Chapitre 5


Jungkook n'aurait pas cru que le simple fait d'être ami avec une star parviendrait à lui insuffler suffisamment d'énergie pour tenir le coup lorsque son boulot est merdique et que ses collègues le harcèlent, mais après la soirée passée au bar avec Taehyung, il a l'impression qu'il pourrait garder le sourire aux lèvres pendant la semaine entière.

Il s'avère que ce n'est pas tout à fait vrai.

Le lendemain, le jeudi, aucune des insultes ou des bousculades de ceux qui travaillent avec lui ne parvient à l'atteindre (ce qui d'ailleurs les agace prodigieusement). Mais le vendredi, c'est une autre histoire, et elle débute à huit heures, lorsque Jungkook entre dans l'open space de leur petit commissariat.

Quand il arrive, il se fait siffler par ses collègues déjà présents, et deux d'entre eux lui tapent dans le dos, un geste en apparence amical, mais Jungkook se méfie aussitôt. Ces gens ne sont jamais amicaux.

— Eh ben, Jeon ! T'as chopé une grosse prise, dis donc ! ricane l'un d'entre eux.

— Je savais pas qu'il aimait la bite, le V. Ça va pas lui faire du bien si ça se sait, persifle un autre.

Jungkook lève la tête vers eux, sans voix. Il n'a parlé à personne au boulot de Taehyung. Alors, s'ils sont au courant...

L'un d'entre eux tend un doigt vers son bureau. Plusieurs journaux de presse à scandale sont posés dessus, et Jungkook frémit. Il sait déjà ce qui se passe.

Le cœur tambourinant, il s'approche du bureau, tout en se répétant qu'il n'y a rien à craindre. Il ne s'est rien passé, ils sont juste allés boire un verre ensemble, Taehyung a bien le droit d'aller boire un verre avec ses amis, non ? Il n'y a rien à craindre.

Mais les tabloïds ont ce talent spécial de monter en épingle les choses les plus anodines, et c'est de cette façon que Jungkook voit son visage sur la photo, un grand sourire aux lèvres et la main en train de serrer celle de Tae, suivi du titre : «Qui est le nouvel ami de l'idole de la pop ? La star V a été aperçue hier en ville en compagnie d'un homme inconnu.»

Les autres journaux sont du même acabit. Beaucoup d'interrogations (« qui est le mignon inconnu ? »), beaucoup de conjectures, mais heureusement rien de vraiment incriminant – principalement, les auteurs de ces articles voudraient juste savoir de qui il s'agit, mais ne sautent pas le pas jusqu'à imaginer une relation entre eux.

Mais Jungkook reste figé de terreur, parce qu'il sait que ce n'est pas si simple. Il n'y a rien entre eux, et c'est un fait. Mais Taehyung lui a fait comprendre qu'il était intéressé, et Jungkook est (malgré lui) ouvertement gay, et si la presse apprenait ce dernier point (par exemple, avec un petit coup de pouce de la part d'un de ses collègues), les choses pourraient devenir vraiment compliquées.

Mais ce qui le terrifie presque encore plus, c'est de voir à quel point ces photos semblent avoir été prises de près, alors que Jungkook n'a vu absolument personne les observer ce soir-là. (Mais il ne regardait que Tae, et c'est peut-être pour ça.)

Il y a même des photos à l'intérieur du bar, alors qu'ils sont à moitié cachés par la plante en pot qui se trouvait devant eux ; mais pas assez bien cachés pour qu'on ne voie pas leurs visages, et lorsque Jungkook voit l'expression fascinée avec laquelle son alter ego de la photo étudie Taehyung, il se dit qu'il ne faudrait pas aller bien loin pour que tout le monde en tire des conclusions hâtives.

— Alors, Jeon ? Tu te le fais ? Avoue.

Jungkook hausse les épaules pour se débarrasser des mains des charognards posées sur lui.

— C'est juste un ami.

— Ouais, c'est ça, on nous la fait pas, à nous. Tu l'as connu comment ?

— Ça ne vous regarde pas, réplique-t-il froidement avant de s'installer à son bureau.

