III

En 1952, Kim Namjoon avait sorti son best-seller « le garçon aux chaussettes trouées ». Un roman dont le titre avait fait grandement rire les lecteurs et la critique, avant de les faire pleurer à la dernière page. L'histoire racontait la vie d'un petit garçon pauvre venu d'une petite province de la Corée du Sud dont les vicissitudes de la vie ne l'épargnaient pas. L'on suivait son histoire de ses dix ans jusqu'à son dernier souffle, se battant contre la dure réalité de la vie, toujours doté de ses chaussettes trouées. Le roman abordait des thèmes fâcheux comme les problèmes de la société actuelle et ce livre avait donc été lourdement critiqué par certains journaux. Mais dans l'ensemble, tous admiraient le courage qu'avait eu Kim Namjoon d'aborder des sujets délicats comme : le problème de la pauvreté, la corruption au sein du gouvernement, la pornographie et bien d'autres encore.

Les journalistes avaient été réellement charmés lorsqu'ils l'avaient interviewé. Kim Namjoon avait une certaine prestance avec ses costumes toujours accessoirisés d'un petit nœud-papillon d'une couleur vive, ses cheveux noirs dont aucune mèche ne semblait s'éparpiller, comme si chaque cheveu avait une place bien précise et ses lunettes rondes en écailles. Kim Namjoon avait le profil parfait de ce que l'on qualifiait du « premier de la classe ». Il avait ce petit sourire qui faisait ressortir ses fossettes et ce rire discret, presque réservé. Il avait cette habitude d'épousseter son pantalon d'un geste habile de la main avant de répondre à chaque question.

Les journalistes lui avaient demandé s'il s'identifiait au héros de son histoire et Kim Namjoon avait répondu que oui. Oui, les problèmes de la société le touchaient énormément et cela l'attristait. Ainsi, les articles le qualifiant comme le petit robin des bois avaient été nombreux. Certains le décrivaient comme un fou, un naïf qui finirait par s'attirer des problèmes à force de croire dur comme fer à un monde utopique qui ne verrait jamais le jour.

Et ils s'étaient tous lourdement trompés, étant bien loin de la vérité.

Kim Namjoon profitait de ce monde corrompu et, à l'abri des regards, celui que l'on qualifiait comme le premier de la classe n'était plus.

Adieu les cheveux bien plaqués, les nœud-papillons, ainsi que le petit rire réservé. Seul le sourire restait, mais il n'était pas de ceux que l'on montrait au public. C'était un sourire à glacer le sang.

Kim Namjoon était celui qui s'était créé le personnage le plus à l'opposé de celui qu'il était réellement parmi les membres de la Quinte Flush. Taehyung s'amusait à lui dire qu'il pourrait aisément devenir acteur et Namjoon le remballait, lui disant qu'il était hors de question qu'il devienne un pantin qui vivait sa vie par procuration en interprétant des personnages fictifs. Taehyung n'avait pas été vexé pour un sou, contrairement à Hoseok qui n'avait pas du tout apprécié la manière dont l'écrivain qualifiait leur profession.

Et en ce moment même, une claque retentit dans l'immense salon de l'écrivain. Suivie par une deuxième, une troisième et bien d'autres encore. La pauvre femme, la lèvre fendue et la joue rougie, tomba au sol comme une poupée de chiffon sans qu'un seul bruit ne sorte de sa bouche. Hoseok regardait la scène, l'air blasé.

Namjoon la laissa sur le sol et se retourna face à l'acteur tout en remettant ses cheveux en arrière et en soufflant longuement. Il reboutonna sa chemise et retroussa ses manches, avant de lancer un regard curieux à Hoseok.

– De quoi voulais-tu me parler ?

Le susnommé sortit ses mains de ses poches et enjamba avec indifférence la jeune fille, dont le corps nu était étalé sur le tapis, pour aller s'asseoir sur le long canapé en cuir noir. Il sortit son étui à cigarettes, avant d'en allumer une, laissant sa tête retomber contre le dossier moelleux. Il tourna son bâton toxique entre son index et son pouce pensivement.

– Yoongi.

Namjoon jura et claqua ses doigts. Deux filles, nues également, apparurent et traînèrent la jeune fille inconsciente en dehors de la pièce, laissant alors aux deux hommes toute l'intimité dont ils avaient besoin. L'écrivain le rejoignit, se posant sur le canapé en face. Il se pencha sous la table-basse qui les séparait et en sortit sa boîte à cigares.

Si Kim Namjoon avait bien deux choses qu'il aimait particulièrement, c'était l'emprise qu'il avait sur ses esclaves et les cigares El Rey Del Mundo. Namjoon n'aimait que cette marque-là de cigares. Ils étaient luxueux et avaient des arômes agréables. Hoseok en détestait l'odeur, mais il se retenait de faire une remarque. Namjoon était plus contrôlable que Taehyung, mais une remarque sur ses cigares touchait sa susceptibilité et il partait alors au quart de tour. Hoseok n'avait pas envie de débattre sur l'odeur infecte qui flottait dans la pièce à chaque fois qu'il en allumait un. Il y avait plus important. Il le laissa donc brûler le bout de son El Rey Del Mundo, tout en lâchant un immense soupir.

– Qu'est-ce qu'il y a à propos de Yoongi ?

Les volutes de fumée qui s'échappaient de sa bouche à chaque parole étaient si denses qu'Hoseok avait du mal à discerner son visage. Il se pencha et écrasa habilement sa cigarette dans le cendrier disposé sur la table-basse, avant de se relever et de se diriger naturellement vers le bar de l'écrivain. Sous le regard de Namjoon, Hoseok ouvrit un placard et en sortit une bouteille de rhum qu'il versa dans un petit verre en cristal. Il accompagna sa boisson de quelques glaçons et se rassit à sa place, son palais savourant le liquide ambré qui brûlait sa gorge de la plus délectable des façons.

– Il a réagi de manière étrange la dernière fois...

Namjoon s'étouffa avec la fumée de son cigare en même temps qu'il laissa un éclat de rire envahir la pièce. Hoseok se contenta de le fixer, les sourcils froncés.

– Tu parles du moment où t'as tué ce gosse ?

L'écrivain croisa ses jambes, un petit sourire dansant sur ses lèvres. Il posa son bras droit sur le dossier du canapé et amena une énième fois son cigare à ses lèvres. L'acteur acquiesça et Namjoon secoua alors la tête.

– Yoongi n'est pas comme nous, il ne l'a jamais été, commença-t-il. Je ne comprendrais jamais cet entêtement que tu as eu à l'intégrer dans le groupe malgré tout.

Hoseok semblait perdu dans ses pensées, regardant distraitement les glaçons dans son verre se cogner entre eux. Namjoon le remarqua et ricana alors.

– Ou peut-être est-ce l'amour ?

Hoseok était imprévisible, dangereux. Mais Namjoon le connaissait suffisamment pour ne plus être surpris par ses réactions. Ainsi, c'est à peine s'il sourcilla lorsqu'Hoseok se leva brusquement et jeta son verre à travers la pièce, l'envoyant s'écraser contre un mur. Namjoon se contenta seulement de tirer une nouvelle fois sur son cigare comme s'il en avait l'habitude. Et dans un sens, ce n'était pas faux. 

– La ferme ! hurla l'acteur.

Namjoon expira lentement la fumée et tourna le regard vers les morceaux de verres qui pleuraient sur le sol. Il grimaça en remarquant la tâche que le liquide ambré avait laissé sur son mur et concentra son attention sur Hoseok. Il se pencha et reposa son cigare dans le cendrier, avant de poser ses coudes sur ses genoux, détaillant son comparse.

– Tu as tué un putain de gosse, Hoseok. Tu n'imagines même pas la panique dans la voix de Seokjin lorsqu'il m'a appelé après être passé derrière toi. Alors comment crois-tu que Yoongi a réagi ? Mal. Très mal, répondit-il avant que l'acteur n'ait pu dire quoi que ce soit. Et maintenant, tu sais ce que tu redoutes ?

Hoseok lui lança un regard en biais, la respiration saccadée, tout en enfonçant ses ongles dans les paumes de ses mains. 

– La trahison.

Namjoon hocha la tête pour lui-même et s'avachit sur son canapé. Oui, la trahison. Yoongi avait toujours été le chouchou d'Hoseok, pourtant, c'était une erreur que de penser qu'il encaisserait complètement leur mode de vie. Hoseok n'aurait jamais dû s'appuyer sur le musicien. S'il avait bien un égal dans ce groupe, une personne sur qui il aurait pu se reposer, c'était Taehyung. Mais Hoseok était tellement aveuglé par la jalousie qu'il lui avait été impensable de voir que Taehyung et lui partageaient pourtant bien plus de similitudes qu'il ne voulait le croire. Et parce que Yoongi était désespérément amoureux d'Hoseok, tous les actes qu'il commettait avaient bien plus d'impact aux yeux du musicien que le reste des membres.

– Tes proches sont ceux possédant les meilleurs moyens de te faire tomber. Yoongi est le plus à même de te trahir justement parce qu'il t'aime. De ce fait, la monstruosité qui te possède le touche bien plus que nous autres.

Hoseok ne pouvait pas le croire. Il ne voulait pas le croire. Mais il devait se rendre à l'évidence, Namjoon avait raison. Ce qu'il avait vu dans le regard de Yoongi, ce soir-là, avait été un avertissement.

L'écrivain sourit, il trouvait tout cela amusant. C'était un immense jeu qui se profilait devant lui. La partie avait commencé au moment-même où Taehyung avait approché Jimin, ce soir-là, au Seven's. Et même si deux joueurs avaient été éliminés, c'était loin d'être terminé.

– Le Joker n'est plus et le Valet s'éclipse.

La question était de savoir qui serait le gagnant.

– Et toi, l'As, que vas-tu faire maintenant ?

La demeure de Jungkook était vide, sombre. Lorsque Yoongi et Dong-sun dépassèrent le pas de la porte, il leur était impossible de ne pas sentir cette odeur de renfermé ou de remarquer les bouteilles d'alcools qui étaient éparpillées un peu partout sur la table basse du salon. Et même si Jungkook s'était empressé de les ramasser, rien n'y changeait. Yoongi était entré timidement dans cet espace. Il avait l'impression de ne pas avoir le droit d'accéder à ce lieu. Après tout ce qu'il s'était passé, Jungkook avait proposé aux deux hommes de passer la nuit chez lui pour prendre des forces avant qu'ils ne se rendent à Ilgok-dong, dès demain matin.

Ils avaient alors quitté la maison de Seokjin au moment où Hyuk avait pris leur relève. Dong-sun lui avait confié son arme comme moyen de défense et la tête qu'avait eue le journaliste lorsqu'il avait entendu toute l'histoire avait été comique, mais pourtant, personne n'avait ri. Il avait regardé le mannequin, l'air complètement terrorisé. Mais Seokjin s'était avoué vaincu et Yoongi avait certifié à Hyuk que, s'il choisissait des victimes pour Hoseok et qu'il s'occupait de nettoyer derrière lui, il était  bien incapable d'ôter la vie. Ce n'était pas son rôle dans la Quinte Flush.

Alors, exténué, Dong-sun tomba lourdement dans le canapé de l'acteur tout en grommelant des paroles inaudibles, avant de prendre une couverture de fortune et de sombrer dans les bras de Morphée. À peine avait-il fermé les yeux que Jungkook et Yoongi entendirent ses ronflements. Le musicien le jalousa un peu de réussir à s'endormir assez vite, malgré toute la situation.

Et, en se rendant compte qu'il se retrouvait seul avec Jungkook, le malaise s'empara de lui. Mais celui-ci ne sembla pas s'en formaliser et le dépassa avant de monter les escaliers. Yoongi le suivit du regard, n'osant pas faire un pas, perdu. L'acteur le remarqua, s'arrêta dans sa lancée et se retourna vers Yoongi, les sourcils froncés.

