74 - Humeur sombre
Depuis le matin, Hayate était d'une humeur massacrante. Horitaka, le propriétaire du garage où elle travaillait à mi-temps trois fois par semaine, s'était déjà pris une bonne demi-douzaine de remarques acerbes. Tout y était passé, son écriture illisible dans le carnet de rendez-vous, une commande de plaquettes de frein en retard à laquelle il ne pouvait rien et même sa chemise, qui avait eu l'audace de n'être pas correctement rentrée dans son pantalon, y avait eu droit.
Après quoi, Hayate était retournée s'enfermer dans l'atelier, non sans avoir claqué la porte au passage.
– Et bah... Murmura-t-il. Il y a un truc qui cloche, mais il faudrait me payer cher pour que j'aille lui demander quoi...
À l'arrière du bâtiment, Hayate changeait le filtre à air d'une petite kei-car non sans pester contre ces voitures au moteur inaccessible, contre leurs inventeurs et toute leur descendance qu'elle maudissait sur quinze générations.
– FAIT CHIER ! ILS POUVAIENT PAS INVENTER UN TRUC ENCORE MOINS PRATIQUE ?
La question qui tournait en réalité dans sa tête était toute autre.
Pourquoi il est parti comme ça ? Est-ce que j'ai fait quelque chose qu'il ne fallait pas ?
Elle chassa cette pensée avec brusquerie et tendit la main pour attraper la clé à pipe qu'elle avait posée sur le chariot à outils voisin un instant plus tôt. Ses doigts l'effleurèrent et elle l'entendit tomber dans cliquetis.
Elle se redressa aussitôt avec vivacité et sa tête heurta violemment le capot de la voiture.
– ET MERDE ! BORDEL DE MERDE ! TOUT ME FAIT CHIER AUJOURD'HUI ! Jura-t-elle.
Dans le bureau voisin, son patron fit comme s'il n'avait rien entendu.
Hayate se massa le crâne en faisant les cent pas. Elle allait certainement avoir une bosse dans les heures à venir.
La question revint la hanter.
Pourquoi il est parti ? Qu'est-ce que j'ai fait de mal ?
L'un des pneus de la petite voiture à proximité écopa d'un coup de pied.
– Tiens, voilà pour toi espèce de merde à deux yens !
Pourquoi il est parti ? Est-ce qu'il ne m'aime plus ?
Cette dernière question, surtout, lui serra la gorge et Hayate jeta un œil vers sa veste, accrochée plus loin.
Dans la poche, se trouvait son téléphone.
Ce matin-là, son premier réflexe, ça avait été de vouloir appeler Shin. Elle avait envie de savoir ce qui s'était passé. Elle voulait qu'il lui explique pourquoi il était parti ainsi, sans un mot.
Mais elle n'avait pas pu y arriver.
Qu'est-ce que je vais lui dire s'il me dit que c'est fini ? Qu'est-ce que je fais s'il me dit qu'en réalité, il ne m'aime plus ? Qu'est-ce que je vais devenir s'il ne répond même pas ?
Une nausée lui avait tordu le ventre et elle avait préféré renoncer et attendre qu'il la contacte, lui.
Mais depuis, elle n'avait eu aucune nouvelle. Pas de coup de fil. Pas même le moindre message.
Hayate se mit à faire des aller-retour dans le garage, oubliant la petite kei-car et son travail pour remâcher encore et encore les mêmes pensées.
On passait un si bon moment... Qu'est-ce qui lui a pris ?
C'est alors qu'elle se souvint que le Gymnase Gojō se trouvait à deux pas du garage.
Je pourrais aller m'entraîner pendant la pause déjeuner... Peut-être que Chiyo senpai sait quelque chose, elle, ou son petit ami ? Là-bas, je pourrais avoir des nouvelles ou apprendre un truc ?
Une autre pensée trottait dans sa tête, mais elle refusa de s'y attarder.
Peut-être qu'il sera là.
