37 - La course

          Shin'ichirō rejoignit à son tour la Civic en quelques pas.

– Comment ça, je viens avec toi ? Dit-il.

Plus loin, le pilote de la Cappuccino les regarda. Shin saisit la poignée de la portière, côté passager, mais au moment où il voulut monter, Hayate l'arrêta.

– Non, dit-elle, monte plutôt à l'arrière.

Interloqué, il s'exécuta.

Sur le bas-côté, Keisuke Takahashi, le petit frère de Ryosuke, claqua de la langue.

– Tch, dit-il. Elle vient de faire une connerie monumentale, là. Vu le poids de la Civic, il n'y avait vraiment pas besoin d'ajouter du lest, surtout en course de descente et face à une petite Cappuccino de même pas huit cents kilos.

(NDA : La Suzuki Cappuccino est la seule voiture utilisée pour une course dans le manga Initial D qui fait aussi partie de la catégorie des kei car, ces toutes petites voitures japonaises.)

– En temps normal, lui dit son frère, j'aurais été d'accord avec toi. Mais aujourd'hui, c'est toi qui te trompes.

– Hein ?

– Avec la route dans cet état, lui expliqua Ryosuke, le risque le plus important pour une lourde Civic, c'est d'être entraîné en avant par le poids de son moteur. À la moindre flaque d'eau mal négociée, c'est la perte de contrôle assurée. Elle a juste rétabli l'équilibre en rajoutant soixante-dix kilos à l'arrière.

– Tu veux dire... ?

– Je veux dire que cette fille sait de quoi elle parle.

Au milieu de la route, le coureur des Purple Shadow se mit en position, prêt à donner le départ, et les moteurs des deux voitures rugirent.

Hayate ne jeta pas un œil du côté de son adversaire. Elle n'en avait pas besoin.

Le signal fut donné et la Cappuccino s'élança aussitôt en tête dans une gerbe d'eau, la Civic dans son sillage.

Le pilote de rallye fonça vers le premier virage en épingle à cheveux, ses phares arrière laissant une traînée rouge derrière lui.

Hayate le suivit. Un bras posé nonchalamment sur le bord de sa portière.

Sur la banquette arrière, Shin'ichirō avait bouclé sa ceinture et il s'accrochait maintenant à la poignée, au-dessus de la vitre.

Il ne s'était jamais rendu compte à quel point une route de montagne pouvait être noire la nuit.

Surtout quand il pleut...

– On ne voit pas grand-chose, hein ? Dit-il.

– Hmm ? Répondit Hayate en lui jetant un œil dans le rétroviseur. Oui, c'est vrai, mais ne t'en fais pas, j'ai l'habitude.

Devant eux, la Cappuccino arriva au second virage et elle le négocia en faisant reculer sur le bas-côté les spectateurs qui craignaient d'être éclaboussés.

– Il se débrouille bien je trouve... Dit Shin en s'avançant à demi entre les sièges.

– Oui, c'est un pro après tout.

Wataru Sakamoto maîtrisait parfaitement les réactions de la nerveuse petite voiture, Hayate devait le reconnaître.

Pourtant ça n'est pas celle avec laquelle il court habituellement, songea-t-elle. Sans compter le parcours, il n'a pas pu faire plus d'une ou deux descentes pour voir comment était la route et il a malgré tout de bonnes réactions.

Le niveau du pilote l'impressionnait. Il n'avait rien à voir avec les coureurs qu'elle avait pu voir rouler par ici.

Cette course commençait à l'exalter.

Elle accéléra, tout en restant à l'arrière de la Cappuccino, et continua à étudier son style. Sakamoto prenait chaque virage avec souplesse. Ses pneus dérapaient juste assez pour lui permettre de gagner de précieuses secondes et il se rétablissait en sortie de courbe avec une adresse qui montrait son habitude des courses.

Sauf que... Vit-elle.

Derrière son épaule, Shin la tira de ses pensées.

– Tu crois que tu vas pouvoir gagner ?

Il semblait inquiet. Elle pouvait le comprendre. Cette visibilité quasi nulle face à un adversaire professionnel, ça pouvait paraître effrayant.

– Va savoir... Souffla-t-elle.

Shin ne l'avait jamais vue aussi concentrée. Les yeux de Hayate ne quittaient pas la route et la petite voiture devant eux.

La vérité, c'est qu'elle admirait la technique du coureur. Ce contrôle, cette fluidité dans ses mouvements, cela l'émerveillait.

