70 - Kisa

          Quinze jours plus tard, Shin et Hayate organisèrent une nouvelle soirée télé pour regarder ensemble le film choisi par Shin.

– Tu verras, lui répétait-il en boucle dans la voiture en route pour Koga. Ce film est incroyable ! Moi ça fait quatre fois que je le vois, mais je ne m'en lasse pas ! Je suis sûr que tu vas l'adorer !

Il n'avait pas voulu dire à Hayate de quel film il s'agissait pour lui laisser la surprise.

– Donne-moi au moins un indice ! Protesta Haya au volant. Sinon comment est-ce que je peux me faire une idée ?

– Hmm, c'est vrai... Attends que je réfléchisse... C'est une histoire de gangsters, il y a des combats, mais aussi des sentiments, des liens fraternels et du sens de l'honneur.

Hayate réfléchit.

Peut-être « Aniki, mon frère »...

Le film était sorti quelques années plus tôt et il avait eu un immense succès. D'après ses souvenirs, Takeshi Kitano était à l'affiche, comme dans beaucoup de films de yakuzas, mais elle ne se souvenait pas des autres acteurs.

Ou alors, réfléchit-elle encore, il a pris un film encore plus ancien...

Shin lui semblait tout à fait être le style de garçons à aimer les vieux longs-métrages en noir et blanc.

– Tu ne me donnes pas assez d'informations ! Se plaignit-elle. Il est sorti quand ?

– Ça suffit ! Je t'en ai dit assez ! Sinon ce n'est plus une surprise !

– Shin allez ! C'est pas juste !

Il n'y eut rien à faire, il refusa de céder.

Arrivée à Koga, Hayate prit la direction de la zone industrielle.

– Ça ne te dérange pas si je passe au travail ? Dit-elle. Je voudrais déposer ces papiers à mon oncle, si j'attends lundi je vais oublier.

– Pas de problème, dit-il. Tu veux que j'aille faire les courses en attendant ?

Il est vraiment trop mignon, se dit-elle.

– Non, pas la peine. Ça ne prendra qu'un instant. D'ailleurs tu n'as qu'à venir avec moi. Mon oncle t'aime bien, je suis sûre qu'il sera content de te voir.

– Ah oui ?

Hayate n'avait pas oublié que c'était Bunta qui lui avait ouvert les yeux après l'incident de Noël.

S'il n'avait pas été là, je serais sûrement encore en train de remâcher ma hargne dans mon coin en traitant Shin de tous les noms. Sans lui, je serais passée à côté d'une des plus belles histoires.

Elle tendit la main et saisit la sienne pour la serrer une seconde.

– Oui, dit-elle.





Le parking de la Koga Express était presque vide quand ils y arrivèrent, seuls deux camions et une voiture y étaient stationnés.

Hayate se gara non loin du portail.

– Viens, dit-elle en sortant. Ça ira vite !

Tous les deux se dirigèrent vers l'entrée, main dans la main. Mais parvenue à quelques mètres de la porte, Hayate ralentit et s'immobilisa.

– Merde... Murmura-t-elle.

Shin tourna la tête vers elle, mais avant qu'il lui ait demandé ce qui n'allait pas, Haya souffla du coin des lèvres :

– Shin... Je suis désolée pour tout ce qui va se dire...

Elle avait les yeux rivés sur le bureau de l'accueil que l'on apercevait à travers la vitrine. Elle n'eut pas le temps d'ajouter un mot. Une femme sortit du bâtiment et vint vers eux.

– Hayate ! Je te cherchais justement ! Dit-elle.

Elle devait avoir quarante ou peut-être cinquante ans, vit Shin. D'une taille légèrement plus modeste que Haya, elle avait un visage qui aurait pu être agréable, sans l'expression revêche qui semblait avoir figé ses traits depuis longtemps.

Son apparence, toutefois, lui était familière et Shin comprit tout de suite qui il avait en face de lui. C'était la mère de Hayate.

Kisa Koji s'arrêta à deux pas d'eux et remarqua leurs mains jointes.

– Qu'est-ce que c'est que ça ? Dit-elle d'une voix grinçante.

Shin sentit les doigts de Hayate serrer les siens. Il lui répondit en pressant sa main à son tour.

– Maman, dit-elle. Ça tombe bien que tu sois là, je voulais te présenter Shin. Shin, ma mère.

Kisa le dévisagea avec l'expression qu'elle aurait eu pour un déchet.