Pendant dix minutes, ses collègues continuent à l'asticoter, plantés autour de lui ; lorsque Jungkook ne répond pas, l'un d'entre eux renverse la tasse de café qu'il tenait dans les mains sur son plan de travail. Jungkook a juste le temps de bondir pour enlever la paperasse, tandis que les autres ricanent grassement. Le café se répand sur la surface, puis se met à goutter par terre, et Jungkook voit rouge au point que ses oreilles se mettent à bourdonner. Le temps a l'air de filer au ralenti, il entend son cœur battre dans ses tempes, et pendant un instant, il se demande si tout ça en vaut tellement la peine, si ce ne serait pas plus simple de démissionner, tout simplement.

Mais la rage qui déferle dans ses veines le lui interdit. Il a envie de les tuer, là, il a envie de les faire souffrir, mais surtout, il n'a pas envie de perdre. Et s'il démissionne, il perd, et ses collègues gagnent. C'est hors de question.

Aussi repose-t-il la paperasse sur un coin sec du bureau comme s'il ne s'était rien passé, calmement, tandis qu'à l'intérieur de lui tout bouillonne. Puis il attrape un rouleau d'essuie-tout et éponge les dégâts. Ses harceleurs, visiblement déçus par le manque d'intérêt dont il fait preuve, retournent à leur place en marmonnant, pendant que Jungkook s'agenouille pour essuyer le sol. Ses mains tremblent du contrôle qu'il doit exercer sur lui-même pour ne pas se mettre à hurler, mais le contrôle, c'est quelque chose que Jungkook maîtrise très bien, et ce n'est pas maintenant que ça va changer.

Lorsque tout est sec, il jette les papiers humides à la poubelle et se rassoit à sa place pour commencer à travailler, mais la colère, l'humiliation et aussi la peur, la peur de porter préjudice à Taehyung et à sa carrière à cause de ces photos, tournent en boucle dans sa tête.

Ce n'est qu'à sa pause qu'il s'autorise à sortir son téléphone de sa poche et à envoyer un message à Taehyung.

Moi

Il y a des photos de nous qui ont été prises l'autre soir.

Heureusement, Taehyung doit être en pause également, ou en séance de maquillage, peut-être ; en tout cas, presque immédiatement, son téléphone lui annonce en vibrant qu'il a reçu un message de La Star (Jungkook a changé son nom de code parce qu'il ne le trouvait plus si emmerdeur, finalement).

La Star

Ah bon ? :o Je savais pas...

Quand on était dehors ?

Moi

Oui, et aussi dans le bar.

Profitant de ce que ses collègues sont sortis déjeuner ensemble, Jungkook prend des photos des journaux, images et textes, et les envoie à Taehyung. Quelques minutes après, une autre réponse arrive.

La Star

Ça va, il n'y a rien de compromettant.

Ne t'inquiète pas pour ça, Jungkookie (:

Mais Jungkook s'inquiète. Tellement, même, qu'il a un mal fou à se concentrer sur le travail pour le reste de sa journée (surtout que ses collègues ne manquent pas une occasion de l'insulter, et si d'habitude, il parvient à les ignorer sans mal, c'est beaucoup plus compliqué lorsqu'ils mêlent Taehyung à leurs railleries). Heureusement, il est de service de nuit, demain ; et les nuits sont toujours plus paisibles.

Lorsqu'il rentre chez lui, le soir, il espère pouvoir en parler à Yoongi, son colocataire, dont le tempérament calme parvient toujours à l'apaiser dès qu'il est un peu trop anxieux ; mais la porte de sa chambre est fermée, avec le panneau "Ne pas déranger" dessus, ce qui veut dire qu'il est en train de composer, ou d'enregistrer, et qu'il n'est pas disponible pour discuter.

Jungkook se rabat donc sur Jimin. Il était émerveillé, au début, de voir à quel point c'était facile de renouer avec Jimin, à quel point c'était naturel de le réintégrer dans sa vie, à sa place de meilleur ami, comme s'il ne l'avait jamais quittée, comme si Jimin ne l'avait jamais oublié. Ça ne fait que deux semaines environ qu'ils se sont retrouvés, mais Jungkook a l'impression que son ami sera présent pour lui quoi qu'il arrive.

Et il en a fortement besoin, là.

— Allô ?

— Hyung ? répond Jungkook d'une petite voix. Je ne te dérange pas ?

— Kookie, répond Jimin avec un sourire que Jungkook entend à l'autre bout du fil. Tu ne me déranges pas du tout, j'ai fini ma journée de travail. Qu'est-ce qui t'arrive ? Tu préfères m'envoyer des messages, d'habitude. Quelque chose ne va pas ?

