55 - Sonder son propre cœur
– Pourquoi tu ne te bats pas cette fois ? Demanda Emma.
La question frappa Shin en plein cœur.
C'est vrai, pourquoi je ne me bats pas ?
– Si je te demande ça, reprit Emma en continuant à jouer avec ses tempuras, c'est parce que j'ai l'impression que la situation ne te convenait pas comme elle était. Cette amitié, c'était vraiment ce que tu voulais ?
Shin replongea le nez dans son assiette.
Oui... c'était ce que je voulais, se dit-il. Après tout, c'est moi qui lui ai dit que je voulais être son ami...
Mais une autre voix s'insurgea aussitôt en lui.
Non ! Je veux plus que ça !
Shin fronça les sourcils, perdu. Emma parut s'en rendre compte de son trouble et elle murmura :
– Je te l'ai déjà dit nii san, il n'y a aucun mal à être amoureux.
Shin s'abîma dans ses réflexions.
– Au début, dit-il enfin, c'était tout ce que je voulais et ça me convenait comme ça. Mais aujourd'hui... je veux plus. Je veux tout ce qu'on avait et plus encore.
Il se faisait l'effet d'être un gamin gâté en disant cela, mais il savait qu'Emma ne le lui reprocherait pas.
Elle sourit.
– Je vois, dit-elle.
Elle était rassurée. Shin n'avait pas abandonné. Cette détermination dans sa voix en était la preuve.
✽
Installée dans un des fauteuils du hall d'accueil de la société de transport de son oncle, les pieds posés sur la table basse recouverte de magazines, Hayate feuilletait la dernière publication de Honda.
Peine perdue. Elle avait beau relire vingt fois la même phrase, elle était incapable de se concentrer.
Finalement, elle jeta le magazine sur la table.
– Fait chier...
Plus loin, de l'autre côté du comptoir, la standardiste lui lança un coup d'œil inquiet.
Depuis dix jours, Hayate Koji avait les nerfs à fleur de peau.
En temps normal, c'était déjà une jeune femme au caractère trempé. Mais depuis les fêtes de fin d'année, Hayate était devenue un véritable ouragan. Elle explosait pour un oui ou pour un non, insultait tout le monde, y compris les clients, et il n'y avait que son oncle qui arrivait à lui faire entendre raison.
Enfin presque que son oncle.
Sako Nakato, la secrétaire de Bunta fit son apparition dans le hall. Elle s'immobilisa en voyant Hayate affalée dans l'un des fauteuils destinés aux clients, les pieds sur la table, et fronça les sourcils.
Elle la rejoignit en deux pas.
– Veuillez me faire le plaisir de retirer vos pieds de là, lui dit-elle. Vous n'êtes pas à la plage ici !
Hayate lui adressa un regard noir qui en aurait fait plier plus d'un, mais Sako ne broncha pas. Elle travaillait avec Bunta depuis des années. Le caractère des Koji ne l'impressionnaient plus.
– Quoi ? Répondit la secrétaire. Vous allez me frapper ?
Hayate grogna et retira ses pieds de la table avec un soupir mécontent. Sako reprit.
– Votre oncle veut vous parler, lui dit-elle. Il est à l'arrière, il vous attend.
– Ah enfin ! Dit Hayate en se levant. J'ai cru qu'il n'aurait jamais de travail pour moi !
Elle avait attendu ce moment toute la journée, celui où elle pourrait s'élancer sur la route au volant de sa Civic et ne plus penser à rien.
Et surtout, ne plus penser à Shin'ichirō Sano.
Contrairement à ce qu'elle avait cru, il n'avait pas disparu de sa tête après l'épisode de Noël. Loin de là. À chaque instant, Hayate avait l'impression de revivre les dernières minutes qu'ils avaient passées ensemble. Elle revoyait sans cesse leur fou rire, ce regard qu'il lui avait adressé, leur baiser...
Et la gifle.
Il l'avait méritée !
Pourtant, elle n'arrivait pas à faire taire la petite voix irritante qui lui répétait que la coupable, c'était elle.
Conneries... Lui répondait-elle à chaque fois.
Mais cela ne changeait rien. Il lui était impossible de chasser cette idée de son esprit.
Hayate sortit, elle contourna le bâtiment et découvrit son oncle, près du quai de chargement, une cigarette coincée entre le majeur et l'index.
Une seconde, elle se figea.
Leurs manières à Sano et lui étaient tellement semblables que, durant un instant, elle avait cru avoir Shin en face d'elle.
– Merde... Murmura-t-elle en se remettant en marche. Faut que j'arrête de penser à lui.
Bunta se tourna vers elle en l'entendant approcher. Il lui tendit la main.
– Tu veux quoi ? Ricana Hayate. Que je te serre la main ?