– Et donc ? Reprit-elle. Qui est-ce ?

– Shin est mon petit ami, répondit Hayate.

Shin se surprit à admirer son courage. Connaissant l'histoire de sa mère et l'éducation qu'elle avait reçue, Hayate n'avait pas eu peur de se montrer honnête. Il n'était pas sûr qu'il aurait pu en faire autant à sa place.

En tout cas pas sans me faire dessus, ajouta-t-il pour lui-même.

Il se redressa et avança d'un pas. Si Haya pouvait faire face à sa mère, il en ferait autant.

– Bonjour, dit-il, je sui...

– Qu'est-ce que c'est que cette histoire ? L'interrompit Kisa, sans même le regarder. Un petit ami ? C'est nouveau ça ?

Hayate souffla. Elle s'était plus ou moins attendue à cette réaction.

– Nous sommes ensemble depuis deux mois, répondit-elle. J'allais t'en parler.

Le plus tard possible, précisa-t-elle en silence.

– Hayate, reprit sa mère, est-ce que tu as oublié ce que je t'ai toujours dit ?

– Non maman, soupira Haya. Mais Shin n'est pas comme les aut...

– Ils disent tous ça ! S'exclama sa mère. Ils disent tous ça au début ! Et puis ensuite ils te poignardent dans le dos !

– Maman... Tenta de l'arrêter Haya.

– C'est ce que tu veux ? Continua sa mère sans l'écouter. Finir comme moi ? Seule avec un enfant ?

Une fois sa mère lancée, il était difficile de l'arrêter.

Loupé... Songea Hayate.

– Maman, est-ce qu'on pourrait avoir cette conversation un autre jour ? Dit-elle.

– Et voilà ! Déclara sa mère. Il a déjà commencé à retourner ma fille contre moi !

– Mais qu'est-ce que tu racontes...? Dit Hayate.

– C'est son œuvre, hein ? Poursuivit Kisa. Avant de le rencontrer, tu ne te serais jamais permise de faire passer un garçon avant ta mère !

– Maman, dit Hayate, je t'ai dit que Shin n'était pas comme ça, tu pourrais au moins accorder un peu de crédit à ma parole. En plus, je ne suis pas toi. Ma vie c'est ma vie, ta vie c'est ta vie.

Elle avait instinctivement repris les paroles de Bunta, elles lui semblaient limpides à présent. Mais Kisa n'entendait rien, elle était aveuglée par la colère.

– Tu es trop jeune pour comprendre le mal que les hommes peuvent faire ! Lui hurla-t-elle. Moi je sais de quoi ils sont capables ! Si je te dis ça, c'est pour ton bien ! Quand il aura détruit ta vie, il sera trop tard !

– Au moins, moi, à ce moment-là, lui répondit Hayate, je ne rejetterai pas la faute sur les autres !

Elle regretta aussitôt ses paroles. Si sa mère était comme ça aujourd'hui, ce n'était pas elle la responsable. Hayate le savait. Kisa avait joué de malchance. 

Mais ce qui lui donnait le plus la nausée, c'était qu'elle avait parlé de Shin comme s'il était inévitable qu'il lui fasse du mal.

Pourquoi j'ai dit ça ?

Shin cependant, était à mille lieues d'avoir entendu. Debout entre les deux femmes, il ne savait plus où donner de la tête. Que devait-il faire ? S'il prenait la défense de Hayate, sa mère allait lui sauter à la gorge, mais s'il ne faisait rien, il se ferait l'effet d'être un lâche.

Il ramena la main de Hayate à lui pour tenter d'attirer son attention.

– Haya écoute... Commença-t-il.

– Haya ? S'écria sa mère. Il t'appelle Haya ?

Ce fut la goutte d'eau qui fit déborder le vase.





Bunta sortit son bureau en tapotant la poche de sa veste pour être sûr que son paquet de cigarettes s'y trouvait bien.

– Je sors, dit-il en passant à sa secrétaire. Je vais manger dehors avec ma sœur. Je te laisse fermer la boutique ?

Sako opina en riant.

– Comme d'habitude, quoi, dit-elle.

Il lui retourna un rire rauque.

– Fais-moi passer pour un tyran ! Lui répliqua-t-il.

Parvenu au niveau du comptoir de l'accueil, il jeta un œil dehors, haussa un sourcils et souffla.

Sur le parking, Hayate et sa mère étaient en train de s'écharper. Coincé entre les deux, Shin ne savait plus où donner de la tête.

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