La première chose à faire, pour eux, c'est d'aller voir Seokjin et Namjoon.

(Ou plutôt, non, la première chose à faire était d'en parler à Jimin, après tout ce qu'il a vécu, le pauvre, mais comme il a appelé Jungkook sur son téléphone alors que celui-ci était encore en train de discuter avec Taehyung dans le restaurant malgré le fait qu'il soit seize heures passées, il en a profité pour lui annoncer la bonne nouvelle. Celui-ci a hurlé un "YESSS !!" si retentissant dans le combiné que Jungkook a manqué d'en avoir le tympan percé, et Taehyung, en face de lui, a éclaté de rire.)

Jungkook regarde donc Taehyung frapper à la porte, nerveux. Celui-ci a pris rendez-vous, en plus, donc inutile de penser à se débiner.

— Entrez ! lance la voix de Seokjin.

Ça faisait longtemps que Jungkook n'avait plus vu l'intérieur du bureau de Seokjin, qui ressemble toujours autant à une salle de réunion, avec sa table ovale au milieu. Il sait qu'en tant que chef de l'équipe de relations publiques de Taehyung, il doit souvent convoquer le reste de sa team pour gérer les problèmes qui peuvent se poser – à tout hasard, un scandale de drogue, ou un garde du corps dont l'homosexualité est brutalement jetée en pâture à la presse.

Seokjin et Namjoon sont assis à la table ovale ; tous deux ouvrent grand les yeux lorsqu'ils voient Taehyung entrer avec Jungkook. Surtout Seokjin, à vrai dire – la surprise doit être moins grande pour Namjoon, qui devait bien avoir deviné quelque chose quand il a prêté sa voiture à Taehyung il y a deux jours.

Seokjin, lui, est sidéré.

— J... Jungkook ?

— Bonjour, Seokjin-hyung, répond Jungkook avec un sourire.

Taehyung lui donne un coup de coude.

— Tu ne m'appelles jamais "hyung", moi !

— Tu préférerais ? demande Jungkook en haussant un sourcil.

Taehyung réfléchit un instant, puis répond :

— Non, à la réflexion. Juste Taehyung, ça va. Ou Tae. Ou Taehyungie.

— Ok, Taehyungie, sourit Jungkook. Avance, tu bloques le passage.

Sous le regard éberlué des deux hommes, Taehyung va s'installer à deux sièges d'écart de Namjoon, et Jungkook s'assoit à côté de lui.

Puis Taehyung prend la main intacte de Jungkook, enserre ses doigts entre les siens, et annonce d'un ton formel :

— Jungkook et moi, on est ensemble. Et on veut rendre notre relation officielle. On s'est dit qu'il valait mieux vous mettre au courant, mais on n'a pas l'intention de revenir sur notre décision.

Cette fois, les yeux leur sortent carrément des orbites, et Jungkook se sent un peu embarrassé – mais Taehyung a raison ; pas question de faire marche arrière maintenant. C'est une décision commune, et il a l'intention de s'y tenir, même s'il est terrifié pour Taehyung.

— Ok, euh... Merci de nous prévenir, j'imagine ? finit par dire Seokjin, éberlué. Je ne savais même pas que vous vous étiez remis ensemble.

— C'est récent, admet Taehyung. D'hier, en fait. Mais c'est sérieux. On s'est mis d'accord.

Il n'ajoute pas le "cette fois", mais Jungkook l'entend quand même, et se sent aussitôt coupable – ce que doit certainement comprendre Taehyung, qui serre ses doigts plus fort.

Namjoon, lui, sourit chaleureusement.

— Ça me fait plaisir de vous voir ensemble, tous les deux. Je me disais que Jimin rêvait un peu trop quand il essayait de vous pousser à collaborer, mais il devait savoir des trucs que j'ignore, ajoute-t-il en regardant Jungkook, qui lui répond par un sourire embarrassé.

— Je suis content aussi, ne vous méprenez pas, se hâte d'ajouter Seokjin. Mais... vous êtes sûrs ? Vous avez considéré toutes les options ? La sexualité de Jungkook ne fait plus autant de vagues qu'avant dans la presse et vous ne travaillez plus ensemble. Vous pourriez d'abord essayer de vous fréquenter en cachette, je pense que ça passerait.

— Non, dit Taehyung d'un ton coupant. On veut que ce soit officiel. J'en ai marre de me cacher comme si je faisais quelque chose de mal. Cette fois, on organisera des rendez-vous amoureux, et on ira au resto ensemble, et au ciné ensemble, et on se tiendra la main en public si on en a envie.

