Shin'ichirō ne tenait pas en place.

Il fit une nouvelle fois l'aller-retour jusqu'au coin de la rue et revint vers Wakasa, Benkei et Takeomi qui attendaient là.

– Elle va bientôt arriver ! Dit-il. Vous allez voir, c'est une fille géniale !

Takeomi s'alluma une cigarette.

– C'est ce que tu n'arrêtes pas de dire, dit-il, mais n'empêche, elle est en retard.

– Techniquement non, répondit Benkei, c'est nous qui sommes en avance...

– Parce que monsieur pressez-vous-sinon-on-n'y-sera-jamais-à-l'heure nous a fait décoller trop tôt, compléta Wakasa.

Lui et Benkei pouffèrent de rire.

Chiyo reparut dans leurs dos, un sachet à la main.

– Me revoilà, dit-elle. Waka, regarde, j'ai trouvé la marque de café dont on avait parlé ! On le goûtera à la maison !

– Ok...

Un nouveau cri de Shin l'empêcha de finir.

Il fit de grands signes en direction du bout de la rue.

– PAR ICI ! Dit-il. ON EST LÀ ! YOUHOU !

Derrière lui, ses quatre amis furent pris soudain de l'envie de se cacher.

Il n'était pas les seuls. La fille qui arrivait en face s'immobilisa.

Durant une seconde, Hayate parut sur le point de faire demi-tour.

Puis elle se remit en marche en soupirant.

Elle pressa le pas pour arriver plus vite jusqu'à eux.

Mais tais-toi abruti ! Se dit-elle en regardant Shin'ichirō qui poursuivait son cirque. Tout le monde te regarde !

Takeomi la détailla de haut en bas tandis qu'elle approchait.

Elle était grande, vit-il. Pas autant que Shin ou lui, et largement moins que Benkei c'est sûr, mais elle dominait Wakasa et sa copine d'une bonne tête. 

L'autre chose qu'il nota, c'était sa démarche. Elle marchait comme un homme.

Elle était jolie, pas le moindre doute. Élancée, bien foutue, avec un visage que beaucoup de filles aimeraient avoir. Mais elle avançait à grands pas assurés comme l'aurait fait un garçon et elle n'hésitait pas à toiser ceux qui la regardaient, un peu à la façon d'une racaille. En plus de cela, elle avait choisi pour la soirée un jean et un t-shirt informes qu'il aurait pu porter lui.

Un garçon manqué, voilà autre chose... Se dit-il.

Lorsque Hayate arriva à leur niveau, Shin fit les présentations.

– Tu te rappelles de Chiyo et de Wakasa, dit-il. Lui c'est Benkei et l'autre c'est Takeomi.

– Bien remise de ta raclée, l'asperge ? Lui demanda Chiyo avec un sourire goguenard.

Hayate fit mine de regarder autour d'elle avant de baisser les yeux.

– Chibi senpai, vous étiez là ? Répondit-elle. Je ne vous avais pas vue !

– Sale gosse ! Répliqua Chiyo. Au moins tu baisses les yeux quand tu me regardes !

Toutes les deux rigolèrent et Hayate sortit de son sac le t-shirt que Chiyo lui avait prêté deux semaines plus tôt.

– Désolée de ne pas l'avoir rapporté avant, reprit-elle. Ça m'était sorti de la tête.

– Garde-le, répondit Chiyo en repoussant sa main. Garde-le, porte-le et fais-moi de la pub. D'ailleurs, tu n'as pas envie de t'inscrire à la salle ? Je te ferais un programme de remise en forme personnalisé...

Les affaires du club de boxe n'étaient toujours pas florissantes.

Hayate rit de nouveau.

– Je n'ai pas besoin de remise en forme, répondit-elle, et je ne suis pas riche non plus !

– Et si je te fais un prix ? Insista Chiyo.

Takeomi intervint.

– On va rester sur le trottoir à taper la discussion toute la nuit ? Dit-il.

Chiyo lui asséna du tac au tac :

– Ta gueule, toi.

Hayate se raidit, mais les autres ne semblèrent pas remarquer sa réponse.

Ils se mirent en route en direction de la petite rue piétonne voisine qui abritait la plupart des pubs du coin.

Wakasa remonta au niveau de Hayate.

– Ne t'en fais pas pour Chi et Take, lui dit-il. Ces deux-là se bouffent le nez depuis qu'ils se connaissent.

Benkei, qui les avait rejoints, ajouta :

– Je soupçonne Chiyo d'essayer de le pousser à bout pour le faire monter sur le ring et lui coller une dérouillée.

– Ça serait bien son genre ! Rigola Waka.

À quelques pas de là, Chiyo continuait à houspiller Takeomi qui feignait de ne pas l'entendre.

Il termina sa cigarette, la laissa tomber sur le sol, avant d'en sortir une nouvelle et de proposer son paquet à Shin.

Ce dernier déclina en secouant la tête.

– Non, c'est bon merci, dit-il.

Il semblait plongé dans ses pensées.

Chiyo, elle, agita son poing sous le nez de Takeomi.

– Ne fais pas comme si je n'étais pas là ! Reprit-elle. Et ne balance pas tes déchets par terre espèce de gros dégueulasse ! Tu n'as pas changé décidément !

Takeomi leva les yeux au ciel et, derrière eux, Hayate sourit.

Chiyo était une fille fascinante. En plus d'être une boxeuse de talent, elle était jolie – elle n'avait d'ailleurs pas hésité à se mettre en jupe ce soir et son petit ami avait du mal à détacher les yeux de ses jambes – et elle savait s'imposer, même au milieu de ce groupe de garçons.

Comme quoi, on peut se faire respecter dans toutes les conditions.

Hayate jeta un coup œil à la dérobée aux quatre autres.

Celui que Shin avait appelé Benkei était une montagne de muscles aux cheveux et à la barbe décolorés à blanc, au teint basané dont elle n'aurait su dire s'il provenait de cabines à UV et sous les manches et l'encolure duquel on devinait l'extrémité des tatouages qui devaient lui couvrir le torse. Il avait tout à fait l'apparence d'un ancien bōsōzoku.

C'était sans doute le boss de leur petit gang... Se dit-elle.

Elle qui pensait que Wakasa serait le plus haut en couleur, elle était obligée de revoir son jugement.

Elle n'eut pas le temps de se poser plus de questions.

Leur groupe arriva devant un izakaya qui paraissait être leur point de rassemblement depuis plusieurs années et ils entrèrent comme s'ils étaient chez eux.

(NDA : Izakaya, 居酒屋, bar, bistrot au Japon où l'on peut boire et grignoter.)

✽

NDA : est-ce que j'imagine vraiment Shin'ichirō coller la honte à tous ses potes au milieu de la rue ? Tout à fait ! Après tout, je ne pense pas qu'il soit le genre à se soucier des détails de ce style !

(,,>ヮ<,,)