Le mois de décembre amène de nouvelles cérémonies de remises de prix, et de nouvelles victoires éclatantes de Taehyung, dont le dernier album sature les ondes. Il est encore et toujours surbooké, à répéter ses chorégraphies pour les spectacles, puis à enchaîner lesdits spectacles, et il se prend à regretter l'été, le mois de juillet-août, quand il a rencontré Jungkook et qu'il pouvait se permettre de prendre du temps sur son planning pour l'appeler au téléphone pendant deux heures tous les jours et lui envoyer des textos le reste du temps.

Mais au moins, Jungkook est avec lui où qu'il aille, à Séoul, à Tokyo, à Hong-Kong, à Singapour ; il l'accompagne dans la voiture, il s'assoit à côté de lui dans l'avion, il l'escorte dans les coulisses des salles de spectacle et ne le lâche du regard que lorsqu'il n'a plus le droit de le suivre, mais c'est tout de même beaucoup de temps passé ensemble, et rien que pour ça, c'est probablement le meilleur mois de décembre que Taehyung ait passé depuis des lustres. Le simple fait de savoir que Jungkook sera dans son lit lorsqu'il s'effondrera dans sa chambre d'hôtel lui permet de tenir la cadence infernale qu'on lui impose.

Il espérait pouvoir passer le jour de Noël en amoureux avec lui, mais il n'y a pas de repos pour les guerriers ; il doit enregistrer une émission qui sera diffusée lors du réveillon du Nouvel An, et tandis que, quelque part aux alentours de dix-neuf heures, il compte les secondes restantes jusque minuit avec les autres invités, il se demande s'il ne sera pas trop tard en sortant de là pour peut-être aller manger en ville avec Jungkook.

Finalement, l'enregistrement se prolonge (lui et les invités sont obligés de refaire trois fois le compte à rebours avant que la production soit satisfaite), et à sa grande déception, lorsqu'il sort, il est déjà vingt-et-une heures, et Jungkook est endormi sur un canapé dans le studio.

Pendant un instant, à nouveau, il se sent coupable de ne pas lui offrir la vie de couple dont son petit ami rêve peut-être ; Jungkook disait que ça ne le dérangeait pas de ne pas pouvoir aller souvent au restaurant avec Taehyung, mais c'est Noël, et tout le monde a envie de passer Noël avec son amoureux, non ?

Mais lorsqu'il le réveille, et que Jungkook lui adresse un sourire endormi, Taehyung jette vite fait un regard autour de lui pour s'assurer qu'il n'y a personne et se penche pour l'embrasser rapidement. Immédiatement, Jungkook se redresse, les yeux écarquillés, et vérifie les alentours, lui aussi, avant de se détendre.

— Tu as fini ? demande-t-il. C'était long.

— Long et chiant, confirme Taehyung, mais c'est fini. J'aurais voulu t'emmener au restaurant, mais à cette heure-ci, ils seront tous pleins.

— On peut se faire livrer chez toi et regarder un film ? suggère Jungkook. On n'est pas obligés de sortir.

— C'est ce qu'on fait toujours, fait remarquer Taehyung en souriant. En quoi ça change de d'habitude ?

— On ne regarde pas de film, d'habitude, tu t'endors toujours avant. Ou pendant.

— Moi ? s'exclame Taehyung, outré. Je ne... Bon, OK, c'est vrai. Mais c'est pas facile d'être une star.

— Je sais, sourit Jungkook. On peut aussi juste rentrer et se coucher, si tu préfères.

— Ah non, proteste Taehyung avant de reprendre un ton plus bas : je veux au moins du sexe de Noël.

Jungkook étouffe un rire.

— En quoi le sexe de Noël est différent du sexe des autres jours ?

— Tu me feras plein de bisous et tu me diras que tu m'aimes.

— Je le fais toujours !

— Les bisous, peut-être, concède Taehyung.

