3. Reprendre ses marques

SOPHIA

      Je suis installée à la table du petit déjeuner à la maison. La soirée d'hier s'est bien déroulée en se finissant tardivement au milieu de la nuit. Tout le club était présent ou du moins en grande majorité. Nous avons beaucoup ri et j'étais vraiment très heureuse de retrouver les miens. J'avais besoin de décrocher de mes études, retrouver un air bien connu qui est la composante principale de mon existence, le chant du chien sanguinaire.

       Je réalise que nous vivons hors de la société dans une pseudo bulle où il est difficile de pénétrer quand on arrive de l'extérieur. Beaucoup ne nous comprennent pas, nous jugent mais quand je fais le constat de la société actuelle qui part à la dérive alors je me sens chanceuse. Ouais, les Reckless vivent une arme à la ceinture, prennent des risques trop souvent mais pas une seule fois, je ne me suis pas sentie en insécurité.

      Ma mère entre en pyjama, la ceinture de son kimono en soie qui traîne sur le sol ainsi que son chien qui la suit comme son ombre. Elle se sert dans les placards puis met l'eau à chauffer avant de servir sa rasade de croquette à sa mocheté qui bouffe sa gamelle en n'en foutant partout. Aucune classe cette bestiole. Je suis hypnotisée par sa façon de faire. Ne pouvant décrocher de cette vue, j'en reviendrais presque à regretter mon bagel encore intact dans mon assiette.

      —Que me vaut le plaisir de ton retour, ma fille, elle me demande de la cuisine.

       Je relève la tête un sourcil, soupçonneux, de la peluche marron hirsute. C'est la première fois que j'ai des comptes à rendre.

      —Tu savais que je revenais, hier, ce n'est pas une surprise. Je n'ai pas le droit de rentrer chez moi pour les vacances ?

      Ma mère, Molly, vient s'asseoir à mes côtés. Elle pose sa tête sur son poing, au coin de la table, sans être convaincue.

     —Sophia, tu m'as dit que tu avais trouvé un travail à Denver pour l'été puis que tu voulais t'offrir un road trip avec tes copines. Ensuite, tu me rappelles pour me dire que au final tu rentres. Je suis heureuse de t'avoir à la maison, c'est toujours chez toi ma puce mais je me pose des questions, naturellement.

      J'ai le droit de changer mes plans sans passer par la case interrogatoire tout de même.

      —C'est tombé à l'eau, maman. Rien de dramatique. Je prévois de me dégotter un job à Lakeside. Avec la saison touristique, ça va être facile.

      De quoi, la rassurer. Je n'ai rien d'autre à faire cet été alors autant mettre de l'argent de côté pour prévoir la prochaine année. Ma mère et Decker ont beau être généreux en m'offrant mes frais de scolarité, je mets un point d'honneur à être un minimum indépendante pour payer mes sorties, en plus des autres à côté. J'alterne les petits boulots là-bas pour gagner de l'expérience en attendant de trouver un vrai emploi. J'ai le désir de devenir assistante sociale, ça me plait d'aider les autres mais je dois en passer par quatre ans de psychologie. Il est peu aisé de trouver dans mon domaine de compétence alors je ne fais pas la fine bouche. Serveuse, vendeuse ou même baby-sitter, je prends sans renâcler à la tâche.

       —Si tu as besoin que Decker ...

       Je vois où elle veut en venir mais je n'ai pas besoin d'un coup de piston de mon beau-père. Je sais parfaitement me vendre. Enfin non, vendre mes qualités ...

      —Ça ira merci, je la coupe.

      Ma mère me sonde, tape ses bagues en argent sur son mug vide. Je n'ai pas l'air de l'avoir convaincu finalement.

—Rien avoir avec un certain jeune homme ?

      Que l'attaque est vilaine de sa part !

      Mais IL n'a rien à voir là-dedans, je pourrais le jurer sur la tête de son chien. Mon amitié avec Anton et Diesel n'est pas un secret, au sein de la meute. Nous avons des âges proches et c'est naturellement qu'une amitié s'est forgée entre nous trois. Ce qui est un peu moins ostensible, sauf pour la Old Lady des Reckless apparemment, c'est que je me suis entichée d'un des deux. De Diesel, en l'occurrence qui dit ne pas partager mes sentiments autre que de la tendresse. Je sais où est ma place désormais et sûrement pas à son bras. Il me l'a parfaitement fait comprendre.

       J'ai posé un moratoire sur cette amourette passagère et ça me hérisse le poil que maman fasse référence au passé, que je pourrais classer dans la période de la préhistoire. Un an et pas mal d'eau à couler sous les ponts depuis mon crash avec Diesel.

      Voyant que je ne réponds pas préférant mille fois m'intéresser à mon bagel, ma mère change de sujet.

      —Je pensais que tu serais contente de retrouver les garçons mais soit, tu as le droit de garder le silence, tu es majeure. Qu'est-ce que tu prévois pour aujourd'hui?