– Tu montes ?

Le musicien acquiesça et suivit alors rapidement Jungkook jusqu'à l'étage. Le couloir était sombre et les portes ouvertes des différentes pièces ne laissaient filtrer que très peu de lumière, mais c'était suffisant pour Yoongi qui arrivait très bien a discerné le dos robuste de l'acteur juste devant lui.

La lumière de la lune épousait les contours de son corps et s'alliait parfaitement à la blancheur de sa chemise. Yoongi observa ses longs cheveux ondulés et avait l'irrépressible envie de glisser ses doigts dans ses mèches couleur encres pour savoir si elles étaient aussi douces qu'elles semblaient l'être. Mais il ne put continuer son introspection plus longtemps que Jungkook entra dans une chambre. Dans cette pièce, la vie semblait l'habiter plus que dans les autres. L'acteur alluma la lumière et Yoongi comprit très vite qu'il se trouvait dans la chambre de l'acteur. Il jeta un regard circulaire autour de lui et remarqua le cadre qui était rabattu, face contre bois. Curieux, il se demanda ce qui pouvait bien être représenté dessus. Il vit aussi un petit tableau et s'en approcha doucement.

Une fois face à l'œuvre, Yoongi détailla longuement ce tableau. Et il ne savait pas pourquoi il le touchait autant. C'était une jolie voiture qui était représentée dessus et Yoongi la connaissait très bien. C'était une Jaguar XK 120 roadster. Les traits du dessin n'étaient pas des plus fins, c'était un travail d'amateur, mais l'ensemble restait joli et le musicien n'arrivait pas à décoller son regard. Il baissa légèrement les yeux sur le coin du tableau et lut attentivement les initiales écrites d'une main élégante.

« P.J.M. »

Yoongi les relut, encore et encore et, sans s'en rendre compte, commença à les murmurer.

– P.J.M...

– Park Jimin.

Jungkook se trouvait juste à côté de lui et regardait, lui aussi, le tableau. Mais à la différence du musicien, qui avait un regard curieux, le sien était empli de nostalgie. Lorsque Yoongi comprit, il ne put empêcher la vague de remords qui l'envahit. Il se tourna doucement face à Jungkook, la mine coupable.

– Il dessinait ?

C'était une question stupide, il avait la preuve sous les yeux, mais rien d'autre n'avait pu sortir de ses lèvres sur le moment. Jungkook hocha imperceptiblement la tête.

– Oui, il adorait ça même, sourit-il doucement. Il en avait honte d'ailleurs et je trouvais que c'était complètement stupide, alors je lui ai demandé de me faire un tableau en lui faisant la promesse que je l'accrocherai chez moi. Mais ce crétin avait décidé de peindre Jaggie, juste pour m'emmerder.

Jungkook semblait tellement léger lorsqu'il parlait de Jimin et ce sourire qu'il avait était simplement magnifique.

– Jaggie ? demanda-t-il.

Jungkook pouffa en secouant la tête.

– C'est comme ça qu'il avait nommé sa voiture. Il savait parfaitement que je détestais ce surnom ridicule, continua-t-il. D'après lui, Jaggie avait des émotions et était capable de ressentir la moindre chose. Je me souviens qu'une fois, je m'étais adossé contre sa voiture et il avait alors hurlé que je lui faisais mal.

Yoongi ricana, amusé par l'anecdote. Park Jimin était un sacré phénomène. Les deux hommes se regardèrent, leurs rires mourants peu à peu, laissant place à un lourd silence. Jungkook détailla longuement Yoongi et son sourire se fana lentement. Il détourna le regard pour le poser sur le tableau, la tristesse prenant à nouveau possession de ses prunelles.

– Mais il a arrêté de dessiner au moment où Jiji...

Ça lui faisait toujours aussi mal de mentionner ce surnom. Chaque fois que Jiji roulait sur sa langue et sortait d'entre ses lèvres, son cœur se compressait douloureusement.

–Je ne sais pas ce que Taehyung lui a dit, mais j'aurais aimé que Jimin ne le croit pas.

Yoongi se sentit responsable. Il avait été au courant de ce qu'il se passait entre Taehyung et Jimin, ce qu'il lui faisait subir, et n'avait pourtant rien fait. Et voir le visage aussi désespéré de Jungkook, à cet instant précis, ne fit que grossir ce poids invisible qui comprimait sa poitrine. Taehyung leur avait raconté la manière dont il brisait lentement mais sûrement Jimin et Yoongi l'avait alors écouté et avait considéré Jimin comme quelqu'un de naïf qui aurait dû mieux protéger son cœur. C'était osé de sa part de penser de cette façon lorsqu'il voyait sa relation avec Hoseok. Jimin et lui était parallèlement dans une situation similaire à la différence que le blond ne connaissait pas la Quinte Flush et n'avait donc pas du tout été préparé à ce qui lui arrivait.

Tout s'était passé si vite. Le printemps avait assistée à sa montée et l'été à sa chute. C'était aussi simple que cela.

Mais en voyant la manière dont Jungkook parlait de Jimin, il se rendit compte que le blond n'était pas qu'un jouet, qu'une marionnette, que des personnes l'aimaient. Taehyung leur avait arraché ça. Il avait même fait pire. Il avait tué son esprit et son âme, avant que son corps ne sombre. Yoongi ne savait pas s'il aurait pu arrêter le bouclé pendant qu'il était encore temps, mais il aurait dû essayer. Il aurait dû...

Jungkook fronça les sourcils en remarquant que Yoongi le regardait, une larme dévalant sa joue et le visage se tordant de douleur.

– Qu'est-ce que...

– Je suis désolé.

Et Yoongi explosa en larmes devant Jungkook. L'acteur le fixait, stupéfié, alors que son homologue pleurait comme un enfant le ferait lors d'une crise. Les larmes ne semblaient pas s'arrêter et Yoongi ne voulait même pas les cacher. Jungkook méritait de voir cette facette de lui, de connaître ses faiblesses. Il le méritait tellement. Alors il pleura pour Jimin, parce qu'il aurait mérité de vivre. Il sanglota pour Hoseok, parce qu'il s'en voulait de le trahir, mais qu'il ne pouvait tout simplement pas continuer à fermer les yeux sur ce qu'il était réellement. Il pleurait parce qu'un homme sain n'était pas censé supporter toute cette douleur dans son cœur.

Et Jungkook avait compris bien des choses à travers ses larmes. Et sans qu'il ne comprenne pourquoi, il enroula ses bras autour du corps tremblant du musicien et l'amena à lui. Min Yoongi était plus vieux que lui et pourtant, il lui caressait les cheveux comme un grand-frère le ferait. Et Jungkook pleura avec lui. Parce qu'il était touché et que, même s'il avait fallu attendre qu'un enfant ne meurt avant que Yoongi réagisse, il l'avait fait. Il était venu le voir, lui. Il avait deviné qu'Hoseok était pour Yoongi ce que Taehyung avait été pour Jimin à la manière dont le regard du musicien brillait à chaque fois qu'on mentionnait son nom.

Son cœur se serra un peu plus.

– Je sais, répondit-il simplement. Et je suis encore plus désolé que tu aimes Hoseok.

Yoongi se retira de ses bras et hoqueta de surprise, le regard légèrement paniqué. Jungkook avait deviné. Comment ? Était-ce si évident que cela ? Il avait honte et n'osait plus regarder l'acteur dans les yeux. Hoseok lui répétait inlassablement que c'était contre-nature.

– P-pardon.

Jungkook ne comprenait pas pourquoi le musicien s'excusait, l'air aussi honteux.

– Pourquoi tu t'excuses ?

Yoongi mordilla sa lèvre inférieure avant de légèrement baisser le regard. Il n'avait alors plus rien de la célébrité au calme olympien et à l'air blasé que son Persona représentait.

– D'aimer les hommes...

Jungkook ouvrit la bouche, surpris.

– Penses-tu que j'ai jugé Jimin pour ça ? Je ne lui en ai jamais voulu d'aimer les hommes, je lui en ai voulu d'aimer Taehyung.

Yoongi le regarda, les yeux brillants, derniers vestiges de ses larmes.

– Tu ne trouves pas ça contre-nature ?

Yoongi avait l'air d'un petit garçon à formuler cette question d'une voix si petite, presque timide. Elle était un peu rauque à cause de ses pleurs, mais Jungkook ne pouvait s'empêcher de le trouver à la fois attendrissant et touchant.  Il n'avait rien contre le fait qu'il aimait les hommes, il était juste désolé du fait que son cœur appartienne à un monstre tel que Jung Hoseok. Il haussa alors simplement les épaules.

– Pourquoi ? C'est normal de tomber amoureux, non ?

Jungkook avait dit ça avec indifférence, mais il se ne rendit pas compte de ce que cela avait provoqué à l'intérieur de Yoongi. Cette simple phrase l'avait soulagé à un point inimaginable. Jungkook se retourna alors et se dirigea vers son armoire pour en sortir deux pyjamas sous le regard de Yoongi, qui avait à présent un petit sourire sur les lèvres.

Un poids venait de s'enlever de sa poitrine et l'expression de son visage était désormais apaisée.

Oui, Yoongi n'était pas une abomination.

Hyuk regardait les placards face à lui tout en grattant sa barbe poivre et sel. Il savait que le mannequin ne tarderait pas à se lever d'un moment à l'autre et l'idée de lui faire un petit-déjeuner était sa mission du matin. Mais rien. Il n'y avait absolument rien dans les placards de Kim Seokjin. Une fortune astronomique et pourtant son frigo ressemblait à celui d'un ouvrier de chantier. Il laissa un soupir traverser la barrière de ses lèvres. Il ne lui suffisait que d'un café et d'une Lucky Strike pour commencer sa journée et après, il tapait directement sur sa machine à écrire. Toute la journée et même la nuit. D'ailleurs, ses doigts lui démangeaient. Si Seokjin était dépendant à la méthamphétamine, lui c'était sa machine à écrire. Mais allait-il réellement se plaindre d'un manque aussi futile lorsque l'on sait ce par quoi le mannequin allait passer au moment où sa drogue lui serait enlevée ?

– Qu'est-ce que vous faites ?

Hyuk se retourna. Seokjin était beau dans son pyjama en satin avec son visage endormi. Nul doute qu'avant de sombrer dans les bras de Morphée, le mannequin avait dû tartiner son visage de différentes crèmes au coût exorbitant. Il avait l'air frais, contrairement à Hyuk qui avait encore du mal à ouvrir totalement les yeux.

– Il n'y a rien pour se faire un petit-déjeuner ici, grommela Hyuk, la tête plongée dans le frigo.

– Je ne prends pas de petit-déjeuner.

Hyuk se redressa et le regarda en fronçant les sourcils.

– Tu ne prends vraiment rien ?

Seokjin le dépassa et sortit un verre d'un des placards, avant de le remplir d'eau. Cela fait, il se pencha contre le plan de travail, regardant Hyuk.

– Un verre d'eau.

Hyuk avisa le verre d'eau, avant de faire de même avec le corps mince du mannequin. Il laissa échapper un petit rire, avant de claquer la porte du frigo, un avocat dans ses mains.

– Conneries. Assieds-toi.

Seokjin haussa un sourcil, avant de reposer son verre maintenant vide, contre le bois. Il n'avait pas faim et commençait généralement sa journée avec un verre d'eau et un peu de méth. Mais ce matin, ce serait différent.

– Ce n'est pas bon pour...

Hyuk souffla longuement et lança un regard lourd de sens à la célébrité.

– Penses-tu que là où tu iras tu feras des shootings ?

