👑CHAPITRE 38 📱
Je suis restée un moment simplement assise, complètement recroquevillée sur moi-même, le visage enfoui dans mes bras. Il n'y a presque pas un bruit si ce n'est le sifflement de courant d'air passant ici et là à travers les murs de ce vieux château. Parfois, cela est même accompagné d'un craquement du plancher. Je ne sais pas vraiment depuis combien de temps je suis comme ça. Des heures ? Peut-être des jours. Je n'en sais rien. Tout ce que je pensais savoir, tout ce que je pensais pouvoir faire ou abattre, tout cela me parait venir d'une autre dimension à laquelle je ne semble pas appartenir. Owen avait raison, j'ai pendant trop longtemps vécu avec des oeillères derrière d'immenses baies vitrées. Ma confiance en moi ou du moins l'apparente confiance que j'avais dès le début du jeu s'est effondrée. Toutes les promesses que je m'étais faites à moi-même se sont envolées. Quelle idiote ai-je été. Quelle enfant.
Etait-ce ce que l'on attendait de moi ? Que je me résigne en voyant la difficulté que je devais affronter pour gagner ? Que je lève les bras et me rende sans même me battre ? Etait-ce pour eux aussi simple que cela ? Effrayez l'enfant et vous la verrez partir en courant.
Je lève la tête en entendant la porte de la chambre s'ouvrir tandis que Valerian approche, une assiette à la main. Je n'ai pas vu Owen depuis cette nuit-là. Il n'est pas revenu.
- Je vois que tu n'as toujours pas touché à ta précédente assiette, soupire-t-il en se passant une main sur la nuque
- Je n'ai pas d'appétit.
- Magdalena...
Je n'ai pas envie d'entendre ces mots-là : «Tu ne peux pas rester comme ça», «Tu es plus forte que ça», «Tu y arriveras». Il ne cesse de me les répéter dès qu'il vient me voir en apportant de quoi manger.
- As-tu au moins regarder les dernières nouvelles ? Tu devrais y jeter un oeil. Juste par curiosité.
Il prends la précédente assiette d'une main qu'il remplace par l'autre encore fumante, posant juste à côté une tablette qu'il laisse soigneusement dans mon champ de vision avant de repartir.
Là encore, nous n'avons pas parlé d'Owen. Je présume que Valerian doit être au courant de ce qu'il s'est passé. Ils ont dû en discuter. Parce qu'ils discutent, entre eux. J'entends les murmures de leurs voix plus souvent qu'ils ne le croient. Ils discutent, mais pas avec moi.
Parce que la réalité de leur monde c'est ça : Les enfants ne se mélangent pas aux adultes.
Et je leur ai prouvé par A+B que j'en étais encore une, incapable de réflexion, laissant parler ses émotions.
Je ne ferais jamais une bonne souveraine. Ivory avait raison sur ça : Il y a des choses que l'on apprends et ne retient que dans la douleur.
Finalement, prise de curiosité après avoir dévisagé la tablette laissée à l'abandon sous mon nez, je finis par céder en l'attrapant. Dès que j'appuie sur le bouton d'allumage, l'écran de cette dernière se lance directement sur le blog du Royaume affichant en gros titre : «La princesse sachant sauver ses sujets». Pendant un court instant, mes yeux se sont arrêtés sur celui-ci, pensant que j'hallucinais probablement, que j'inversais des lettres et que mon cerveau fatigué avait finit par craquer en inventant sa propre réalité...mais non. Ce n'est pas mon monde. C'est le monde. Il y a un article qui parle de moi.
« On l'a tous vu, non ? Les récents événements nous ont laissé complètement bouche bée. Qui l'aurait cru ? Certainement pas la Prince Byron ou la Princesse Ivory ! Et nous non plus d'ailleurs !
Partie grande perdante du Ruler Game, voilà que notre dernière princesse s'avère être une jeune fille tout à fait fascinante et incroyable ! Son acte de courage a fait parlé plus d'une personne ici à la Capitale en tout cas. De quoi délier les langues et donner tort à ses nombreux détracteurs. Je ne sais pas vous, mais je crois que je vais commencer par m'intéresser de plus près à la huitième princesse de la famille Boùrbon.»
