80 - Haitani
Assis derrière son bureau, Ran avait joint les mains à hauteur de son visage, le front barré par un pli soucieux. Plus loin, son frère était installé dans un des fauteuils, silencieux.
Au milieu de la pièce, le yakuza qui avait demandé à les voir se leva enfin, ses deux hommes derrière lui. Il rajusta son veston à fines rayures, faisant flamboyer une seconde sa chevalière aux armes du clan Inagawa – le groupe criminel qui régnait sur le Kanto – et il le ferma avant de remettre ses lunettes de soleil, pourtant inutiles à l'intérieur.
– Vous avez jusqu'à la fin du mois, dit-il aux deux frères en guise de conclusion. Le kumichō a été généreux. Vous pouvez le remercier.
(NDA : Kumichō, 組長, leader, boss suprême d'un clan yakuza.)
Puis il tourna les talons et sortit sans attendre de réponse.
Rindō attendit qu'il soit loin avant de se lever pour rejoindre son frère qui regardait la salle à travers la baie vitrée, derrière son bureau. Cette dernière offrait une vue plongeante sur la piste du Jungle, vide à cette heure de la journée.
– Grand frère, dit-il, qu'est-ce qu'on va faire ?
Ran ne répondit pas tout de suite. Il contemplait la salle en contrebas. Ce club, c'était Rindō et lui qui l'avaient fondé, c'était eux qui l'avaient fait grandir. Il était leur œuvre et celle de personne d'autre. Nul ne le leur prendrait. Quel que soit le prix.
– Nous allons nous battre, dit-il enfin. Nous allons trouver un moyen de leur reprendre ce qu'ils veulent nous voler et de leur faire rendre gorge. Les Haitani règnent sur Roppongi et je ne laisserai personne dire le contraire. Même pas des yakuzas.
Il leva les yeux vers son frère et ajouta :
– Mais pour cela, nous allons avoir besoin d'argent.
Il n'en dit pas plus. Rindō avait compris. Ils allaient se tourner vers l'homme qui semblait être capable de transformer en or tout ce qu'il touchait.
Hajime Kokonoi.
✽
Vingt minutes plus tard, les deux frères étaient en route au volant de leur monstrueux 4x4, cette Mercedes Classe G noire qui avait tant fasciné Hayate.
Dehors, l'été naissant avait teint de vert les frondaisons des arbres qui bordaient la rue et le soleil tapait déjà fort pour un mois de juin.
Un an et demi plus tôt, Ran et Rindō avaient emprunté la somme qui leur avait permis d'acheter et de remettre en état le Jungle auprès d'une filiale du clan yakuza. Dans le monde des racailles dans lequel ils avaient toujours évolué, c'était ainsi que ça se passait. On se tournait vers la pègre lorsqu'on avait besoin de quelque chose que l'on ne pouvait pas obtenir par des moyens légaux.
Les premiers temps, tout s'était bien passé. Les Haitani remboursaient sans mal le prêt qu'ils avaient contracté grâce aux profits générés par le club dont la renommée ne faisait que grandir et tous les deux se voyaient déjà libérés de leurs obligations envers les yakuzas.
Mais les choses avaient commencé à déraper le jour où la pègre avait décidé d'augmenter ses tarifs.
– C'est la crise, leurs avaient expliqué les hommes qui étaient venus les voir. Tout le monde en subit les effets, même le clan, je ne vous apprends rien.
Durant les mois suivants, le montant des échéances n'avait cessé de grimper et, finalement, Ran et Rindō n'avaient pas réussi à payer à temps.
Le représentant de l'Inagawa kai était venu leur annoncer aujourd'hui que s'ils ne réglaient pas la somme qu'ils devaient dans les trois semaines, leur club passerait aux mains du clan en guise de paiement.
Ran et Rindō n'étaient pas dupes. Le Jungle était l'objectif des malfrats depuis le début. Le club dégageait des bénéfices impressionnants pour une jeune entreprise et, voyant cela, les yakuzas avaient résolu de s'en emparer.
– Tu es sûr que Koko acceptera de nous recevoir ? Demanda Rindō depuis le siège passager du 4x4. On ne l'a pas prévenu et puis il paraît qu'il s'est rangé. Kisaki et lui ne trempent plus dans les affaires louches et ils ont monté une boîte tout ce qu'il y a de plus légal.
– Magouilleur un jour, magouilleur toujours, lui répondit son frère. Et même s'il refuse de nous recevoir, il suffira de lui rappeler que nous avons appartenu au même gang. Entre frères d'armes, on se sert les coudes.
La tête dans la main, Rindō ramena les yeux sur la rue ensoleillée qui défilait de l'autre côté de la fenêtre de la voiture et il souffla :
– Je ne suis pas sûr que ce genre de choses soit dans les valeurs du Tenjiku d'autrefois...
– Je ne parle pas du Tenjiku, corrigea Ran, mais du Toman. Tu as oublié que nous en avons fait partie ?