Le visage de Seokjin s'assombrit et lentement, il s'assit sur une chaise autour de la table. Hyuk hocha la tête pour lui-même et sortit des toasts qu'il fit griller. Il cassa des œufs dans une poêle et alluma la petite radio dans son processus. Une artiste américaine vint s'ajouter à la mélodie que faisait la poêle qui crépitait doucement et Hyuk remua au rythme de la chanson, sous le regard amorphe de Seokjin. Une fois son petit-déjeuner préparé, Hyuk déposa le tout face au mannequin, qui dévisagea son assiette comme s'il avait un insecte face à lui. Il prit sa fourchette et piqua dans le jaune d'œuf, l'écrasant, le détruisant.

– T'as cinq ans ? demanda Hyuk en ricanant. Tu es censé le manger, pas faire joujou avec.

Hyuk croqua dans son toast tartiné à l'avocat, bougeant la tête et tapant du pied contre le sol en harmonie avec la musique. Sa bonne humeur irrita Seokjin qui repoussa brusquement son assiette.

– Ça ne vous dérange pas de détruire nos vies avec votre futur article ?

Hyuk ouvrit la bouche, le toast à quelques centimètres de ses lèvres et regarda le mannequin, les yeux grands comme des soucoupes. Il laissa lentement retomber son petit-déjeuner, qui s'écrasa dans son assiette, avant d'essuyer ses mains avec une serviette.

– C'est vous-même qui détruisez vos vies, dit-il platement.

– Vous allez vous servir de nous, renifla Seokjin. C'est pour ça que je ne vous aime pas vous, les journalistes. Vous êtes des rapaces.

Hyuk rigola, la comparaison était très juste.

– C'est vrai. Je vous remercie d'avance d'ailleurs. Grâce à cet article, je vais peut-être enfin avoir cette putain de promotion alors, il leva son verre de jus d'orange, le regard ancré dans celui de Seokjin, à la Quinte Flush !

Seokjin baissa la tête.

– Vous êtes des manipulateurs.

Hyuk n'en croyait pas ses yeux. Il frappa son poing contre la table, faisant sursauter Seokjin.

– Tu te fous de ma gueule ?

Il lâcha un rire nerveux.

– Tu as manipulé ces pauvres gens et toi, tu t'es fait manipuler par Hoseok.

Seokjin déglutit, c'était la vérité qu'il se prenait en pleine gueule. Elle était égale à une grosse bourrasque de vent qui venait gifler son visage.

– Et Hoseok se fait manipuler par ses vices, continua Hyuk. C'est sans fin.

La raison pour laquelle il n'avait pas une totale aversion envers le mannequin était qu'il le comprenait dans un sens. La vie était comme ça, après tout : cruelle. Pouvait-on vraiment en vouloir à Seokjin d'avoir essayé de survivre dans un monde pareil ? Avait-il seulement le choix d'agir autrement ?

– On se manipule tous les uns les autres pour arriver à nos fins. Les gros bonnets du divertissement te vendent une carrière de rêve sur une route pavée d'or, mais combien d'artistes ont mis fin à leurs jours au final ? Les entreprises pharmaceutiques crient, haut et fort, pouvoir guérir le cancer alors que le traitement ne te sauve pas, il te fait juste vivre plus longtemps dans une souffrance abominable. L'on prône les produits cosmétiques auprès des femmes comme un moyen pour faire disparaître leurs complexes et leurs imperfections, mais à la fin de la journée, elles enlèvent tout de même leur masque. C'est la même chose pour nous tous dans un sens. Je peux comprendre tes agissements, mais ne me demande pas de les cautionner.

Hyuk avait lui-même du sang sur les mains. Il se souvint de ce gamin terrorisé à qui Dong-sun et lui avaient promis une remise de peine s'il allait chercher des informations dans les profondeurs du Jiha Segye. Il s'était fait buter après avoir été torturé. La mafia exécrait les rats. Dong-sun et lui auront toujours cette culpabilité qui ne partirait jamais, comme une seconde peau.

– J'ai un cadavre dans mon placard, mais toi, tu as un cimetière. C'est ce qui nous différencie.

Seokjin prenait peu à peu conscience de la gravité de ses actes. Il réalisa aussi qu'il y avait de fortes chances pour qu'il passe une bonne partie du reste de sa vie derrière les barreaux. Et sa beauté ne serait alors plus, lorsqu'il ressortirait – à condition qu'il ressorte un jour. Est-ce que tout cela en avait vraiment valu la peine finalement ? Il pensait que Yoongi était le plus influençable d'entre eux, mais peut-être que c'était faux. Le musicien avait fait un mouvement sur l'échiquier et s'apprêtait à tous les emmener dans le fond, sans scrupule. Alors peut-être que c'était finalement lui, le plus faible de la Quinte Flush. Il n'arrivait même pas à en vouloir à Yoongi. Comment pourrait-il le détester d'être humain ?

Seokjin releva un visage larmoyant vers Hyuk, un sourire étrange courbant ses lèvres qui ne fit qu'enlaidir son expression.

– Est-ce que je suis beau ?

Les masques se fêlaient.

Hyuk le fixa quelques instants. Voilà ce que la dure réalité de la vie faisait aux hommes. Elle ternissait leurs âmes et leur insufflait les pires vices que l'on pouvait imaginer. Et c'était triste de se dire que c'est seulement au moment où tout s'écroulait qu'ils en prenaient conscience. Qui sait combien de temps Seokjin aurait pu continuer à donner des vies à Hoseok, si Yoongi ne s'était pas décidé à les arrêter. Hyuk poussa alors son assiette vers le mannequin.

– Mange, ça va être froid.

Dong-sun n'était ni doué lorsqu'il s'agissait de ses choix de cadeaux pour sa fille de seize ans, ni lorsqu'il était question de lire une carte. Les trois hommes avaient arrêté la voiture au bord de la route et Jungkook regardait pensivement le champ de blé face à lui en entendant d'une oreille distraite les injures de l'agent de police. Yoongi sortit à son tour de la vieille voiture de Dong-sun et se posta aux côtés du brun. À eux deux, ils admirèrent l'herbe frissonnante à cause de la légère brise et le soleil qui répercutait sa lumière dorée sur le blé.

– Est-ce que tout va bien ? demanda Yoongi à l'acteur.

Jungkook tourna légèrement sa tête vers lui et sourit faiblement.

Ils avaient tous deux cette impression d'avoir tissé un lien étroit, après la scène qui avait eu lieu dans la chambre de Jungkook. Celui-ci s'était promis de haïr chaque membre de la Quinte Flush lorsque son meilleur ami l'avait quitté, mais il n'en avait pas été capable. Au-delà du fait qu'il s'en voulait un peu pour ça, il devait avouer que Min Yoongi lui rappelait Jimin. Ce n'était pas seulement dû au fait qu'il entretenait lui aussi une relation dévastatrice qu'il ne semblait pas contrôler, mais plutôt par rapport au fait que Yoongi était quelqu'un de profondément bon qui avait juste fait les mauvais choix. Il le voyait clairement maintenant.

– Oui, tout va bien.

Yoongi hocha la tête et Dong-sun sortit à nouveau un juron avant de se redresser, la carte posée à plat sur le capot de sa voiture.

– C'est à moi que tu devrais poser cette question.

Jungkook ricana avant de prendre la carte des mains du cinquantenaire. Il la lut, les sourcils froncés, de la même manière qu'un prédateur regarde sa proie avant de lui sauter dessus. Ses yeux avaient perdu de leurs immensités et son regard paraissait alors plus aiguisé, plus vif. C'était une expression qui lui allait bien, la concentration. Ça le faisait paraître encore plus masculin qu'il ne l'était déjà et Yoongi dévisagea tout cela méticuleusement.

– On n'est pas sur la bonne route, conclut le brun avant de replier la carte. Il faut qu'on rebrousse chemin.

Jungkook ouvrit la portière de la voiture et s'assit naturellement sur le siège conducteur. Alors qu'il allait refermer la portière, Dong-sun l'arrêta.

– Qu'est-ce que tu fous ?

Jungkook fronça les sourcils.

– Je conduis ?

Dong-sun ricana nerveusement avant d'ouvrir plus franchement la portière sous le regard de Yoongi.

– Qui t'as autorisé ? continua-t-il. Penses-tu que parce que tu t'es levé plus tôt, le fait que tu te sois enfilé une bouteille d'alcool ce matin passe inaperçu ? Quel dommage, je dormais juste à côté.

Que penserait sa fille si elle voyait la manière dont il parlait à la célébrité dont elle était folle ? Sûrement mal. Mais s'il parlait aussi durement, c'était parce qu'au fond, ce gamin pourrait être son fils. Dong-sun ne supportait pas la manière dont il s'auto-détruisait.

Park Jimin est mort, mais Jeon Jungkook n'avait pas besoin de sombrer à son tour.

Jungkook le regarda, l'expression du visage dansant entre la colère et la honte.

Mais Dong-sun s'en foutait pas mal.

– Sors.

Jungkook serra brièvement le volant de ses mains avant de sortir en refermant la portière, lançant un regard assassin à Dong-sun.

– Je vous préviens que si l'on se perd à nouveau...

– J'ai dit que tu ne pouvais pas conduire, pas que tu ne pouvais pas être mon co-pilote. En route !

Et sur ces bonnes paroles, Dong-sun s'installa face au volant et claqua fortement la portière, laissant la poussière fumante de la route venir salir le pantalon de Jungkook. Celui-ci  ferma fortement les yeux et grommela des paroles inaudibles. Yoongi s'approcha de lui, un sourire amusé sur le visage et lui tapota l'épaule, avant de s'engouffrer à son tour à l'intérieur de la voiture.

Et ils ne se perdirent plus suite à ça.

Il faut savoir que Ilgok-dong est une petite ville de Gwangju dont le nombre d'habitants dépassait à peine les mille. C'était l'une des villes les plus pauvres du pays. Les laissés- pour- compte la peuplaient et la misère semblait sortir les enfants de leur monde utopique dès un âge avancé. C'est ce que remarqua Jungkook lorsque, tandis qu'ils avançaient tout doucement, il vit une petite fille, la suie barbouillant son beau visage et sa jupe dans un piteux état, qui le regardait, toute la mélancolie et la tristesse du monde se reflétant dans ses yeux. Sa poupée était aussi amochée qu'elle ne l'était et le jouet n'avait alors plus rien de joyeux. C'était ça Ilgok-dong. L'on disait des choses étranges sur cette ville. Le vol, les meurtres, les braquages, les viols et encore d'autres crimes en étaient l'hymne. Aucun des trois hommes ne savaient réellement quel lien Jung Hoseok pouvait avoir avec Ilgok-dong, mais ils étaient bien déterminés à le découvrir.

S'arrêtant au centre-ville, ils sortirent de la voiture et, avant de s'avancer dans les rues, Jungkook déposa sa montre en or à l'intérieur de l'automobile, cachée. Il ne faisait aucun doute que si quelqu'un le voyait avec cet accessoire luxueux, on lui sauterait à la gorge. Et il préférait éviter de se faire tuer pour une raison aussi conne.

À Ilgok-dong, on se foutait pas mal des célébrités et de tout le gratin de la capitale de manière générale, c'est pour ça que Jungkook et Yoongi passèrent plutôt inaperçus. Alors qu'ils avançaient dans une rue animée, Yoongi se fit bousculer par un homme et il trébucha sur l'acteur, qui le réceptionna avec agilité.

– Ça va ?

Le musicien hocha la tête et regarda l'homme qui l'avait poussé. Jungkook en fit de même et remarqua les coqs agités que l'inconnu transportait avec lui dans une cage. Les combats de coqs, bien que illégaux, n'étaient pas rares dans une ville comme celle-là. Jungkook savait que certains participants nourrissaient leurs coqs avec leurs anciens camarades tombés au combat. Cela expliquait pourquoi ils étaient aussi énervés. Certains disaient que c'était pour les endurcir, histoire qu'ils soient plus performants. Mais Jungkook trouvait ça à la fois horrible et complètement stupide.

