2. Dans l'ombre du club
DIESEL
Se faire une place au sein des Reckless Hounds n'a rien de facile. Prouver sa valeur, sa fiabilité, que l'on capable de sang-froid pendant la période en tant que prospect a été difficile mais pas impossible pour ma part. J'ai tenu bon.
Ce que j'ignorais en revanche, c'était une fois la veste enfilée, que j'allais douillé sévère. Aussi différentes que intenses, je nage au milieu de personnalités fortes, il faut le dire.
Priest est complètement barré dans son genre ecclésiastique fantasque mais tout le monde l'écoute quand il daigne poser les pieds sur terre. Mon boss Jester, c'est la force tranquille, une valeur sûr mais y'a rien d'appréciable quand il se fout en rogne. Ça arrive rarement mais dans ce cas-là, c'est tous aux abris.
Billy est le futur VP et on le respecte vachement aussi parce qu'il réfléchit avant d'agir et prend les bonnes décisions. Pour ce qui est de mon Prez et de Semper le Vice-président, même pas, je pourrais dire un mot. Je suis limite à genoux face à eux.
Je crois que celui qui m'impressionne le plus c'est Ice. Putain ce gars, dès qu'il entre dans une pièce, tout le monde se tait. Sa présence est implacable et vous force à plier l'échine sans protestation. Il manie les armes avec beaucoup de dextérité, agit avec une détermination peu commune et ne rate jamais sa cible. Il a le respect de tous que ça soit à la ville ou dans notre monde. Et je ne parle même pas de sa vie de famille, exemplaire, a plus d'un titre. On ne peut qu'admirer un mec dans son genre.
Et moi, je suis là, sans comprendre comment ils ont pu m'accepter dans la meute. C'est quasi un miracle. Je ne suis pas un bon à rien, je donne de ma personne dans le boulot et je m'entends super bien avec Anton et Gash, c'est mes potes mais eux aussi se démarquent facilement dans leurs actions.
Toute ma vie ça été comme ça. Pas petit mais pas grand non plus. Bon élève sans être le meilleur. La moyenne. La quatrième place, quoi.
Le sentiment de ne pas être à ma place, me poursuit depuis toujours. Avec qui que soit ou dans n'importe quel lieu. Je ne l'ai jamais été à vrai dire mais vivre à Lakeside, c'est ce qui se rapproche le plus du ... suffisant.
J'en espère trop peut-être.
Je crois que dans la vie, on ne peut pas être pleinement heureux, il y a toujours des couacs et on ne peut pas atteindre la perfection. Sauf dans le travail, j'y tend au moins, à défaut d'y parvenir. C'est bien dans ce but que je vais passer la journée au garage. On a un boulot monstre.
Depuis plus de quatre ans, je suis intégré à l'équipe du Den. C'est un choix personnel, j'ai toujours aimé bricolé, utilisé mes mains pour que ma tête ne travaille pas trop. Nous sommes préparateur de motos custom, des réalisations personnels avec une multitude d'options. Il n'y a que notre imagination pour nous freiner et elle est énorme. C'est extrêmement stimulant. Je n'en suis pas encore à faire une proposition mais j'y pense très souvent, cela viendra quand j'aurais pris suffisamment de poids dans mon travail et que ma valeur ne fera plus de doute.
Jester est dans le bureau en train de gérer les factures et je bosse sur le cadre d'une moto qu'a dessiné le géant dernièrement. Les mecs se bousculent au garage pour avoir l'opportunité de voir leur rêve se concrétiser. Jester s'octroie le droit dire oui ou non quand une commande arrive, et personne n'a son mot à dire. Mais quand il se décide à bosser sur un projet alors il y met tout son cœur pour sortir un ouvrage exceptionnel. Il a fallu créer pièce par pièce chaque partie de l'ossature parce qu'impossible de s'appuyer sur un modèle, c'est une création originale pour un client spécial, très exigeant, avec des idées précises. C'est ce que j'aime dans ce boulot et surtout, je gagne plutôt bien ma vie.