En effet, après la défaite d'Izana Kurokawa face à Mikey, les membres du Tenjiku étaient entrés dans les rangs du Toman sous la forme d'une nouvelle division, la huitième.
– Bon, reprit Rindō, admettons qu'il accepte de nous écouter. Ensuite, on fait quoi ?
Ran eut un sourire en coin.
– J'ai un plan, ne t'en fais pas.
Le bâtiment dans lequel la TKXKO avait installé ses locaux était situé en plein cœur de Shibuya, non loin de Shinjuku. L'endroit était modeste, mais il ne représentait qu'une première étape pour les deux chefs d'entreprise qui comptaient bien étendre leur influence sur la capitale dans les années à venir.
Ran et Rindō se présentèrent à l'accueil, un vaste hall décoré dans des tons de beige.
Ran tendit sa carte à la standardiste avant même que cette dernière ait ouvert la bouche.
– Dites à Koko que des amis sont venus le voir, lui dit-il.
Koko et Kisaki les firent entrer et Ran et Rindō purent découvrir une pièce immense.
– Voilà les deux personnes que je ne m'attendais le moins à voir aujourd'hui, déclara Koko, assis derrière son bureau.
Installé sur un canapé qui faisait face à une table basse en verre aux imposants pieds de bois sculptés, Kisaki les regardait, lui, sans un mot. Koko croisa les doigts devant son visage avec ce petit sourire qu'on lui connaissait.
– Je vous écoute, reprit Koko. Pourquoi êtes-vous là ?
Ran s'installa dans un des fauteuils. Il prit le temps de rajuster le pli de son pantalon et afficha sa plus belle expression innocente.
– Est-ce que nous n'avons pas le droit de venir voir de vieux frères d'armes ? Dit-il.
Kisaki renifla.
– Et si en plus, dit-il, ces frères d'armes ont les moyens de tirer votre cul de la merde où vous êtes empêtrés, c'est tout bénef', pas vrai ?
Ran ne perdit pas une seconde contenance.
– Je vois que tu as toujours une longueur d'avance sur tout le monde ! Lui répondit-il, ravi. C'est une chose que j'ai toujours aimé chez toi. Pas besoin de t'expliquer la situation, tu es toujours au courant de tout !
– Alors c'est bien ça ? Reprit Koko. Vous avez besoin de notre aide ?
– En fait, reprit Ran. Pour être précis, nous aurions besoin d'un coup de pouce. Mais il sera largement récompensé.
– Voilà qui devient intéressant... Répondit Koko en esquissant un sourire. Combien ?
– Cinq pour cent des parts du Jungle, lui répondit Ran.
Il accompagna son offre d'un geste grandiloquent, mais Koko se détourna en ricanant.
– À ce prix-là, dit-il, démerdez-vous tout seuls. Je ne lève pas le petit doigt à moins de cinquante pour cent.
Kisaki leva les yeux au ciel. Il savait déjà comment ça allait se passer, tous les deux allaient jouer à ce petit jeu un moment avant de tomber d'accord, sans doute aux alentours de vingt-cinq pour cent.
Ce qui sera une bonne affaire pour nous, se dit-il. Reste que...
Comme il l'avait prévu, Ran et Koko marchandèrent comme deux poissonnières pendant trente bonnes minutes avant d'arriver à un accord.
– Vingt-huit pour cent, déclara Ran. Mais tu nous saignes à blanc.
– Toujours moins que les yakuzas, lui rétorqua Koko.
– Alors vous allez nous aider ? Intervint pour la première fois Rindō.
– Avant, dit Kisaki, moi j'ai une question. J'ai beau réfléchir, je ne vois pas en quoi notre argent peut vraiment vous aider. Même si on vous aide à payer cette échéance et peut-être la suivante, cela ne fera que repousser le problème...
– Il a raison, confirma Koko.
Ran esquissa un sourire.
– C'est parce que vous n'avez pas toutes les cartes en main, leur dit-il.
Il leur expliqua son plan et, quand il eut fini, Koko laissa échapper un sifflement.
– Vous allez jouer votre boîte sur un coup de dés ? Dit-il. C'est courageux !
– Pas tant que cela, lui répliqua Ran. À l'heure actuelle, soyons honnêtes, notre club est perdu. Si on veut le reprendre, il va falloir prendre quelques risques. Alors ? Vous en êtes ?
Koko et Kisaki échangèrent un regard.
– La TKXKO ne peut pas être mêlée aux affaires des yakuzas, leur expliqua Koko. Avec la loi antigang qui a été promulguée, ce serait nous fermer bien trop de portes pour l'avenir...
– En revanche, compléta Kisaki, nous pouvons faire appel à un intermédiaire qui prétendra que l'argent vient de lui. Une personne que les yakuzas n'effraient pas.
✽
NDA : Les histoires de mafia et de yakuzas ça reste un incontournable des fanfictions sur Tokyo Revengers...
( ̄▽ ̄*)ゞ
Bon, qui va faire son entrée à votre avis ?
(*^‿^*)
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