Chapitre 14

La clochette me sort de mes pensées de la veille.

— C'est qui ce canon de beauté ? demande Eve, perchée au-dessus de mon épaule.

Je relève mon visage et découvre mon frère, suivi de Morales. Ils pénètrent tous les deux dans le salon de thé: Thomas, un grand sourire aux lèvres, et son pote, les mains dans les poches. Il ne semble pas être là de gaieté de cœur.

— Morales, le pote de mon frère, réponds-je avec une grimace.

— Je vais me présenter.

La blonde roule des fesses, tend la main vers mon frère.

— Evangéline, la patronne de la sœur de ton pote, lâche-t-elle.

Ah, d'accord. Elle parlait de mon jumeau.

C'est vrai qu'il est plutôt pas mal, mon frangin, enfin, d'après les filles au collège qui me fréquentaient seulement pour attirer son attention. Pourtant il ne m'a jamais présenté personne. Je l'ai déjà aperçu avec des nanas collées à son bras, mais il a toujours été discret sur ses relations.

— Thomas, le frère de Juliette, répond-il, offrant un sourire ultra-bright à la charmante blonde devant lui.

La responsable salue également Morales et leur demande ce qu'ils souhaitent boire et manger. Sans surprise, To' choisit un cappuccino, quant au petit toutou qui le suit partout, il préfère un café bien serré.

— Choisissez un gâteau, c'est offert par la maison, précise la patronne des lieux. Juliette les confectionne avec ma grand-mère.

L'Espagnol sort le téléphone de sa poche et répond, le visage sur son écran:

— Tarte citron, s'il vous plaît.

— Deux, enchaîne mon frangin.

— Juliette, je te laisse t'occuper d'eux ? J'imagine que ton frère veut te voir à l'œuvre, glousse-t-elle.

Elle place sa main sur mon épaule, la caresse et part en chantant dans la cuisine.

Pendant que les deux potes vont s'installer à une table, je mets en place les tasses pour faire couler le café. Je suis en cuisine la plupart du temps, mais il m'arrive aussi de passer en salle pendant les heures de pointe, comme aujourd'hui. Je dépose la commande sur un plateau et me dirige vers la table de mon frère.

— Voilà, ça sera tout, monsieur ? dis-je en souriant.

— Merci. Alors c'est là que tu bosses. C'est vraiment pas mal, concède mon jumeau. Et la patronne est vraiment mignonne.

— Je t'interdis d'y toucher, sors-je avec rapidité.

— Pourquoi, je te prie ?

— Parce que si ça foire, elle va me virer.

— Nous sommes adultes, nous pouvons faire la part des choses...

Je sais très bien que bosser avec la sœur de son ex risque de poser souci. Et si ça fonctionne, je serai gênée d'être au milieu de leurs petites soirées. J'apprécie vraiment Eve, peut-être même comme une amie, alors je ne veux pas que tout soit gâché parce que Thomas la trouve à son goût.

— Ouais, mais non. Nous sommes en bonne voie pour devenir amies alors...

— Alors on ne touche pas aux amis, continue mon frère.

— Notre promesse, oui.

Lorsque nous avions quinze ans, mon frère est sorti avec ma meilleure amie : Léa. Au bout de trois semaines, leur relation était déjà finie et notre amitié aussi. Léa refusait de venir à la maison de peur de croiser celui qui avait fait battre son cœur. Elle s'est éloignée de moi et, petit à petit, elle a disparu de la circulation. J'ai appris bien plus tard la raison pour laquelle elle m'avait évitée. Elle avait offert sa virginité à mon frangin et n'osait plus me regarder en face: je lui ressemblais trop. Thomas m'a fait une promesse de petits doigts quelque temps après : interdiction de sortir ou de coucher avec nos potes.

— Tu as deux minutes pour t'asseoir avec nous ? s'enquiert Thomas en tapotant la chaise à côté de lui.

— Prends quelques minutes si tu veux, Juliette, propose alors Eve qui passe à côté de nous pour rejoindre la table voisine.

Je hoche la tête, remercie ma responsable et m'installe.

— Tu viens avec nous le week-end de l'Ascension ? s'enquiert mon frère. On va à la villa, comme d'habitude.

Morales fronce ses sourcils, accroche son regard au mien et attend ma réponse.

— Je ne sais pas trop, Thomas. Tu sais que ce n'est pas tellement mon truc.

— Tu connais tout le monde, ça ne devrait donc pas poser de soucis.