Les deux hommes se rendirent soudainement compte qu'ils avaient perdu la trace de Dong-sun. Ils tournèrent la tête de gauche à droite, sans voir cette démarche guindée qui correspondait si bien à l'agent de police.

Alors que Yoongi passait devant un bar, Jungkook le stoppa en le retenant par la manche de sa chemise. Ils observèrent, depuis la façade vitrée, Dong-sun qui semblait être en plein milieu d'une conversation animée. Ils entrèrent à leurs tours et firent abstraction de l'odeur âcre qui planait dans la buvette. C'était un mélange de sueur, de cigarettes bon marché, de drogues et même de foutre. Si la misère devait avoir une odeur, ce serait celle-là. Les deux célébrités s'approchèrent de Dong-sun. Celui-ci était face à une petite table en bois où étaient assis deux vieux hommes que le temps n'avait pas épargnés, laissant des crevasses sur leurs peaux. Dong-sun était allé les voir en sachant que, dans ce genre de villes, les anciens savaient tout.

L'un des vieux hommes dévisagea Jungkook lorsque l'acteur arriva et il sembla que ses petits yeux enfoncés s'écarquillèrent à la vue du brun.

– Crénom de Dieu ! Toi t'es quelqu'un mon gars ! Regarde-moi ses muscles, un peu, il donna un coup de coude à son acolyte qui hocha solennellement la tête à ses dires. Il s'rait parfait pour le travail de ferme, lui.

Il tourna la tête vers Yoongi et son entrain se dissipa légèrement.

– Tu sors d'où toi ? Pourquoi t'es pas comme le grand gaillard à tes côtés ? Que la peau sur les os à celui-là. Maman te donnait pas assez la tété quand t'étais petiot ?

Yoongi grimaça intérieurement. Il n'était plus habitué à ce genre de vocabulaire depuis qu'il était devenu un artiste accompli. Et pour Jungkook qui n'avait jamais fait partie de la classe modeste, il étouffa un léger rire.

– On a quelque chose à vous demander, les interrompit Dong-sun.

– Je t'écoute fiston !

Jungkook s'étrangla avec sa salive. Il ne pensait pas qu'il était possible que l'on puisse appeler Dong-sun de cette façon. Celui-ci se tourna d'ailleurs en direction de l'acteur, le regard agacé et légèrement vexé. Cette scène avait quelque chose de tristement comique.

Dong-sun fit un signe de tête vers Yoongi, lui signifiant implicitement que c'était à lui de continuer cette conversation. Il s'approcha donc légèrement à son tour et se racla la gorge.

– Connaissez-vous un certain Yoo-chun ? Seo Yoo-chun.

Yoongi ne savait pas qu'il avait un tel pouvoir pour changer une atmosphère avec autant de rapidité. L'air s'était chargé de lourdeur et d'intensité et il avait vu les deux vieillards se redresser imperceptiblement, comme s'ils pensaient avoir mal entendu. Les deux hommes, bientôt à quelques années de la tombe, avaient échangé un regard avant de dévisager Yoongi, comme si des cornes avaient soudainement poussé sur sa tête. L'un d'eux posa sa main fripée sur la table et pencha légèrement son corps en avant. Jungkook, en voyant cela, eut peur que l'homme perde l'équilibre et se cogne la tête la première contre le sol dégueulasse du bar. Si les enfants sont imprévisibles, il ne faut pas sous-estimer les vieux de ce côté-là non plus.

– Seo Yoo-chun, tu dis ?

Yoongi hocha la tête.

– Oui.

L'autre vieil homme fit un drôle de bruit, un mélange entre un jeune homme qui se préparait à cracher sur vos chaussures pour les cirées et un ivrogne qui s'apprêtait à vomir dans une ruelle avant de passer sa nuit entouré de vieux chiens galeux. Pour Jungkook, ce n'était pas du tout classe. Pour Yoongi, il savait qu'avec un certain âge et dans un milieu comme celui-ci, c'était la manière qu'avaient les anciens pour exprimer leur surprise.

– Vous avez à lui parler ? demanda-t-il.

Yoongi hocha à nouveau la tête et les deux vieillards se regardèrent avant d'exploser de rire, surprenant les trois compagnons. C'était des rires gras, vieux et qui allait finir par leur rendre l'âme s'ils continuaient ainsi. Heureusement, ils se stoppèrent bien avant.

– Vous avez quinze ans de retard, les jeunots, dit l'un d'entre eux avec un grand sourire. Il n'y a rien à discuter avec les morts.

Dong-sun se tourna vers le musicien, l'air de dire « c'est quoi ce bordel ? » et Yoongi ne put que répondre par un simple haussement d'épaules. Il n'en savait rien, lui non plus. Pourquoi Seokjin l'envoyait sur la piste d'un homme qui était mort il y a maintes années ? Mais son intuition lui disait qu'il fallait creuser un peu plus. Seokjin ne lui avait pas dit des paroles en l'air, pas dans ce moment désespéré.

–  Il est mort ? s'assura Jungkook.

– Pour sûr qu'il est mort ! répondit le plus maigre des deux d'une voix forte. Et pas de cause naturelle si vous voyez c'que j'veux dire.

Dong-sun fronça les sourcils, plus que curieux.

– Comment est-il mort ?

L'un des deux vieillards gratta sa longue barbe, avant de faire claquer l'élastique de sa bretelle contre sa chemise.

– Y'avait des rumeurs pas jolies sur Yoo-chun, commença-t-il. Pourtant on aurait pas dit en voyant son vieux paternel. C'était le genre à rentrer tard du travail, et qui, lorsqu'il était pas occupé avec ses camarades de beuveries, passait son temps en famille à injecter un nouveau rejeton dans la matrice extensible de sa bonne femme ou à flanquer deux trois taloches à ses enfants quand ils faisaient trop de bruits. Ah ça pour sûr que ça filait droit chez eux ! Mais la Madame Seo a fait plusieurs fausses couches dans le tas et y'en a que deux qui sont restés : Yoo-chun et sa sœur attardée. Pas facile, tout ça. Alors le vieux Seo a rameuté toute sa petite famille à l'église et chaque dimanche, ça torchait le cul au p'tit Jésus en espérant qu'il répondrait à leurs prières.

Jungkook ne pouvait pas s'empêcher de se mordre les lèvres pour se retenir de rire. Dong-sun était légèrement blasé et Yoongi n'était pas plus choqué que cela. Il avait passé son enfance à déchiffrer ce langage peu fleurit auquel il avait été habitué. Heureusement pour lui, il n'avait jamais pris la mauvaise habitude de parler comme eux.

– Et lorsque ses parents ont rendu l'âme, Yoo-chun perdit pas de temps pour faire des choses que les messes du dimanche lui avaient sûrement pas inculquées.

Yoongi haussa un sourcil.

– Lesquelles ?

Le vieil homme secoua la tête, comme affligée avant de laisser un long soupir sortir d'entre ses lèvres.

– Comme engrosser sa sœur par exemple. Ouais, c'était ça la rumeur. L'on disait qu'il avait engrossé sa sœur attardée, ce malotru. Et quand on voit le gosse qui en est sorti on peut se dire que c'était peut-être bien le cas.

Il se tourna vers son acolyte et lui tapa gentiment l'épaule.

– Sacrebleu, comment il s'appelait ce marmot déjà ?

Le vieil homme fit mine de réfléchir pendant de longues secondes qui parurent interminables, avant d'hausser les épaules.

– Bref, et sa sœur lui suffisait pas à Yoo-chun, apparemment. Y fallait aussi qu'il se mette à avoir des gestes pas très bibliques sur sa progéniture. Je peux vous dire que lorsque Yoo-chun se pointait à la messe avec son résultat incestueux c'était pas glorieux. Fallait voir la tête du vieux pasteur qui fixait ce petiot comme si un démon venait d'entrer dans son église pour lui voler son hostie, il secoua à nouveau la tête. Peut-être que c'était un démon, après tout. J'veux dire, il aurait jamais dû voir le jour en temps normal. Peut-être que c'est pour ça qu'il a pété une durite et qu'il a éventré son vieux père. Ou peut-être qu'il en avait marre de devoir supporter les attouchements de son paternel alors qu'on lui enseignait à l'église que c'était pas normal.

Le vieil homme croisa ses bras contre son torse et ferma les yeux pour conclure sa petite histoire sous les yeux horrifiés de Jungkook. Dong-sun avait déjà entendu ce genre de choses de la part de certains de ses collègues par le passé et Yoongi l'avait vu de ses propres yeux étant plus jeune. C'était ça la vie lorsque vous naissiez dans un foyer pourri.

Jungkook ne souriait plus, il dévisageait les deux vieillards, le visage grave.

– Des gens étaient au courant que Yoo-chun avait potentiellement abusé de sa sœur et qu'il violait son fils issu de sa relation incestueuse et personne n'a absolument rien fait ?

Le vieil homme, qui était resté en retrait le long du récit de son compagnon, haussa son sourcil broussailleux à l'attention de l'acteur.

– Je sais pas d'où tu viens, mon gars. Mais ici on est à Ilgok-dong et si y'a bien un autre conseil que je peux te donner pour rester en vie dans cette ville, mis à part éviter de se prendre à dos les maquereaux des putains à qui t'aurais pas payé ta p'tite nuit de plaisir à te faire dégorger le poireau, c'est de t'occuper à renifler ta merde avant celle des autres.

Jungkook se tourna vers Yoongi en fronçant les sourcils et le musicien soupira longuement en posant la paume de sa main sur son front.

– Ne te mêle pas de la vie des autres, pour résumer.

Jungkook laissa échapper un long « Aaaaaah » d'acquiescement et Dong-sun parla alors :

–  Le gosse, qu'est-ce qu'il est devenu ?

– Peut-être qu'il a crevé sous un pont ou que c'est devenu un accroc à l'une de ses drogues, pour ce que j'en sais. En tout cas, il a disparu du jour au lendemain. Pouf. En même temps, il allait pas rester ici après avoir envoyé son vieux père expliquer ses péchés à Dieu. Sa mère était morte depuis longtemps et tout le monde savait ce qu'il était. Rien le retenait ici.

– Vous ne vous rappelez vraiment plus de comment il s' appelait ? insista Dong-sun.

– Non, mais la police s'en souviendra sûrement. Vous pouvez y aller faire un tour, s'ils sont pas occupés à faire une partie de Poker ou à s'amuser à faire danser à poil un de leur prisonnier.

Et les deux vieux séniles n'avaient pas eu torts. À Ilgok-dong, vous aviez plus l'impression que les flics préféraient s'amuser plutôt que de vous aider.  La ville était déjà sans espoir de toute façon. En entrant dans ce poste de police à la façade délabrée, qui faisait plus penser à Dong-sun à un sanatorium qu'à un bâtiment des forces de l'ordre, un lourd nuage de fumée l'accueillit. Il ne distinguait pas grand-chose hormis les tenues de fonctions et quelques affiches sur des disparitions ou des criminels recherchés, longtemps laissés aux oubliettes. Ils en avaient de la chance, finalement. L'intérieur du poste de police était un véritable fumoir et même cette odeur de foutre régnait entre les murs défraîchis au papier peint écaillé. Dong-sun n'était plus très sûr de se trouver au bon endroit. L'ambiance ressemblait plus à celle d'un bordel qu'autre chose.