– Tes clés de voiture, dit-il. Je te mets en congé pour le restant de la semaine.
Le cœur de Hayate lui parut tomber comme une pierre au fond de son estomac.
– Quoi ? S'exclama-t-elle. Non ! Pourquoi ? Je ne veux pas ! Trouve-moi plutôt du travail ! J'ai besoin de rouler !
Bunta tira sur sa cigarette, imperturbable.
– Tu te souviens de ce que je t'ai dit quand tu as commencé à bosser ici ? Dit-il.
Hayate grommela et fila un coup de pied dans un caillou qui se trouvait là.
– La sécurité avant tout...
– C'est ça et là, tu n'es clairement pas en état de prendre la route. Tu as la tête ailleurs, tu penses à tout sauf à ton travail... C'est le cocktail parfait pour un accident. Ta mère ne me le pardonnerait pas si je te laissais prendre la route comme ça. Alors, donne tes clés.
Hayate essaya de le faire fléchir :
– Allez ! Dit-elle. S'il te plaît ! Je te promets que je ferais attention ! Tu ne peux pas me faire ça ! Je vais devenir dingue si je reste à la maison !
Il n'y eut rien à faire. Bunta garda la main tendue devant lui et Hayate finit par y déposer les clés de la Civic en râlant.
– Putain, lâcha-t-elle, vous me faites tous chier !
– Tous ? Releva-t-il.
– T'occupes, marmonna-t-elle.
Elle tourna les talons, mais Bunta reprit avant qu'elle ait fait deux mètres :
– Comment va Sano en ce moment ? Je ne t'entends plus parler de lui.
Hayate se raidit et il put voir un frémissement traverser la ligne de ses épaules.
Il avait touché juste apparemment.
– Qu'est-ce que tu veux que je te dise ? Lui répliqua-t-elle. C'est un connard comme un autre finalement, rien de plus.
– Mouais. Viens un peu par là.
Elle lui jeta un regard par-dessus son épaule et vit qu'il s'était assis sur le quai.
– Pourquoi ? Aboya-t-elle.
– Viens, je voudrais qu'on parle.
Hayate hésita, mais elle le rejoignit. Bunta avait toujours été le seul homme qu'elle respectait.
– Assieds-toi, lui dit-il quand elle arriva à son niveau.
Elle le regarda une seconde, interloquée, puis finit par s'asseoir en soufflant
– Comment ça va toi ? Lui demanda-t-il.
– Tu m'as fait asseoir pour me demander comment je vais ? Grogna-t-elle.
– Exactement, reprit-il. Tu vas bien ? Côté cœur, comment ça se passe ?
Elle souffla de nouveau.
– Gênant ça, lâcha-t-elle.
Bunta ignora sa remarque. Il laissa planer un silence, avant de reprendre.
– Depuis que tu es gamine, dit-il, je t'ai toujours vu te battre. Même quand tu étais dans les petites classes tu te bagarrais avec les autres, tu t'en souviens ?
– Étant donné que je venais à chaque fois me planquer chez toi pour ne pas avoir à expliquer à maman ce qui était arrivé, oui, je m'en souviens.
– Le pire, je crois, reprit-il, c'était cette fois-là au lycée, celle où tu as envoyé un gars à l'hôpital.
– Il m'avait cherchée, rétorqua-t-elle, butée.
– Hmm, tu te souviens de ce que je t'ai dit ce jour-là ?
Hayate fouilla dans sa mémoire.
– Non, reconnut-elle.
– Je t'ai dit que tu n'étais pas ta mère, lui rappela Bunta. Que tu avais ta vie et, elle, la sienne.
Hayate ne dit rien.
Pourquoi est-ce qu'il ramenait cette vieille histoire à la surface maintenant ?
Bunta poursuivit.
– Sano, dit-il, c'est un type bien. Je ne sais pas ce qui s'est passé entre vous, mais je suis sûr que c'est un malentendu.
– Hmmf ! Dit-elle en faisant un mouvement pour se lever.
– La question, continua Bunta sans se soucier de son interruption, c'est, est-ce que tu vas le laisser sortir de ta vie juste parce que c'est ce que ta mère aurait fait ?
Hayate eut l'impression de se prendre un coup dans la poitrine.
Bunta ajouta, impitoyable :
– Ou bien est-ce que tu vas enfin te décider à mener ta propre vie.
Il se leva, écrasa son mégot sur le sol et, avant de s'éloigner, il conclut.
– Des fois, il faut savoir mettre sa fierté dans sa poche pour saisir la chance que le destin nous met sous le nez.
✽
NDA : Les gens qui te mettent le nez dans ta propre m**** pour te faire ouvrir les yeux....
On les déteste, on est d'accord ? Mais en même temps...
ദ്ദി(ㅠᯅㅠ)
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top