Jungkook est impressionné par sa détermination. Pour la première fois, il se rend compte que ce ne sont plus juste des promesses, des paroles en l'air : c'est un chemin menant à un futur concret qu'ils sont sur le point d'emprunter.

Un instant, il imagine la tête que feront ses parents quand ils l'apprendront. Peut-être qu'ils diront qu'il a détourné Taehyung du droit chemin, ou quelque chose d'horrible dans ce genre. Il n'en sait rien. Il n'a pas eu de nouvelles depuis des mois, et il n'en a pas demandé non plus.

— Très bien, dit Seokjin en hochant la tête. Si vous êtes certains de vous, je ne veux pas vous en dissuader. Comment est-ce que vous comptez vous y prendre ? Faire une annonce officielle, ou laisser les choses faire leur cours ?

— La seconde option, répond Taehyung après avoir jeté un regard à Jungkook pour s'assurer qu'ils sont bien d'accord. On laissera les gens comprendre ce qu'ils voudront quand ils nous verront, et on gèrera les retombées.

— Ça risque de porter un sacré coup à ta carrière, l'avertit Seokjin. Mais je suppose que tu le sais.

— On le sait tous les deux, répond Jungkook à sa place. On est prêts à accepter les risques.

Il continue à espérer de tout son cœur que Taehyung ne lui en voudra pas, mais il part plus confiant, maintenant ; il a pu évaluer de ses yeux la profondeur des sentiments que Taehyung lui porte.

— Entendu, dit Seokjin. Je vais prévenir le reste de l'équipe. Si l'opinion publique n'est pas favorable et que vous subissez des critiques, on publiera un communiqué sur le fait que ta vie privée n'a rien à voir avec ta carrière et que nous, à Big Hot, on a bien l'intention de séparer les deux.

— Ok, répond Taehyung, visiblement soulagé. Merci, Jin-hyung.

Seokjin lui répond par un sourire assez inattendu.

— Tu as l'air beaucoup plus heureux qu'il y a quelques jours, Taehyung. Ça fait plaisir à voir.

Jungkook voit Taehyung rougir légèrement en hochant la tête, et il se sent gêné, lui aussi – mais c'est agréable.

Il a l'impression que Taehyung est officiellement à lui, cette fois.

Le plus étrange pour l'instant, dans leur relation, c'est que Taehyung aille au travail sans que Jungkook ne soit sans cesse à ses côtés comme avant, malgré leur réconciliation.

Mais lorsqu'ils terminent chacun leur journée de boulot et se retrouvent à l'appartement de Taehyung, c'est chaque fois comme s'ils ne s'étaient pas vus depuis des siècles. Ce soir, c'est Jungkook qui rentre plus tard, après une matinée passée à enseigner à l'école de danse et un après-midi de répétition avec les T&T. À peine passe-t-il le pas de la porte que Taehyung le colle contre le mur du couloir et l'embrasse passionnément.

Jungkook se met à rire, toujours incapable de croire qu'il a maintenant le droit d'embrasser Taehyung jusqu'à la fin de leurs jours.

— Tu m'as manqué, soupire Taehyung en glissant ses lèvres dans son cou.

Jungkook enfouit son nez dans ses cheveux et respire l'odeur de son shampoing. Il a le cœur qui menace d'exploser dans sa poitrine. C'est trop de bonheur pour un seul homme.

— Toi aussi, Taehyungie, dit-il en passant ses mains dans son dos pour l'attirer tout contre lui.

Son petit ami relève la tête, un grand sourire sur les lèvres.

— J'adore quand tu m'appelles comme ça.

— C'est pour ça que je le fais.

— Je suis trop heureux, soupire à nouveau Taehyung en passant ses bras autour de son cou. Jungkookie. Je suis tellement heureux que tu sois là. Je t'aime tellement.

Jungkook l'embrasse dans le cou à son tour, et lui glisse à l'oreille :

— Moi aussi, Taehyung. Je t'aime.

Il a du mal à exprimer ses émotions depuis toujours, mais il sait que Taehyung l'a cru quand il lui a dit qu'il ne l'aimait pas assez, pendant leur rupture, et il a peur qu'il en soit toujours convaincu, quelque part – aussi s'oblige-t-il à le répéter le plus souvent qu'il peut, le plus sérieusement possible. Il ne veut plus jamais que Taehyung pense qu'il ne l'aime pas assez.

