Chapitre 11

Vendredi, 10h35
De : LoveScience.paris
À : berne.juliette
Objet : Juliette, comment se passe votre expérience ?

Juliette,
L'équipe de LoveScience est vraiment impatiente de connaître les détails de votre expérience. Vous parlez actuellement avec Estéban et nous sommes certains que vous vous êtes déjà découverts beaucoup de points communs.
N'oubliez pas que si vous avez des questions ou des appréhensions, nous sommes là pour vous.
Votre bonheur nourrit le nôtre.

Pour faire avancer au mieux votre relation, nous vous proposons de déposer une surprise à l'intention de votre partenaire dans notre agence.
Pour les femmes : Lundi de 8h à 12h / Mardi de 14h à 19h
Pour les hommes : Lundi de 14h à 19h / Mardi de 8h à 12h

Si les horaires que l'on vous propose ne correspondent pas à votre agenda, veuillez nous envoyer un mail avec vos disponibilités. Nous trouverons une solution pour récupérer votre présent.

/!\ Le cadeau ne doit, en aucun cas, mener à une éventuelle rencontre. Nous serons vigilants sur ce point.

Pour rappel, il est important de respecter nos règles dans leur ensemble afin de mettre toutes les chances de votre côté.

Que l'amour soit avec vous,
Maryline de LoveScience.

***

— Bonjour Maryline, dis-je en déposant deux boîtes sur son bureau.

La première est transparente et contient huit macarons aux couleurs des pompiers : le jaune est au citron, le rouge à la framboise, un autre au chocolat noir 76% - petit clin d'œil à notre compatibilité - et le dernier est à l'orange. Autour du présent est noué un nœud rouge accompagné d'un mot écrit à la main : fait avec amour ♥.
Dans le second emballage sont cachés six de mes entremets préférés. La phrase « Nice to sweet you » habille la boîte blanche et or. La femme détache son fessier de la chaise à roulettes et contourne son bureau. Elle se penche au-dessus des contenants et gémit un « Hmmmmm» long et intense devant les beautés que je suis venue apporter pour Estéban.

— On dit que le cœur d'un homme se conquiert par son estomac. Vous êtes sûre, Juliette, de ravir les papilles de votre Roméo, salive-t-elle.

— J'espère bien. C'est la seule chose pour laquelle je sois douée : pâtisser.


— Ne vous sous-estimez pas, Juliette. Vous êtes une jeune femme pleine de qualités. Vous devez juste trouver une personne qui sera capable de les voir et surtout de vous complimenter.

Maryline n'a pas tort. Il m'est difficile de trouver les qualités que je possède. Je n'ai aucune confiance en moi, ça, c'est une évidence ; mais depuis que je discute avec celui qui semble m'être destiné, je sens que quelque chose change déjà en moi. Je lui adresse un sourire de remerciement et lui souhaite une bonne journée.


***

— Bonjour Maryline, dis-je pour la deuxième fois de la semaine.

Nous sommes mercredi et aujourd'hui, c'est mon jour de repos, c'est aussi celui que j'ai choisi pour retirer la surprise de la part d'Estéban. Le début de semaine a été éprouvant : des clients à gogo, une mamie un peu trop sévère et prête à me donner des coups de fouet sur les fesses si je n'avançais pas assez vite, le malaise d'un octogénaire qui a fait une allergie au lait de coco - les allergènes sont pourtant bien spécifiés sur notre carte - et une formation express donnée par tous les membres de l'équipe. Je suis déjà épuisée, mais j'avoue que mis à part les deux jours d'une forte intensité, j'ai enfin réussi à me faire des amis. Claire est une jeune femme géniale :  elle est joyeuse, dynamique et se préoccupe beaucoup des autres, quitte à passer au second plan. Emile est un gars - enfin, s'il n'avait pas un pénis entre les cuisses, ce mec serait très certainement une nana - jovial, sans filtre et blagueur. Il n'est pas de ceux qui sont invisibles. On le remarque forcément, que ce soit par sa voix, par ses éclats de rire ou par son style. Il a de jolies boucles blondes, qui cachent parfois ses yeux d'un bleu transperçant, des lunettes rondes aux verres teintés en rose et des chemises prune, bordeaux ou champagne. D'ailleurs, ne vous trompez pas sur le nom des couleurs, les termes exactes sont une priorité pour le jeune homme de vingt-trois ans. Quant à Evangéline, c'est une perle. La patronne est d'une douceur incroyable, mais n'hésite pas à hausser le ton quand il le faut. J'espère décrocher ce job à temps plein et évoluer au sein de leur équipe.