Il sortit son badge face aux hommes et expliqua sa requête. Les agents de polices d'Ilgok-dong l'écoutèrent attentivement, avant de l'assaillir de questions toutes aussi absurdes les unes que les autres :

« Qu'est-ce qu'un flic de la haute fout par ici, on s'emmerde à la capitale ? T'en as eu ras-le-cul d'arrêter des gosses de riches pour conduite en état d'ivresse, alors tu veux trouver de l'adrénaline à Ilgok-dong ? »

« T'as déjà arrêté le président ? »

« Paraît que par chez vous, les putains ont la chatte bien lisse. C'est vrai ? »

La paupière de Dong-sun tressautait dans un geste nerveux, badge en main. En voyant ses flics dont les deux seuls et uniques neurones devaient se battre à longueur de journée, il se fit la réflexion que le fils de Yoo-chun ne devait pas être le seul cas isolé d'histoires incestueuses. L'un d'eux jeta ses cartes sur la table de poker et écrasa sa cigarette dans le cendrier déjà bien rempli. Il semblait jeune, le visage frais et ce genre de sourire que vous n'oubliez pas. C'était une belle gueule.

– Ouais, on a encore le dossier quelque part. Suivez-moi.

Dong-sun le remercia sincèrement et le suivit à travers le dédale de couloirs sombres à la lumière vacillante. Il n'aurait même pas été étonné de voir des rats se balader à ses côtés. Le jeune homme entra dans une pièce et alluma la lumière. La première chose qui frappa Dong-sun était l'odeur de renfermé qui lui piqua la gorge et les montagnes de cartons entreposées un peu partout. Mais le jeune policier avait l'air de savoir pertinemment où aller et quel carton ouvrir. Alors qu'il sortait le dossier tant attendu qui possédait quelques tâches dont Dong-sun ne voulait même pas connaître la provenance, belle gueule parla :

– Pourquoi vous vous intéressez à cette affaire ?

Dong-son lui prit le dossier des mains et commença à le feuilleter.

– Je m'intéresse au fils.

– Sans déconner ! s'exclama le jeune flic. Vous savez, j'ai été à l'école avec lui. C'était un garçon d'apparence assez normale et extrêmement intelligent. Je crois que c'est ça qui faisait flipper un peu tout le monde. Il avait l'air normal. Mais il y avait quelque chose dans son regard qui vous foutait la pétoche mine de rien.

Dong-sun l'écoutait d'une oreille distraite en regardant la photo illustrant cette sombre famille. La sœur, que l'on disait attardée, était assise sur une chaise et ne regardait même pas l'objectif. Qui sait où son regard s'était perdu. Yoo-chun avait la main posée sur l'épaule de sa sœur et l'autre sur un garçon d'une dizaine d'années. Dong-sun avait dû mal à le voir correctement alors il brandit la photo vers le haut, laissant la lumière éclaircir les traits de ce jeune homme maudit. Dong-sun remarqua que la pression que la main de Yoo-chun effectuait sur l'épaule de son fils semblait plus forte et lorsqu'il longea ce bras pour enfin apercevoir le visage du garçon, il blêmit. C'était le choc.

Seokjin les avait amenés à une vérité bien plus sombre que ce qu'ils n'auraient jamais imaginée.

Il détailla encore et encore ce regard, ce visage qui avait bien changé après toutes ces années, et bordel, il ne pouvait pas se tromper. Il jeta un regard sur le dossier et lut l'acte de naissance de l'enfant et son prénom.

Son véritable prénom.

– Mais il avait toujours cette manie bizarre...Qu'est-ce que c'était déjà ?

Le jeune policier ne remarqua même pas l'état actuel de Dong-sun, il avait le visage levé vers le haut et réfléchissait tout en grattant son menton imberbe. Soudain, ses yeux s'illuminèrent et il claqua des doigts.

– Je me rappelle ! Il avait toujours cette habitude d'enfoncer ses ongles dans la paume de ses mains et je me souviens que ça m'a marqué parce que, un jour, il se les était enfoncé tellement profondément qu'il était venu à l'école, les mains ensanglantées.

Qu'est-ce que le Persona ? D'une façon très générale, il s'agit du masque que tout individu porte pour répondre aux exigences de la vie en société. Il nous donne la possibilité de se cacher derrière un masque, de prendre un rôle social, de prendre un visage de circonstance, de nous différencier par un titre. Ce que les membres de la Quinte Flush avaient tous fait.

Mais s'ils s'accordaient tous à dire que Namjoon était le membre qui possédait le Persona le plus à l'opposé de celui qu'il était réellement, Hoseok savait, au fond de lui, qu'il était celui qui possédait le plus beau masque. Un masque qu'il avait porté durant des années et qu'il aurait gardé toute sa vie.

Finalement, peut-être que le rôle de cette personnalité joyeuse et joviale qu'il interprétait était ce qu'il aurait réellement pu devenir, si la vie avait été plus clémente avec lui.

Et lorsque Dong-sun sortit du poste de police et que Yoongi et Jungkook le virent s'avancer vers eux, ils savaient que quelque chose n'allait pas. Il suffisait de voir l'expression du policier pour le comprendre. Yoongi ne saurait la décrire, c'était un mélange de tellement d'émotions que ça en devenait illisible. Mais le mauvais pressentiment qui l'assaillit le fit déglutir. Dong-sun ouvrit la portière et jeta le dossier sur le siège à côté de lui, avant de serrer fortement le volant de ses mains, le regard horrifié.

– Qu'est-ce que c'est ? demanda Jungkook.

Dong-sun ferma les yeux quelques instants avant d'ouvrir sa boîte à gants et d'en sortir son paquet de Marlboro resté à l'abandon. Après Jiji, il s'était fait la promesse d'arrêter, mais il avait besoin de se détendre deux minutes. Jungkook fixa les cigarettes et un haut le cœur le prit avant même que Dong-sun n'allume son bâton de nicotine. Il y a un mois, lorsque Dong-sun avait jeté son paquet de cigarettes dans cette poubelle, il avait su que l'agent de police avait décidé d'arrêter définitivement sa consommation de cette substance cancéreuse. Alors cela le surprit autant que ça l'effraya. Qu'avait-il découvert pour déroger à cette règle qu'il s'était faite ?

– Regardez la photo, prononça seulement Dong-sun.

Il sortit son Zippo et, avant d'allumer sa cigarette, croisa le regard de l'acteur depuis le rétroviseur. Il souffla longuement et jura avant d'ouvrir la portière et de descendre de la voiture. Il s'avança un peu plus loin sur le minuscule parking et alluma sa cigarette, dos aux deux célébrités pour ne pas déranger Jungkook.

Celui-ci l'en remercia et il ouvrit doucement le dossier, Yoongi regardant par-dessus son épaule. Lorsqu'il vit la photo, il sembla que son corps avait cessé de fonctionner. Il s'était littéralement figé et ses yeux étaient devenus aussi grands que deux trous béants. Son cerveau ne semblait tout simplement pas encaisser l'information. À l'inverse, Yoongi arracha la photo du dossier et la prit minutieusement dans ses deux mains. Son regard détailla ce faciès que les années avaient embelli et il eut du mal à y croire. Son monde s'écroulait encore un peu plus. Sa respiration se fit saccadée et il balança brusquement la photo quelque part dans la voiture, avant d'ouvrir la portière à la hâte. Il s'accroupit sur le sol bétonné, ses doigts d'artistes tirant ses mèches sombres. Il ne voulait pas pleurer, mais il se sentit infiniment triste pour celui qu'il avait toujours aimé.

Et Jungkook repensa alors à quelque chose qu'il avait lu autrefois et qui était tristement vrai pour cette situation.

Un aliéniste du XIXe affirmait que les réactions de chacun aux faits importants de la vie ne sont jamais totalement spontanées ; elles sont la manifestation d'années de confrontation avec un milieu, de l'élaboration de schémas à l'intérieur de nos vies qui, finalement, en arrivent à influencer nos comportements.

Hoseok était un cri de rage des laissés-pour-compte et des âmes médiocres. Un des descendant de l'impur. La vérité était qu'il portait le désespoir et la misère comme une seconde peau et se nourrissait d'un monde où prévalent la violence et le mépris. Son enfance lui avait été dérobé et il avait grandi dans un environnement peuplé d'êtres acariâtres, de truands et de putes – les ongles y sont sales, la peau, couverte de bleus, et les draps comme les âmes sont souillés au-delà de toute rédemption. C'était une histoire de douleur. C'était bien la vie. Nauséabonde, tordue, brutale et magnifique lors de rares moments.

Jungkook sortit à son tour de la voiture et prit Yoongi dans ses bras, le berçant doucement. Le musicien ne pleurait pas, il se sentait juste incroyablement vide. Il avait le sentiment d'être une simple coquille.

La question avait dorénavant changé.

Jung Hoseok était-il réellement un monstre ou était-il, lui aussi, une victime de ce monde injuste où la misère et l'horreur semblaient se répandre comme un cancer incontrôlable ?

Le retour chez Jungkook s'était fait silencieux. Et même après avoir dépassé le vestibule, aucun d'entre eux n'avait décroché un seul mot. Ils étaient secoués. C'était le mot juste, et encore. Chacun d'entre eux pensait que ce n'était pas assez fort. Yoongi se demanda si Seokjin savait toute la vérité depuis le début ou si les éléments les plus horribles de la vie d'Hoseok lui avaient échappé. Il opta pour la deuxième option. Hoseok n'aurait sans doute pas laissé le mannequin en vie s'il avait été au courant de tout.

Jungkook alluma un feu dans la cheminée et Yoongi l'observa, toujours ce vide à l'intérieur de lui. Le reflet des flammes dansait sur son visage et c'était une vue magnifique. Yoongi était magnifique ainsi, lorsque la douleur le terrassait au point qu'il était incapable de ressentir autre chose que ce vide omniprésent. Il ressemblait à une de ces poupées en porcelaine que l'on ne donnait pas aux enfants, les considérants trop précieuses. À la place, on les collectionnait. Yoongi ressemblait à ça, une magnifique poupée que l'on collectionnerait. Le problème avec ce genre de poupée, c'est qu'elles finissent généralement au fin fond d'un placard, sans que personne n'y prête vraiment attention. Un peu comme les morts dans leurs cercueils. 

La vie, c'était pour le meilleur et pour le pire lui disait sa mère. Comme les vœux sacrés que l'on prononce aux mariages. Pour le meilleur et pour le pire... Maintenant qu'il avait vu le pire, quand verrait-il le meilleur ? se demanda Yoongi.

– Qu'est-ce qu'on fait maintenant ? demanda Jungkook.

Dong-sun fit les cents pas autour de la pièce.

– Je n'en sais rien, souffla-t-il. Ce pays a complètement perdu ses repères. Les amis se font plus confiance entre eux. Plus personne n'aide personne. Tout le monde s'en fout. C'est chacun pour sa poire et le diable pour tous.

Jungkook était d'une grande bonté. Un trait de caractère qu'il ne possédait pas auparavant. Peut-être que Jimin lui avait légué cela avant de partir.

– Ne peut-on rien faire pour Hoseok ?

Yoongi le trouva touchant. Sa voix était pleine d'empathie et il espérait sincèrement que l'acteur soit à nouveau heureux un jour. Il le méritait plus que quiconque. Mais son souhait était inespéré. Hoseok tenait à la Quinte Flush et aimait ce sentiment de pouvoir qu'il exerçait sur eux. Il était tel un roi qui s'asseyait sur le tas de cadavres de ses ennemis après une bataille pour montrer sa supériorité. Oui, Hoseok c'était cela.

– Une fois qu'on a bu ne serait-ce qu'une gorgée au puits du pouvoir, une tasse, un seau, un océan ne sera jamais assez..., murmura-t-il.

C'était douloureusement vrai.

Hoseok irait en prison quoiqu'il arrive. Malgré les horreurs qu'il avait dû endurer, ses actes restaient inhumains aux yeux de la loi, de la population et même de la bible. Il était une personne qu'il fallait enfermer pour notre propre bien, mais surtout pour le sien.

C'était une putain de tornade déchaîné, un tsunami virulent, un éclair puissant, c'était Hoseok, une âme brisée.

Yoongi avisa le petit magnétophone posé sur un guéridon en bois et se releva pour s'en approcher. Il le prit entre ses mains et regarda Jungkook.

– Qu'est-ce que c'est ? demanda-t-il à son attention.