À vrai dire, Jungkook ne lui a plus répété qu'il l'aime depuis la première fois qu'il lui a dit, plus d'un mois plus tôt, dans le restaurant italien à Los Angeles. Il sait que c'est parce que Jungkook est quelqu'un qui a du mal à exprimer ce qu'il ressent, et il a accepté l'idée ; c'est juste pour le taquiner. Mais Jungkook rougit.

— Si t'es sage, alors, répond-il.

— Je suis toujours sage !

— Prouve-le-moi, alors.

Pour montrer à quel point il est sage, il se change à toute vitesse, puis entraîne Jungkook chez lui (ou plutôt, Jungkook les conduit chez lui), où il passe commande de toutes sortes de choses avec du porc dedans (depuis qu'il a entendu Jungkook s'extasier sur la livraison à domicile de plats au porc, un jour où il avait bu un peu trop de vin en attendant Taehyung, celui-ci ne rate plus une occasion de le soudoyer en lui en achetant) ; il prend aussi du soju, puisque ni l'un ni l'autre n'aiment vraiment la bière.

Puis, lorsque leur nourriture arrive, ils se calent tous les deux l'un contre l'autre devant la télé dans le salon, sur l'immense sofa, et lancent un film romantique de Noël qui fera pleurer Jungkook, car Jungkook pleure devant tous les films, ou presque.

Ils en sont à la moitié du film, et déjà bien éméchés avec toutes leurs bouteilles de soju, lorsque Taehyung se tourne vers lui.

— Tu sais, le 31 dans l'après-midi, j'ai un concert à Busan.

— Je sais, répond Jungkook, la tête sur son épaule. J'ai ton agenda en copie sur mon téléphone.

— Je me disais que... Comme c'est le Nouvel An... Tu aurais peut-être voulu revoir tes parents ?

Jungkook relève la tête d'un coup, les yeux écarquillés. Taehyung attend qu'il réponde, mais voyant qu'il ne dit rien, il ajoute :

— Tu ne les as pas vus depuis un moment, non ?

— Euh... Non...

— Tu ne crois pas que ça leur ferait plaisir de te voir ?

Jungkook a l'air mal à l'aise.

— Ça ne poserait pas de problème ?

— Je ne crois pas, répond Taehyung. J'ai déjà suggéré l'idée à Namjoon, il a dit qu'il n'y voyait pas d'inconvénient. On arrive à Busan la veille pour la répète et on repart le lendemain. Mais si tu veux, tu peux rester quelques jours supplémentaires là-bas.

— Non non, se hâte de répondre Jungkook. Je reste avec toi. Mais la veille... C'est ton anniversaire, non ?

— Tu le savais ? sourit Taehyung. Qui te l'a dit ?

— Hum... J'ai peut-être lu ton profil Wikipédia...

Taehyung éclate de rire.

— Mon petit stalker personnel, plaisante-t-il. Oui, c'est mon anniversaire, mais bon, on ne fait jamais grand-chose pour le fêter. Quand Jimin est là, on va boire un verre ensemble, sinon le staff m'offre un gâteau, aussi, mais rien de transcendant.

— Euh... Tu voudrais... le fêter chez moi, avec ma famille ?

Cette fois, c'est Taehyung qui regarde Jungkook bouche bée.

— Ta famille ? Tu veux me la présenter ?

— Ben... Étant donné qu'on sera à Busan, ma mère risque de faire une crise si je ne vais pas dormir chez eux, alors je me disais... peut-être que tu préférerais rester là-bas avec moi plutôt que tout seul à l'hôtel...

— J'adorerais ça, Jungkookie. Mais... je ne vais pas les déranger ?

— Déranger ? Non, ils seront ravis de te voir. La dernière fois que j'ai eu ma mère au téléphone, elle a passé son temps à ne parler que de toi.

— C'est vrai ? Dans ce cas, ce serait avec plaisir, répond Taehyung, tout content.

