👑 CHAPITRE 9 👑
Il y a une multitude de choses qui auraient éventuellement pu me passer par la tête en regardant l'antenne tomber progressivement telle une image que l'on déroule au ralenti. Cela aurait pu être combiné à multitude d'émotions qui auraient également pu me traverser sur le moment. Mais ce ne fut pas le cas. Au lieu de ça un constant. Aussi horrible soit-il. Un vide. Voilà tout ce à quoi pouvait se résumer ce que je pensais et/ou ressentait. Pratiquement rien. Bien que je n'ai jamais été très brillante, j'ai toujours été quelqu'un consciente du fait que j'étais maline : pas assez pour me faire remarquer, mais juste ce qu'il faut pour survivre. Il en allait de même pour mes émotions, mes sentiments. Tout être humain qui se respecte est normalement pourvu d'un éventail d'émotions et il n'a qu'à choisir, mais moi...j'en ai été incapable. Tout ce que j'ai ressenti c'est un léger sentiment d'accomplissement en me disant «ça, c'est fait» telle une tâche quotidienne que l'on aime rayer de la liste. Pourtant, ce que je venais de faire...ce que nous venions de faire n'était en rien anodin. Avec la perte de cette antenne, les drones du château cesseront d'émettre demain matin et alors on cherchera à comprendre pourquoi et à rétablir cela au plus vite. Mais comment ? Kaïen dit que cela prendra du temps, mais je connais suffisamment les hommes de la capitale ou les organisateurs de ce jeu pour savoir que la fenêtre d'ombre que nous venons de nous offrir ne sera que trop brève et que si nous voulons ou devons agir, il faut le faire sur l'instant en se pressant. Se presser, voilà une jolie chose à faire tandis que nous nous tenions là, contemplant notre œuvre. Je pouvais voir un sourire et même deux ou trois. Il y avait pour eux un sentiment d'accomplissement, mais aussi de satisfaction car il serait fou de croire qu'ils n'éprouvent pas une certaine amertume à l'encontre du Royaume et du Roi lui-même. J'ai conscience de cela et je l'exploite pleinement car ensemble, nous sommes plus forts que si j'étais seule.
Seule je le suis quelque part. Je n'ai ni mon Aide, ni mon soutien habituel. Je n'ai personne à part quelques esprits aussi tordus que le mien. Je suis seule et pourtant entourée. Quel étrange concept.
- Votre Altesse...
Secouant la tête de gauche à droite, je me recentre sur la scène tandis que Nora se tient devant moi, le regard inquiet. Je commence à en avoir marre de voir le même genre de regard chez différentes personnes : Owen, Valerian, elle...Pourquoi me regardent-ils tous comme ça ?
- Devons-nous rentrer ? me propose-t-elle alors
- Non. Nous avons encore du travail à faire.
Je ne peux plus faire marche arrière. Je ne peux plus renoncer ou demander «pardon». J'en ai conscience, mais cela tombe à pic car je n'ai aucunement envie de demander pardon pour mes actions. Bien au contraire, je m'octroie la permission de les réaliser de mon propre chef.
- Bérénice, la prochaine antenne est-elle loin de notre position ?
- Je dirais à trois ou quatre kilomètres tout au plus.
- Très bien, alors allons-y, ne perdons pas de temps.
Il y a des questions qu'aucun de nous ne posait car les réponses nous effrayait et on le savait. Comment Kaïen avait eu ces connaissances ? Comment avait-il mit la main sur ce genre de dispositifs explosifs qu'il gardait secrètement dans sa chambre ? Comment Bérénice pouvait-elle connaître la province aussi bien ? Comment réussissait-elle à se repérer rien qu'avec les arbres ou les feuillages ? Ces gens avaient eu une vie, des expériences qui ont fait ce qu'ils sont aujourd'hui. Etait-ce pour ce genre de compétences que les hommes de Roxan raflaient les villages ? Pour mettre la mettre sur ce genre de main d'oeuvre ? Cela ne serait guère étonnant. Son groupe s'agrandit en hommes ou en femmes, mais aussi en cerveaux. Dommage que je n'ai pas eu encore l'occasion d'en croiser ne serait-ce que l'un d'entre eux. Dialoguer avec une personne capable de réflexion me manque.
