41 - Éclosion

          Emma referma la porte de la maison et elle s'enveloppa dans ses bras pour se protéger de la fraîcheur matinale en ce premier jour de novembre.

À l'intérieur, tout était sens dessus dessous. Elle mettrait plusieurs jours à tout ranger, elle le savait.

– En plus, inutile de compter sur l'aide de ces bons à rien, murmura-t-elle.

Elle disait cela, mais il y avait cependant de l'affection dans sa voix. Elle connaissait ces garçons depuis qu'elle était petite et, bien qu'elle soit la plus jeune, elle avait pour eux les attentions d'une grande sœur.

En arrivant dans le salon, elle vit que la porte-fenêtre était entrouverte et qu'une personne manquait à l'appel.





Elle sortit sur la terrasse qui courait à l'arrière de la maison après être allée chercher une veste et découvrit le plus âgé de ses frères, Shin'ichirō, appuyé contre l'un des montants, les yeux dans le vide et une cigarette pendant entre ses doigts.

– Et bien alors, lui dit-elle en le rejoignant, tu ne dors pas ?

– Emma ? Dit-il. Toi non plus. Tu n'es pas fatiguée ?

– Je suis devenue une force de la nature depuis que je vis avec vous ! Répondit-elle en lui montrant ses biceps.

Il rit, mais son rire s'éteignit rapidement et il se replongea dans la contemplation du jardin jauni par l'approche de l'hiver.

Emma se rapprocha et souffla :

– Dis-moi ce qu'il y a ?

Shin secoua la tête.

– Rien... Ne t'en fais pas.

Emma examina un instant son profil.

– Tu es amoureux, c'est ça ? Dit-elle enfin.

Shin'ichirō tressaillit, mais il ne répondit pas et le silence reprit ses droits entre eux.

– Tu vas lui dire ? Reprit Emma un instant plus tard.

Shin secoua la tête.

– Non, dit-il.

– Pourquoi ?

– Je ne suis pas ce genre de gars.

– Quel genre de gars ? Lui demanda Emma, intriguée.

– Le genre qui se rapproche d'une fille pour obtenir ses faveurs.

– C'est ce que tu as fait ? Dit-elle. Te rapprocher d'elle pour obtenir quelque chose ?

Shin se contenta de porter sa cigarette à ses lèvres et il inspira longuement.

– C'est une chouette fille tu sais, dit-il tout bas. Un peu abrupte, mais gentille, drôle, forte, entière... Une véritable amie...

– Et ce n'est plus le cas ? Murmura Emma.

Shin se redressa. Il écrasa sa cigarette dans le petit cendrier qu'il gardait dans sa poche et se retourna.

– Il fait froid, dit-il. On devrait rentrer.

Emma ne bougea pas.

– C'est la première fois que je te vois hésiter, dit-elle. Je veux dire à avouer tes sentiments à une fille.

Shin'ichirō s'immobilisa au niveau de la porte.

Emma avait raison. Il n'avait jamais redouté avant aujourd'hui d'aller trouver une fille qui lui plaisait pour lui dire ce qu'il ressentait avec cette maladresse qui le caractérisait.

Mais cette fois, c'était différent.

Cette fois, Shin sentait une espèce de froid lui glacer la poitrine à l'idée de voir Hayate sortir de sa vie.

Je ne veux pas la perdre... Comprit-il.

Ces dernières semaines, il avait été vraiment heureux. Chaque fois qu'ils étaient ensemble, il avait l'impression qu'une vague chaude se déployait en lui. Tous les deux, ils étaient sur la même longueur d'onde. Ils aimaient les mêmes choses, ils riaient aux mêmes blagues comme deux idiots. Plus d'une fois, l'un avait même fini la phrase que l'autre avait commencé sans s'en apercevoir.

Ce sentiment, c'était comme une sorte de chaleur diffuse qui s'infiltrait dans chacune de ses cellules et réveillait une part de lui qu'il ne savait même pas exister. Shin ne voulait pas que cela se termine.