Taehyung lui caresse les cheveux en guise de réponse, et Jungkook pourrait passer des heures comme ça, là, dans le couloir de son appartement, dans ses bras. Il se demande comment il a fait, comment ils ont fait, tous les deux, pour survivre l'un sans l'autre pendant de si longs mois.

Puis Taehyung finit par se reculer et dit :

— Je me demandais... Est-ce que tu veux qu'on s'organise un rendez-vous amoureux ? En ville ?

Il y a une sorte d'appréhension dans son regard, comme s'il s'attendait à ce que Jungkook dise non, de peur d'être déjà sous le feu des projecteurs, si vite après qu'ils se soient remis ensemble – et un peu de méfiance, aussi ; mais Jungkook, qui sait que c'est un test, n'hésite pas un instant et hoche la tête en souriant.

— Bien sûr. Quand ?

— Après-demain soir ? propose Taehyung, qui fait visiblement de son mieux pour cacher son soulagement en le voyant acquiescer. Je suis dispo à partir de 18h. On pourrait aller au restaurant, aller au cinéma... Ça te dirait ?

— Évidemment que ça me dirait, répond Jungkook avant de lui voler un rapide baiser.

Les deux jours passent à une vitesse folle, occupés comme ils sont, et lorsque le rendez-vous arrive, Jungkook est horriblement nerveux. Déjà, c'est son premier vrai rendez-vous amoureux depuis des années ; ensuite, c'est son premier vrai rendez-vous amoureux avec Taehyung. Enfin, il sait ce que ça signifie : il s'agit probablement de leurs dernières heures d'anonymat avant que leur relation ne soit dévoilée aux yeux du public, et que leur tranquillité ne vole en éclats de façon permanente.

Comme il sait qu'il y aura des gens pour les prendre en photo, il prête un soin particulier à sa toilette, sous l'œil vigilant de Yoongi (qui peut avoir ses éclairs de génie lorsque ça concerne la mode), et s'observe dans le miroir d'un œil critique : il porte une chemise blanche à col mao, aux deux derniers boutons ouverts, avec une veste de costume noire aux revers de satin et, pour ne pas être tout de même trop collé monté, un jean noir moulant (il sait que Taehyung les adore) et des Dr. Martens de la même couleur. Il a enfilé quelques bracelets et bagues, un collier, attaché ses cheveux à l'arrière de son crâne, et il s'est même un peu maquillé. (Malheureusement il porte toujours son attelle, mais ça, il ne peut rien y faire.)

— Ça te va bien, commente Yoongi. Très rock. Tu me ferais presque douter de mon asexualité.

Jungkook lève les yeux au ciel, mais ne peut s'empêcher de sourire, flatté.

— Ne dis pas ça devant Jimin, il va pleurer.

— C'est un secret entre nous, confirme Yoongi.

— Vous êtes ensemble, finalement, ou quoi ?

Pour toute réponse, son colocataire lui donne un coup de pied au cul.

— Tu vas être en retard, barre-toi d'ici.

— Ok, ok.

Il est censé retrouver Taehyung devant le restaurant que celui-ci a insisté pour choisir, un endroit chic de Gangnam généralement fréquenté par des célébrités. Lorsque son petit ami sort de la voiture qui vient de le déposer, Jungkook le regarde bouche bée.

— Mais non.

Il a osé.

Taehyung s'approche de lui comme s'il marchait sur un catwalk, un sourire renversant aux lèvres, et se plante devant Jungkook, l'air rayonnant.

Il porte son costume vert, LE costume vert Gucci qu'il portait le jour où Jungkook a sonné à sa porte pour la première fois. Avec ses cheveux séparés par une raie, qu'il a teints dans une nuance plus claire de brun que le noir corbeau qu'il avait jusque-là, ses lunettes ambrées et ses chaussures à motif crocodile en cuir brun, il a l'air de valoir un million de dollars.

— Comment tu me trouves ? demande-t-il à Jungkook, visiblement très fier de lui.

Jungkook sourit, amusé.

— Tellement beau que tu me donnes envie de rentrer directement à l'appartement sans passer par la case resto, dit-il sincèrement.

Taehyung rougit légèrement, satisfait, puis se recule pour admirer Jungkook à son tour.

— On est deux, alors, dit-il avec un regard tellement lubrique que c'est Jungkook qui se sent rougir à son tour. Je peux t'embrasser ?

Le cœur de Jungkook s'arrête un instant – ils sont en pleine rue, après tout – mais il ne lui faut que deux secondes avant de finir par hocher la tête, et Taehyung se penche vers lui, mais au lieu de ce qu'il attendait, il lui dépose un léger bisou sur la joue et se recule d'un air malicieux.