Je sais que les autres ont prévu de passer la journée au bastion, ce qui va malgré le calme me conférer une quantité de boulot supplémentaire mais si ça peut les dépanner pour profiter des leurs, ça ne me dérange pas, je n'ai rien de mieux à faire de toute façon. Je suis un célibataire sans enfant et une quantité d'heure de libre. Jester finit la paperasse mais je sais qu'il va rejoindre sa propre famille dans la journée. Il le mérite.
C'est plutôt calme au club en ce moment. Pas de lézard, l'affaire tourne facilement et les runs sont rythmés, conformes à nos attentes. Là aussi, l'argent rentre de manière régulière et assez conséquente. Ce fric, je n'y touche pas, j'en envoie souvent à ma mère pour l'aider à payer les traites de sa maison, le reste je l'ai placé en prévision de m'offrir une baraque ou que sais-je. On a toujours besoin d'argent et ça au pire moment.
La pièce que j'ai fabriquée s'emboite mal, ça ne passe pas alors je vais la repasser à la meule pour gagner quelques millimètres précieux. Une fois sortie de la machine, je souffle sur le cylindre pour évacuer la poussière métallique. En même temps que je reviens au poste de soudure, je vois la silhouette dégingandée d'une personne bien connue des lieux. Le gosse de quinze ans a pris beaucoup de centimètres en l'espace de peu de mois. Il apprécie de flâner au garage, sans jamais trainer dans nos pattes. Au contraire, il nous file des coups de mains, des petites choses faciles mais qui allègent la complexité du travail comme de ranger derrière nous ou de se porter volontaire pour assister un gars dans le montage d'un meule.
Tobias traîne des pieds avec une caractéristique qui ne l'a pas quitté depuis qu'il est entré dans nos vies. Il a le nez dans ses chaussures quand il marche et son sac à dos pend mollement sur ses épaules dans une attitude nonchalante, non feinte.
—Et Tob, qu'est-ce que tu fous là ?
Il relève la tête, des mèches de cheveux lui tombent devant les yeux. Tobias a toujours eu ce regard écorché, saisissant. Chez un gosse, c'est d'autant plus surprenant mais les obstacles de sa vie l'ont rendu sensible, d'une gravité peu commune qui me fascine. J'ai l'impression qu'il est capable de survivre à tout. Je me reconnais en lui parfois. Un peu paumé, peu de mots en bouche mais une manière d'être qui parle.
Je cache mes incertitudes autant que je le peux, derrière le silence.
—Convocation par le paternel, me répond l'adolescent avec une grimace qui n'augure rien de bon.
Autant que peut se faire, Jester évite les conversations, surtout houleuses. Faire venir son fils au garage, c'est qu'il y a de l'orage dans l'air. Tobias est coutumier de petits travers. Rien de méchant ou de répréhensible mais il a un caractère indiscipliné. Ça ferait de lui un bon Reckless parce que je sais que c'est son ambition mais je comprends ses parents qui voudraient le garder dans le droit chemin des études.
—T'as encore fait des conneries à l'école ?
Le gamin se marre un peu.
—Je me suis battu avec un gros con, il me répond. J'ai été exclu une semaine mais ça valait le coup.
Il a pris des Reckless ou est en passe d'en devenir un, ça ne fait plus de doute. Là aussi, je me retrouve dans son comportement. Je serais bien le dernier à lui faire la leçon parce que j'en ai fait tout autant dans ma prime jeunesse. Je me battais pour un regard de travers, un mot de trop. J'avais besoin d'évacuer les frustrations, la colère, un vide qui n'a jamais été comblé.
Je n'ai pas le temps de lui faire part de mes pensées car la porte du bureau au fond s'ouvre pour laisser passer l'armoire à glace qui est mon patron. Même s'ils ne partagent pas le même sang, Tobias et Jester se ressemblent sur un point. Cette façon de marcher en regardant le sol me fait rire. Il finit par percuter que je ne suis pas seul. Tobias braque sa tête vers le sol à nouveau, faisant semblant de s'occuper de brisures de fer qui traine sur le béton. La fuite n'est plus possible. Jester fait semblant de rien et s'adresse à moi.
—Diesel, t'en ai où des soudures ?
