Chapitre 15
Un café à la main et une envie de vomir bien présente, j'attends dans le salon décoré avec des photos de couples, des faire-parts de mariage et de naissance. J'ai tenté d'avoir quelques informations avant de me déplacer pour comprendre ce qui pouvait valoir un rendez-vous en urgence de la part de LoveScience. Je voulais me préparer, écrire les réponses que je pourrais donner pour éviter de bégayer ou de me perdre en répondant. Est-ce qu'elle sait qu'Estéban est venu me voir ?
Pitié non ...
— Juliette Berne ?
La voix cristalline de Maryline me parvient. Je me lève, lisse ma jupe noire et la suit dans son bureau.
— Installez-vous.
Je tire la chaise en arrière et dépose mon popotin sur l'assise. Droite, je triture la peau de mes doigts et mordille l'intérieur de mes joues.
Mon état de stress sur une échelle de un à dix ? Vous avez sûrement déjà deviné.
— Bon, je ne vais pas passer par quatre chemins. Sachez simplement que le choix final vous reviendra. Vous avez entièrement la main sur la suite des évènements et je veux que vous en soyez consciente, commence-t-elle en ajustant ses lunettes rondes.
Je hoche la tête, reste muette, attend la sentence, le coup sec et rapide de la guillotine. Je voudrais être partout, sauf ici. Alors j'inspire, repensant à ce qu'Estéban m'a appris récemment : « Inspire pendant cinq secondes, puis expire sur la même cadence pour synchroniser tes systèmes nerveux sympathiques et parasympathiques ».
— L'ordinateur n'est pas infaillible et malheureusement il y a eu un léger souci lors du calcul de vos résultats.
— Développez...
— Vous êtes bien compatible avec Estéban à 76%, mais, lui, il n'est pas compatible avec vous, lâche-t-elle.
Ma poitrine se soulève, mes yeux se gorgent de larmes, que je tente tant bien que mal de retenir. J'expire bruyamment, ferme mes paupières. J'ai peur de comprendre ce qui se passe, mais je dois en être certaine.
— Que voulez-vous dire par là ? tremblé-je.
— Qu'Estéban n'est pas votre âme-sœur.
Mes poings se serrent, mes ongles s'enfoncent dans la chair de ma paume, je crois que j'ai envie d'aller me défouler. Alors j'avale ma salive, laisse couler une larme sur mon visage. Maryline arbore une mine désolée, mais tousse pour reprendre la parole.
— Ecoutez, Juliette. D'après votre regard, je crois comprendre que vous tenez beaucoup à lui. Vous avez l'opportunité de continuer l'expérience parce que je suis convaincue que vous pouvez former un super couple.
— Mais nous ne sommes pas compatibles, reniflé-je démoralisée.
La responsable de LoveScience ouvre un paquet de mouchoirs et m'en donne un que j'utilise pour me moucher. Les gouttes salées coulent sur mon visage sans que je puisse les arrêter.
— Je vais être franche, Juliette. Peut-être même un peu brute, mais ...
Elle s'arrête, hésite à continuer, mais poursuit lorsque j'opine, lui donnant mon aval pour qu'elle m'achève.
— Quand nous avons relancé le test sur ordinateur, il ne vous a trouvé personne. J'ai donc décidé de lire vos réponses, outrepassant mes droits... L'homme que vous cherchez n'existe pas, mademoiselle Berne, me confesse-t-elle. Vous êtes bien trop exigeante avec vous-même, mais aussi avec l'homme qui doit partager votre vie. A ce rythme-là ...
— A ce rythme, je vais devenir vieille fille avec dix chats et un vibromasseur épuisé, hoqueté-je.
Je réalise alors qu'elle a raison.
— Vous avez tout le temps de la réflexion. Ne vous pressez pas, pesez le pour et le contre.
— Est-ce qu'Estéban avait quelqu'un d'autre qui était compatible avec lui ? m'enquiers-je.
— Vous. Je vous l'ai dit. Vous êtes son idéal féminin, son 76%.
Une question trotte alors dans ma tête. Je grimace, n'ose pas la poser de peur que la réponse ne me satisfasse pas.
— Posez votre question Juliette. Allez-y, me rassure–t-elle.
— A quel pourcentage, Estéban m'est-il compatible ?
Maryline fronce les sourcils : je ne vais pas aimer la réponse.
— 12%.
Mon palpitant se stoppe, il n'est plus irrigué par mon sang qui se glace dans mes veines. Ce résultat est tellement bas. Comment est-ce possible ? Par message, il semble pourtant parfait pour moi: romantique, de bons conseils, imaginatif. Est-ce que je ne vois que les 12% ?
— Mais, au risque de me répéter, vous avez un idéal qui n'existe que dans les livres ou les films. Vous avez grandi avec une image erronée de l'homme parfait.
Voilà qu'elle en rajoute une couche. J'ai saisi. Mark Darcy n'existe pas, Jack Dawson n'est qu'un mythe, Clark Kent qu'une illusion, Johnny Castel qu'une légende... Dépitée, je laisse ma tête retomber dans mes paumes.
— Juliette, continue-t-elle en caressant mon bras. Dites-moi ce qu'Estéban a apporté à votre vie.
— Grâce à lui, j'ai trouvé un travail dans lequel je m'épanouis. J'ai même commencé à courir! Bon, quinze minutes deux fois par semaine, mais je voulais faire quelque chose qu'il aime, qui me rapproche de lui. Vous savez, il m'a concocté une playlist avec des musiques entraînantes pour caler ma respiration et mes pas en fonction du tempo de celles-ci quand je vais courir. Je me suis fait des amis et avant de me coucher, tous les soirs, nous discutons de ce qui me donne l'impression d'avoir une vie plus remplie. J'ai même accepté de partir en week-end avec mon frère alors que je n'aimais pas ça avant. Je ...