– Bien, reprit-elle, il va être temps de s'y mettre. Tu devrais te rasseoir.

– Ok, dit-il.

Shin se renfonça aussitôt dans son siège et sa main agrippa la poignée au-dessus de sa tête.

Hayate accéléra et la Civic remonta jusqu'au niveau de la Cappuccino.

Elle resta juste derrière elle.

– Tu sais comment on reconnaît un pilote professionnel d'un amateur ? Demanda-t-elle à Shin.

Ce dernier secoua la tête, il n'en savait rien.

– À sa technique ? Dit-il par hasard.

– Non, regarde-le bien au prochain virage...

Shin scruta l'arrière de la Cappuccino, mais il ne vit rien.

– Qu'est-ce que j'aurais dû voir ? Demanda-t-il.

– C'est un pro, lui dit-elle, il a l'habitude de courir sur des circuits ou des tronçons de route fermés à la circulation. Pas sur la voie publique.

Shin fronça les sourcils. Il était vrai que la petite voiture devant eux restait le plus souvent sur la gauche de la chaussée, mais il fallait avoir un œil averti pour s'en rendre compte.

(NDA : Pour rappel, au Japon on conduit du côté gauche et le volant est à droite.)

Puis il comprit.

– Il a peur que quelqu'un arrive en face ! Dit-il.

– C'est ça. Il a fait quelques aller-retour avant la course pour s'habituer à ce parcours, mais on voit bien que ce genre d'endroits le met mal à l'aise.

– Tu vas faire quoi ? Demanda Shin.

Hayate accéléra à nouveau.

– On va lui mettre un peu la pression.

La Civic rugit et son pare-choc alla se coller à celui de la Cappuccino.

Hayate ne laissa que quelques centimètres entre elle et la voiture de son adversaire.

Sur le bord de la route, les spectateurs qu'ils croisèrent laissèrent échapper des exclamations stupéfaites. Plusieurs envoyèrent un message aux frères Takahashi pour les tenir au courant de la course.

Au sommet, Ryosuke consulta son portable.

– Elle passe à l'attaque, dit-il alors que la pluie battait son plein autour d'eux.

– Tu crois qu'elle peut gagner ? Lui demanda son petit frère.

– On va vite le savoir.

Plus bas, les deux voitures abordèrent un nouveau virage et leurs pneus envoyèrent voler des geysers d'eau en dérapant presque côte à côte, leurs rétroviseurs extérieurs se frôlant.

À l'arrière de la Civic, Shin était tétanisé. Il ne voyait quasiment rien au dehors. La pluie lui donnait l'impression de foncer droit dans le noir et seuls les phares des deux voitures trouaient l'obscurité. On aurait dit un cauchemar.

La petite Suzuki aborda une nouvelle courbe et Hayate l'imita en restant dans sa roue.

Les deux véhicules étaient à présent si proches, que Shin était persuadé qu'en ouvrant la vitre et en tendant la main, il pourrait toucher la Cappuccino.

À la sortie de l'épingle, Hayate murmura pensivement :

– Tu sais ce que font les gens quand ils ont peur ?

Derrière elle, la voix blanche de Shin répondit :

– Ils vomissent ?

Hayate lui jeta un regard surpris dans le rétroviseur.

– Quoi ? Mais non ! Dit-elle en ramenant les yeux sur la route. Ils reprennent leurs mauvaises habitudes. La peur les force à se réfugier dans ce qu'ils connaissent le mieux et tous leurs défauts refont surface.

– Qu'est-ce que ça veut dire ?

– Ça veut dire qu'on va le passer au prochain virage.




La course touchait à sa fin, il ne restait plus qu'une poignée de courbes à franchir.

Lorsque la Cappuccino s'engagea dans le virage suivant, Hayate la colla plus que jamais et la lumière de ses phrases inonda l'habitacle de la petite voiture. Comme elle s'y était attendue, le pilote se rabattit instinctivement sur la gauche, craignant qu'une voiture arrive en face et qu'il se retrouve pris en tenaille. Il laissa la moitié de la route complètement libre. C'était tout ce qu'elle guettait.

– C'est parti... Souffla-t-elle.

Le moteur de la Civic rugit et la voiture fit un bond en avant.

Pendant une seconde, les deux voitures roulèrent côte à côte, puis Hayate accéléra encore et la Civic fonça dans la nuit, laissant le pilote de rallye derrière elle.

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