Pdv reader

Je cours.
Je cours et je m'accroche à la vie.
Je manque de tomber plusieurs fois à cause de cailloux qui roulent sous mes pieds ou de racines d'arbres qui sont dans mon chemin.
Je tremble de partout, non pas de peur, mais de fatigue. Il n'y a plus de peur, juste l'énergie du désespoir.
Je vais mourir aujourd'hui, je le sais. Pourquoi ? Car le pire démon de Goldy Pond est à mes trousses. Leuvis. Il ne me lâchera pas, il me talonne. Je tente d'accélérer et dérape dans l'herbe.
Je tombe et j'essaye de me remettre debout, mais Leuvis pose son pied dans mon dos et m'empêche de me relever.
Au loin, la mélodie de fin de partie résonne. Leuvis se penche vers moi et me dit :
- On se retrouve à la prochaine chasse, (t/p).

Puis il disparait, comme s'il n'avait jamais été là.
Soudain, je ressens la douleur dans ma jambe. Je pose ma main sur ma cuisse et la ramène vers mon visage. Je ne cris pas, ça ne sert à rien. Le sang recouvre toute ma main, Leuvis m'a salement amochée.
Je soupire et tente de me redresser à l'aide d'un bâton. Pas très pratique, mais ça fera l'affaire. Il faut que ça fasse l'affaire.

Je regarde derrière moi : une traînée de sang parcourt la forêt. Mon sang recouvre l'herbe, les cailloux, les racines.
Je n'arrive pas à être choquée, pourtant, je devrais sûrement l'être. Mais non, rien si ce n'est un visage blasé.
Je lâche un nouveau soupir et avance tant bien que mal vers le village mis à notre disposition. Vu ma démarche, je vais arriver quand il n'y aura plus personne. Je vais devoir me débrouiller. Toute seule. Comme d'habitude.

Le bout de bois qui me sert de béquille toque contre les dalles du chemin.
Le soir tombe et je suis complètement crevée. Mes vêtements sont déchirés et n'étaient clairement pas recommandés pour courir dans les bois. Mes cheveux sont en bataille avec sûrement des feuilles et des branches dedans. Mes genoux sont écorchés à cause que mon pantalon est déchiré. Mon visage doit sûrement être couvert de terre. Et ma jambe saigne toujours.

Aujourd'hui, ça fait 4 jours que je suis arrivée à Goldy Pond. J'ai réussi à sauver des enfants, pas tous malheureusement.
Ma famille est morte. Je n'ai pas pleuré. Je n'y arrive pas. Je suis peut-être en état de choc ?

Il y a encore des gens dans la rue principale du village.
Et m*rde ! Moi qui voulait éviter la résistance ! Ils me collent aux basques depuis mon arrivée, essayant de me recruter. Je les connais pas, ils ne me connaissent pas.
Les regards des enfants se tournent vers moi. Deux mioches courent vers moi en pleurant. Je les reconnais, c'est ceux que j'ai sauvés des griffes des deux démons jumeaux. Ils me prennent dans leurs bras et je passe doucement ma main dans leurs cheveux. Je souris faiblement pendant qu'ils me remercient de les avoir sauvés. Je ne réponds pas. Ils ont évité la mort pour cette fois, mais à la prochaine chasse, l'éviteront-ils à nouveau ?

Quelqu'un d'autre s'avance, je le distingue mal. Les contours sont flous. Puis je le reconnais, c'est un gars de la résistance. Je ne veux pas lui parler. Je l'ignore et recommence à marcher.
Je remarque alors qu'il fait étrangement silencieux. Ah oui, c'est vrai, ma jambe. Et la traînée de sang. Je crois que tout le monde m'observe, mais je ne fais rien, je continue simplement de marcher pour aller m'asseoir loin de tout le monde.

Quelqu'un m'attrape par le poignet. Je tourne la tête et lâche sèchement :
- Lâche moi. Tout de suite.

- Pas question ! Tu perds du sang, faut te soigner.

- Merci, j'avais pas du tout remarqué que ma jambe saignait comme une fontaine ! Je vais devoir remercier Leuvis de m'avoir transformée en objet de décoration.

Je fais de l'humour. Ça va pas du tout. Ma blague est nulle. Même moi, je ne ris pas.

Je me dégage de la poigne du garçon, mais c'est pour qu'il m'attrape ensuite en mode princesse. Il veut que je le frappe avec mon bâton ?

- Repose moi.

- Non.

- Repose moi.

- Je t'ai dit non.

- Repose moi, bordel !

- Non.

Il est d'un calme olympien. Je pensais que ce genre de personne était en voie de disparition. Bah apparemment, je me trompais. Encore. Comme d'habitude.
Il prend mon bâton et le jette. Je boude comme une enfant. 15 ans et je fais l'enfant. Faudrait vraiment que je grandisse.

Sur le chemin, on reste silencieux. J'ai l'impression d'être kidnappée. Je ris intérieurement. Je suis vraiment bizarre.

- Au fait, je m'appelle Zack. Et toi ?

Je reste silencieuse. Il a crû quoi, lui ? Je ferais pas copain-copine avec lui !

- Ok... tu veux pas parler. Tant mieux, je n'aime pas les gens qui parlent de trop.

Il se fout de moi ? Ou ça se passe comment ? On doit pas avoir la même définition sur les mots «bavard» et «pipelette».

Il toque à la porte du moulin et un géant lui ouvre. On nous dévisage une fois à l'intérieur.
Non, en fait, ils regardent tous Zack. J'ai envie de rire, mais c'est pas le moment.

- T'as réussi à l'attraper ?!

Je rêve ou la fille aux lunettes vient de me comparer à un animal sauvage.
Je gesticule et l'autre abruti me pose à terre.

- Premièrement, je suis pas un animal sauvage. Deuxièmement, je vous ai rien demandé. Troisièmement, je peux me débrouiller toute seule. Donc, vous arrêtez de me pourchasser comme les démons psychopathes et vous me foutez la paix !!

Je me retourne et avance doucement vers la sortie, mais l'espèce de géant me bloque le passage.
Je vais les tuer. Quelqu'un pose sa main sur mon épaule. Je sors un pistolet de ma veste et me retourne pour coller le canon sur la gorge de la personne. Un adulte. C'est une blague ?!

- Où t'as trouvé ça ?

- Comme si j'allais te répondre. On se connaît pas. Et j'ai horreur qu'on me touche. Si l'autre n'a pas eu mon flingue dans la gueule, c'est parce que je devais marcher avec un bâton.

Je dérive mon flingue vers la lanterne qui éclaire la pièce et tire.
D'un coup, il fait noir.
Le temps qu'ils rallument la lumière, je suis déjà loin. Et en plus, j'ai de quoi manger et me soigner.
On ne devient pas mon ami comme ça, Zack. Ça t'apprendra à forcer les gens.