L'acteur échangea un regard avec Dong-sun. Il s'agissait de l'enregistrement de sa voix, celle qui racontait tristement l'histoire de Jiji. Cet enregistrement n'avait servi à rien et Dong-sun lui avait donné en lui disant que, le jour viendrait où les plaies se refermeraient. Et à ce moment-là, il serait alors capable de l'écouter une dernière fois. Il pensait que c'était une thérapie nécessaire. Jungkook fixa le magnétophone longuement. Il fronça les sourcils et s'approcha de Yoongi, avant de lui dérober l'objet des mains. Il en sortit la cassette et la retourna lentement dans ses mains avant de s'arrêter face au feu.

Dong-sun avait tort en disant que c'était une thérapie nécessaire. Cette cassette racontait l'histoire de Jiji.

Et Jungkook n'avait pas perdu Jiji, mais Park Jimin.

C'était si différent.

Son deuil, il le faisait doucement. Il allait au cimetière chaque semaine, crachait sur la tombe de Taehyung et déposait des fleurs sur celle de Jimin. Il lui parlait et il avait alors la sensation que la brise qui venait caresser son visage était le souffle de son meilleur ami. La sensation qu'il ne le quitterait jamais réellement l'aidait.

Pourtant, il savait très bien que le jour viendrait où ses visites au cimetière se feraient de plus en plus espacées. La douleur se dissiperait peu à peu et il serait alors heureux.

Oui, arrivera un jour où il parlerait de son meilleur ami avec un immense sourire sur les lèvres, les yeux pétillants. Et jusqu'à ce que les ridules de la vieillesse prennent possession de son visage, jusqu'au moment où il lui serait difficile de se déplacer et jusqu'à son dernier souffle de vie, Jungkook pensera à jamais à Jimin comme lors de son vivant : magnifique, somptueux...Incroyable, tout simplement.

Alors il se foutait de Jiji. C'est pour cette raison qu'il jeta la cassette dans la cheminée, celle-ci fondant doucement sous les flammes que Jungkook admira. Dong-sun était profondément surpris mais ne dit rien, personne ne le fit. Cette scène avait quelque chose d'intime, de solennel. Alors que le souvenir de Jiji se détruisait lentement, Jungkook se retourna et donna à Yoongi le magnétophone vide de toute cassette.

– Tu en as besoin, n'est-ce pas ?

Jungkook avait toujours été perspicace, intelligent. Il avait compris le plan de Yoongi sans même qu'il ne lui explique quoi que ce soit. Yoongi expliqua alors plus en détail ce qu'il avait en tête. Au fur et à mesure qu'il racontait son idée, Jungkook hocha la tête et Dong-sun l'interrompit en lui disant que c'était complètement dangereux. Mais ça restait la meilleure solution. Après un coup de fil passé chez Seokjin, le plan prenait forme peu à peu avec l'aide de Hyuk et du mannequin que le sevrage affaiblissait.

Tout se jouerait dans trois jours chez Hoseok.

Yoongi allait mettre définitivement un terme à la Quinte Flush et en détrônerai l'As.

Et le temps s'était écoulé.

Lorsque Hyuk gara sa voiture assez loin du manoir de l'acteur, il jura. Nous étions le jour fatidique et de loin, il voyait Dong-sun et les deux autres célébrités qui les attendaient. Le problème était que le mannequin à ses côtés était loin d'être au mieux de sa forme. Il transpirait à grosses gouttes et avait la respiration sifflante. Il avait le visage pâle et n'avait alors plus rien d'un modèle figurant dans les premières pages de magazines. Il ouvrit sa portière et contourna son véhicule pour ouvrir celle du siège passager. Il sortit brusquement Seokjin, sans ménagement, et le plaqua contre la surface froide et rigide de sa voiture.

– Putain de merde..., grogna-t-il.

– Qu'est-ce qu'il se passe ?

Hyuk tourna la tête pour voir que les trois hommes se trouvaient maintenant derrière eux. Ils avaient été alertés par la scène. Yoongi se mordit les lèvres en voyant l'état de son acolyte.

– Il ne peut pas se pointer chez Hoseok comme ça, répondit le journaliste. C'est trop suspect.

Jungkook hocha la tête.

– Le seul moyen serait de lui donner une dose.

Tous regardèrent Yoongi. Il n'avait pas tort, mais hélas, aucun d'entre eux ne possédait de drogues sur eux et Dong-sun avait jeté le reste dans les toilettes lorsqu'ils étaient allés chez le mannequin. L'agent de police s'approcha d'ailleurs de celui-ci qui était à deux doigts de s'écrouler sur le sol, avant de lui foutre une gifle dont Seokjin se souviendrait jusqu'à la fin de ses jours. Elle avait fait tourner sa tête et avait brûlé sa joue. Elle avait aussi eu le mérite de le sortir légèrement de cet état de transe.

– Non mais ça va pas ?! feula-t-il à l'attention du policier.

Dong-sun agrippa le col de sa chemise et plaqua son front contre le sien. Seokjin écarquilla les yeux, complètement surpris de la violence de ses gestes.

– Il est hors de question que tu fasses tout foirer, articula-t-il lentement. C'est notre seule putain de chance alors je me fous du moyen, mais t'as intérêt à masquer ton état.

Il le relâcha brutalement et Jungkook s'avança à son tour en lui tendant une bouteille d'eau que Seokjin ingurgita à la vitesse de l'éclair. Lorsque le mannequin finit de boire, il relâcha un long soupir, le corps un peu moins tremblant qu'auparavant.

– Je lui dirais que je suis malade.

– J'espère que tu mens bien, avertit Dong-sun.

Seokjin hocha la tête et remarqua le livre qui dépassait de la besace en cuir de Yoongi. Il écarquilla les yeux avant de regarder à tour de rôle ses acolytes.

– Il va nous tuer.

Yoongi cacha un peu mieux le livre et lança un regard lointain en direction du manoir d'Hoseok.

Peut-être bien que c'était de cette façon que tout allait se finir. Peut-être qu'Hoseok allait tous les tuer avant même qu'ils amorcent le plan. Ils avaient besoin d'une heure, c'était le temps qu'il leur fallait pour faire tomber ce qu'Hoseok avait mis tant de temps à bâtir.

C'était si peu.

Dong-sun avait rassemblé les derniers hommes de confiance de la police. Ils étaient une petite poignée, mais lorsque l'heure s'écoulerait, ils seraient là. Ils avaient aussi de la chance de pouvoir compter sur Hyuk qui entretenait une amitié aussi farfelue que solide avec l'un des plus puissants avocats de la ville. Tout ce qui leur restait à faire était de récolter les preuves qui incrimineraient tous les membres de la Quinte Flush. Ce serait long, éprouvant, difficile, mais ce serait la fin. Et c'était tout ce qui comptait.

Jungkook avisa l'heure sur sa montre et se racla la gorge.

– C'est l'heure.

Yoongi hocha la tête et lança un sourire à Dong-sun et Jungkook.

– Merci pour tout, dit-il.

Jungkook ne comprenait pas pourquoi il était aussi inquiet à l'idée de savoir le musicien tout seul, chez Hoseok. Mais l'appréhension le bouffait tellement qu'il avait rongé ses ongles tout le long du trajet jusqu'au manoir.

– Tu nous remercieras après, répondit Dong-sun.

Et il avait bien raison de dire cela. Il aurait encore un peu de temps pour les remercier, mais après, pas avant. Yoongi hocha la tête et fouilla sa besace avant d'en sortir une clé. Il s'approcha de Jungkook et la déposa dans le creux de sa paume.

– À dans une heure alors.

Jungkook le regarda longuement, cet artiste maudit. Il était beau avec son petit sourire presque timide. Et peut-être qu'il était tellement beau que c'est pour cette raison qu'il l'attira à lui avant d'effleurer ses lèvres des siennes. C'était une caresse légère, douce, qui ne voulait rien dire, ils le savaient tous les deux. Jungkook ne savait pas pourquoi il avait fait ça, il avait juste ressenti le besoin de le faire sur le moment. Mais malgré ça, ce geste avait fait sourire Yoongi de la plus somptueuse des façons.

Dong-sun et Hyuk s'étaient retournés d'un même mouvement, gênés. Ils ne voulaient pas avoir l'impression d'être des voyeurs et Jungkook les aimaient bien pour cela. Parce qu'ils pensaient eux aussi que tomber amoureux ne se limitait pas à un sexe. Que ça allait bien plus loin que ça. Et c'était si rare d'avoir une ouverture d'esprit comme celle-ci à une époque pareille.

Jungkook serra fortement sa clé dans sa main.

– Hoseok n'est pas la seule personne que tu aimeras dans ta vie, tu sais ?

Yoongi hocha la tête.

Jungkook, ça resterait finalement sa plus belle rencontre. Malgré ce peu de temps passés ensembles, il avait découvert avec lui ce que ça signifiait que de compter réellement pour quelqu'un. C'était une relation dont les gestes, les regards et les cœurs parlaient bien plus que les mots.

– Je sais.

C'était une amitié inattendue, incongrue, qui n'aurait jamais dû voir le jour.

Ou peut-être que si, finalement.

C'était le rassemblement de deux âmes tenaillées, qui étaient devenues des piliers pour l'un et l'autre.

Un miracle, ça ne s'analyse pas.

Et alors qu'il voyait les ombres des deux membres de la Quinte Flush s'avancer doucement à travers les ténèbres de la nuit, Jungkook se fit la réflexion que la vie de Min Yoongi était triste.

Toute son histoire était un kaléidoscope insensé de faits, de fantasmes sur grand écran, de mensonges de protection instinctifs et de vérités un peu arrangées pour entrer dans le moule d'un rêve parfait qui s'était dégringolé.

Mais lui s'était réveillé à temps.

Et ça aussi ça comptait.

Et c'était avec cette détermination sans faille, cette tristesse qui broyait son cœur et l'espoir qui comblait son âme que Yoongi sonna à la grande porte en bois de l'acteur.

Seokjin et lui attendirent durant de longues minutes avant que la porte ne s'ouvre sur Namjoon. Celui-ci était plus que surpris de les voir tous les deux ensembles. C'était comme de voir une souris et un chat s'amusant ensemble. C'était étrange. Il ouvrit plus franchement la porte et laissa entrer ses deux compagnons. L'écrivain avait remarqué l'état quelque peu déplorable de Seokjin, on pouvait difficilement passer outre.

– Est-ce que tu vas bien ?

Yoongi se figea et coula un regard discret en direction du mannequin en attendant qu'il se prononce. Ce plan était aussi dangereux parce que rien n'empêchait Seokjin de balancer toute la vérité. Yoongi ne saurait alors pas se défendre face à ses trois comparses.

Mais Seokjin avait rendu les armes depuis longtemps.

– J'ai attrapé froid.

On était en été, mais Namjoon ne releva pas. Il savait qu'il était tout à fait possible d'attraper froid, même en été. À cette saison, les nuits de Séoul étaient fraîches et il aurait suffit que le mannequin laisse la fenêtre de sa chambre ouverte pour qu'il tombe malade. Yoongi laissa échapper un soupir discret.

– Vous êtes enfin là.

Seokjin et lui se tournèrent en direction de l'hôte du manoir, qui venait de faire son apparition dans le vestibule. Il était beau avec ce costume trois-pièces qui semblait mouler son corps à la perfection. Yoongi s'attarda légèrement sur ses courbes et Hoseok le remarqua. Il sourit un peu plus et ce sourire fit un drôle d'effet au musicien. Il arrivait à Hoseok de sourire, pour de vrai, et en sachant toute la vérité, Yoongi se demanda comment c'était possible.

Mais il se rappela très vite que s'il y avait bien une chose qui le rendait heureux, c'était les parties de poker qu'ils faisaient ensemble. C'était pour cette raison qu'il avait accepté avec un grand enthousiasme la proposition de Seokjin d'en faire une aujourd'hui sans se douter du piège qui l'attendait.