Alors la seconde antenne se trouvant sur notre chemin connue le même funeste sort que la première à laquelle nous nous sommes attaqués tandis que nous nous tenions à bonne distance, laissant la géante de fer s'effondrer. L'explosion résonnait encore dans ma cage thoracique comme un effet secondaire. Une drogue s'installant progressivement. Un appel jouissif. Il y avait, dans la destruction, une certaine beauté à tout bien y réfléchir.
- A présent, rentrons, nous avons suffisamment œuvré et marché pour la nuit. Demain sera une autre journée et nous n'avons plus le temps de nous occuper de cela. Maintenant notre opération en pause.
- Devons-nous nous préparer à la visite du couple royal ?
- Effectivement. Cela ne leur plaira pas de savoir que la retransmission n'est pas possible, mais avec la réputation de la province, les gens penseront bêtement que c'est une attaque criminelle. Ils commenceront alors à voir Celestia non plus comme un province abandonnée à son sort, mais comme une zone de non droit, dangereuse et dans laquelle le Roi a eu le culot de laisser la plus jeune princesse du Royaume réussissant bien malgré elle à survivre. Je montrais dans les classements. Je serais l'objet de l'attention pendant suffisamment de temps pour rendre Ivory, tout juste mise sous les projecteurs, jalouse que je lui vole ainsi la vedette.
- Aviez-vous tout ceci en tête en prévoyant ce plan ?
- Je préfère dire que je suis une personne créative et en cette qualité, j'ai toujours plusieurs scénarios à l'esprit.
C'est bien malgré moi que j'ai appris la leçon sur cet aspect-là surtout. Tout ce qu'il se passait au palais m'a inévitablement conduite à imaginer le pire scénario dans tous les cas et à me débrouiller avec ce dernier. J'ai grandis en apprenant à me débrouiller. J'ai grandis en apprenant à courir avant de marcher. J'ai grandis en ayant pour habitude de garder un œil par dessus mon épaule.
J'ai été quelque part formatée à affronter la guerre elle-même et à tout ce que cette dernière ferait découler et que cela me plaise ou non.
Les nuits au château étaient devenues d'un calme bien étrange : Il n'y avait plus ce sifflement incessant de courant d'air, plus ces craquements de bois pouvant vous arracher un sursaut, plus cette peur constante de devoir être sur ses gardes. Il n'y avait que le calme. Le silence. Et parfois, la solitude. Le manque.
Comment deux êtres peuvent si rapidement peupler votre vie au point où leur absence, à la moindre mention de cette dernière, n'est que douleur ?
Dans les murs endormis, je quitte ma chambre, descendant marche après marche les escaliers me menant à la grande salle. Il y a là les ordinateurs et autres gadgets dont j'ignore tout de Valerian. Ils ne sont pas partis définitivement ni très longtemps, mais ils me manquent. Tous les deux. J'aurais quelque fois bien besoin de les entendre me siffler dans les oreilles. J'aurais besoin qu'ils voient aussi ce que je deviens en peu de temps. Ce que j'ai fais. Oh oui, j'aimerais qu'ils sachent ce que j'ai fais.
- Mais je ne suis pas certaine que tout cela leur plaise...
- Tu ne peux le savoir qu'en le demandant aux principaux concernés, non ?
Un sursaut m'est arraché tandis que je me retourne vivement vers la silhouette sortant de la pénombre de la pièce pour se positionner face à moi, tout sourire, les bras tendus.
- Bonjour, Magdalena.
J'aimais à croire que cela n'était qu'une illusion de mon pauvre esprit fatigué, mais ce n'était pas le cas. C'était lui. Valerian. C'était ses yeux bienveillants, ses bras réconfortants et toujours cette douceur dans sa voix dont j'avais pris l'habitude. L'étrange habitude.
- Je ne pensais pas que...et ta fille ? Comment va-t-elle ?