La femme de LoveScience me tend une PopBox (boîte à popcorn) remplie, non pas de petits maïs éclatés, mais de feuilles jaunes en boules.

— Estéban est très inventif. Nous avons accepté sa requête malgré les risques que cela comportait, m'informe-t-elle.


— C'est-à-dire ?


— Vous devez déjà trouver le mot sur le papier...

La femme aux longs cheveux noirs lâche un sourire qui illumine son visage. J'imagine que l'idée d'Estéban est loin d'être ordinaire et ça lui plaît très certainement. Impatiente, je renverse le pot, ouvre un à un les papiers jaunes pour trouver celui qui est taggué par le stylo de l'homme compatible avec moi. Je fouine, grogne lorsque je tombe sur une feuille vide. Je commence à penser que c'est une plaisanterie, une grosse blague qui a pour but de me rendre dingue.


Oh ! Nom d'une tarte à la praline.

« Juliette, nous ne pouvons certes pas nous voir, mais j'aimerais partager un moment avec toi, un premier rendez-vous, un de ceux que j'imagine si nous nous étions rencontrés normalement... Veux-tu bien me suivre ? »

Mon cœur s'affole, ma tension augmente, mon pouls déraille complètement. Et comme si ce n'était pas suffisant, voilà que je commence à sentir mes joues chauffer.

— Vous voulez un verre d'eau fraîche ?

Je peine à donner ma réponse, valide en hochant la tête. J'ai l'air de quoi là ? Mes avant-bras commencent à me chatouiller, je ne suis pas loin de la crise d'urticaire, signe que mes émotions sont en train de déborder. Maryline revient avec une bouteille tout droit sortie du frigo et me sert un godet.

— Vous êtes en train de paniquer, c'est normal. Vous ne vous sentez pas prête à rencontrer Estéban, mais ce n'est pas exactement ce qu'il vous propose.

Et vous n'auriez pas pu me le dire plus tôt ? Je suis en train de suffoquer et j'étais à deux doigts de m'évanouir tellement ma pression artérielle est montée en flèche. Non-assistance à personne en danger, vous connaissez peut-être ?

Elle pose sa main sur la mienne, ôte le mot que j'étais en train de serrer à pleine poigne et s'installe en face de moi, sur sa chaise, derrière son bureau.

— Estéban a préparé un plan que vous devez suivre à la lettre. Il ne sera pas à vos côtés, sauf par la pensée. Il m'a promis de ne pas interférer dans votre balade en vous cherchant et je lui fais confiance. Estéban est un homme de parole. Il est patient, tenace et respecte les règles que nous avons mises en place. ll ne voudrait pour rien au monde faire capoter l'expérience.

Elle penche sa tête sur le côté et m'offre une vue imprenable sur sa parfaite dentition. Elle attend une réponse, un son : un clignement des yeux lui suffirait peut-être bien. Alors, moi aussi je me pare de mon plus beau sourire, rassurée de ne pas rencontrer Estéban accoutrée de la sorte. Le jour-J, j'aurai verni mes ongles, épilé tout mon corps, je porterai ma fragrance préférée et je serai maquillée. Je veux faire une bonne première impression. Il me plaît...

— Ouf ! Je suis rassurée.

