79 - Un pas de géant
Étendue entre ses bras, Hayate jouait avec les doigts de Shin dans la lueur tremblotante qui filtrait au travers des rideaux du studio à demi fermés. Dehors, la nuit était tombée et la fraîcheur les avait poussés à se blottir l'un contre l'autre.
– Est-ce que ça t'a plu ? Lui demanda-t-elle en levant les yeux vers lui.
– C'était l'un des moments les plus incroyables de toute ma vie, lui répondit-il.
– La prochaine fois, dit-elle, ce sera encore mieux, je te le promets !
Shin referma ses doigts sur les siens et il embrassa sa paume.
– Haya, murmura-t-il, je t'aime...
– Moi aussi je t'aime Shin... Je veux n'être qu'à toi. Et je veux que tu ne sois qu'à moi. Pour toujours.
Il y avait une note de gravité dans sa voix. Elle se serra davantage contre lui et il répondit :
– Je suis déjà à toi pour toujours.
Lovée contre lui, Hayate goûta la chaleur que ces mots avaient fait naître dans sa poitrine.
Elle joua un instant avec ses doigts, puis repensa tout à coup à une chose que lui avait dite Chiyo.
– Dis, reprit-elle, je peux te poser une question ?
– Hmm... ? Dit-il.
Il était en train de s'assoupir.
– ... C'est quoi cette histoire de pets ?
✽
Assis sur le canapé du petit studio de Toshima qu'il partageait avec Chiyo, Wakasa tapait nerveusement du pied par terre.
Il s'en aperçut et s'immobilisa.
L'instant suivant, il commença à se tordre les mains sans réussir à faire taire l'angoisse qui l'avait saisi depuis qu'il était rentré.
Tout va bien, se répétait-il en s'efforçant de respirer calmement. Tout va bien...
Mais il n'y avait rien à faire. Son cœur battait comme un fou et l'impatience, comme l'appréhension, refusaient de le laisser en paix.
Chiyo reparut, le front pâle et les lèvres pincées. Elle vint s'installer sur le canapé, entre ses genoux, et prit ses bras pour les ramener autour d'elle.
Elle aussi était tendue.
– Alors ? Dit-il.
– Il faut attendre cinq minutes maintenant, répondit-elle à voix basse.
Depuis bientôt un an, tous les deux avaient un projet dont ils n'avaient encore parlé à personne. Celui d'avoir un enfant.
– On peut bien essayer, avait dit Wakasa lorsque Chiyo lui avait fait remarquer que ça pouvait ne pas fonctionner – tous les deux avaient presque trente ans. Si ça marche, c'est cool et si ça ne marche pas, tant pis !
Après réflexion, Chiyo avait accepté.
Passés les premiers temps, où chaque symptôme leur avait semblé être le signe d'une grossesse, tous les deux n'y avaient plus prêté attention et ils étaient entrés dans une routine où ils avaient cessé de surveiller les cycles de Chiyo.
Si ça marche, c'est cool sinon tant pis, avait dit Wakasa.
Un mois plus tôt toutefois, Chiyo avait commencé à se sentir étrange. Mais pas étrange d'une façon qui lui était familière. C'était comme si son corps ne lui appartenait plus, comme s'il avait entamé des transformations dont elle n'était pas l'initiatrice. Sa poitrine était plus sensible, la forme même de ses seins lui paraissait avoir changé même si Wakasa jurerait par la suite n'avoir rien remarqué, et elle avait développé une aversion inexplicable pour certains aliments. L'odeur du café par exemple lui soulevait le cœur.
Lorsqu'elle s'était aperçue que ses règles n'arrivaient pas, elle avait attendu une semaine supplémentaire pour être sûre, puis elle en avait parlé à Wakasa.
Le menton posé sur l'épaule de Chiyo, ce dernier prit le petit bâtonnet qu'elle tenait entre les mains pour le regarder.
– Comment ça marche ce truc ? Demanda-t-il d'une voix sourde.
Il était stressé. Elle pouvait le comprendre. C'était toute leur vie qu'ils tenaient entre leurs mains.