Ainsi, la partie débuta rapidement. Hoseok était assis en bout de table, Seokjin et Namjoon à sa droite et Yoongi à sa gauche. Lors de la dernière partie qu'ils avaient faite, Taehyung était encore en vie. Et c'était étrange, cette place vide aux côtés du musicien.

L'absence de Taehyung se faisait ressentir lors de cette partie. Peut-être était-ce son aura charismatique, sa beauté irréelle ou ses blagues graveleuses qui manquaient. Le fait était qu'il n'était plus et que personne ne pouvait passer à côté de cela. C'était impossible.

Les membres pariaient une somme astronomique sur la table, un montant qui en ferait rêver plus d'un. Certains avaient même abandonnés leurs bijoux, confiants. Comme l'était Hoseok lorsqu'il avait misé sa précieuse chevalière. Namjoon avait à son tour abandonné sa montre en or en se faisant la réflexion que, s'il perdait, il pourrait toujours prendre sa revanche une prochaine fois pour la récupérer.

Hoseok et lui ne se doutaient pas qu'il n'y aurait plus jamais de prochaine fois.

Yoongi regarda ses cartes et la combinaison lui fut douloureuse.

Il lança un coup d'œil à Seokjin et hocha la tête avant de reposer ses cartes contre la table et de prendre sa besace en main. Les minutes avaient défilé. Namjoon avait parlé de l'une de ses esclaves, Seokjin de l'une des prochaines victimes qu'il convoitait pour Hoseok et ils avaient même parlé de Taehyung.

De Taehyung et Jiji.

Ça avait été bref, mais tout avait été dit. Exactement la même histoire qu'avait racontée Jungkook un mois plus tôt et que personne n'avait prise en considération. Yoongi était heureux. Tout avait été enregistré. Absolument tout. Au moment où ils s'étaient assis autour de la table, le musicien avait enclenché le bouton du magnétophone qui se trouvait dans la poche intérieure de sa veste.

Jimin allait enfin être débarrassé de toutes ces accusations odieuses dont il avait été victime.

Mais il restait Hoseok. Et Yoongi savait que le plus dur était encore à venir. Ainsi, lorsqu'il sortit la bible de sa besace et la posa sur la table dans un bruit sourd, il savait que chaque seconde serait cruciale.

Hoseok s'était arrêté de rire en voyant la bible. Il se leva brusquement, le visage sombre et le regard vissé sur cet écrit qu'il ne connaissait que trop bien. Namjoon, ignorant, pouffa.

– T'es croyant maintenant ? C'est nouveau.

– Range ça.

Namjoon remarqua alors seulement maintenant, que l'ambiance bonne enfant était partie lorsque la voix d'Hoseok sonna, basse et lointaine. Les bras croisés contre son torse, il jeta un regard vers l'acteur, ne comprenant rien à la situation qui se profilait devant lui.

– Pourquoi ? demanda innocemment Yoongi en haussant un sourcil.

Peut-être que lui aussi aurait pu être acteur finalement.

Hoseok enfonça brièvement ses ongles dans la chair de ses mains avant de déglutir.

– Je ne veux pas de ça chez moi. Dégage-moi ça, tout de suite.

Hoseok était assailli de souvenirs lointains et douloureux qu'il pensait avoir enfouis profondément. Et tous mettaient en scène le même homme qu'il avait passé sa vie à exécrer.

– C'est étrange. Tu as pourtant reçu une éducation religieuse, non ?

Namjoon alterna son regard entre le Valet et l'As qui semblaient se livrer une bataille silencieuse. Il ne se doutait pas que le grand final qu'il attendait tant était en train de se dérouler en ce moment-même sous ses yeux.

Yoongi ne fit pas attention et, les mains tremblantes légèrement, il commença à feuilleter cette bible qui représentait l'enfer d'Hoseok. 

– Je croyais que tu étais athée.

Hoseok se tourna vers Namjoon et, pour la première fois, l'écrivain eut peur de lui. Le regard qu'il avait était différent de tous ceux qu'il avait pu montrer jusqu'à aujourd'hui. Ses yeux étaient grands ouverts, un mélange entre l'horreur et la fureur. C'était terrifiant parce que Namjoon avait l'impression qu'il était une grenade qui n'allait pas tarder à exploser, les emportant sur son passage. Hoseok avait la mâchoire tellement crispée qu'il était à deux doigts de se la déboiter.

– Je le suis.

Sa voix était semblable à celle d'un démon. Rocailleuse, sombre et malfaisante.

Yoongi essaya de passer outre, mais c'était difficile. Quant à Seokjin, il le voyait trembler de l'autre côté de la table et il ne saurait dire si c'était à cause de l'acteur ou si c'était le résultat du manque. Peut-être un mélange des deux.

– Tu n'étais pas membre de la paroisse d'Ilgok-dong lorsque tu étais plus jeune ? demanda Yoongi.

Imprévisible.

C'était un des mots qui décrivait le mieux l'acteur. C'était pour cette raison qu'il était dangereux. Parce que personne n'était capable de prédire ses moindres mouvements ou ses moindres pensées.

Personne.

À part lui.

Et aucun des membres ne verrait à nouveau un jour quelqu'un d'aussi imprévisible qu'il ne l'était.

Il avait juste suffit à Yoongi de mentionner le nom de cette ville maudite pour que la bombe explose. Hoseok avait vite fait le rapprochement. Il lança un regard à Seokjin qui n'avait pratiquement rien dit depuis le début de la soirée et remarqua son corps tremblant ainsi que la sueur qui perlait sur son front. Il ricana. Le mannequin était dans un état lamentable.

Sans prévenir, il le prit par la nuque et écrasa violemment sa tête contre la table, arrachant un cri à Seokjin qui fit sursauter les deux autres membres restants. Hoseok sortit son couteau, celui qu'il gardait constamment dans la poche intérieure de sa veste, et effleura de sa lame la joue du mannequin avec une lenteur qui fit pâlir tout le reste du groupe.

– Espèce de petite ordure..., murmura Hoseok en coupant très légèrement sa joue.

Seokjin avait peur de perdre sa beauté et Hoseok avait dans l'idée de la lui dérober.

Namjoon se releva brusquement de sa chaise, complètement paniqué sous le souffle douloureux du mannequin.

– Mais qu'est-ce que tu fous ?!

Hoseok releva son couteau et le pointa en direction de l'écrivain, l'expression du visage aussi lisse et plate qu'une mer calme. Et c'était terrifiant aussi de voir que dans une situation comme celle-ci, Hoseok était d'apparence tellement calme que l'on aurait dit que c'était lui qui contrôlait la situation.

– Ta gueule et pose ton cul sur cette putain de chaise. Je te jure que si tu oses ne serait-ce faire qu'un pas, je te tuerai.

Et c'était bien vrai. Namjoon se rassît alors, mort de peur. La situation lui semblait irréelle et il avait la sensation de nager en plein cauchemar. Il n'arrivait pas à croire que tout avait changé à cause d'une simple bible. Simple bible qui signifiait plus que ce qu'il n'y paraît, il l'avait bien compris.

Lorsque Namjoon fut de nouveau à sa place, Hoseok se concentra à nouveau sur le mannequin, lui tailladant à nouveau le visage. Seokjin n'était plus qu'une masse tremblante de pleurs, de douleur et de peur.

– T'es incapable de garder un secret, hein...

Et Yoongi explosa brutalement lui aussi. C'était la collision du feu et de l'eau. Sa chaise tomba sur le sol et il jeta la bible sur l'acteur.

– Pas de secret au sein de la Quinte Flush. C'était ta règle je crois, non ? dit-il, la respiration hachée.

Hoseok le fixa longuement. Yoongi ne se dressait presque jamais contre lui, mais il semblait que cette fois était différente. Hoseok voyait bien que Yoongi ne lui appartenait plus totalement. Il ricana alors.

– J'ai peut-être omis deux ou trois choses, mais je ne savais pas que ça avait autant d'importance pour toi, commença-t-il d'une voix mauvaise. Tu as passé des années à préférer me sucer la queue plutôt qu'à être réellement intéressé par ces futilités.

Il joua quelques secondes avec son couteau, exerçant toujours sa pression sur le mannequin.

– Yoongi, ton rôle a toujours été de satisfaire mes désirs quand j'en avais besoin. Tu le sais, n'est-ce pas ?

Les mots lui faisaient si mal qu'il avait l'impression de suffoquer. Hoseok avait passé des années à se servir de lui. Avait-il seulement une place dans son cœur, aussi microscopique soit-elle ?

Non.

Il n'aimait personne.

Il aimait seulement Jung Hoseok.

– T'es qu'une ordure..., murmura Yoongi. Tu as passé tellement d'années à me voir comme une putain d'abomination que j'ai fini par te croire. Tu m'as détruit Hoseok. Et pourtant, je ne jurais que par toi.

Yoongi voulait, lui aussi, prononcer des mots durs, des mots qui ébranleraient l'acteur de la même manière que les siens avaient fait saigner son cœur.

– Mais en réalité, la seule erreur dans cette pièce c'était toi. Ça a toujours été toi.

Le visage d'Hoseok perdait peu à peu cette façade lisse. Peut-être parce qu'il comprenait peu à peu que Yoongi savait tout alors que Seokjin n'avait eu que des fragments qui ne voulaient rien dire. Il réalisa que le musicien s'était aventuré dans ce qu'il avait toujours voulu détruire.

– Tu n'aurais jamais dû voir le jour, continua Yoongi d'une voix sèche. Il se tourna vers Namjoon qui regardait la scène, les yeux écarquillés et Seokjin dont les tremblements de son corps semblaient prendre en intensité. Dis-leur ! Dis-leur ce que l'As de la Quinte Flush est réellement. Dis-leur la vérité.

Yoongi n'avait jamais sorti de paroles aussi dures, mais aussi nécessaires de toute sa vie.

– Dis-leur que tu es né de viol et d'inceste.

Hoseok semblait peu à peu perdre ses repères. L'homme face à lui avait une telle rage qu'il en restait tout simplement démuni. Les mots de Yoongi étaient en train de doucement l'abattre.

– Jung Hoseok n'a jamais existé, t'es qu'un putain d'imposteur, feula le musicien. N'est-ce pas ? Seo San...

Hoseok reconnut sans peine les premières syllabes qui constituaient sa véritable identité et, il reprit enfin cours avec la réalité. Brutalement, il enfonça la pointe de son couteau profondément sur le bois de la table, juste à côté de la tête du mannequin qui sanglota.

– La ferme ! Ne le prononce pas !

Pour Hoseok, il était hors de question qu'il entende ce nom à nouveau. Il regarda à tour de rôle les trois hommes de la table. Ils en savaient beaucoup trop pour qu'ils ne repartent aussi facilement. Il réfléchit quelques secondes, le regard baissé vers le sol, avant de relever la tête.

– J'ai enduré bien plus que vous tous ici, commença-t-il. Bien plus que toi, Yoongi. Bien plus que Taehyung et sa foutue cuillère en or dans la bouche. Son pouvoir, il ne l'a pas gagné contrairement à moi. Est-ce que tu sais à quel point c'est difficile de commencer à partir de rien, hein ?

Yoongi ne le savait pas. C'était Hoseok qui avait fait de lui la star musicale qu'il était aujourd'hui. Mais Hoseok, qui l'avait aidé, lui ? Personne. Seulement sa rage et sa soif de prouver à la vie qu'il ne serait pas un de ses esclaves. Et il avait brillamment réussi dans un sens.

– Vous n'allez pas sortir de cette putain de pièce, avertit-il.

