveillé seul, contrairement à moi.
En ouvrant mes yeux caramel, j'ai réalisé que mon invité surprise avait quitté ma chambre. J'ai eu un peu de peine, mais j'étais contente qu'il ne m'ait pas sauté dessus comme un sauvage. Il me respecte, c'est évident.
— Euh, je ne connais pas son numéro.
Oh tiens ! Ça me donnera l'occasion de l'enregistrer sans que mon frère ne s'en rende compte. Je retiens mon petit rire satisfait et sort mon téléphone du sac.
— Je t'écoute.
— 06.03.00...
Attends...
— Juliette, tu notes ?
Je relève mon visage vers mon frère, fronce les sourcils, le cœur battant, la nausée remontant dans ma trachée.
— Thomas.
— Ouais ?
— Morales ... C'est son prénom ?
Je vois l'incompréhension se dessiner sur le visage de mon frère. Il est perplexe quant à la raison soudaine de ma question. Cependant, c'est d'une importance capitale pour moi, pour mes jambes qui flageolent, pour les nœuds qui se forment dans mon estomac, pour les larmes qui menacent de déborder.
— Euh, pourquoi ?
— Réponds ! Est-ce que Morales est son prénom ?
Mon frère grimace soudain, cherche dans mes yeux la réponse à sa demande. Je peux lire la confusion dans son regard, il se demande pourquoi je pose une telle question.
— Non.
— Putain de merde ! C'est quoi son prénom ?
— Juliette, ton lang...
— SON PRÉNOM !
— Estéban.
Et soudain, mon monde vole en éclats. L'angoisse m'envahit, la peur m'étreint, et je suis submergée par la découverte d'une vérité aussi amère qu'un poison. La noirceur engloutit mon être, ma vision se trouble et mes mains deviennent moites. Je lutte de toutes mes forces pour rester debout, pour ne pas m'effondrer devant tous les regards braqués sur moi.
Puis une voix résonne dans mes oreilles, cette même voix qui a fait naître des papillons dans mon ventre, celle qui m'enchantait encore hier soir. Mais aujourd'hui, elle se révèle être une lame acérée qui me transperce le dos, déchirant mon cœur en mille morceaux.
— Ah vous êtes là ! Salut Juliette.
Et là, je me retourne, les yeux remplis de rage, le cœur dans la gorge.
— Salut. Es.té.ban, articulé-je.
Morales se décompose. Son visage révèle un mélange de surprise et de culpabilité.
— Je peux t'expliquer, balbutie-t-il.
— Je n'ai pas besoin d'explications ! Je rentre ! répliqué-je d'un ton glacial.
Mes jambes me portent rapidement loin du groupe. J'entends mon frère m'appeler, puis gueuler sur son pote un truc du genre « Qu'est-ce que tu as encore foutu Morales ? ».
Note de l'auteure ;
Vous aviez raison. Je crois que vous connaissez trop bien mon sadisme !
Est-ce que je vous ai quand même fait douter ?
J'espère que vous êtes contentes de ne pas à avoir à faire de choix entre Morales et Estéban, car oui. C'est la même personne.
Je vous donne rendez-vous bientôt pour la suite ... Le point de vue de notre bel Espagnol , Estéban Morales.
Êtes-vous prêtes ?
LOVE.
Kate ♥
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