Chiyo lui montra la petite fenêtre, sur le côté du test de grossesse, tout en parcourant la notice.
– Pour ce test-ci, souffla-t-elle, la barre bleue ça veut dire que le test fonctionne. Si ça devient une croix, c'est positif, si ça reste une barre, c'est négatif.
– Une croix, dit Wakasa en respirant profondément. Ok, une croix.
Tous les deux fixèrent le test avec attention.
– Tu imagines Chi ? Reprit Wakasa. Un petit bébé qui ressemblera à toi et à moi ?
Elle sourit nerveusement.
– Je n'arrive pas à réaliser, dit-elle, et puis c'est peut-être négatif. Ce n'est pas le premier test que nous faisons.
Ils avaient essayé toutes les marques du marché ces derniers mois.
– Tu préférerais une fille ou un garçon ? Lui demanda-t-il, le menton toujours appuyé sur son épaule.
– Aucune idée, et toi ? Dit-elle en tournant les yeux vers lui.
– Un garçon c'est cool, dit-il, mais une fille comme toi, c'est bien aussi. J'ai pas de préférence.
– Tu veux dire que tu lui apprendras à se battre que ce soit l'un ou l'autre ? Dit Chiyo en rigolant.
– C'est ça ! Répondit-il. Je lui apprendrai comment gagner une bagarre de rue et toi tu lui apprendras à boxer ! Il sera redoutable !
– Il va vouloir être chef de gang !
– Il va nous en faire baver !
– Avec nous comme parents, reprit Chiyo, c'est obligé !
Derrière son épaule, Wakasa s'était figé et Chiyo sentit distinctement le frisson qui le parcourut tout entier. Son bras, autour d'elle, s'était couvert de chair de poule et il murmura :
– Chi... regarde.
Dans la petite fenêtre, une croix était apparue.
✽
Hayate revint sur ses pas pour attraper la main de Shin et elle l'entraîna en avant.
– Allez, Shin ! Dit-elle. Tu traînes !
– C'est parce que j'adore quand tu viens me chercher comme ça, lui répondit-il taquin.
Le sourire que lui retourna Hayate le fit fondre.
Je suis amoureux... Je suis amoureux... Se répétait-il avec délice.
Il savourait ces mots comme s'ils avaient un goût de bonbon.
Plus loin, à la terrasse de l'izakaya où ils avaient l'habitude de se retrouver, non loin de la gare de Kōenji, Chiyo leur faisait de grands signes, debout à côté de la table où Wakasa, Takeomi et Benkei étaient déjà installés.
– Vous êtes en retard les amoureux ! Leur dit-elle. Encore en train de faire des choses ensemble ?
– Un mot de plus, lui répondit Hayate en arrivant à son niveau, et je ne t'adresse plus la parole.
– Rhooo ! On est susceptible ? Rétorqua Chiyo.
Elle paraissait de très bonne humeur.
– Sachi n'est pas là ? Demanda Hayate à Benkei, ignorant volontairement Chiyo.
– Pas ce soir, lui répondit Benkei. Elle est chez ses parents.
Sa petite amie avait pris l'habitude de se joindre à leurs petites réunions même si on l'entendait peu en général, elle était toujours aussi timide.
Shin s'apprêta à s'asseoir à côté de Wakasa, mais Chiyo le poussa plus loin.
– En bout de table les fumeurs ! Lui dit-elle en lui montrant Takeomi. En bout de table !
Il s'exécuta et Hayate l'accompagna.
– Venez, leur dit Takeomi en leur faisant de la place sur le banc. Il faut se serrer les coudes entre pestiférés. D'ailleurs, pourquoi on est en terrasse ce soir ? Reprit-il en frissonnant. L'été est encore loin, vous êtes au courant ?
– Pour éviter que vous m'enfumiez, lui répondit Chiyo.
Elle se rassit et Wakasa lui prit la main sur la table.
– On vous a fait venir ce soir, commença Waka, parce qu'on a quelque chose à vous annoncer.
