Chapitre 13


Le hangar est spacieux et lumineux. J'avance vers le comptoir et demande à la responsable si quelque chose a bien été réservé au nom de Patrick. La dame, vêtue d'une blouse marron, tape sur son clavier et hoche la tête.

— Nous pouvons débuter un cours d'ici vingt minutes. Veuillez attendre ici.

Elle nous désigne deux canapés bleu canard qui font face à toute une collection de céramiques, posée sur des étagères. Mon accompagnatrice paie pour accéder au cours et pose ses fesses sans délicatesse à côté de moi.

— Il a prévu combien d'activités, Roméo ? me questionne-t-elle.

Je hausse les épaules, me lève, avance jusqu'à la grande machine noire et pousse quelques pièces dans la fente dorée. La machine vrombit, claque et un verre apparaît. Le premier café coule. Je retire la boisson et fixe mon regard sur la seconde qui est prête en quelques instants.

— Estéban a parlé d'une journée en amoureux, donc j'imagine que nous en avons encore pour un bon moment. Tiens, un café.

Elle accepte la tasse, souffle sur la fumée et aspire la première gorgée avec précaution pour ne pas se brûler.

— Pourquoi choisir les comédies romantiques comme fil conducteur ? s'enquiert-elle.

— Parce que j'en suis fan et il le sait. Je ne sais pas si c'est son style de film, mais il fait l'effort de s'y intéresser en tout cas; j'apprécie.

— Ce n'est pas monsieur 76% pour rien, réalise-t-elle. Et tu n'as pas peur de...son physique ?

Une moue déformée et assumée se crée sur son visage. Bien sûr que j'appréhende le fait qu'il ne me plaise pas, mais en soit, je me dis que si des papillons arrivent déjà à se former dans mon estomac quand il m'envoie des messages, notre rencontre ne peut être autrement qu'explosive.

— Je suis flippée pour tout, rié-je. Je panique à l'idée de le rencontrer, mais il est censé être fait pour moi. Regarde, la preuve, aujourd'hui, avec cette matinée. Ce mec est juste comme j'aime.

Je souris dans le vide, perdue dans mes pensées.

— Toi, t'es déjà amou...

— Mesdames, si vous voulez bien me suivre, nous interrompt notre professeure du jour.

Nous terminons notre café et emboitons le pas à la baba cool au baggy kaki.

— Je m'appelle Séraphine.

Nous nous présentons à notre tour pendant qu'elle fait glisser une grosse porte de grange en bois. Elle pénètre dans l'espace de création et nous invite à rejoindre une place pour débuter l'atelier.

— Bon, nous allons fabriquer un pot pour planter une succulente. Il faudra revenir chercher votre création d'ici une semaine. Le cours dure deux heures. C'est bon pour vous ?

Let's go! nous motive Evangéline.

Séraphine nous procure des tabliers, des élastiques pour maintenir nos cheveux en hauteur et nous montre les premiers gestes à effectuer. D'une main, je pince délicatement le bord du bol, tandis que de l'autre je lisse le contour. Je retire l'excédent de céramique, rince mes phalanges dans la bassine. Mon amie se débat avec sa pâte, s'énerve contre sa main qui tremble. De mon côté, j'arrive à débuter quelque chose, mais tout se casse la figure peu de temps après. J'imagine le rire d'Estéban, nos échanges de regard, les moqueries mutuelles sur nos créations, mais aussi le rapprochement que nous aurions pu vivre ensemble, ici.

— Juliette, tu rêvasses ou quoi ?

Je sursaute, découvre les dégâts que j'ai faits pendant que j'étais perdue dans ma douce imagination. Evangéline ne me laisse pas répliquer et ajoute, moqueuse :

— Nan, ne me dites pas que la meuf était en train d'imaginer la scène avec son Estéban d'amour en mode comédie romantique, putain !

Et j'avais même un début de chanson acoustique qui arrivait...

Je me donne une baffe imaginaire et me reconcentre sur ma poterie.

— Pas de commentaire, Eve !

— Ah ouais! On en est au stade des surnoms ?

Un rire à l'unisson éclate dans l'atelier, mais notre enseignante n'est pas très ouverte au bruit. Elle claque sa langue au palais et nous demande de nous taire.

— Chut ! La poterie est un art silencieux dans lequel nous laissons notre esprit s'évader.

Séraphine ferme les yeux, prend une profonde inspiration, se met en position de yoga et balance son corps de gauche à droite dans un mouvement de vague. Elle lève les paumes en direction du ciel et les rejoint comme pour lancer une prière.

Le dieu de la poterie est-il avec nous ?

La scène est bien trop comique pour mon amie. Elle part en fou rire, ne retenant plus les larmes qui n'attendaient qu'une chose : dévaler sur ses joues. Je ne suis pas dans le jugement en général, mais pour être perchée ainsi, il faut avoir fumé un bon paquet d'herbes peu recommandables.

***

Attablées au Jones, restaurant et bar à vin, je décide d'envoyer quelques messages à Estéban.

Moi : Merci Estéban. Je crois que me présenter comme Bridget au Jones a été le truc le plus dur à faire de ma vie. Ah non, peut-être la poterie. D'ailleurs cette activité m'a appris quelque chose : je ne suis pas douée avec mes doigts, sauf pour les gâteaux. Et toi ?

Estéban : Tu me demandes vraiment si je suis doué de mes doigts, Juliette ?

Ma gorgée passe de travers, je m'étouffe et reprends mon souffle rapidement, sous les yeux inquiets de mon amie et patronne.