Il a été partagé. De nombreuses, trop nombreuses fois. Pour la première fois en quinze ans, les gens parlent de moi sans se fier à de stupides rumeurs ou à des «on dit». Pour la première fois en quinze ans, les nettiviens ont le nez plus que jamais collé à leurs écrans et j'en suis la raison.
Quittant alors l'article en toute hâte, je me précipite sur mon profil officiel et un cri m'échappe tandis que j'aperçois le compteur de «likes» : Cent trente quatre mille deux cent huit likes. Je n'en avais qu'à peine soixante mille au départ.
Tablette sous le bras, je quitte la chambre, dévale les escaliers et retrouve Valerian, assis dans un fauteuil les bras croisés comme s'il m'attendait. Il l'a fait exprès. A son sourire en coin qu'il dissimule à peine, il savait qu'une preuve des conséquences de mon action me serait plus parlante que des paroles réconfortantes.
- Est-ce que c'est vrai ? bredouillé-je en secouant l'appareil dans tous les sens.
- Plus vrai que vrai. Les messages de soutien ont été nombreux et certaines opinions commencent à changer. On n'abat pas une forêt en vingt-quatre heure Magdalena, mais on peut commencer par enlever les plus gros arbres.
- Mais il y a certains arbres qui ont des racines si bien ancrées dans la terre que...
- C'est possible. Je ne veux pas de défaitisme sous ce toit, j'ai eu ma dose cette dernière semaine.
- Je suis désolée...lancé-je alors
- Tu n'as pas à t'excuser. Ecoute...
Il se lève pour quitter son fauteuil et se plante devant moi, posant délicatement ses énormes mains sur mes frêles épaules avant de s'abaisser légèrement à ma hauteur.
- Contrairement au Duc, je ne suis pas un partisan de la «protection constante». Il y a des choses que tu dois vivre et que tu vas vivre seule afin d'en apprendre plus sur le monde qui t'entoure. Certes, tu es jeune mais ton âge ne te définit pas. Il peut expliquer ton comportement impulsif, ton entêtement ou ton obstination, mais si vraiment tu veux gagner ce jeu, si vraiment tu veux être couronnée souveraine Magdalena, alors tu vas devoir apprendre à faire confiance et à écouter. Je sais que c'est difficile. Je le sais. Mais ni l'un ni l'autre ne te voulons du mal, bien au contraire. Nous échangerions volontiers notre place contre la tienne afin de te débarrasser de ces cauchemars qui te hantent la nuit ou de ce que tu ressens présentement. Le Duc le premier. Il n'en a peut-être pas l'air, mais ce n'est pas une mauvaise personne et tu es importante pour lui.
En parlant du loup, je n'en vois guère le bout de la queue.
- A ce propos...où est-il ?
- Dehors, très probablement. Ces derniers jours l'ont un peu...retourné. Je ne suis peut-être pas le mieux placé pour te dire cela, mais vous devriez discuter tous les deux. Sincèrement. A cœur ouvert. Crevez l'abcès avant que cela ne fasse plus de dégâts que ça en a déjà fait.
- Je ne suis pas certaine qu'il soit le genre de personne à vouloir discuter à cœur ouvert, soufflé-je en repensant à toutes mes tentatives jusqu'à présent vaines.
Un rire lui échappe tandis qu'il s'écarte pour s'en retourner vers son fauteuil près du matériel informatique qu'il a pu amener avec lui.
- Tu sais Magdalena, le propre de l'être humain c'est de se montrer surprenant.
Malgré le fait qu'une part de moi reste sceptique, une autre sait que Valerian a raison et que ce simple fait me fait sourire.
- Est-ce là que je suis supposée écouter ? fis-je en souriant
- Peut-être bien ? Qui sait ? Je suis peut-être le plus vieux de notre trio, mais je ne suis pas tout à fait sénile encore. Parfois je dis des choses sensées, ça m'arrive.
- Merci Valerian.
- Mais tout le plaisir est pour moi...Votre Altesse.
Si j'avais écouté le Duc ce soir-là dans la maison, peut-être que les événements se seraient passer différemment. Mais à présent, je ne peux plus me contenter de «peut-être», pas après tout ce que l'on s'est dit. Bien sûr que je comprenais et entendais son inquiétude à mon égard et sa capacité à vouloir me protéger était admirable, mais c'est en tombant que l'on apprends à se relever.