Je tourne la tête vers son pote, observe sa réaction, jauge ses pensées. Les miennes se dévoilent avec évidence. Mon projet de virer le coloc de mon frère est toujours d'actualité. Si je vais sur place, je pourrai faire semblant d'être bourrée pour lui sauter dessus. Morales ne résistera pas, j'en suis certaine. C'est un gars et je ne suis qu'un objet avec un vagin : j'ai les qualités requises pour attirer son pote dans mes filets.

Je hoche la tête, annonce à mon frère que je dois tout de même rentrer dimanche avant dix-huit heures pour venir au magasin comme me l'a demandé Eve. Il tape dans ma main, valide notre accord et croque dans son bout de tarte.

Je retourne aider Eve à ranger les chaises et nettoyer la table, quand un homme, tranquillement installé avec un café entre ses grandes mains, m'interpelle.

— Oui, monsieur ?

— Je voudrais...

Il s'arrête, pose ses yeux bleus sur mon tablier et hésite soudain à continuer sa phrase. Je cherche la tache qu'il semble fixer, mais ne vois rien.

— Vous vous appelez Juliette ? s'étonne-t-il.

— Oui, c'est écrit sur mon badge.

— C'est un très joli prénom. Je peux vous commander une seconde part de tarte au citron meringuée à emporter, s'il vous plaît ? Elle est excellente. C'est vous la pâtissière ?

J'opine, lui souris, ravie de son compliment, et m'en vais préparer son sac. Ma main tremble lorsque je vais saisir le dernier bout de tarte.

Il avait un casque de pompier posé à côté de lui. Nom d'un baba au rhum!

Je me relève, me cogne la tête contre la vitre, frotte mon front et scanne le visage de l'inconnu. Ses cheveux sont courts, très courts, ses yeux sont clairs. Sa mâchoire est ovale, entourée d'une belle barbe fine et bien taillée. Son teint est caramel et possède quelques tâches de rousseur. Il se lève, prend avec lui sa tasse vide et la soucoupe et se déplace vers moi.

Ok, il est serviable !

Il porte un pantalon noir, large avec des bretelles rouges qui passent sur son tee-shirt foncé. Sa démarche est rapide et met en mouvement ses muscles, tous ses muscles.

C'est un pompier...

— Six...euros... S'il vous plaît, bégayé-je.

L'homme se pare de son plus beau sourire, sort de la poche arrière de son pantalon sa carte bleue, puis la pose sur le routeur, tout en gardant ses yeux clairs plantés dans les miens. Je lui tends son sac, les joues rouges.

— Merci Juliette. Si je peux me permettre, vous avez un magnifique sourire.

Je n'arrive pas à détacher mes yeux de son visage. Je le scanne, mémorise ses traits.

Je ne veux pas l'oublier.

— C'est très aimable.

— C'est la première fois que je viens ici. J'avoue être entré par pur hasard, mais je ne le regrette pas.

Merde... je crois qu'il me drague.

Je reste interdite à ses mots, voudrais lui répondre, lui dire que je suis également ravie qu'il ait poussé la porte du salon de thé dans lequel je travaille, mais rien ne sort, pas même un raclement de gorge ou une politesse. Seul un sourire se faufile sous ma carapace de timidité.

— C'était un plaisir, Juliette, chuchote l'inconnu en récupérant sa part de tarte. À bientôt.

— Oui, vous aussi. Enfin je veux dire, pour moi aussi c'était cool de vous encaisser...

Il sourit pendant que moi je réalise avec effroi le nombre de conneries que je peux débiter en moins d'une phrase, puis il disparaît.

C'est lui et putain... je viens de me taper une honte monumentale !

La main sur la poitrine, je tente de diminuer les battements de mon cœur. Cet homme est charmant, vraiment charmant.

— C'était qui ce gars ? me questionne Morales qui me sort de mon état de choc.

— Un client.

— Hum... Il avait l'air prêt à te chanter une belle sérénade. En tout cas, tu lui as vendu du rêve : « Je suis très excitée par l'encaissement de votre argent, monsieur le pompier », m'imite-t-il.

— Morales, vas te faire voir dans un yaourt à la grec.

— L'expression c'est juste «chez les Grecs».

Il explose de rire. Je lève les yeux au ciel et tente de ne pas sortir de mes gonds, de rester droite et professionnelle, même si ce mec me donne envie de le gifler. Mon regard doit suffire à lui faire comprendre ce qui me passe par la tête. Il lève les mains en signe de paix, mais continue malgré tout à se marrer comme un gosse devant un bêtisier de chats qui se cassent la gueule.