À mon tour, je joue leur jeu. Les histoires de famille ne me regarde pas. Je n'ai pas à m'en mêler même si j'ai un peu de peine pour l'adolescent. Qu'il se prenne une soufflante par son paternel est surement la meilleure chose qui soit. J'aurais aimé que le mien fasse pareil, ça aurait voulu dire qu'il était présent dans ma vie, se serait soucier de celui que j'allais devenir pour m'empêcher de faire des conneries. Je n'ai pas eu sa chance mais ça Tobias s'en rendra compte plus tard, en espérant qu'il le remarque à temps.
—J'ai presque terminé, j'assure au Captain road. Une dernière modification pour conclure le montage de l'armature et je continue avec le boulot de Sin. On est dans les temps.
Jester analyse la carcasse rapidement et m'offre un hochement de tête.
—Bien joué, faut que je te vois après. Nous devons discuter d'un nouveau projet.
On est doué dans notre domaine, je ne dirais jamais le contraire mais j'espère qu'il n'a pas eu les yeux plus gros que le ventre en acceptant ce fameux projet. La qualité prend du temps.
—En attendant Tobias, tu me suis, rajoute le boss.
Le gosse traîne des pieds mais suis le mouvement contraint et forcé. Il va se prendre une engueulade et Jester risque de faire trembler les murs. Quand la porte claque contre le mur, je positionne le masque de soudage devant mon visage et m'active. Malgré le bruit orchestré par mon travail, j'entends à intervalle régulier les éclats de voix de mon boss. Tobias sait se faire entendre à son tour en essayant de se défendre. Je fais ma commère, un peu honteux.
—C'est un connard qui joue les caïds dans le bahut, il s'exclame. Il n'arrête pas de me provoquer et de vouloir s'en prendre à moi. Y me manque de respect.
—Donc ta réponse, c'est de lui foutre ton point dans la figure, hurle Jester, à son tour. T'es plus mature que ça Tobias. On t'a répété des dizaines de fois, de ne pas répliquer par la violence. Ce n'est pas une solution.
Je nous trouve mal placé pour faire ce genre de remarque. La violence est une de nos armes même si elle est utilisée en dernier recours.
—Vu sa gueule, il réfléchira à deux fois, rétorque le môme.
—Et toi, tu gagnes une semaine d'exclusion ! Et un tas de corvées supplémentaires. Ne croit pas te reposer sur tes lauriers ces prochains jours. Je vais te faire passer l'envie de te battre, moi.
Je ne suis pas certain de vouloir des enfants. Je ne me suis jamais posé la question à vrai dire et j'ignore quel genre de père je pourrais être. Je n'ai pas d'exemple, je n'ai jamais connu le mien. Lui non plus n'a jamais eu vent de mon existence et il est mort quand j'étais petit. Ça, je l'ai su quand ma mère a accepté de me filer son identité, bien trop tard. Je voulais savoir si je lui ressemblais. Comprendre d'où me venait mes traits, un grain de beauté, une fossette qui pourrait m'aider à me trouver.
Nous n'avions pas de photos alors ma mère m'a fait un portrait parlant de lui. Que les traits de mon visage, je les tenais en grande partie de son père à elle, surtout le haut du visage, à part mes yeux. Eux, ils sont la signature, la preuve concrète de mon lien de filiation, impossible à ignorer. Des yeux bleus comme tous ceux de la famille de mon père. C'est vague.
Ma mère m'a souvent répété que j'étais le fils de mon père dans mon comportement mais ça sonne creux. Dans tout ça, ce que je sais, c'est que j'aurais aimé qu'il m'engueule quand je faisais une connerie et putain j'en ai fait des tas que je regrette. Ma mère ne savait plus comment se faire entendre et je l'ai poussé à bout plus d'une fois.
La porte du bureau s'ouvre une deuxième fois, bien plus violemment. Je n'ai plus suivi leur conversation, trop pris par mes mauvais souvenirs.
—Et vaut mieux que ça soit moi qui te tombe dessus que ta mère, gueule Jester dans le dos de l'adolescent qui a pris ses jambes à son cou.
Il souffle de dépit et me fait signe de le rejoindre à l'intérieur. Je ne me fais pas prier.