Tous les deux se regardèrent et les quatre autres se turent, suspendus à leurs lèvres.
– Avec Waka, déclara Chiyo. On va avoir un bébé.
Un silence tomba sur la bande.
Shin le rompit le premier en se redressant.
– C'est vrai ? S'exclama-t-il, surexcité. Un bébé ? Vous allez avoir un bébé tous les deux ? Tu es enceinte ! Mais c'est génial !
– Toutes mes félicitations senpai, dit Hayate.
Elle comprenait mieux tout à coup les réticences de Chiyo à monter sur le ring dernièrement, comme son refus de boire de l'alcool.
Ou de rester à côté de fumeurs...
– Bah voilà autre chose... Dit Takeomi en s'allumant une cigarette.
Shin se tourna vers Benkei.
– Tu étais au courant ? Lui dit-il. Tu n'as pas l'air surpris.
– Chiyo m'avait prévenu, reconnut-il. On bosse ensemble, c'était plus prudent.
Hayate demanda à Chiyo :
– Ce sera pour quand ?
– Le médecin dit qu'il devrait naître courant novembre, lui apprit Chiyo.
– Un bébé de l'hiver ! Dit Hayate.
– C'est une fille ou un garçon ? Demanda Shin.
– Il est trop tôt pour savoir, lui dit Wakasa, mais avec Chi, on a décidé qu'on ne voulait pas savoir à l'avance...
– Oui, dit-elle, on préfère avoir la surprise le jour de la naissance.
– Du moment qu'il a dix doigts, dix orteils et qu'il va bien, ajouta Waka, ça nous convient.
Shin se tourna vers les autres.
– Hey, vous savez ce que ça veut dire ? Dit-il en les regardant tour à tour.
– Que ce gamin ne va vraiment pas être grand, répondit Takeomi.
– Tu veux qu'on se tape toi et moi ? Lui dit Chiyo.
– Tu veux me cogner dans ton état ? Lui répondit-il.
Elle réfléchit.
– C'est vrai, admit-elle. Waka ! Frappe-le !
Wakasa se pencha vers Takeomi. Il n'avait pas entendu la réplique de ce dernier. Mais Takeomi préféra subitement s'occuper de sa cigarette.
Hayate les regarda en riant. Chiyo et Wakasa étaient vraiment des phénomènes. Ce gamin n'allait pas être de tout repos.
– ... et il va être redoutable en baston ! Ajouta-t-elle tout haut.
– Exactement ! Dit Shin qui attendait encore la réponse à sa question.
– Vous l'avez annoncé à tes parents ? Demanda Benkei à Chiyo.
– Oui, dit-elle, on est allé manger à la maison le week-end dernier pour le leur annoncer. Maman était ravie. Papa, lui, a pété un plomb. Comme d'habitude j'ai envie de dire. Il a voulu traîner Waka sur un ring pour le défier.
Wakasa confirma.
– J'ai l'impression qu'il essaie toujours de trouver un moyen de me coller un pain, dit-il.
– Mais là, c'était pire encore que les autres fois, compléta Chiyo. Ma mère a dû intervenir et rappeler à mon père qu'il était vieux et qu'il ne ferait plus jamais le poids. Ça lui en a foutu un coup au moral, vous auriez vu ça...
– Pourquoi il était en colère ? S'étonna Hayate. Il n'était pas content de devenir papy ? Pourtant Wakasa et toi vous êtes ensemble depuis un moment maintenant...
– D'après ma mère, répondit Chiyo, c'est une chose de savoir qu'on fait des trucs Waka et moi, mais c'en est une autre d'en avoir la preuve sous le nez !
Elle montra son ventre en rigolant.
✽
NDA : J'avais tellement envie d'inclure le bébé de Wakasa que je n'ai pas résisté !!
♡⸜(。˃ ᵕ ˂ )⸝尸~~ ‧₊˚૮( ᵔ ๑ ᵔ )ა˚₊‧
PS : Il reste une vingtaine de chapitres avant la fin ! (Désolée pour les fic à rallonge... je fais pas exprès, c'est promis !)
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