La rage d'Hoseok et la promesse silencieuse qu'il ne les laisserait pas sortir vivants d'ici n'ébranlèrent pas Yoongi. Il glissa sa main jusqu'à la table et retourna ses cartes de Poker face au monde. Hoseok vit alors la Quinte Flush. Yoongi aurait gagné si la partie avait duré un peu plus longtemps. Le musicien enleva chaque carte une par une. En commençant par le Joker, parce que Taehyung n'était plus. En continuant par le Valet, parce Yoongi était partie. Il balaya les deux autres, parce que Namjoon et Seokjin n'avaient pas d'autres choix que d'abandonner la Quinte Flush. Ne restait alors plus que l'As. Yoongi le prit dans sa main et le montra à l'acteur.

– Une Quinte Flush avec seulement un As, ce n'est plus une Quinte Flush, prononça-t-il. C'est seulement une carte solitaire qui perd de sa puissance.

Et Yoongi écrasa la carte dans sa main.

– La Quinte Flush a disparu au moment où Taehyung est mort. C'est fini, Hoseok.

Hoseok ne supportait pas cette idée que tout ce qu'il avait construit, le groupe auquel il tenait tant, avait disparu au moment où le membre qu'il détestait le plus était mort. Ça en revenait à dire que Taehyung était la cause de sa perte et c'était inacceptable.

– À ton avis, pourquoi la Quinte Flush précisément ? lui demanda Hoseok.

Yoongi haussa les épaules.

– Parce que tu aimes le poker ?

Hoseok ricana et secoua la tête. La Quinte Flush avait une signification bien plus poussée que ce simple fait. La Quinte Flush...Ça avait été sa première revanche sur ce monde cruel lorsqu'il était enfant.

– C'est mon vieux père qui m'a appris à jouer au Poker, commença-t-il. Et chaque semaine, on faisait une partie. Je n'avais jamais gagné. J'étais toujours perdant. Et sais-tu ce qu'il me faisait lorsque je perdais ?

Yoongi ne voulait pas l'imaginer. Hoseok esquissa une grimace, se souvenant de l'enfant qu'il avait été. Celui qui avait supplié son père lorsque celui-ci le retrouvait dans sa chambre, une fois la nuit tombée. Gagner au Poker lui était alors devenu vital.

– Et un jour, j'ai finalement gagné, continua-t-il. J'ai gagné. Et c'était précisément avec cette main-là, Hoseok pointa les cartes éparpillées du doigt. Il ne m'a rien fait ce jour-là.

Yoongi avait les yeux brillants. Brillants de tristesse.

– Voilà pourquoi la Quinte Flush. Parce que je ne vivais pas, je survivais. Parce qu'elle est la preuve que, de temps en temps, l'on pouvait prendre le dessus sur la vie. Parce que ça avait été mon premier putain d'espoir qui me disait que, peut-être, je méritais mieux que cela.

Un long silence s'ensuivit. Peut-être parce que les membres essayaient d'encaisser les paroles de l'acteur. Le tic-tac de l'horloge du salon, seule source de bruit, semblait crier que la vie et les années passaient.

C'était la première fois qu'ils voyaient ce côté-là de l'acteur. La première fois que son masque se fêlait, que sa faiblesse ressortait.

Mais l'imprévisibilité d'Hoseok refit surface. Il avait suffit qu'il entende un reniflement du mannequin pour s'occuper de son cas. Brutalement, il prit son couteau et trancha d'un geste vif et précis le petit doigt de Seokjin. Le sang gicla, le doigt solitaire tâcha peu à peu la nappe blanche et Seokjin s'écroula au sol avec un hurlement.

De cette manière, c'est comme si Hoseok avait balayé sa vulnérabilité d'un clin d'oeil.

Yoongi annonça un pas en direction du mannequin, mais Hoseok le stoppa, pointant dans sa direction son couteau ensanglanté.

– Reste où tu es. Ça va être ton tour, Min Yoongi.

Il avait un immense sourire, de ceux que l'on pouvait voir maquillés sur les clowns qui passaient en réalité bien plus de temps à terrifier les enfants qu'à les faire rire. Celui d'Hoseok était un peu comme ça à ce moment-là.

– Tu n'en feras rien.

La sensation d'avoir un canon pointé sur la tête est assez étrange. C'est froid, dur et on la sensation que c'est la mort qui nous touche le crâne, comme si elle le caressait.

Et Dong-sun ne faisait pas qu'effleurer la tête d'Hoseok avec le sien. Il appuyait suffisamment pour faire comprendre à la célébrité qu'il n'hésiterait pas à s'en servir s'il le fallait.

La clé que Yoongi avait donnée à Jungkook était en réalité un double des clés du manoir. Le musicien était le seul à en posséder une. Tout faisait partie du plan. L'heure était écoulée et Dong-sun était entré le premier, très vite rejoint par le journaliste qui se précipita sur Seokjin en voyant son état.

Et lorsque Jungkook fit son apparition aux côtés de Yoongi, Hoseok compris.

Namjoon avait raison. Yoongi l'avait trahi.

Celui qu'il estimait le plus se retournait contre lui et l'avait détrôné. Il se sentait humilié et, au plus profond de son cœur de pierre, blessé.

Et il perdit alors ses derniers vestiges de calme.

– Espèce de fils de pute !

Brusquement, il commença à monter sur la table et à ramper dessus en direction du musicien, toute sa fureur criant sur les traits de son visage. Il fit tomber toutes les cartes et les billets au sol avant que Dong-sun ne le ramène violemment à lui. Il le prit par la nuque et allongea son buste sur le bois dans un bruit sourd qui arracha un geignement à Hoseok.

– C'est fini, pointant son arme sur la tempe de l'acteur d'une main, il en profita pour sortir ses menottes de l'autre. J'aimerais bien te dire tout le blabla habituel que l'on sert lors d'une arrestation, mais je n'en ai pas envie. Avec moi, t'as aucun droit et peu importe que tu payes un avocat une fortune je ferais en sorte que tu passes le restant de tes jours derrière les barreaux.

D'autres policiers entrèrent à leur tour et s'occupèrent de Kim Namjoon. Celui-ci était trop choqué pour essayer de se débattre. Quand on lui passa les menottes et qu'on le conduisit jusqu'à la sortie, il jeta un regard à Yoongi, un petit sourire sur les lèvres.

– Quelle fin, prononça-t-il simplement avant de disparaître.

Dong-sun s'occupa quant à lui de l'acteur, malgré le fait que celui-ci se débattait comme un chien enragé. Mais Hoseok aurait beau essayer n'importe quoi, l'agent de police était au-dessus de lui lorsqu'il était question de force physique. Se débattre de cette façon ne le mènerait à rien, hormis à l'épuisement.

Yoongi et lui échangèrent un dernier regard. Celui du musicien était doux et triste pour l'homme face à lui et cela ne fit qu'agrandir la haine d'Hoseok.

Hyuk prit Seokjin par la taille et le souleva tant bien que mal en l'emmenant à son tour vers la sortie. Le mannequin était à deux doigts de s'évanouir.

Et lorsque Jungkook et Yoongi furent les dernières personnes présentes dans la pièce, le musicien sortit le magnétophone de sa poche et arrêta l'enregistrement. Il sortit la cassette et la donna à Jungkook qui la regarda, les yeux brillants d'espoir.

– C'est fini ?

Yoongi le trouvait touchant. Jeon Jungkook était un mélange entre la masculinité et l'innocence, c'était assez bizarre comme fusion, mais c'était beau. Yoongi posa sa main sur l'épaule de Jungkook et lui offrit un grand sourire. Il savait que ce qu'il allait lui apprendre le rendrait heureux.

– Oui...Et il y a la preuve sortant de la bouche de chaque membre de la Quinte Flush que ce que tu disais sur Jiji était la vérité.

Et ça ne manqua pas. Jungkook serra fortement la cassette entre ses mains et laissa une larme couler le long de sa joue. C'était une larme de soulagement et de joie. C'était la promesse que son futur serait plus beau que son présent.

Jimin pourrait enfin reposer en paix. Justice avait été faite.

Yoongi lâcha lentement son épaule d'une caresse et se tourna vers la table de Poker. Il ramassa sa Quinte Flush et la regarda quelques instants, mélancolique, avant de remarquer la chevalière d'Hoseok. Le bijou brillait de mille feux sur un coin de la table. Doucement, il la prit et la tourna entre ses doigts, avant de la faire glisser sur son annulaire, se l'appropriant.

Après tout, il avait gagné cette partie.

Jungkook regarda la scène.

De la même manière que le moment où il avait brûlé la cassette de Jiji avait été un acte qui n'avait pas besoin de mots, celui-ci n'en avait pas besoin non plus.

Il y a certains moments où les mots ne sont pas nécessaires et où les gestes parlent d'eux-mêmes.

À vrai dire, ils sont parfois plus criants que la parole lors d'occasions spéciales.

Et lorsque le temps fut venu aux deux hommes de sortir à leur tour, Yoongi admira quelques instants la nuit étoilées au-dessus de sa tête en sachant qu'il ne la reverrait plus avant un long moment. Ils s'approchèrent de Dong-sun et Hyuk qui semblaient parler à voix basse et Yoongi remarqua alors Seokjin dans la voiture du journaliste un peu plus loin.

– Je vais l'emmener à l'hôpital.

Dong-sun hocha la tête et Hyuk offrit un grand sourire aux trois hommes avant d'avancer en direction de sa voiture. Il leva sa main et les salua en partant.

– Quel scoop ! dit-il en secouant la tête.

Mais le scoop ne serait jamais suffisant. Des années plus tard, Hyuk en écrira un livre.

Dong-sun leur apprit que Namjoon et Hoseok étaient déjà partis en direction du poste de police et Yoongi fut quelques peu déçu de ne pas avoir pu dire adieu à l'acteur une dernière fois. Mais peut-être que c'était pour le mieux après tout. Dong-sun lui avait arraché Hoseok comme on arracherait un pansement : rapide, sans ménagement, pour que la douleur soit plus supportable.

Hoseok avait été une leçon de vie pour chacun d'entre eux, un aperçu de l'infamie à son paroxysme et ça les marquerait jusqu'à la fin de leurs jours. Car ce n'est pas d'être allé dans la maison des ténèbres qui compte, mais d'en être sorti.

Quand personne ne nous regarde, que nous sommes seuls face à nous-mêmes, nous courrons toujours aussi rapides et peureux, pour fuir les ténèbres que nous savons cachés derrière la porte de tant de foyers apparemment sans histoire, pour échapper aux hantises greffées dans la cervelle des enfants par ceux-là même que la nature leur dit de croire et d'aimer.

Hoseok était cette leçon. Celle qui bouleverserait la nation.

Dong-sun se tourna vers Yoongi, un petit sourire sur les lèvres.

– On fait ça dans les règles de l'art ?

Yoongi rigola. C'était un beau rire, clair, mélodieux. Il hocha la tête et tendit ses mains en direction du policier qui les menotta.

Il est impossible d'imaginer une histoire d'horreur avec une fin heureuse. Mais c'était la fin juste. La fin inévitable. Celle qui convenait aux trois hommes, en particulier à Yoongi.

Il avait rétabli la vérité sur Jiji, vengé les victimes d'Hoseok et détruit la Quinte Flush. Il en était heureux. Mais il savait qu'il lui était nécessaire d'expier ses longues années de silence à être seulement spectateur. La prison, il y allait avec un grand sourire sur le visage et le cœur apaisé.

Il y allait, soulagé, parce qu'il savait que le jour où il sortirait, quelqu'un serait là.

C'est pour cela, qu'avant de monter dans la voiture de Dong-sun, il se retourna vers Jungkook dont les larmes dévalaient ses joues malgré tout.

– Tu viendras me voir ?

Et Jungkook sourit. Les deux hommes sourirent. D'un sourire vrai, sincère. D'un sourire qu'ils pensaient tous deux avoir perdu. Et Dong-sun admira cette scène, parce que c'était magnifique.

– Promis.










𝓕𝓲𝓷

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