Sur le bureau, il y a des tas de papiers et pas seulement des factures. Un bloc de dessin qui regorgent de création de Jester, d'autres plus personnel et un origami en papier vert qui représente un oiseau, Sienna. Il l'appelle toujours, petit oiseau même après plusieurs années. C'est touchant.
Il me propose un café, que je ne refuse pas. On pourrait me le passer en perfusion, je serais le plus heureux du monde.
—Okay, commence le géant en se jetant dans son fauteuil en vieux cuir, sa propre tasse en main. On a été contacté par une boite de production hollywoodienne qui voudrait nous faire bosser. Ils font un film sur les MC, une connerie de fillettes si on me demande mais ça peut rapporter des tunes, t'en dis quoi ?
Je ne m'y attendais pas à celle-là et je suis agréablement surpris. J'imagine déjà le bruit de la monnaie sonnante et trébuchante et la renommée qui pourrait en découler.
—Ça peut être cool. On n'aura jamais de plus belle opportunité de faire connaitre notre boulot. Les gens vont se bousculer à la porte du garage pour nous voir.
Mon boss ne semble pas être du même avis, vu la tête qu'il tire. Mais question notoriété, ça serait bête de ne pas soupeser l'idée. On pourrait attirer une clientèle encore plus select, avec des moyens colossaux. Jester me coupe de ma pensée.
—Je crains que la lumière ne se fasse trop importante sur le club mais Diesel, je te propose d'être le responsable, là-dessus. J'ai pas le temps de me balader à Los Angeles pour les rencontrer. Il y a trop de boulot avec le club et tout le reste.
Il jette un coup d'œil vers la porte, je comprends bien ce qu'il veut dire.
La tranquillité ne s'obtient pas d'un coup de baguette magique. Il faut du travail, des heures de préparation, qu'exécute le captain Road. Minutieusement, il arpente les routes de la région de nuit comme de jour pour être certain que nos runs se fassent sans être menacés par les flics ou des adversaires trop gourmands, en association avec Ice. Vendre des armes illégalement s'avère très dangereux mais c'est un choix de vie qu'il faut assumer jusqu'au bout. Sans compter sur la part la plus importante de sa vie, sa famille, qu'il place tout en haut de la liste.
—Je voudrais que tu prennes contact avec eux, pour jauger la proposition, dit-il en tendant un dossier. Et si ça te semble correct, on soumet l'affaire au club. La meute est en droit de donner son avis, vu la dimension. S'ils acceptent alors tu prendras la tête des opérations. Je te laisserais carte blanche pour répondre aux demandes. Je serais disponible pour toi en cas de doute comme l'équipe, ça va s'en dire.
Moi, à la tête d'un projet de cette importance ? Je ne m'en sens pas capable, je n'ai rien à mettre en avant. Je gamberge sous les yeux de mon patron.
—T'as plus rien à prouver non, me demande le Road Captain. Ça fait six ans que tu es avec nous. Il est temps de te faire voir, de montrer ta valeur. Diesel, t'es un bon gars, fidèle au club, personne n'en doute mais je voudrais qu'on t'entende un peu plus.
C'est le grand silencieux qui me dit ça. Ironique, cette remarque. Je garde pour moi, mon commentaire, en revanche. Pas besoin de pousser Jester dans ces retranchements. Je sais de quoi, il est capable et j'en ai été témoin.
—Qu'on pense à toi direct pour un job ou pour un poste au sein de la meute qui pourrait se libérer. Que Diesel soit le nom qui vienne naturellement, tu me saisis ?
Un peu.
Jester m'offre l'opportunité de faire mes preuves. Je le prends comme un challenge en plus de la grosse charge de travail qui m'incombe. Je n'ai rien de mieux à faire cet été de toute façon et pas sûr que cette proposition vienne à aboutir de toute manière.
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Et pour commencer cette nouvelle année et finir mes vacances en beauté, un chapitre !!
😎😎😎
C'était le 1er chapitre avec Diesel, mon biker torturé et ce n'est pas peut dire. Si jeune, emplit de doutes et d'incertitudes.
Le prochain chapitre, je compte le publier la semaine prochaine avec un peu de chance.
Allez dites moi, ce que vous en pensez, vous êtes un peu mon crash test pour la suite.😁
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