Chapitre 22
Lorsque Jungkook entre dans la loge, après avoir toqué à la porte, Taehyung est frappé de constater à quel point il est pâle, à quel point il a l'air triste et fatigué. Il a les yeux rouges, les paupières gonflées.
Son premier réflexe est de lui demander si ça va, puis il réalise à quel point c'est une question idiote : non, bien sûr que non, ça ne va pas. Ce que Jungkook craignait le plus s'est produit.
Alors, sans rien dire, il s'avance et le serre dans ses bras. Il sent le gel douche, le shampoing, une odeur que Taehyung pourrait respirer pendant des heures, comme celle de ses cheveux quand il se réveille le matin ou de son cou le soir quand ils se blottissent l'un contre l'autre.
Jungkook semble abattu, amorphe, car il lève à peine les bras pour rendre son étreinte à Taehyung, et les doigts qu'il referme légèrement sur sa chemise tremblent.
Taehyung a énormément de peine pour lui.
— Je suis désolé, Jungkookie, murmure-t-il contre sa nuque.
— Pourquoi tu t'excuses ? Ce n'est pas de ta faute.
La voix de Jungkook est rauque, sans inflexion, et Taehyung a presque peur, lorsqu'il le voit dans cet état.
— Bien sûr que si, répond-il en soupirant. Si tu ne sortais pas avec une célébrité, ta vie personnelle ne serait pas exposée dans les médias...
Il s'imagine, quelque part, que Jungkook va lui dire qu'il savait à quoi s'attendre quand il a commencé à sortir avec lui, ou bien que c'est de la faute de ceux qui ne savent pas respecter la vie privée des autres.
Mais Jungkook ne répond pas.
— On va trouver une solution, ok ? continue Taehyung, anxieux. J'en ai parlé à Jin, il m'a dit qu'il me soutenait quoi que je décide de faire...
Jungkook se recule. Il a une drôle d'expression, que Taehyung n'arrive pas à déchiffrer, et elle le met mal à l'aise.
— Et qu'est-ce que tu penses faire ?
— J'y ai réfléchi, et... Bien sûr, ce sera aussi ta décision, mais... après réflexion, je me suis dit que... j'aimerais qu'on officialise notre relation.
Cette fois, Jungkook ouvre de grands yeux stupéfaits.
— Pardon ?
— Je veux dire... On n'est pas certains que ça plombera ma carrière... Elle a bien réussi à survivre au scandale de drogue...
— Tu n'étais pas coupable, dans le scandale de drogue, fait remarquer Jungkook. C'était un malheureux concours de circonstances dont tu n'étais pas responsable. Là, c'est différent.
— Je sais, dit Taehyung, mais... Qu'est-ce que tu proposes d'autre ? Si on ne fait pas ça, je serai obligé de nier, et ça voudra dire qu'il faudra se tenir à carreau pendant les mois, voire les années à venir, et c'était déjà tellement dur pendant cette dernière semaine. Qu'est-ce qu'on peut faire d'autre ?
— On peut se séparer.
... Quoi ?
Le coup est tellement inattendu, tellement brutal, que Taehyung chancelle.
Il a mal entendu. Il a forcément mal entendu.
— Qu'est-ce que tu viens de dire ?
— Je veux qu'on se sépare, répète Jungkook, le visage fermé.
— Hein ? Quoi ? balbutie Taehyung avec difficulté. Tu peux pas... tu peux pas être sérieux.
C'est une blague, c'est ça ? C'est certainement une blague. Jungkook ne peut pas le quitter maintenant, alors qu'ils s'aiment, ils s'aiment, pas vrai ? Jungkook ne peut pas le quitter. C'est impossible. Ils s'aiment.
Jungkook recule encore d'un pas. Il n'y a absolument aucune trace de blague sur ses traits ; en fait, il n'a jamais eu l'air aussi sombre, aussi tendu. Il est sérieux.
Comment ? Comment peut-il dire ça sérieusement ?
— Jungkook... Je sais que tu as peur, mais... on peut s'en sortir... tant qu'on reste ensemble...
Il sent des milliards d'épines lui traverser la gorge, il sent les larmes qui brûlent au bord de ses yeux, le désespoir qui enfle dans sa poitrine. Il n'attend qu'un mot de Jungkook pour faire partir toute cette douleur, toute cette panique qui est en train de naître dans ses veines, d'accélérer son cœur, de noyer son cerveau dans une brume de terreur.