Puis il tend la main, et Jungkook la prend.

Les doigts entremêlés, ils entrent dans le restaurant ; lorsque l'hôtesse d'accueil lève les yeux vers eux, elle semble sur le point de s'évanouir, pendant un instant.

— B... Bienvenue, dit-elle en retrouvant ses bonnes manières.

— Kim Taehyung, claironne celui-ci. J'ai réservé une table pour deux personnes.

— Euh... Oui bien sûr, un instant, euh...

Après beaucoup d'agitation, elle leur fait traverser la salle, et Jungkook remarque en la suivant que tout le monde, absolument tout le monde, a les yeux rivés sur eux, et que les conversations s'éteignent sur leur passage. (Il faut dire que Taehyung est probablement l'élément le plus remarquable de cette pièce.)

Mais il n'enlève pas pour autant sa main de la sienne. Au contraire, il la serre plus fort, et Taehyung lui adresse un petit sourire plein de tendresse.

L'hôtesse les installe à une table à côté d'une baie vitrée qui donne sur la rivière Han, et Jungkook siffle doucement.

— C'est joli, murmure-t-il. Merci, Taehyungie.

Il y a même des bougies sur la table, et c'est d'ores et déjà le rendez-vous le plus romantique que Jungkook ait vécu de sa vie.

Une fois qu'ils sont installés face à face, un verre de vin blanc à la main, et qu'ils commencent à discuter, c'est facile d'oublier qu'ils feront probablement la une de la presse demain, et qu'ils seront dans les tendances de Twitter ce soir (s'ils n'y sont pas déjà - mais ils ont tous les deux préféré couper leur téléphone).

— Je suis tellement content qu'on puisse faire ça, finit par avouer Taehyung en découpant un morceau de son coq au vin. Vivre notre vie sans se soucier des autres.

— Tu n'as pas peur ? demande Jungkook sérieusement. De voir tout ce que tu as construit depuis plus de dix ans t'échapper ?

— Non. Je rebondirai. Et si je n'y arrive pas, je trouverai quelque chose d'autre à faire. Mais ça, dit-il en faisant un geste qui les montre tous les deux, c'est trop important pour faire des concessions. Qui sait, peut-être qu'on aura une bonne surprise ? Peut-être que le monde ne réagira pas aussi mal qu'on l'imagine.

— On peut toujours espérer, oui.

— T'inquiète pas pour ça, Jungkookie. Tant qu'on reste à deux, je ne me fais pas de souci.

Jungkook ne peut s'empêcher de glisser sa main sur la table pour serrer la sienne. Il a l'impression que son épiderme le brûle, sous l'insistance des regards toujours posés sur eux, mais il entrelace fermement ses doigts avec ceux de Taehyung.

— Raconte-moi ta tournée mondiale, demande-t-il pour changer de sujet. Tu ne m'as pas dit comment ça s'était passé. On a tellement de choses à rattraper.

Alors qu'ils bavardent, Jungkook sent que quelques personnes hésitent à s'approcher pour demander un autographe, mais finalement, personne n'ose les déranger, ce dont il est reconnaissant.

Taehyung paie la note (Jungkook n'ose même pas regarder à combien elle se monte, dans un luxueux restaurant français au cœur de Gangnam), puis ils se dirigent à pied vers le cinéma, main dans la main, dans un silence confortable, savourant le simple fait d'en être capables.

C'est également la première fois qu'ils vont au cinéma ensemble, remarque Jungkook, et ça, c'est à marquer d'une pierre blanche, pour les deux passionnés qu'ils sont. Il n'y pas grand monde dans la salle, car le film qu'ils sont venus voir, Peninsula, est déjà sorti presque un mois auparavant, et tant mieux.

C'est Jungkook, qui adore les films d'horreur, qui a choisi celui-ci, la suite de Dernier Train pour Busan, et il sait que Taehyung n'a pas protesté parce qu'il pourrait lui serrer la main à la briser lorsqu'il aurait peur. Finalement, ils terminent avec la tête l'un contre l'autre, confortablement installés, et même si l'enfer se déchaîne sur eux demain, Jungkook n'a jamais été aussi heureux.

— C'était une super soirée, Taehyung, dit-il lorsqu'ils remontent dans la voiture. Merci beaucoup.

— La première d'une longue liste, répond Taehyung avec un sourire. Tu verras.

Jungkook hoche la tête. Il ne sait pas ce que l'avenir leur réserve, mais il a hâte.