1. Dans les flammes
Les genoux sur le sol de pierre de l'église de Cuervo, je joins mes mains comme mes frères pour la prière. Elle est accueillie avec bonheur. Une communion céleste avec le créateur que nous entonnons.
—Notre Père, qui est aux cieux, que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Donne-nous aujourd'hui notre pain de ce jour. Pardonne-nous nos offenses, comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont offensés. Et ne nous laisse pas entrer en tentation mais délivre-nous du Mal.
Cette litanie, je la connais par cœur depuis ma petite enfance. Je l'ai appris sous les yeux aiguisés de ma mère. Elle veillait à ce que je récite mes prières chaque soir sans me tromper. Si ma langue fourchait alors il me fallait recommencer encore après un coup de bâton sur la tête pour me remettre les idées en place. Il m'a fallu peu de temps pour y parvenir et ensuite en apprendre d'autres, des centaines de mots que j'ai retenu, des litanies, des chants, des prières. Mon éducation a perduré pendant les cours de catéchisme puis au séminaire.
Je lève les yeux vers la croix. Jésus se tient là, il me regarde. Je pris pour qu'il m'aide à garder la foi comme lui à garder la sienne à travers les nombreuses épreuves qu'il a vécues. Je prie pour qu'il me donne la force de faire ce qui est bien, ce qui est juste. Je prie pour poursuivre ma voix malgré les tentations qui pourraient survenir sur mon chemin, de ne pas me laisser déborder, happer vers la facilité.
—Amen.
Nous nous relevons avant de nous positionner sur les bancs de notre paroisse. Le père Hernandez prend place face à la foule des fidèles venus écouter la parole du Seigneur. C'est un homme bon, généreux, humble que j'admire à l'image d'un mentor. Il est dévoué à ceux qui voit en lui un père, un confesseur et un ami et il leur rend bien par cette gentillesse qui est sa nature. Je souhaite devenir un homme de sa trempe mais parfois je sens une obscurité qui me creuse la poitrine. Elle est tantôt endormie et me laisse en paix mais parfois grandissante elle avale mes certitudes.
Je suis à quelques mois de mon ordination. Six ans d'étude de la foi, théologie et philosophie pour servir le seigneur et les fidèles. L'appel m'est venu à l'adolescence avec une forme de soulagement, je savais enfin pourquoi j'arpentais la Terre. Je savais quel était ma destinée. Servir dans le respect de la foi chrétienne au sein d'une église qui deviendrait mienne. J'ai choisi de m'éloigner des miens pour entamer cette voix par le petit séminaire pour finir ma scolarité et enfin le grand séminaire catholique où mon lien s'est renforcé dans une volonté inusable. Ma famille a été fière de cette décision précoce et à encourager mes résolutions.
Je croyais ma destinée enfin sur le point de s'accomplir mais le diable a mis sur ma route l'objet de la tentation. Je dois rester fort pour ne pas me laisser diriger par le malin. Alors je pris plus fort chaque jour. Je me laisse même habiter par l'espérance d'une journée échappant à mon obsession. Je me dois de la refuser, je m'y exerce de tout mon cœur, de toute mon âme. La véritable foi ne se situe pas dans notre pensée, elle habite dans notre cœur. Et Jésus dit « s'il ne doute point en cœur mais croit que ce qu'il dit arrive, il le verra s'accomplir ».
Alors que j'écoute le prêcheur, une flamme jaillit en moi. C'est bientôt l'heure venue de faire mon entrée dans le sacerdoce. J'ai choisi de m'élever vers la prêtrise après l'appel. Aujourd'hui diacre, demain un prêtre avec tous les attributs de ma fonction. Mais alors que je relève la tête vers les vitraux aspirant à y découvrir la lumière divine, c'est elle que je découvre.
Ses cheveux longs au couleur de l'ébène défoulant en une cascade lumineuse et sauvage. Sa peau faite d'or fin est sans défaut. Que dire de son regard mordoré, c' est une invitation que je me refuse. Sa silhouette longe les bancs en bois jusqu'au rang sur la droite, presque face à moi. Elle m'apparaît encore plus présente ainsi plongée dans la lumière de l'été. Sa robe d'un blanc virginal rehaussée de petites fleurs bleues timides épouse les formes de son corps mince. Le port altier et gracile de son cou occulte la présence du monde qui l'entoure. C'est une fière allure que la sienne pour son âge, tout juste vingt ans. Elle porte l'innocence sur son corps mais j'imagine d'autres mœurs. Ses lèvres à l'allure de deux boutons de rose poudrée m'appellent. Je le sens en moi, cette boule qui obstrue ma gorge. Sa tête posée négligemment sur son épaule comme un supplice, elle tente d'écouter mais ses pensées sont à mille lieux de là où nous nous trouvons.