Sa voix est si douce, ses paroles si chaleureuses, que Jungkook, en surtension permanente depuis des semaines, des mois, à cause de son travail, se retrouve brusquement à éclater en sanglots, pour la première fois depuis des années. Il n'est plus habitué à ce qu'on lui témoigne de la gentillesse.

Immédiatement, Jimin s'inquiète.

— Jungkook ? Qu'est-ce qui se passe ? Tu veux que je vienne chez toi ? Je peux venir, c'est pas loin. Tu veux ?

— Non, non, répond Jungkook en reniflant, luttant pour reprendre le contrôle. Ne te dérange pas. C'est pas si grave.

— Si c'est pas si grave, pourquoi tu pleures ?

— Désolé, marmonne Jungkook en s'essuyant le nez. J'ai eu une journée merdique.

— Qu'est-ce qui s'est passé, Kook ?

Jimin est un auditeur attentif, le meilleur qu'on puisse imaginer. Il ne coupe pas Jungkook pendant qu'il raconte, il lui laisse le temps de renifler lorsqu'il a des difficultés, et il ne minimise pas ses inquiétudes. (Jungkook n'en veut pas à Taehyung, pourtant ; il sait que Taehyung ignore tout de ses problèmes au boulot et qu'il n'a pas les clés pour comprendre ses tourments ; toujours est-il que ça fait du bien d'en parler à quelqu'un qui sait.)

— C'est la première fois que je suis dans le journal, marmonne Jungkook d'une voix rauque. Et je suis dans la presse à scandales.

Visiblement, Jimin ne sait pas quoi répondre. Brusquement, Jungkook regrette de lui avoir dit de ne pas venir ; il aurait bien eu besoin d'une bonne tape réconfortante dans le dos.

— Je voulais les tuer, ajoute-t-il encore. Mes collègues. J'ai fait comme si ça ne me touchait pas, mais je voulais les tuer. Et si jamais ils vont dire à la presse que je suis gay ? Qu'est-ce qui se passera pour Taehyung ? Il sera mal vu si ça se sait...

— Ne t'inquiète pas pour Taehyung, répond Jimin fermement. Il sait comment gérer la célébrité et il a une équipe de relations publiques qui est très performante. Il a raison : si on vous voit juste échanger une poignée de mains, ça n'a rien de compromettant. Ils sauront parfaitement réagir à la crise, si jamais elle se présente. Et il se peut qu'elle ne se présente même pas. Ne t'inquiète pas pour lui, mais soucie-toi de toi. Ton environnement de travail est vraiment toxique...

— C'est hors de question, répond Jungkook avant même que Jimin n'ait pu terminer d'exposer le fond de sa pensée. C'est hors de question. Je refuse de démissionner. Ils ne m'auront pas à l'usure.

Il sait qu'il est têtu comme une bourrique, mais il s'en fiche.

— Ils peuvent renverser du café sur mon bureau, ou même sur moi, ils peuvent me refiler leurs patrouilles, leurs nuits entières de garde, ils peuvent me piquer mes repas dans le frigo, mettre des punaises sur ma chaise de travail, me faire des croche-pieds quand je passe devant eux, ça m'est égal.

— Personne ne peut continuer comme ça éternellement, soupire Jimin. Tu t'épuiseras mentalement avant.

— Peut-être, mais je refuse qu'ils gagnent.

— Le problème, c'est que s'ils gagnent, tu perds... Mais s'ils perdent, tu perds aussi. Tu perds quoi qu'il en soit, en restant à proximité de ces gens-là. Tu perds ton énergie et ta santé.

— Je m'en fiche, répète Jungkook d'un ton buté. Tant que ce qu'ils me font n'impacte pas Taehyung... Je m'en fiche.

— Tu ne devrais pas, dit Jimin doucement.

L'important, dans tout ça, c'est Taehyung. Et si, comme le dit Jimin, Taehyung est capable de gérer la crise, avec ses attachés de presse, alors c'est tout ce qui compte.

Jungkook refuse de courber l'échine.

Pendant quelques jours, Jungkook se sent dépassé par les évènements. Cette histoire de tabloïds lui a fichu une telle frousse qu'il n'ose même pas répondre aux messages que Taehyung lui envoie régulièrement ; ou lorsqu'il le fait, il se contente de renvoyer une ou deux phrases minimalistes.

Bien entendu, il ne faut pas longtemps pour Taehyung se rende compte que quelque chose ne va pas.