— Par contre... (Jungkook se rembrunit légèrement.) Je ne pourrai pas leur dire qu'on sort ensemble. Ils ne savent pas que je suis gay.

— Oh, lâche Taehyung, un peu surpris.

Quelque part, ça n'a rien d'étonnant ; Jungkook n'a certainement pas envie que ses parents lui battent froid s'ils l'apprenaient. Lui-même en a parlé à ses grands-parents quand il était plus jeune, qui, étonnamment, l'ont accepté avec beaucoup de philosophie, et aussi à sa sœur et son frère, qui l'admirent et l'aiment assez pour le soutenir entièrement, mais il sait bien que ce n'est pas aussi facile dans toutes les familles. D'ailleurs, ses propres parents ne sont pas au courant non plus, même s'il s'agit plus d'un concours de circonstances qu'autre chose.

— Ça t'embête ? demande Jungkook, l'air inquiet.

— Non, pas du tout ! s'empresse de répondre Taehyung. Je comprends tout à fait, ne t'inquiète pas. Et puis, je passe mon temps à cacher notre relation aux yeux du public, alors ce serait vraiment gonflé de ma part de râler parce que tu veux cacher notre relation à tes parents.

— Le problème n'est pas vraiment le même, sourit Jungkook. Mais si tu es sûr que ça ne te dérange pas, tant mieux.

— Je veux juste passer du temps avec toi, Jungkookie. Et qu'on soit ensemble pour mon anniversaire et pour le Nouvel An. Si tu veux me présenter comme un ami, comme un collègue de travail, ou comme un portemanteau, ça me va.

Jungkook lui tape légèrement la tête en riant.

— Ami, ça devrait aller.

Pour immortaliser leur soirée, ils prennent un selca, puis s'embrassent, et Jungkook murmure entre ses lèvres :

— Je t'aime.

Et là, c'est vraiment Noël pour Taehyung.

Jungkook, bien sûr, a appelé ses parents pour les prévenir dès le lendemain, et en voyant la façon dont il a reculé le combiné de son oreille pour ne pas se faire exploser le tympan par leurs cris d'excitation, Taehyung a tout de suite compris que ça ne leur posait pas de problème.

Mais du coup, depuis, il stresse. Il va rencontrer les parents de l'homme qu'il aime, et on peut dire que c'est une expérience novatrice, pour lui : il a déjà eu des relations plus ou moins longues (plutôt moins que plus, d'ailleurs), mais aucune assez sérieuse pour rencontrer la famille de ses partenaires. Bien entendu, il sait qu'il sera présenté comme un ami, et ça ne le dérange absolument pas ; n'empêche qu'il stresse quand même à l'idée de découvrir ses futurs beaux-parents (qu'ils en soient conscients ou non).

Mais il est aussi très curieux de découvrir l'environnement dans lequel a grandi Jungkook, sa chambre d'enfance, ses habitudes d'écolier, et pendant les quelques jours qui séparent Noël de son anniversaire, il est excité comme une puce.

Jungkook, lui, semble infiniment plus nerveux que Taehyung ; le matin de leur départ pour Busan, bien qu'il pense immédiatement à souhaiter un bon anniversaire à Taehyung, il est pâle et silencieux et ne semble rien entendre de ce qu'on lui dit ; Taehyung est obligé de le secouer pour qu'il lève enfin les yeux et réalise que tout le monde est prêt à partir.

L'après-midi, durant la répétition pour le concert, il est tout aussi taciturne. Taehyung le filme en cachette en train de fixer le mur devant lui sans le voir pendant deux minutes et demi – et si la scène le fait glousser, il se demande tout de même si c'était une bonne idée de lui proposer de voir ses parents.