      Elle a vissé sur sa tête blonde, la casquette de chef de la police ou bien ? Quand je suis à Denver, au moins, je n'ai de compte à rendre à personne. Je mène ma barque comme je l'entends. Ma mère se doute mais n'a jamais eu confirmation. Je ne lui ferais pas le plaisir de lui donner de la matière.

      —Je dois passer voir Harley dans un premier temps, je lui réponds.

       Ma belle-sœur - sœur malgré son temps déjà pris par les jumeaux, s'est lancée dans un nouveau projet. Celui d'ouvrir un cabinet infirmier dans la ville de Lakeside. Elle en avait marre de se coltiner les nuits et les interminables voyages entre notre ville et Denver. J'admire son courage et son carnet de patients qui va se remplir vite. Elle va devenir une influente dans la petite ville.

      —Puis, j'ai prévu de voir Rachel, j'ajoute.

      Je suis tout de suite devenue amie avec la sœur de Priest. Cette fille est détonante. Avec quelques années de plus que moi, nous nous sommes trouvées beaucoup de points communs. Ce n'est pas la dernière à faire des blagues et elle excelle dans l'art de mettre les Reckless en boîte quand ils dépassent les limites.

     —Pas de raison de penser que tu vas t'ennuyer alors, argumente la Lady de la meute.

     —Ne te fais pas de bile pour moi, maman. J'ai imprimé des CV que je vais en déposer aux quatre coins de la ville. Après ça, je rentrerai assez tôt pour te préparer le dîner.

     —Ma fille, tu es une perle. Profite un peu de ton temps libre tout de même. Tu es jeune et tu as besoin de t'amuser.

      La bouilloire siffle expédiant notre conversation aux oubliettes. A la bonne heure. Je bois une dernière gorgée de mon café, embarque ma viennoiserie tartinée d'une belle couche de cream cheese entre les dents, pour attraper les clés de ma voiture et filer tel le vent.

      —Bonne journée, elle hurle alors que je suis dans le couloir.

      —Toi aussi, je beugle à mon tour.

      Avant de passer la porte, je l'entend s'exprimer. Ma mère a viré folle avec son chien.

      —Toi, tu resteras toujours mon bébé. Oui et tu n'es pas moche, je l'entends minauder pour sa bestiole. Non, tu es mon beau petit garçon.

     Le pire c'est que j'entends son bébé d'amour lui répondre par des jappements de satisfaction. Je claque la porte avant de vomir.

      La moto de Decker n'est plus garée devant la maison. Il a dû filer tôt au MC, c'est son habitude pour travailler en paix. Quand je passe devant le bastion, je klaxonne un coup pour saluer la bande sans prendre le temps de détailler qui est présent ou pas. Je les entends siffler ou balancer mon prénom. Ils reconnaissent mon petit 4x4 bleu avec sa toile blanche à l'arrière. Il n'est pas à la dernière mode mais c'est une valeur sûre pour le climat rude du Colorado et ne m'a jamais fait défaut.

      Les routes sont pleines de touristes venus faire de l'alpinisme pour la plupart mais ils ne sont pas habitués à nos routes sinueuses et ralentissent beaucoup ma progression vers la ville. Je dois faire avec même si j'ai bien envie de prendre des risques en les doublant. Ça ne serait pas prudent alors je prends mon mal en patience.

      Je trouve une place pour garer mon bolide des forêts et part en direction du Diner pour prendre deux longs cafés avec une idée en tête. Harley est débordée de travail par la réception du matériel médical et son installation. Une dose de caféine ne sera pas de trop pour lui donner du courage puis je me dirige vers le local pas très loin de celui de ma mère. Elles pourront se retrouver pour le déjeuner, au Lair. Je sais que rendez-vous est déjà pris entre les régulières du club. Ce genre de réunion me manque, il faudra que je m'occupe d'en organiser. Évidemment les hommes en seront bannis.

        Les lieux sont petits mais cosy dans une jolie teinte d'un bleu ardoise sentant la peinture fraîche. Luke l'ébéniste est passé par là. Le bois sculpté du comptoir est de toute beauté, sans parler des meubles blanchis en bois massif. Ça va tellement bien avec l'ambiance de la ville et du couple surtout. Beaucoup de douceur et de tendresse sous la couche épaisse de l'acier du MC. Harley sort d'une petite pièce avec des boîtes en main.

       —Tu es déjà sur le pont pour mettre ton nez partout ?

       —Très drôle, je lui réponds. J'ai fait le plein de café et de succulents beignets mais si tu n'en veux pas ...

       J'agite sous son nez le sachet qui embaume la pâte toute chaude qui sort du four et le sucre, tout en faisant mine de prendre le large.

       —Minute jolie papillon, me retient la furie brune. Tu me prends par les sentiments, là.

       Nous nous sommes installées afin de papoter de tout et de rien et Harley a fait la razzia sur les victuailles. C'est dingue tout ce que cette fille est capable de boulotter sans prendre un gramme. Je rattrape les ragots de la saison mais rien à se mettre sous la dent. Les affaires habituelles du club, guerre de poitrine entre les brebis. Rien de neuf. Entre-temps, des livreurs sont arrivés avec de nombreux cartons alors je ne passe pas trop de temps dans ses bottes pour me rendre dans les différentes boutiques du centre-ville.

