La Civic s'arrêta le long du trottoir, devant le S.S Motor, et Shin en sortit en bleu de travail. Il se pencha à la portière.

– Rentre bien, dit-il à Hayate restée au volant. Ne roule pas trop vite.

– Et toi ne travaille pas trop tard, lui répondit-elle.

– On s'appelle ce soir ? Reprit Shin.

– Évidemment, répondit-elle.

Hayate reprit la route et Shin regarda la voiture s'éloigner dans un rugissement qu'il connaissait désormais par cœur.

Cela faisait deux mois qu'ils sortaient ensemble et Shin semblait aussi heureux qu'au premier jour.

Peut-être même plus.

Est-ce qu'il existait une limite à ce genre de bonheur ?

Je vais finir par exploser à ce train...

C'était comme si Hayate et lui avaient été faits l'un pour l'autre. Tous les deux se comprenaient à demi-mot, avaient les mêmes goûts, riaient aux mêmes blagues et il n'y avait aucun sujet de conversation qu'ils ne puissent aborder.

Et puis je peux même venir la voir en bleu de travail avec de l'huile de vidange sous les ongles, elle ne verra pas de problème...

Draken prenait un café sur le pas de la porte de la boutique. Il leva la tête quand Shin s'approcha.

– Bien déjeuné patron ? Dit-il.

– Ouais, c'était cool, répondit rêveusement Shin.

Draken l'examina. Il reprit.

– Tu feras gaffe...

– Hmm ?

– Tu flottes à cinquante centimètres du sol, tu vas forcément te manger le haut de la porte en entrant.

Shin éclata de rire.

– Espèce de petit con ! Dit-il.

Draken lui emboîta le pas à l'intérieur et il jeta son gobelet vide dans la poubelle de l'entrée.

Inupi leva les yeux en les entendant.

– Salut boss, dit-il.

– Arrête de m'appeler boss, répliqua Shin.

Le ton n'y était pas toutefois. Il y avait trop d'allégresse dans sa voix pour impressionner qui que ce soit.

Shin s'installa derrière la moto sur laquelle il travaillait, une Yamaha MT-07 dont l'un des fusibles claquait constamment avait dit le client, et il reprit.

– Inupi, tu t'en sors avec l'embrayage de la Suzuki ?

– J'ai pas encore fini, répondit Inupi. Je viens de voir que les ressorts sont aussi à changer. Ça va me prendre un moment.

– Tu veux que je te file un coup de main ? Dit Draken.

– Je veux bien, répondit Inui. J'ai eu du mal à retirer le plateau d'appui. Toutes les vis sont complètement rouillées sur cette machine.

– Je vais prévenir le client qu'on la garde jusqu'à demain alors, dit Shin en levant.

– Au fait, poursuivit Inupi. Baji a téléphoné quand tu n'étais pas là. Mikey lui a parlé des durites aviations qu'on avait en stock et il voudrait savoir à quel prix on pourrait les lui faire ?

Les garçons déjeunaient à tour de rôle dans la boutique, ainsi il y avait toujours quelqu'un pour accueillir les clients.

– Il est encore étudiant, lui, non ? Demanda Shin.

Draken opina.

– Il fait des études pour être véto, répondit-il. Je ne savais même pas que cet idiot avait quelque chose dans la caboche.

– Ça, c'est parce que le sujet l'intéresse, répondit Shin en se dirigeant vers le téléphone posé sur le comptoir. Le reste du temps il a la tête plus dure que de l'acier et rien ne peut y entrer, tu peux me croire.

– Je le sais bien ! Rigola Draken.

Shin attrapa la copie du devis qu'il avait remis au client d'Inupi dans la matinée et il chercha son numéro de téléphone sur la feuille pour l'appeler.

Une fois qu'il lui eut expliqué la situation, il raccrocha et revint vers les garçons.

Il réfléchit et dit :

– Tu n'auras qu'à dire à Baji qu'on les lui offre s'il valide son année. Ça lui fera un cadeau et sa mère sera contente.