✽
À midi, Hayate quitta le garage Shiohata en coup de vent.
– Je vais manger, à plus !
Elle n'écouta pas la réponse de son patron et cavala sur le chemin qui longeait la rivière jusqu'à arriver en vue de l'enseigne de la salle de boxe.
Heureusement que je garde mes affaires de sport dans la voiture...
Arrivée sur place, elle s'immobilisa sur le parking pour jeter discrètement un œil à travers la fenêtre.
Shin n'était pas là. Mais Chiyo était en train de superviser l'entraînement d'un boxeur tandis que, sur le ring, Benkei tenait le lourd bouclier de frappe pour permettre à un autre de travailler ses enchaînements. Wakasa semblait absent, lui.
Elle inspira, rassembla son courage, et entra.
Chiyo leva la tête en entendant la porte.
– Oh, kōhai ! Dit-elle. C'est rare de te voir dans la journée ! Tu ne peux plus te passer de mes entraînements ?
Hayate ricana.
– Servir de sac de frappe à une championne était l'objectif de ma vie, ironisa-t-elle.
Cette ambiance potache et bon enfant lui faisait du bien, elle se sentait mieux déjà.
J'ai bien fait de venir.
– Je vais me changer, dit-elle en se dirigeant vers les vestiaires.
Quelques minutes plus tard, Hayate fut de retour et elle opta pour un des punching-balls de la salle.
Elle avait à peine commencé à frapper que Chiyo vint la trouver.
– Alors ? Dit-elle en s'adossant au mur voisin.
Hayate s'arrêta pour boire une gorgée d'eau.
– Hmm ? Répondit-elle.
– Tu es là pour quoi ? Insista Chiyo. Je te connais par cœur kōhai, jamais tu ne viendrais dans la journée sans une bonne raison et en plus tu cognes ce sac comme s'il avait personnellement insulté tes ancêtres.
Hayate ne pensait être percée à jour si rapidement. Elle hésita et lui montra le ring.
– Tu crois qu'on pourrait échanger un round ou deux ? Dit-elle.
Là au moins, elles seraient à l'abri des oreilles indiscrètes.
Chiyo secoua la tête.
– Pas aujourd'hui, kōhai, répondit-elle. Mais si tu tiens à te faire taper dessus, je peux demander à Benkei.
Hayate ramena les yeux sur le punching-ball.
– Non, c'est bon...
Chiyo la regarda en silence une seconde.
– Dois-je comprendre que tu aimerais que nous ayons une discussion entre filles ? Dit-elle.
À côté d'elle, Hayate détourna la tête, gênée
– C'est... possible... Marmonna-t-elle.
C'était sans doute le mieux à faire. Tout valait mieux que de rester ainsi à ruminer dans son coin.
Chiyo se redressa.
– Va te changer, dit-elle. On va manger un morceau, c'est moi qui invite.
– Vraiment ? S'étonna Hayate.
– Pour une fois que tu viens me demander mon aide, je ne vais pas refuser.
Toutes les deux se retrouvèrent devant la porte du club.
– Ça ne pose pas de problème à Benkei ? Demanda Hayate.
– Je lui ai promis qu'avec Waka on se débrouillerait pour lui laisser un week-end de libre. Il veut emmener sa copine dans un onsen.
– C'est une bonne idée ça, un onsen, elle a de la chance. Wakasa n'est pas là ?
Chiyo secoua la tête.
– Il est parti voir Shin, lui apprit-elle. Cet abruti lui a laissé une vingtaine de messages au beau milieu de la nuit sans lui donner d'explication. Ils ont prévu de déjeuner ensemble...
Elle jeta un regard du côté de Hayate et ajouta :
– C'est aussi pour ça que je savais que quelque chose n'allait pas.
Finalement, elle la prit par le bras et l'entraîna en avant.
– Allez ! Allons manger ! Tu m'expliqueras ce qu'a fait cet imbécile !
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