Maryline sourit de toutes ses dents, tourne la tête de gauche à droite en me regardant.
— Vous parlez de lui avec passion.
— Parce que c'est ce qu'il m'inspire, réalisé-je.
— Alors, voulez-vous continuer ?
— J'aimerais en discuter avec Estéban. Pour l'instant je continue.
— Maseltov !
La responsable se lève et m'offre un câlin chaleureux et agréable. Elle recule de quelques pas, se tourne et récupère un formulaire : le mien.
— Refaites les tests chez vous, à tête reposée, mais cette fois avec sincérité. Qu'est-ce que vous cherchez vraiment chez un homme? Et supprimez de votre tête les gars imaginaires, nous sommes d'accord ?
— Oui. Je vais le faire. Merci à vous.
***
Moi : Est-ce que tu es au courant ? ( LoveScience ... nous)
Estéban : J'ai effectivement rencontré la responsable hier. Je ne voulais pas t'en parler tant que tu ne l'avais pas également rencontrée.
J'écris, j'efface, je ne sais pas quoi ajouter de plus, quoi lui dire. Dois-je lui parler de mes hésitations, de mes appréhensions ? Jusqu'ici notre relation était tellement évidente que je me suis totalement laissée être moi-même. Le fait de ne plus savoir ce que me réserve le futur me dérange un peu. J'aime avoir le contrôle sur ma vie, sur mes conversations, sur tout ce que je fais. Mais là, la situation me file entre les doigts et je ne sais pas à quoi je peux me raccrocher.
Estéban : Juliette, es-tu en train de me dire que tu veux arrêter l'expérience ?
Moi : Non, ce n'est pas ça. En fait, j'ai juste peur... Peur de te décevoir et d'être trop exigeante, de ne pas pouvoir passer outre les 12%...
Je dois lui dire ce que j'ai sur le cœur, ce qui me bouffe les entrailles, ce qui me donne envie de vomir quand je repense à tout ça. Mon stress est présent et je rumine sans cesse ce que m'a appris Maryline. Cette expérience n'est plus censée m'aider à trouver l'amour, enfin plus totalement. Je dois aussi apprendre à me découvrir, comprendre ce que je cherche, revoir ma façon de concevoir l'amour et accepter de ne pas pouvoir avoir la même vie que les filles dans les films et les romans. Je me sens biaisée. Je suis naïve depuis trop d'années et je viens de sauter d'un immeuble sans savoir si en dessous se trouvait un matelas. J'espère juste qu'un pompier au cœur tendre pourra me rattraper en bas. J'ai envie de lui faire confiance, de le laisser me guider, m'aider à comprendre qui je suis vraiment et ce que je veux sans me focaliser sur ce que je connais déjà. Je dois faire mes propres erreurs, trouver mes failles, avancer dans les marécages avec mes bottes et ma motivation pour ne pas rester coincée.
Estéban : Je dois t'avouer quelque chose.
Moi : Tu as dix enfants ?
L'humour : Chose qui me permet de ne pas montrer mes angoisses.
Estéban : Non j'ai neuf enfants, pas dix ... C'est bon pour toi ? En réalité, je t'ai déjà rencontré et je n'ai rien dit. J'avais peur de ta réaction, mais également que tout s'arrête. Tu ne me décevras donc pas. Crois-moi. C'est plutôt à moi d'avoir la boule au ventre à ce sujet. 12% ce n'est pas rien...
Le sourire sur mes lèvres se perd. Je réfléchis, revois l'image du beau pompier qui est venu au salon de thé, l'homme devant lequel j'ai bafouillé. J'ai honte. Je voudrais tant le rassurer. Jusqu'à présent, il m'a fait sortir de ma zone de confort. J'ai besoin de le rencontrer en vrai, de discuter de tout ça avec lui de vive voix et pas derrière un téléphone même si je suis beaucoup plus à l'aise.
Moi : Je pense qu'on devrait mettre un terme à l'expérience ...
Je me lance la première. On doit arrêter cette mascarade et se rendre à l'évidence : cette expérience est fausse depuis le début.
Estéban : OK. Je voudrais te dire que je comprends, que je te laisse du temps pour penser à ça (ce que ferait probablement l'homme idéal que je ne suis pas ...). D'un autre côté, je ne veux pas te mentir, alors je pense que je vais aller courir un peu pour évacuer tout ça...
Euh merde, il a compris de travers.
Je relis mon message. Effectivement celui-ci porte à confusion.
Moi : Non, non, je me suis mal exprimée. Je voulais dire qu'on arrête l'expérience pour se rencontrer, pour en parler de vive voix, voir si un « nous » pourrait fonctionner. Tu m'as offert des billets pour un cinéma en plein air. On devrait s'y rendre ensemble. Es-tu disponible pour m'accompagner ? (Je vais envoyer un mail à Maryline et en discuter avec elle).
Je jette mon téléphone sur le lit, dépitée : pas de réponse. Je tombe à mon tour sur la couverture et observe le plafond. Cette fois, je ne peux pas revenir en arrière. Je dois le rencontrer, voir si nos mots se fondent, nos corps s'électrisent, nos conversations sont fluides. Je veux découvrir sa voix, sentir son parfum, toucher sa peau. J'ai besoin de ce contact pour comprendre si nous sommes faits l'un pour l'autre. Mais avant ça, je dois partir en week-end avec mon frère et son connard de pote. Et là, je me demande si mon plan de draguer Morales ne devrait pas se terminer tout simplement. Je dois avant tout régler mes soucis de cœur avant de me lancer dans une vendetta à la con...
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