Ai-je offensé qui que ce soit pour recevoir un tel châtiment? Les mains liées, tenaillé par la faim et par la soif, le corps à demi enseveli et menacé par la chute d'un rocher. Le supplice de tantale.
C'est une épreuve. Une affliction pour éprouver ma foi. Je ferme les yeux pour me repentir d'avoir songer à la chair, détourne la tête de la vision qu'elle offre pour me concentrer sur les paroles du père Hernandez.
Toujours me revient en mémoire son nom qui résonne dans ma tête dans un écho, un avertissement.
Gabriela. Comme l'archange, le messager de Dieu. Est elle là pour ébranler mes certitudes et préparer mon futur ?
Je sens la transpiration perler le long de ma colonne vertébrale. La chaleur du temps sec et chaud du Nouveau Mexique assèche la bouche et les esprits mais je n'en ai cure, je suis capable de résister mais surtout je le dois. J'ai choisi mon chemin et ne doit pas m'en détourner.
***
C'est sur ce premier souvenir que j'ouvre les yeux, hagard. Voilà bien longtemps que je n'en avais eu. Il m'ébranle et me fait trembler dans cette nuit chaude d'été, me ramenant à un passé que j'ai voulu enterrer. Je ne crois pas au hasard, pour moi il s'agit plutôt d'une intuition. Alors pourquoi maintenant, de quoi sont-ils les signes et pourquoi elle ?
Cette prémonition violente est le signe que l'abîme sombre à la gueule immense est en proie de venir m'engloutir. Je réprouve les souvenirs, les chasse de ma mémoire à grands coups de bâton.
Le bruit de succion de la bouche rouge et enflée d'une femme me ramène dans la réalité. Elle s'exerce à me donner du plaisir et à le réaliser parfaitement alors que je me suis égaré ailleurs. Je ne suis perdu dans l'extase un peu trop profondément. Je me pose mes yeux sur ma chambre, la fenêtre est ouverte, le rideau de lin fatigué flotte dans la brise qui s'engouffre dans la pièce et à le don de me faire revenir pleinement là où je me trouve. Chez moi, dans ma vie d'aujourd'hui.
Une existence faite de sang, d'armes et d'argent, il n'y a rien de plus terre à terre et pourtant depuis toujours mon esprit à la faculté de s'évader rapidement pour que je navigue dans un monde qui n'appartient qu'à moi, enchanteur. J'en suis le maître, l'architecte, la raison l'a quitté pour devenir une création que je suis bien le seul à comprendre. Je suis peut-être fou, un être dérangé à jamais et pourtant la sensibilité des lumières fortes m'atteint, les arômes n'ont jamais été si ensorcelants. Et je sens tout ce qui me percute, m'afflige et me blesse dans une forme violente. A moi d'en faire état comme il me plaira désormais car la liberté à ce prix des excès. Un équilibre précaire, la violence pour la douceur, la poétique pour le concret, tout est si percutant et si vivant.
Il n'y a rien de substantiel que des lippes recourbées, pompant allègrement ma queue qui trône fièrement face à elle. Je pose ma main sur sa chevelure pour lui donner une petite accélération. Vivre pour oublier tel est mon crédo dans le plaisir comme dans le sang.
—Vas y, mon ange, je souffle. Offre moi la délectation et je saurais te récompenser à mon tour.
Les habitudes ont la vie dure. Je me sentirais toujours attentionné avec les fidèles ouailles. Elle y met toute son ardeur, cet ange blond au regard débauché. A cet instant elle exalte la fragrance de la luxure, sucrée et enivrante dans laquelle j'aime me perdre.
Quand on a goûté une fois au plaisir, c'est la fois de trop et un goût de reviens-y se faire sentir. Puis j'ai succombé un peu plus, me glissant dans la chair humide et sirupeuse d'une intimité féminine avec délectation. Me prosternant à ses pieds comme un fidèle à son créateur, j'ai complètement égaré ce qui me composait et je me suis brûlé les ailes, volontaire à toute forme d'échappement.
Je finirais dans les flammes, c'est certain. Après tout le paradis doit être bien moins amusant que l'Enfer avec le diable pour compagnon.
****
Premier chapitre dans la tête de mon très cher Priest. Un brin de folie et beaucoup de souvenirs torturés.
J'en tremble de vous le présenter.🙈
Et j'attend avec impatience vos commentaires, réactions ...
Bises 😘
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