        J'évite bien comme il faut le Den, le garage des Reckless en sachant qui s'y trouve. J'ai besoin de retrouver mes marques avant de voir Diesel mettre à nouveau un pied dans ma vie et je sais que ça ne va pas rater.

       Pour l'instant, j'ai fait chou blanc dans ma recherche d'emploi et on m'affirme que l'on va me rappeler très vite avec des sourires que je trouve, hypocrites. Je n'y crois pas.

       Un peu déçue, je prends la direction du Lair pour retrouver mon amie. Le bar est très calme, quasiment vide. Quelques habitués prennent leurs déjeuners. Ça change des soirées qui y sont données habituellement où la scène est prise par les danseuses. Je serais incapable de montrer mes fesses à tous comme elles le font. Si peu de pudeur, c'est grotesque mais gagner un paquet de fric avec leurs culs ne les dérangent pas. C'est bien pour ça que je n'en fréquente aucune.

       Bref, je découvre mon amie, un tablier autour de la taille, une verseuse de café en main et ses cheveux bruns relevés dans une élégante queue de cheval. Elle respire la chaleur, toujours souriante.

      —Salut Rachel.

      —Hola pequeńa !

      C'est marrant. Rachel n'est pas du tout d'origine hispanique mais elle a gardé cette habitude du Nouveau-Mexique d'utiliser quelques mots en espagnol pour ponctuer ses phrases, lui donnant un style exotique. Elle est très appréciée par la clientèle qui ne jure que par ses bons soins. Elle pose ce qu'elle a en main pour me faire un câlin. En plus d'être drôle et gentille, elle est très tactile et elle s'amuse à tirer mes mèches blondes pour me faire grogner. L'amour vache. Je m'installe, assise au bar et me fait servir un soda.

       —Tu es rentrée pour combien de temps ?, elle me demande.

       —Tout l'été. Je vais profiter de la fraîcheur des montagnes avant d'attaquer la dernière année de fac et j'en ai grand besoin.

       Les derniers examens m'ont laminés et je suis passée juste dans mes notes. Je n'ai plus le droit à l'erreur sous peine de me farcir une nouvelle année. La fac est sympa mais le temps que ça doit durer, pas au-delà surtout que si je veux me spécialiser, je dois continuer la longue route difficile des études en faisant du mieux que je peux et j'en suis loin.

      Mon estomac grogne et Rachel me propose de me faire servir un club sandwich que je peux partager avec elle avant de poursuivre ma journée pas aussi exaltante que je ne le pensais.

      —Tu bosses cet après-midi, je demande à Rachel.r

      —Non, mon service se finit à quatorze heures et je compte profiter du lac, me faire bronzer. Et des beaux garçons, surtout. Tu me suis ?

       Son programme est très tentant mais il faut jouer à l'adulte. Le boulot ne va pas me sauter dans les bras.

       —Je dois déposer un tas de CV pour trouver du boulot, je grogne.

       —Joins l'utile à l'agréable, dit-elle en s'accoudant face à moi. Ils recherchent du monde au snack du lac, quelques heures par jour et ensuite tu profites de l'eau fraîche avec moi. Je me suis fait des copains qui séjournent ici pour toute la saison. Tu vas voir, ils sont sympas et extrêmement beaux gosses. Un plaisir pour les yeux.

      Son idée n'est pas mauvaise alors j'accepte. Maman a raison quand elle dit que je dois profiter de ma jeunesse. Je me dépêche d'engloutir mon repas sous les yeux rieurs de Rachel puis je repasse à la maison, chercher mon maillot et une serviette. La maison est vide, maman et Decker sont occupés avec leurs activités respectives. Nous nous retrouverons autour d'un bon repas, ce soir.

      Je récupère la miss avec ma voiture et nous nous rendons sur la base nature emplie de monde et d'enfants qui s'amusent à s'éclabousser. Effectivement, le snack est débordé, croule sous les commandes et mon CV est accueillie avec un grand sourire. Voilà qui est prometteur, bien plus que le reste. Ça ne me dérangerait pas de travailler dans ce lieu, tout en profitant de la nature. Je croise les doigts en acceptant d'être recontactée plus tard quand ils auront un peu plus de temps à accorder à mon curriculum vitae.

     Je redescends sur la plage toute guillerette, Rachel y a retrouvé sa fameuse bande d'amis, que je ne connais pas. Je garde une certaine réserve et j'écoute plus que je ne participe. Il ne m'ont pas l'air de méchantes personnes mais je me méfie.

      Une leçon que j'ai appris à l'université. Un visage peut en cacher un autre.


*****

L'idée se précise 🤔

Sophia ... Diesel, y a eu quelque chose déjà et ça a tourné à l'eau boudin, on dirait !
Sophia a t'elle passé le cap comme elle le dit ou elle fait semblant .... Mystère !

Des bisouuuuuuuuus les moches 😘😘

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