Mais pour cela, il devait se taire.

Parce que je sais exactement comment elle va réagir si je lui dis que je l'aime.

Elle se sentirait trahie.

Et elle aura raison. Après tout, c'est moi qui lui ai dit que je voulais que nous soyons simplement amis...

La question qu'il se posait était : est-ce qu'il était allé vers elle parce que ces sentiments étaient déjà là, à l'état embryonnaire, quelque part en lui ?

Cette idée lui déplaisait. Elle laissait entendre qu'il était comme les autres. Un type malsain et calculateur. Tout ce qu'il détestait.

Non, je ne veux pas être comme ceux-là. Peu importe le prix...

– Grand frère ? Le rappela la voix d'Emma dans son dos avant qu'il ait franchi la porte.

Shin se tourna à demi et Emma ajouta :

– Il n'y a aucun mal à être amoureux, tu sais. L'amour, c'est naturel.





Le froid s'était installé brusquement sur la capitale à l'approche du mois de décembre et Hayate resserra son blouson contre elle, debout sur le parking qui bordait le circuit.

– Pourquoi je suis là, moi ? Maugréa-t-elle.

Plus loin, s'étendait la piste d'entraînement du Fuji Speedway, ce circuit emblématique construit au pied du mont Fuji et qui avait été remis à neuf quelques années plus tôt.

Shin remonta jusqu'à son niveau après avoir verrouillé les portières.

– Parce que c'est grâce à toi que tout cela a été possible ! Lui dit-il, radieux.

Puis il s'éloigna pour rejoindre son jeune frère qui partait déjà en direction de l'entrée avec son ami.

Wakasa et Benkei, qui arrivaient derrière elle, rigolèrent.

– Ne fais pas cette tête, lui dit Waka, on va bien se marrer, tu vas voir !

Puis ils emboîtèrent le pas à Shin, Mikey et Draken.

Hayate souffla et les suivit.

C'était Shin qui avait proposé qu'ils aillent ensemble soutenir Mikey lors de ses premiers essais sur circuit qui devaient avoir lieu ce week-end.

– Moi, ronchonna-t-elle, j'aurais préféré profiter de mon jour de congé pour me la couler douce et pas venir me geler les fesses ici.

Elle jeta un œil en frissonnant à la haute silhouette du Mont Fuji qui dressait ses pentes neigeuses à quelques kilomètres de là et se remit en marche en soupirant.

Un homme à lunettes les attendait devant la porte de l'accueil et Hayate pressa le pas pour rejoindre leur groupe.

– ... Nous disposons de la piste pendant une heure trente, leur expliquait-il. Cela devrait suffire pour me permettre d'évaluer votre niveau. S'il est satisfaisant, je pourrais éventuellement vous proposer un contrat avec la marque afin de promouvoir nos machines sur quelques courses secondaires.

Mikey ne tenait pas en place, vit Hayate. Il sautillait littéralement d'un pied sur l'autre, brûlant de montrer de quoi il était capable.

– Ok ! Dit-il.

– Très bien, reprit l'homme en sortant un bloc-notes. J'ai quelques questions avant de commencer... Quelle expérience avez-vous des 500CC ?

(NDA : CC, centimètres cubes, qualifie la cylindrée d'une moto, sa puissance.)

– Aucune ! Répondit Mikey à toute vitesse comme s'il s'agissait d'un quiz où il fallait répondre le plus vite possible.

Shin s'étouffa derrière lui et Draken se passa une main sur le visage. L'homme à lunettes, lui, leva les yeux comme pour s'assurer qu'il ne s'agissait pas d'une blague.

– Aucune ? Vous n'avez jamais piloté de 500CC ?

Mikey secoua la tête, ravi.

– Jamais ! Dit-il. C'est la première fois ! J'ai vraiment hâte !

Wakasa se rapprocha de l'épaule de Hayate qui ouvrait des yeux abasourdis comme les autres.

– Tu vois, lui souffla-t-il, je t'avais dit qu'on allait bien se marrer !

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