Mais Jungkook répond cruellement :
— Non, Taehyung. C'est justement si on reste ensemble qu'on ne pourra pas s'en sortir. En se séparant, tous les problèmes seront réglés. Tu pourras continuer ta carrière, et moi je n'aurai plus à subir les intrusions des médias dans ma vie.
La remarque lui fait l'effet d'une douche glaciale qui se déverse sur sa tête. Il a l'impression qu'il va mourir. Jungkook vient de plonger la main dans sa cage thoracique, de lui arracher le palpitant, et il le tient dans sa paume couverte de sang, en train d'égrener ses gouttes écarlates sur la moquette. Taehyung parvient presque à le voir comme si c'était vrai. Il y a un trou énorme au milieu de sa poitrine.
Il savait que Jungkook avait peur de l'attention des médias, mais lorsqu'ils s'étaient mis ensemble, il avait dit que c'était ce qu'il voulait, il avait fait son choix...
Et maintenant, il fait marche arrière ?
— Mais... Tu savais ce que ça impliquait... de sortir avec moi...
Taehyung ne comprend pas. C'est inconcevable que Jungkook puisse le quitter, alors qu'il est la seule chose dans ce monde sans laquelle il ne peut pas vivre. Il était prêt – il l'est toujours – à sacrifier sa carrière pour lui.
— Non, je ne savais pas. Je ne pensais pas que qu'on suivrait mes moindres faits et gestes, qu'on me jugerait, qu'on me traiterait de détraqué sexuel, qu'on inventerait des mensonges sur moi.
Taehyung le fixe. À travers sa douleur étourdissante, ses larmes brûlantes, il le distingue à peine ; il voit juste sa silhouette floue, plantée devant lui, raide comme une colonne, immobile.
Et il se sent coupable d'avoir entraîné Jungkook dans une célébrité dont il ne voulait pas, mais... il ne peut pas le quitter pour ça. Ils s'aiment.
Pas vrai ?
— Mais tu m'aimes, balbutie-t-il. Je t'aime. On s'aime.
Jungkook hausse les épaules, détourne le regard.
— Je ne t'aime pas assez, chuchote-t-il.
Et Taehyung, déjà assommé par tout ce que Jungkook a dit jusque-là, est une nouvelle fois frappé en plein cœur. Il n'arrive même plus à penser. À bouger. Il n'arrive même plus à pleurer.
Il reste là, les bras ballants, à le regarder d'un air hagard, l'esprit complètement vidé, et voit Jungkook reculer d'un autre pas.
— Je vais dire à Namjoon que je démissionne. Après ça, il vaut mieux qu'on arrête de se contacter.
Non, pense Taehyung, un cri terrible, silencieux, qui vient de ses entrailles, qui lui déchire la gorge. Non. Il ne peut pas. Il ne peut pas partir. Pas ça. Pas lui.
Jungkook, pense-t-il, mais sa voix ne sort pas. Il n'y a plus rien qui sort, ni voix, ni larmes, comme s'il n'y avait plus rien à l'intérieur de lui. Parce que Jungkook le quitte, et qu'il emmène avec lui toute son énergie vitale.
— Bonne chance pour la suite, ajoute Jungkook d'une voix éteinte. J'espère que tu auras une très longue carrière.
Puis il se détourne, et comme au ralenti, Taehyung le voit s'éloigner vers la porte. Elle claque derrière lui, et il se retrouve seul.
Pendant quelques minutes, son esprit et son corps restent figés, congelés ; il a l'impression que s'il fait un geste, tout son être se brisera comme de la glace sous un coup de marteau.
Puis des larmes brûlantes recommencent à rouler sur ses joues, et leur chaleur le sort de sa torpeur ; il lâche un hurlement, un son qu'il ne savait même pas qu'il pouvait émettre, et tombe à genoux, le visage dans les mains.
Il voulait lui demander d'officialiser leur relation. Il voulait lui dire qu'il pouvait vivre sans faire carrière, mais que la seule chose qu'on ne pouvait pas exiger de sa part était de vivre sans lui.
Mais Jungkook l'a quitté avant.
Ses sanglots sortent si vite, si fort, qu'il a du mal à respirer – il est en train d'étouffer, là, à genoux sur la moquette de sa loge. Peut-être que son corps va suivre l'exemple de son cœur et mourir à son tour.