Bien entendu, Jungkook ne lui parle de rien, aussi suppose-t-il que son appréhension est due au fait de devoir mentir sur le statut d'ami de Taehyung, à moins qu'il n'ait des problèmes familiaux qu'il a préféré passer sous silence, ce qui ne serait pas forcément improbable. En y repensant, Jungkook ne parle jamais vraiment de sa famille – mais Jungkook ne parle jamais vraiment de lui-même lorsqu'il peut l'éviter, donc Taehyung ne sait pas vraiment ce qu'il en est.

Lorsque la répétition se termine, Jungkook le prend à part dans sa loge dont il ferme la porte à clé, l'air embarrassé, et lui tend un paquet emballé. Taehyung (qui n'osait pas l'espérer, mais qui l'attendait quand même) le prend, un sourire naissant sur le visage.

— C'est ce que je pense ? demande-t-il d'un ton malicieux. Jungkookie, tu m'as acheté un cadeau ?

— Non, répond Jungkook. Pas vraiment acheté. Après le cadeau que tu m'as fait pour mon anniversaire, je me suis dit que je ne pouvais pas rivaliser avec ça, alors... J'ai fait autre chose.

Intrigué, Taehyung déballe délicatement le papier, et découvre un très beau cahier à la reliure de cuir. Lorsqu'il l'ouvre, il tombe, sur la première page, sur un dessin de Jungkook, à n'en pas douter, qui le représente sur une scène en train de chanter. Sans voix, il continue à tourner les pages, et se rend compte que Jungkook a alterné les entrées ; en plus des dessins, il y a aussi et surtout de nombreuses photos, de lui seul, ou des photos d'eux, ou parfois des photos avec Jimin et Yoongi : toutes les photos que Jungkook a prises depuis le début de leur relation, ou presque, imprimées et collées sur le papier cartonné. Jungkook a même eu l'altruisme de mettre une photo de lui, prise par Yoongi, en train de découvrir le cadeau d'anniversaire offert par Taehyung, les mains devant la bouche, les yeux écarquillés, tandis que Jimin est figé dans un éclat de rire en arrière-plan – Taehyung a toujours essayé de mettre la main sur cette photo, sans succès, Jungkook ayant catégoriquement refusé qu'il l'ait dans son téléphone.

Et entre toutes ces photos, il y a des dessins, parfois juste des croquis, de Taehyung ; Jungkook l'a crayonné sous tous les angles, pendant les heures qu'il avait à tuer, et Taehyung savait qu'il dessinait bien, pour avoir déjà aperçu ses esquisses quelques fois, mais il ne savait pas qu'il dessinait si bien.

La gorge serrée, il se mord les lèvres pour ne pas pleurer, tandis que Jungkook le fixe, anxieux.

— Je ne voulais pas te donner ça ce soir, dit Jungkook doucement, parce que je me suis dit que tu aurais envie de m'embrasser et que ça n'aurait pas été possible devant ma famille.

— Je peux t'embrasser maintenant ? demande Taehyung d'une voix tremblante.

— Bien sûr, sourit Jungkook.

Alors Taehyung l'embrasse, une main sur sa joue, l'autre serrant le précieux sésame contre son cœur.

— Merci, Jungkookie, dit-il lorsqu'ils se séparent. C'est le plus beau cadeau que j'ai reçu de ma vie. Merci. C'est magnifique.

Jungkook caresse sa joue, et c'est seulement là que Taehyung se rend compte qu'il a laissé échapper des larmes. Il lâche un petit rire qui est à moitié un sanglot.

— Je t'aime, chuchote-t-il. J'en reviens pas d'avoir un petit copain aussi talentueux dans tous les domaines.

C'est au tour de Jungkook de rire.

— C'est plutôt à moi de dire ça, répond-il en regardant Taehyung avec une affection débordante.

— Alors on s'est bien trouvés.

— Oui, murmure Jungkook contre ses lèvres. On s'est bien trouvés.