Je suis tombée pour la première fois depuis longtemps.
Et je compte bien me relever.
Dehors, le temps est dès plus menaçant. En temps normal, le ciel de Celestia est gris, presque noir, mais celui-ci présage déjà la tempête à venir. Je fais le tour du château, cherchant le Duc du regard avant de le trouver assis sur un bête rondin de bois, fixant le vide. Il se tient juste là, sans rien faire et j'ai étrangement en tête, l'image que me renvoyais le miroir brisé de la chambre : Moi-même.
- Duc ? lancé-je pour l'interpeller.
C'est la première fois que je le vois me regarder d'une telle façon tandis que sa tête se retourne à peine vers moi.
- Princesse ? s'étonne-t-il alors que je continue à m'avancer vers lui.
Il paraît surpris. Puis soulagé. Et enfin effrayé.
Non, je connais ce regard.
Coupable. Voilà ce qu'il pense être.
Alors je ne dis rien, ne sachant guère ce que je pourrais lui dire de toute manière et viens m'asseoir à côté de lui. Présentement, il n'y a que le bruissement du feuillage de la forêt nous entourant, le ciel pouvant nous tomber dessus à tout moment et nous. Deux âmes peinées par nos gestes et nos actions.
J'ai été ignoble avec cet homme alors qu'il ne le méritait pas. Je l'ai rabaissé. Je l'ai ignoré. Je l'ai blessé. Et malgré tout ça, il fut quand même celui venu me sauver.
Malgré tout ça, il est venu pour moi. Contrairement à tous les autres, lui, qui avait alors toutes les raisons de le faire, ne m'a pas abandonnée.
- Je crois qu'il est temps, non ? soufflé-je. Cela ne peut plus durer ainsi.
- Vous avez raison. Cela ne peut durer. Vous méritez de connaître la vérité si ainsi, je peux éviter d'une façon ou d'une autre de vous blesser. Mais avant, je tenais à m'excuser. Vraiment. Je n'ai pas les mots pour exprimer ce que je ressens sur l'instant, mais sachez que cela n'a jamais été dans mes intentions que de...
- Je sais, le coupé-je brusquement. Je sais parfaitement quel genre d'homme vous êtes Owen de Norlia.
Un homme dont je ne voudrais pour rien au monde me détacher.
- Vous pensez savoir, mais la vérité est toute autre Votre Altesse. Je crains d'ailleurs que cette dernière finisse par briser l'image que vous avez de moi.
- Qu'en savez-vous ? Êtes-vous dans ma tête pour connaître le fin fond de mes pensées ?
- Non, ricane-t-il faiblement, mais comme vous venez de le dire, je suis un homme et de part cette qualité, je sais quel regard vous me jetez. Vous ne regardez personne d'autre que moi comme cela. C'est pour ça que je vous dit que je risque d'aller à l'encontre de ce que vous pensez savoir de moi.
- Alors allez-y. Brisez donc mes croyances. Peu importe qui vous êtes, j'ai pris une décision.
Me relevant alors en passant une main sur les brins d'herbe accrochés à mon jupon, je me plante devant lui et lui tends une main ferme et décidée.
- Je veux être votre amie, Owen.
Un soupir las lui échappe tandis qu'un large sourire traverse son visage.
- Je pensais que vous étiez ma Reine ?
- Une femme ne peut-elle pas être plusieurs choses à la fois ? Je peux être votre Reine et votre amie.
- Vous êtes impossible Magdalena Lucia Boùrbon. Savez-vous qu'il est extrêmement difficile de vous suivre ?
- Mais si les femmes étaient si faciles à cerner, cela n'en ferait-il pas des créatures moins convoitées ?
- Je ne sais pas pour les autres femmes, mais vous, ma chère, êtes particulière, me sourit-il amusé
- Alors ? Acceptez-vous d'être mon ami oui ou non ? le pressé-je toujours le bras tendu à son encontre.
- J'accepte.
Finalement résolu, il attrape ma main dans la sienne et dans un accord silencieux, nous sellons notre amitié naissante nous conduisant alors progressivement vers une pente dès plus glissante.
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