— Jeon Jungkook, est-ce que tu ne serais pas en train de m'éviter, par hasard ?

Jungkook déglutit. Lorsque son téléphone a sonné et qu'il a vu La Star s'afficher sur l'écran, il n'a pas pu s'empêcher de décrocher, parce qu'il ne voulait pas être impoli au point d'ignorer un appel de Kim Taehyung.

Pris au dépourvu, il bafouille :

— Euh... Je...

— Tu as changé d'avis, finalement ? À propos du fait de mieux se connaître ?

La voix de Taehyung est douce quand il dit ça, mais Jungkook peut entendre la déception qui pointe le bout de son nez derrière ses mots.

— Non ! se dépêche-t-il de répondre, paniqué. Pas du tout !

Dans toute cette histoire, s'il y a une chose qu'il ne regrette pas et qui lui met du baume au cœur dans les moments difficiles, c'est de savoir qu'il a eu la chance incroyable de faire la connaissance de Kim Taehyung. Pour rien au monde il ne voudrait changer ça.

— Alors de quoi s'agit-il ? Explique-moi, Jungkook. Je comprendrai si tu me dis que tu n'as plus envie de me fréquenter, mais quand tu ne me parles pas, je ne peux pas savoir ce qui ne va pas.

Jungkook lâche un soupir. Il a envie de lui proposer de se rencontrer, parce que l'explication est longue, et que ce ne sont pas des choses qui se racontent par téléphone ; mais il a la trouille de revoir Taehyung. Ou plutôt, il a la trouille qu'il y ait des paparazzis pour l'espionner si jamais il revoit Taehyung.

Alors il faut qu'il se contente du coup de fil.

— Cette histoire de tabloïds m'a fichu les jetons, avoue-t-il.

— Les tabloïds ? répète Taehyung, sincèrement étonné. C'est ça qui t'embête ?

— Ça ne t'embête pas, toi ? D'être pris en photo partout où tu vas, de risquer de voir tes secrets étalés au grand jour ?

— Je suis habitué, répond Taehyung. Et pour mes secrets, je fais attention. Mais ces photos nous montrent juste en train de nous serrer la main, Jungkookie. Elles n'ont rien d'inquiétant. Elles donnent l'impression qu'on se connaît à peine.

— Oui, mais... Et si la presse apprenait qui je suis, si elle savait que je suis gay ? Ton image n'en pâtirait pas ?

— Mais non, Jungkookie. Ne t'inquiète pas pour mon image. (Il parle comme Jimin, pense Jungkook.) C'est mon problème, pas le tien.

— Je ne veux pas t'attirer d'ennuis, murmure tout de même Jungkook.

— Je préfère que tu m'attires des ennuis en me fréquentant plutôt que d'être en sécurité sans pouvoir te parler, répond Taehyung avec une sincérité qui envoie une flèche dans le cœur de Jungkook.

Bon sang, comment fait-il pour pouvoir exprimer de façon aussi directe ce qu'il ressent ? Sans être embarrassé ? À l'autre bout du fil, Jungkook rougit jusqu'aux oreilles.

— D'accord, marmonne-t-il.

— Ne m'évite plus, Jungkook. Ok ?

— D'accord, répète Jungkook. Pardon.

À en croire la conversation longue de deux heures qui suit, Taehyung le pardonne.

Le fait d'avoir été doublement rassuré par Jimin et par Taehyung apaise un peu l'inquiétude de Jungkook. Il n'a pas revu Taehyung depuis qu'ils se sont expliqués, mais ils s'appellent régulièrement et s'envoient des messages dès qu'ils ont un instant de libre, et même si Jungkook continue d'éluder les avances pas toujours subtiles du chanteur, il se sent quand même irrésistiblement attiré par lui, par son charme, par sa personnalité, et Taehyung prend une place grandissante dans son cœur.

Cette étrange émotion naissante lui procure une agréable sensation de bonheur – et c'est pour ça que le pire le cueille au plus mauvais moment, alors qu'il a baissé sa garde.

C'est un jeudi matin, en arrivant au travail (cachant son sourire en regardant à nouveau un selfie que Taehyung lui a envoyé du Japon hier), après une journée de repos beaucoup trop courte, que son monde entier se met à s'écrouler ; tout commence à l'instant précis, en fait, où son chef, depuis le seuil de son bureau, lâche un tonitruant "Jeon Jungkook !" qui résonne dans la pièce.