Mais non ! Je demandais seulement s'il était manuel, nom d'une crème fouettée!

— Merde, je crois que j'ai fait une allusion sexuelle sans le vouloir, grincé-je.

— Ben on s'en fiche. C'est ça, la drague, Juliette. Quand est-ce que vous comptez baiser par message ?

— Quoi ?! m'offusqué-je. Non, mais ... ça n'arrivera pas, voyons !

— Arrête d'être coincée comme ça... Les SMS cochons ne font pas de mal. Et c'est bon pour entretenir la flamme. C'est un mec et toi une meuf. Oh ! Mais que font un gars et une fille qui se kiffent ? Ils baisent. Ou « font l'amour  », si tu préfères.

Elle signe deux guillemets, puis continue:

— Tu crois que Jasmine ne s'est pas faite tringler par Aladin, toi ? Les paroles « Je suis montée haut, allée trop loin», chante-t-elle moqueuse, sont assez suggestives. Chauffe-le un peu, fais crépiter la flamme et gonfler sa lance à incendie !

Mais qui est le monstre en face de moi ?

— Eve! Je suis choquée.

— Oui, ta patronne est une cochonne. Ça rime ! Bon, on lui répond un truc osé ?

— Je ne sais pas comment faire, avoué-je gênée.

J'écris, sans être convaincue, ce que me dicte Evangéline:

Moi : Ne réponds pas, je préfère le découvrir par moi-même dans l'intimité...

Estéban : Écrit...

Un nœud se forme dans mon estomac. Mes mains tremblent et mon cœur démarre un looping : mais qu'est-ce que j'ai fait ?

Estéban : Écrit...

— Sa réponse est longue..., stressé-je.

— Non, tu viens de lui clouer le bec, se marre-t-elle. Depuis le début, vous êtes hyper sérieux. Vos messages sont adorables, d'après ce que tu m'as raconté, mais ça manque de sensualité, de jeux de drague, de piment. Quand tu fais un gâteau, si tu ne fouettes pas un peu les ingrédients, ben le sucre et les jaunes d'œufs resteront à se regarder, mais rien ne se passera jamais. C'est pareil ici. Tu communiques avec lui depuis plusieurs jours maintenant...

Estéban : Où est Juliette et que lui avez-vous fait ? Je suis prêt à payer la rançon...

— Il sait que ce n'est pas mon genre, regarde sa réponse.

Eve éclate de rire et croque dans son hamburger végétarien.

— Ça prouve qu'il te connaît bien, réagit Eve la bouche pleine.

Moi : Je suis avec une amie et elle me suggère d'être un peu plus «rentre dedans» avec toi. Devrais-je suivre ses conseils ?

Estéban : J'aime ta personnalité telle qu'elle est. Mais, sache que je suis très bon à ce petit jeu et que tu ne pourras jamais me battre sur ce terrain, miss 76%.

Je tourne l'écran du téléphone en direction de mon amie pour qu'elle lise la réponse de monsieur 76%. Elle arque un sourcil.

— Accepte le défi !

Je pique ma fourchette dans mon mi-cuit de saumon au sésame et ferme les yeux pour en apprécier toutes les saveurs.

— J'sais pas, Eve. C'est un truc sérieux pour trouver l'amour, pas une application avec des gars qui ne veulent que du cul. On joue notre futur.

Estéban : J'ai dû partager quelques macarons avec deux collègues, j'avais ramené la boîte à la caserne... Grossière erreur de ma part.

Moi : Qu'en ont-ils pensé ?

Estéban : Ils veulent te rencontrer et ils sont plutôt jaloux. Une femme qui fait de la pâtisserie est bonne à marier d'après eux.

— Tu as quelqu'un dans ta vie, Eve ?

— J'avais... Nous allions même nous marier, mais ça n'a pas marché. Trop différents.

Elle hausse les épaules et boit une gorgée.

Moi : Ouais, on dit de nous, que nous savons bien manier le fouet... (OK, mon amie a une mauvaise influence).

Je décide d'accepter de me lâcher, d'être plus ouverte.

Estéban : J'imagine que tu te débrouilles bien avec le rouleau à pâtisserie aussi, non ?

Moi : Si tu en as un chez toi, je pourrai éventuellement m'entraîner avec le tien.

Estéban : J'en ai un grand, oui ! (Je paierais cher pour voir tes joues se colorer, là, tout de suite).

Qu'il est con ...

Je me mets à rire, mordille ma lèvre inférieure et m'évente le visage.

— Un coup de chaud, ma belle ?
— Le soleil tape un peu fort, je crois.
— Ouais, non, pas au point de te faire ressembler à une crevette.

Eve éclate de rire encore une fois. J'abdique, lui montre mon téléphone, les derniers messages.

— Ah! Voilà, c'est déjà un peu plus sexy tout ça, se marre-t-elle.

La serveuse débarque, dépose le dessert sur la table -une tarte à la fraise - et disparaît à nouveau.

— Le gars te paie une journée de dingue et il ne peut même pas en profiter avec toi, se désole Eve.

— C'est le but du jeu. Mais plus le temps avance, plus je rêve de le rencontrer.

— Et si, physiquement, il ne te plaît pas ?

— J'ai beaucoup pensé à ça. Mais, au collège, je me souviens être sortie avec un mec qui, physiquement, n'était pas mon genre pourtant il a réussi à me faire craquer.

— Premier amour ?

— Ouais, confirmé-je. Mais il a déménagé trois mois plus tard. Le divorce de ses parents l'a beaucoup impacté.

La serveuse apporte l'addition à mon amie et me tend un bout de papier. 

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