Non, non – il ne peut pas laisser Jungkook faire ça. Paniqué, il se relève, haletant, et récupère son téléphone sur la table près du canapé. Il arrive à peine à distinguer l'écran à travers ses larmes, et ses mains tremblent si fort qu'il le fait tomber deux fois par terre, mais il parvient, au bout d'un moment, à le déverrouiller et à aller dans son journal d'appels, où Jungkook est la dernière personne qu'il a contactée.
Il appuie, mais la sonnerie résonne dans le vide, pendant une éternité, avant que le répondeur ne s'enclenche.
— Bonjour ! Vous êtes sur le portable de Jungkook, je ne suis pas là pour le moment. Laissez-moi un message et je vous rappellerai.
— Jungkook, sanglote Taehyung.
Mais il raccroche avant le bip, parce qu'il ne veut pas que Jungkook l'entende pleurer, et de toute façon, il n'est pas certain de pouvoir aligner trois mots, encore moins d'exprimer clairement le fond de sa pensée.
Même s'il n'est pas dur à exprimer, en fait. Ne me quitte pas.
Il se laisse lourdement tomber sur le canapé, le portable dans la main, le cœur qui déborde, et il pleure comme ça pendant ce qui lui semble être à la fois quelques minutes et une éternité.
Lorsque ses larmes se calment suffisamment pour qu'il puisse regarder sur son téléphone si Jungkook l'a rappelé, il se rend compte que deux heures entières se sont écoulées.
Aucun appel en absence.
Il appuie sur la touche rappel, mais Jungkook ne décroche toujours pas. Pire, il l'envoie sur le répondeur dès la deuxième sonnerie.
Jungkook ne veut plus lui parler.
La douleur est trop grande, trop intense, pour être contenue dans un organe si petit que le cœur ; il pourrait en remplir des containers entiers. Ça lui rappelle un peu quand sa grand-mère est morte, le choc, l'inattendu, la peine, les regrets – mais en plus violent. Il lui manque un bout de lui, que Jungkook a arraché et a emmené en partant.
Son cerveau n'arrive pas à l'appréhender. Épuisé, il s'allonge sur le canapé, ferme les yeux, et tombe dans un profond néant.
Il est secoué par l'épaule, et une odeur familière l'enveloppe. Il a mal, mal au cœur, mal aux yeux, mais il ne sait plus pourquoi, jusqu'à ce qu'il ouvre les paupières et qu'il voie le visage de Namjoon penché sur lui.
— Taehyung ? Ça va ? Je t'ai cherché partout, tu as une répétition avec Jimin. C'était censé commencer il y a une demi-heure. Qu'est-ce qui t'arrive ? Ça va pas ?
Il s'attendait à découvrir Jungkook à ses côtés, son regard inquiet, ses grands yeux bruns, ses fossettes.
Mais c'est impossible, puisque Jungkook l'a quitté.
Taehyung se redresse, hébété, les bras tremblants. La douleur, qui lui retombe dessus après avoir laissé son esprit en paix pendant qu'il dormait, lui semble encore plus insupportable qu'avant son réveil. Il saisit son téléphone et regarde les notifications, mais aucune ne l'intéresse, car aucune ne lui vient de Jungkook.
Lentement, il repose le téléphone sur la table basse, tandis que Namjoon continue à l'observer.
— Taehyung ? Qu'est-ce qui se passe ?
Namjoon est quelqu'un qu'il admire et respecte beaucoup, depuis les débuts de leur collaboration ; il ne veut pas paraître faible devant lui. Il est hors de question qu'il se remette à pleurer.
Mais il sent que les vannes se sont à nouveau remplies pendant qu'il dormait, et qu'il en faudrait peu pour qu'elles s'ouvrent et lâchent tout à nouveau. Il se lève et se frotte le visage.
— Désolé. Je vais à la répète.
La tête lui tourne, ses oreilles bourdonnent, ses pas semblent étouffés. Il a l'impression que le monde entier s'est mis en veilleuse autour de lui. Il traverse la pièce sous le regard soucieux de Namjoon, mais celui-ci ne le retient pas.
Les couloirs sont vides, ou peut-être que non ; en tout cas, il ne voit personne.
Danser. Répéter. Les Seoul Music Awards sont dans une semaine.
Le studio est vide. Non, Jimin est là. Il ne s'en rend compte que lorsque celui-ci lui secoue l'épaule.
— Tae ? Qu'est-ce qui se passe ?
Taehyung ferme la porte derrière lui calmement.
— Désolé, je suis en retard.
Ses mots lui semblent venir de très loin. Déformés. Comme s'il était sous l'eau. Ceux de Jimin ne lui parviennent même pas. Il le voit vaguement ouvrir les lèvres, mais il n'entend rien.