Immédiatement, un grand silence se fait. Tout le monde lève les yeux vers le chef, puis vers Jungkook, qui déglutit. Ce n'est pas le genre d'intonation qui annonce une promotion imminente.

— Dans mon bureau immédiatement, ajoute le chef.

Et lorsqu'il claque la porte derrière lui, Jungkook sait qu'il va passer un très mauvais moment, même s'il ne sait pas pourquoi. La stupeur est telle que ses collègues ne pensent même pas à ricaner, ils chuchotent juste entre eux ; les jambes flageolantes, Jungkook se lève et se dirige vers le bureau. Il fait trente-trois degrés dehors, aujourd'hui, mais il sent une goutte de sueur glaciale rouler le long de sa colonne vertébrale.

Qu'est-ce qu'il a encore fait ?

Lorsqu'il ferme la porte derrière lui, son chef s'est réinstallé sur son siège et lui fait signe froidement de prendre place en face. Les rayons du soleil, à moitié bloqués par les stores, envoient des stries de lumière sur son uniforme. Visiblement, il a un sacré savon à lui passer.

Silencieux comme une ombre, Jungkook s'installe dans l'une des deux chaises en face du bureau.

— Il y a un problème, Monsieur ? demande-t-il, hésitant.

De tous, même s'il est celui qui le harcèle le moins, son chef est celui qui le déteste le plus. Il n'a jamais pardonné le fait que son meilleur élément, son agent préféré, se révèle brutalement être gay. Alors qu'il était si amical avec Jungkook autrefois, presque paternel, il est maintenant celui que Jungkook craint le plus, à cause de la haine non voilée qu'il peut lire chaque fois qu'il croise son regard.

— Les faits sont les suivants, énonce soudain son chef comme un robot. Vous avez rempli un rapport à propos d'une affaire de tapage nocturne ayant eu lieu dans la nuit du mardi 25 au mercredi 26 juillet. Vous avez été appelé à 3h46 du matin, et êtes arrivé sur les lieux de la fête vers les quatre heures. Le propriétaire de l'appartement était Kim Taehyung, alias V, le célèbre chanteur.

— En effet, répond Jungkook sans comprendre où il veut en venir.

— Vous avez rempli un second rapport pour tapage nocturne, à nouveau chez Kim Taehyung, le mardi suivant, 1er août.

— C'est exact.

— Par la suite, plus aucun tapage nocturne n'a été signalé. En revanche, le mercredi 16 août, vous avez été pris en photo avec Kim Taehyung, en train de boire un verre avec lui dans un bar.

Oh, bon Dieu. C'est à cause des photos. Il aurait dû s'en douter. Même si, en réfléchissant logiquement, elles ne sont pas plus compromettantes que de se faire surprendre en train d'embrasser son collègue de travail dans les vestiaires après le service, mais la logique a déserté son cerveau, en cet instant précis. Il ne peut que penser : "Je le savais".

Terrifié, il reste muet.

— Est-ce que vous me confirmez que c'est vrai, oui ou non ?

— Oui, répond Jungkook d'une toute petite voix.

— Pourquoi êtes-vous allé boire un verre avec lui ?

Jungkook en a la tête qui tourne. Parce qu'il n'a pas arrêté de me draguer, parce qu'il a insisté, parce que j'en avais envie, ne sont pas des réponses acceptables. En fait, il n'y a aucune réponse acceptable. C'est sa vie privée, d'ailleurs, et ce qu'il fait pendant son temps libre ne devrait pas avoir à impacter son travail.

— Alors ? insiste son chef.

Jungkook ne sait absolument quoi répondre. Paniqué, il finit par lâcher :

— Parce que c'est un ami.

— Vous admettez donc que vous êtes ami avec le chanteur V ?

— Euh... Oui.

— Très bien, répond son chef en hochant la tête. Vous voudrez donc peut-être savoir que plusieurs personnes ont été arrêtées cette nuit, vers 3h30 du matin, à l'appartement de Kim Taehyung, pour possession de substances illicites.

Jungkook en tombe des nues.

Quoi ?!

Son chef lui jette un regard mauvais.

— Vous êtes sourd ? Une dizaine de personnes ont été arrêtées au domicile de Kim Taehyung pour possession et consommation de drogues, notamment de marijuana et de cocaïne.

Jungkook met sa main devant sa bouche en O. C'est impossible.