— C'est ce que j'avais compris, oui. Vous n'êtes pas prête à le rencontrer, pas encore, et ce n'est pas ce que je vous demande. Vous avez encore plusieurs semaines pour apprendre à mieux vous connaître l'un et l'autre.

La femme au parfum orientale se lève et ouvre le tiroir d'une commode derrière moi. Elle en sort une lettre, rouge bordeaux (ma couleur préférée). J'extrais la feuille de l'enveloppe et découvre un autre mot. J'admire l'écriture, en déduis la personnalité de l'homme qui a écrit ses lignes. J'ai une passion pour l'analyse graphologique. Vu que j'ai toujours eu du mal à communiquer avec les personnes qui m'entourent, je me suis tournée vers l'étude de l'écriture. C'est ainsi que j'ai pu découvrir les personnalités d'un bon nombre de mes connaissances. On dit que la pression appliquée sur la feuille en écrivant permet de nous renseigner sur l'intensité des instincts, leur constance, ainsi que leur orientation; la forme des lettres nous parle aussi énormément. Estéban a une écriture de type « liée» qui traduit son besoin de lier les choses en elles ou d'entretenir des liens avec les autres. Son trait est appuyé, la pression qu'il a exercée sur le stylo est forte. Je remarque donc une certaine énergie, une forte personnalité et une volonté de réussir tout ce qu'il entreprend. Ses traits épais reflètent la sensualité. Tout ça n'est que suppositions, mais j'aime l'image que je peux me forger grâce à sa plume.

« Le matin se lève sur la capitale et, pendant que les Parisiens courent comme des fourmis dans une fourmilière, nous préférons répondre à l'appel de nos estomacs qui crient famine. A Pigalle, tu trouveras un café dont le nom fait référence à un film romantique : une histoire d'amour entre la célébrissime Anna Scott et l'anglais William Thacker, dirigeant d'une librairie. Une fois à l'intérieur, présente-toi en donnant le prénom de l'actrice qui joue le premier rôle. Une surprise t'attend.
Mister 76%»

Une main sur le cœur, l'autre sur le courrier, je relis deux fois chacun de ses mots. Je réalise rapidement que j'ai retenu mon souffle tout le long de ma lecture. Quand je relève mes yeux en direction de Maryline, elle me fixe, ses yeux mouillés par l'émotion qu'elle doit déceler dans mon regard : je suis à deux doigts de pleurer.

— Si je m'attendais à ça ...

— Oui, Estéban est parfait, rêve-t-elle.

— C'est vous qui gérez également le côté homme ? m'enquiers-je.

— Si vous voulez savoir si j'ai rencontré Estéban, la réponse est oui, Juliette. Et comme je vous l'ai dit, il est PARFAIT, vraiment parfait.

Elle ralentit sur l'adjectif qui décrit l'homme avec lequel je communique, insiste sur les syllabes et termine sa phrase dans un murmure presque inaudible.

— Avez-vous lu la lettre que je tiens entre mes mains ?

— Pas directement non, mais Estéban m'a envoyé un mail en toute transparence avec son programme complet. Il est méticuleux et sérieux : ce sont des qualités importantes quand on participe à ce genre d'expérience. Je dois avoir une confiance aveugle en mes petits protégés et ce n'est pas forcément évident, car je ne sais pas ce que vous vous racontez par messages.

— Je comprends, oui. Merci à vous, pour votre temps et votre patience.

Maryline se lève, tend sa main pour que je la serre. Sa poigne est solide et affirmée. Je récupère mon sac, abandonné sur le sol, et range ma surprise à l'intérieur. Maryline m'a dit que je pouvais prendre mon temps pour réaliser les demandes d'Estéban, et qu'il avait même affirmé que, si je n'avais pas la possibilité de tout faire en un jour, je pouvais espacer chaque chose. Je suis contente qu'il ne cherche pas à m'imposer quoi que ce soit.

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