Draken sourit et Inupi hocha la tête.

– Ok, boss.

– Et ne m'appelle pas boss.

Après une seconde d'hésitation, Draken reprit.

– Puisque vous êtes là tous les deux, dit-il, je voudrais en profiter pour vous annoncer un truc...

Inupi leva la tête.

– Tu vas être papa ? Lui demanda-t-il.

Shin recracha l'intégralité du soda qu'il avait pioché en passant dans le mini-frigo du magasin et Draken vira cramoisi.

– HEIN ? Dit-il. MAIS QUOI ? MAIS QU'EST-CE QUE TU RACONTES TOI ?

Inupi les regarda tous les deux, l'air aussi inexpressif qu'à l'accoutumée.

– Bah je sais pas, dit-il. D'habitude c'est ce qu'on dit quand on va avoir un enfant, non ?

– MAIS NON ! MAIS PAS DU TOUT ! Brailla Draken. TU VAS CHERCHER ÇA OÙ ?

Shin aurait été bien en peine de répondre. Il était en train de tousser à s'en s'étouffer, appuyé contre le comptoir.

Lorsqu'il se redressa, il était aussi rouge que Draken, mais pas pour les mêmes raisons.

– Ne me faites pas des coups comme ça, leur dit-il la main sur la poitrine. J'ai cru que j'allais crever !

– Bon, alors si tu ne vas pas être papa, reprit Inupi, c'est quoi la nouvelle ?

Tous les trois s'installèrent sur les caisses qui leur servaient en général à travailler, un soda à la main, pour faire une pause.

– Voilà, commença Draken, avec Mikey on va fonder notre propre écurie pro. Kisaki et Koko ont accepté de nous prêter les fonds et, comme vous le savez, Honda est d'accord pour qu'on soit une équipe satellite de la marque.

(NDA : Les équipes satellites, par opposition aux équipes constructrices, utilisent les motos d'une marque sans être les représentants officiels.)

– Je serai le mécanicien en chef, continua Draken, mais bien sûr dans les faits, comme les motos de course ne sont pas encore ma spécialité, Honda va nous envoyer un type qui s'y connaît mieux que moi pendant un an pour qu'il m'apprenne le métier.

Inupi avait peur de comprendre.

– Tu es en train de dire que... tu vas quitter le S.S Motor ? Dit-il enfin.

– Ouais, dit Draken en ramenant les yeux sur sa canette. C'est ça la nouvelle. Je... démissionne.

Il n'arrivait pas à lever les yeux.

Plus que tout, il redoutait de lire de la déception dans le regard de Shin. Ce dernier avait été comme un grand frère pour Inupi et lui.

Pour nous tous en fait, corrigea Draken en silence.

En abandonnant le magasin dans lequel il avait toujours travaillé et où il avait tout appris, il avait l'impression d'être une sorte de traître.

Face à lui, Shin'ichirō se redressa à demi, surexcité.

– Mais c'est génial ça ! S'exclama-t-il. C'est une super nouvelle ! Je suis tellement content ! Tu fais un pas énorme en avant ! C'est le truc le plus cool que tu pouvais nous annoncer ! Je suis tellement fier de toi !

Draken leva vers lui un regard chargé de soulagement.

– Tu es sûr ? Dit-il. Je veux dire... Je vous laisse tomber... C'est pas sympa après tout ce que tu as fait pour moi... En plus il y a plein de boulot en ce moment...

Shin ne le laissa pas finir.

– On s'en fout de ça ! Dit-il. C'est pas l'important ! Tu vas devenir mécano en chef de ta propre équipe ! Je suis sûr que tu vas tout déchirer ! Je suis tellement fier d'être celui qui t'a appris les bases ! Tu passeras nous voir de temps en temps, hein ?

– Ouais... Évidemment que je viendrais, répondit Draken, plus ému qu'il voulait bien l'admettre.