— Cette nuit ? Mais... Il n'était pas avec eux, alors...

Taehyung est au Japon depuis une semaine pour faire la promo de son dernier single.

Son chef, pour sa part, plisse les yeux, l'air méfiant.

— Kim Taehyung n'était effectivement pas chez lui lorsque l'arrestation a eu lieu. Mais soyons sérieux : c'est son appartement. Il devait certainement savoir ce qui se passait.

— Taehyung n'est pas comme ça, marmonne Jungkook.

Mais une peur terrible lui glace le cœur, car au fond, il ne sait pas vraiment comment est Taehyung. Quand on se drogue, on n'en parle pas forcément à quelqu'un qu'on connaît depuis un mois, encore moins si on a des vues sur lui.

Malgré tout, il refuse de le croire. Taehyung n'est pas comme ça.

— Je ne vous ai pas fait venir pour vous demander votre avis sur la question, rétorque sèchement le chef. Je suis en train de vous expliquer que vous êtes en très mauvaise posture.

— Moi ? demande Jungkook, surpris.

— L'arrestation a eu lieu après une alerte pour tapage nocturne hier soir également. Un de nos officiers y est allé et s'est rendu compte que la drogue tournait. Il a demandé des renforts au commissariat principal pour embarquer toute la troupe. La véritable question qui se pose pour vous, Jeon Jungkook, c'est : pourquoi n'avez-vous pas procédé à l'arrestation de ces consommateurs lorsque vous vous êtes rendu là-bas, le 25 juillet et le 1er août ?

Une nouvelle fois, Jungkook manque d'en tomber à la renverse.

— Il n'y avait pas de drogue qui circulait quand j'y suis allé !

— Vous en êtes sûr ?

— Bien sûr que j'en suis sûr !! s'exclame Jungkook.

Lentement, son chef croise les doigts sous son menton, un petit sourire vicieux aux lèvres.

— Vous voyez, Jeon, il n'y a pas si longtemps, je vous aurais cru, mais maintenant, je me demande si vous n'êtes pas juste en train de protéger votre ami... ou votre petit ami ?

Jungkook ouvre la bouche et la referme, comme un poisson hors de l'eau. L'accusation est tellement inattendue, tellement injuste, qu'il ne sait absolument pas comment réagir.

— Taehyung n'est pas mon petit ami, et je ne le protège pas !! finit-il par s'écrier lorsqu'il retrouve l'usage de sa voix. Il n'y avait pas de drogue lors des deux premières fêtes !

— Même si vous vouliez lui éviter un scandale, c'est un crime grave, pour un officier de police, de protéger un consommateur de drogue.

— Je ne le protège pas !! rugit Jungkook en se levant, les oreilles écarlates sous l'effet de la colère.

Mais son chef se contente de sourire, et Jungkook comprend, subitement : il se fiche bien qu'il y ait eu ou non de la drogue à l'appartement les deux premières fois. Il sait que Jungkook dit probablement la vérité. Mais il tient enfin l'occasion rêvée de se débarrasser de lui, comme il en rêve depuis des mois.

Quoi que Jungkook dise, c'est fichu.

Il serre les poings. Ses doigts sont glacés.

— Vous êtes viré, Jeon, dit finalement son chef, énonçant les mots avec un plaisir évident. Avec effet immédiat. Rendez votre insigne et votre arme, prenez vos affaires et dégagez les lieux.

Pendant quelques instants, Jungkook le fixe, immobile, tandis que son chef lui rend son regard. Un lourd silence plane – de l'autre côté de la vitre qui les sépare de l'open space, tout le monde les regarde avec des yeux écarquillés.

Alors voilà. Ils gagnent, finalement.

Il n'y a rien à faire.

En silence, Jungkook sort de la petite pièce et va chercher son insigne et son arme, rangés dans le premier tiroir de son bureau. Il revient les déposer sans douceur devant son chef, qui n'a toujours pas bougé. Puis, suivi par les yeux de ses collègues, il s'en va rassembler ses maigres possessions : son téléphone portable, ses fournitures de bureau, son mug rose avec le dessin d'un lapin bodybuildé qui est censé le représenter (cadeau de Yoongi d'après une de ses propres œuvres d'art).

Et enfin, sans le moindre mot, sans même un adieu, ni un dernier regard à ses collègues, il prend ses affaires et quitte le petit poste de police pour la dernière fois.

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