- Grâce au soutien d'un étrange supporter secret, nous avons pu stabiliser son état, mais...cela ne s'est pas fait sans surprise.
- C'est à dire ?
- La soudaine dégradation de son état de santé...c'était le fait du Prince Byron.
Dois-je être surprise ? Ou bien même choquée ? Suis-je censée afficher une quelconque émotion face à cette nouvelle ? Je l'avais compris. La règle de l'Echange, le départ de Valerian, il n'y avait pas de coïncidences, pas de hasard. Rien. Tout ceci avait été méticuleusement planifié.
- Tu ne sembles pas étonnée. Tu t'en doutais ?
- Disons que j'ai récemment appris à me servir de ma tête donc il y a certaines choses...
- Récemment ? Tu te sous-estimes, un peu non ? Tu as toujours été quelqu'un d'intelligent. Certes, tu n'as pas toujours fait les meilleurs choix, ni pris les meilleures décisions, mais qui le fait du premier coup ? Quel homme ou quelle femme ne commet jamais de fautes ? De faux pas ? Cela n'existe pas. Nous sommes voués pour nous tromper et en tirer des enseignements afin de ne pas se répéter. A ce que j'ai rapidement compris, tu as, toi-même, su mettre à profit quelques enseignements, non ?
- Tu sais, ta sagesse presque légendaire m'avait manqué mon ami. Toi seul a le don de trouver les mots que je souhaite entendre à un moment bien précis. A croire que tu lis dans mes pensées.
- Non, mais je connais suffisamment les expressions de ton visage pour savoir certaines choses. J'ai peut-être passé un mois derrière un écran, mais je ne suis pas aveugle à certaines choses.
Sa remarque a le don de me faire sourire tandis qu'il me raconte son séjour au chevet de sa fille. J'aurais à son égard une multitude de questions à lui poser : Où est sa mère ? Quelle âge a-t-elle ? De quelle maladie souffre-t-elle exactement ? Ne m'en veut-il pas, ne serait-ce qu'un petit peu, pour l'avoir séparé d'elle ? Mais ma curiosité, ce soir, est rangée dans une poche de ma robe de chambre. Je présume qu'un moment viendra où Valerian, de lui-même, m'en parlera. Sans que je n'ai à l'interroger, sans que je n'ai à lui demander, je veux que cela vienne de lui parce qu'il en a envie. Mais à l'heure actuelle, je crains que lui et moi avons d'autres préoccupations.
- Je présume que je ne reviens pas au bon moment non plus, n'est-ce pas ? me demande-t-il presque l'air attristé
- Valerian, il n'y a pas de «bon» ou de «mauvais» moment te concernant. Ta présence va probablement être ma seule bulle d'oxygène dans ce château.
- Est-ce que cela a été si terrible en mon absence ? Je n'ai guère pu suivre le jeu et je...
- Disons que les choses ont commencées à bouger, mais peut-être pas pour le meilleur, souligné-je
- Qu'est-ce que tu as fait ?
Un soupire, mais pourtant ce même sourire suspendu au coin de ses lèvres. Il avait l'air à la fois tout à fait exaspéré et pressé d'entendre les récentes nouvelles.
- Au lieu de te raconter ce que j'ai fais, je vais peut-être te dire ce que je compte faire et ainsi, je nous ferais gagner du temps car crois-moi, nous n'en avons que très peu devant nous.
- Alors ne tardons pas et dis-moi plutôt ce que tu attends de moi que je puisse m'exécuter selon tes volontés.
- Dis-toi bien une chose : Nous avons du pain sur la planche.
- Ai-je un jour choisis la facilité en restant à tes côtés ?
- Sache que la difficulté vient de monter d'un cran tout de même.
- C'est parfait. Maintenons-nous au travail.
Effectivement, il serait judicieux ne peut plus tergiverser et de s'y mettre car du temps, nous en avons peu et il nous reste tant à accomplir que la tâche que je me suis fixée me paraît quelques fois irréaliste. Mais ne dit-on pas qu'il faut toujours viser la lune car même si nous venions à échouer, nous toucherions au moins les étoiles ?
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