— Je dormais. J'avais oublié la répétition.
Il a l'impression d'être un automate, qu'on a remonté avec la clé dans son dos, et il se demande combien de temps il pourra tenir avant de s'arrêter pour toujours.
— J'aurais dû mettre une alarme, désolé.
Il ne sait même pas ce qu'il est en train de dire. Peu importe. Tant qu'il fait illusion.
— TAEHYUNG !!
Le cri de Jimin, qui lui saisit les deux épaules, le fait sursauter, et le ramène à la réalité. Pour la première fois, il voit le studio, il voit le visage de son meilleur ami, et il voit l'inquiétude dans son regard.
— Qu'est-ce qui se passe ?! demande celui-ci. Tu me fais peur.
La réalité s'écrase une nouvelle fois sur lui, et ses épaules s'affaissent. Pendant quelques minutes, il avait presque l'impression de ne plus avoir mal. Il se laisse tomber sur le banc contre le miroir.
Aussitôt, Jimin s'assoit à côté de lui et lui frotte le dos.
— C'est à cause de Jungkook ? À cause de l'article paru sur lui ? Il s'est passé quelque chose avec Jungkook ?
Chaque fois qu'il prononce le nom, Taehyung sent son cœur comme transpercé par une lame de poignard aiguisée. C'est insupportable.
— Arrête ! s'exclame-t-il.
Ne prononce pas son nom, a-t-il envie d'ajouter, mais il se demande ce qu'il y a de pire entre entendre le nom de Jungkook et ne plus l'entendre du tout.
Les vannes s'ouvrent à nouveau. Il avait si bien réussi à les garder fermées depuis son réveil.
— Il m'a quitté, Jiminie, parvient-il à hoqueter entre deux sanglots. Il a dit qu'il voulait qu'on se sépare.
— Quoi ?! s'exclame Jimin, éberlué. Jungkook t'a quitté ?
Tchac. Tchac. Tchac. Son cœur n'est plus qu'un steak sanguinolent.
— Je ne comprends pas, continue Jimin. T'es sûr de ne pas avoir mal compris ? Il ne peut pas avoir fait ça.
Au moins, ils sont tous les deux choqués, pense Taehyung.
— Qu'est-ce qu'il a dit, exactement ?
— Il a dit qu'il en avait marre d'être la cible de la presse à cause de moi. Il a dit qu'il ne m'aimait pas assez pour supporter ça.
Cette fois, Jimin ne répond pas. Quand Taehyung relève la tête vers lui, il voit son meilleur ami bouche bée de stupéfaction.
— C'est impossible, finit-il par dire avec hésitation.
— Impossible ou pas, c'est ce qu'il a dit.
Jimin se lève, visiblement agité – quant à Taehyung, le fait d'être accompagné dans son incompréhension et son incrédulité parvient à l'apaiser légèrement.
— Qu'est-ce qu'il lui est passé par la tête ? Je vais l'appeler !
— Déjà essayé. Il ne répond pas.
— On va aller chez lui, alors !
Taehyung se lève à son tour.
— Jimin ! Arrête. Jungkook ne veut plus de moi. C'est tout ce qu'il y a à comprendre.
— Je ne peux pas y croire, réplique Jimin avec fermeté. Jungkook ne peut pas te quitter.
— Pourquoi pas ? Il a déjà mis une éternité à accepter de sortir avec moi. Il était nerveux dès que la presse nous photographiait. À cause de moi, tout le pays sait qu'il est gay. C'est... logique, en fait. Qu'il me quitte. Surtout s'il ne m'aimait pas assez.
Jimin le fixe, déconcerté, avant de lui essuyer la joue avec le pouce.
— Il a vraiment dit ça ?
Taehyung pose la tête sur son épaule, pendant que quelques nouvelles larmes s'échappent de ses yeux.
— Oui, Chim. Il a vraiment dit ça. Mot pour mot.
Cette fois, Jimin ne répond rien et se contente de le serrer contre lui – et Taehyung a toujours apprécié ses câlins, mais cette fois, la seule chose à laquelle il parvient à penser, c'était qu'il préférait de loin ceux de Jungkook.
— Comment je vais faire ? murmure-t-il. Comment je vais faire s'il ne veut plus de moi ? Comment je suis censé y arriver ?
— Je t'aiderai, promet Jimin. Je serai là pour toi.
Malheureusement, ça ne réconforte pas Taehyung le moins du monde.
TBC.
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