— Bon, tu veux quoi à part te foutre de ma tronche ?

— Je suis venu te dire de ne pas te rendre à ce week-end.

— Euh, en quoi ça te regarde ?

— Je dis ça pour toi ma belle.

Ah non! Pas un surnom...

— Tu ne veux pas venir, ça se voit. Tu préfères être seule à lire tes bouquins et à mater des films d'amour.

Ce n'est pas faux.

— C'est quoi ton problème avec moi, Morales?

— Rien, rien, je te jure ! C'est juste que je commence un peu à te connaître et c'est évident que tu te forces pour ton frère.

— Mais de quoi je me mêle? soufflé-je en retournant dans la salle pour continuer à débarrasser les tables.

L'Espagnol me suit à la trace et continue à me dissuader de venir. Mais plus il fait ça, plus, au contraire, je veux m'infiltrer et lui montrer que moi aussi je peux m'éclater.

— Les potes de ton frère n'ont pas du tout le même caractère que toi. Les filles sont assez superficielles et les gars lourdingues...

Je me stoppe, Morales me fonce dedans. Je me retourne, relève mon visage et fais courir mes doigts, en remontant, sur le torse bandé du brun.

— Je. Fais. Ce. Que. Je. Veux! Mets-toi ça dans le crâne, Morales, dis-je avant de le pousser doucement en arrière.

Mon frère sort des toilettes; cela fait fuir le trouillard qui récupère son manteau à sa place. Thomas embrasse mon front et caresse mes épaules.

— Bon, Ju', je dois aller bosser.

— J'apporte du brownies demain pour tes gars. Merci d'être passé.

Je rejoins Émile derrière le comptoir et prépare la liste de gâteaux à refaire pour demain.

— Dis donc, je t'ai vu discuter avec deux beaux mâles. C'était qui le beau gosse ?
— Lequel ? demandé-je pour éviter de me tromper une nouvelle fois.
— Les yeux bleus, le cul bombé et musclé, les cheveux bruns avec quelques boucles ...
— Morales, l'arrêté-je.

Cette fois, impossible de me tromper.

— Eh bien ! La gent féminine a de la chance de l'avoir de son côté. Ce mec est très sexy. Il m'a donné chaud, s'évente Emile. Et je t'ai également vue discuter avec un pompier, lui aussi j'en ferais bien mon quatre-heures.

J'explose de rire ce qui alerte immédiatement Evangéline la commère.

— De quoi vous parlez ? chuchote-t-elle.
— D'un bel étalon aux yeux bleus et d'un pompier hypra sexy.

— Le client, table douze. Je crois que c'était Estéban, avoué-je à mon amie.

— Quoi ? Qu'est-ce qui te fait dire ça ?

— Une intuition...
— La nana va mater tous les pompiers de Paris, se moque-t-elle.
— Non, mais il a eu un bug quand il a vu mon prénom et a tenté de me draguer... Bizarre non ?
— Ce n'est pas le premier qui te drague, darling, riote ma patronne qui nettoie les vitrines.
— Ouais, mais Juliette a tellement peu d'estime d'elle, qu'elle ne se rend pas compte à quel point elle est canon, enchaîne Emile qui prépare un café.
— Et il était comment ce gars ? demande Eve en me pinçant la joue.

— Plutôt pas mal, vraiment pas mal... voire même très beau.

Un champ de fraises vient de pousser sur ma tronche tellement je dois être rouge.

— C'est une bonne nouvelle. Tu vas lui envoyer un message pour connaître la vérité ?
— Non, je ne préfère pas. J'ai peur que ça fasse complètement foirer l'expérience.

Mon téléphone vibre dans ma poche.


***

Aujourd'hui, 18h06

De : love.science

À : berne.juliette

Objet : Demande de rendez-vous.

Bonjour Juliette, nous espérons que tout se passe bien de votre côté. Je souhaiterais vous rencontrer pour discuter de la suite de votre expérience. C'est d'ailleurs assez urgent. Pouvez-vous rapidement me contacter pour convenir d'une entrevue dans les jours à venir ?
Cordialement,
Maryline de LoveScience



Mon estomac se tord, mes mains tremblent et je commence à avoir chaud. Pourquoi est-ce que la responsable de l'expérience souhaite me voir ? Je retourne dans la cuisine et cache mon téléphone jusqu'à nouvel ordre.

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