Une fois que Jungkook lui a offert son cadeau, Taehyung se sent étrangement beaucoup moins inquiet pour aller rencontrer ses parents, même si un petit pincement de trac continue à lui nouer l'estomac ; mais dès que sa mère ouvre la porte, il se dit qu'il s'est probablement inquiété pour rien.

Ils sont trois sur le seuil : la mère de Jungkook, son père, et son grand frère, qui a le même âge que Taehyung, d'après ce qu'il lui en a dit. De toute évidence, Taehyung leur fait l'effet qu'il fait très souvent aux gens en général ; ils ont l'air à la fois frappés d'admiration et gênés de ne pas savoir comment se comporter. Quand il y repense, Jungkook est l'un des seuls à ne pas avoir paru impressionné de voir la star apparaître devant lui, et rétrospectivement, c'est peut-être pour ça que Taehyung est si vite tombé sous son charme. (En dehors du fait, bien sûr, qu'il soit incroyablement beau).

— Salut, lance Jungkook, visiblement mal à l'aise. Ça fait un bail.

Taehyung note le moment exact où sa mère remarque enfin son fils : immédiatement, son sourire se fait plus naturel, et elle se penche pour le serrer dans ses bras.

— Mon fils chéri ! roucoule-t-elle en lui ébouriffant les cheveux. Tu nous as manqué !

— Vous aussi, répond Jungkook (et Taehyung se demande s'il imagine le très léger manque de conviction dans sa voix). Voici V-hyung.

Taehyung manque d'écarquiller les yeux en entendant Jungkook l'appeler de cette façon, lui qui a toujours affiché un dédain marqué pour les titres honorifiques – du moins quand il s'agit de Taehyung, peut-être dans une tentative de les mettre sur un pied d'égalité en dépit de ses deux ans de moins.

Mais lorsqu'il l'entend l'appeler "hyung" pour la première fois, il se rappelle qu'il est censé être ici, non pas en qualité de petit ami, ni même vraiment d'ami, mais plutôt d'aîné qui veille sur son cadet. (Quelle ironie. Depuis le début, Jungkook est celui qui n'a pas arrêté de veiller sur lui.)

— Enchanté, s'entend-il répondre, la nervosité reprenant le dessus. Merci beaucoup de m'accueillir chez vous.

— C'est tout à fait normal, voyons ! s'exclame la maman de Jungkook. Entrez, entrez, vous devez être frigorifiés !

De fait, la neige s'est mise à tomber une heure plus tôt, lorsqu'ils sont sortis de la répétition, et elle commence à recouvrir la rue du quartier résidentiel où habite la famille.

La maison d'enfance de Jungkook est chaleureuse, joliment décorée pour les fêtes, et la table est dressée dans la salle à manger ; lorsqu'ils s'y installent après avoir bavardé un peu, Taehyung ne tarde pas à remarquer avec surprise que tous les plats qu'apporte sa maman font partie de ses favoris. Il se tourne vers Jungkook.

— Tu leur as demandé de me faire mes plats préférés ?

— Peut-être, sourit Jungkook. C'est ton anniversaire, après tout.

Taehyung est ébahi devant l'attention, et devant la profusion de nourriture qui s'offre à lui. La mère de Jungkook, de plus en plus à l'aise, insiste pour qu'il reprenne trois fois de tout (ce que Taehyung ne fait jamais la veille d'un concert, normalement, mais... Jungkook a raison, c'est son anniversaire).

Le repas se passe très bien, et même Jungkook, qui paraît réservé depuis leur arrivée ici, se dégèle un peu et lance quelques petites blagues. Taehyung le trouve tout de même en deçà de son énergie habituelle, mais sa famille ne semble pas le remarquer, assez logiquement, puisqu'elle n'a d'yeux que pour la star. Le frère de Jungkook, Junghyun (qui d'ailleurs lui ressemble comme deux gouttes d'eau), prend même un selca avec eux, puis des photos de toute la famille.

Mais le plus gros choc arrive lorsque la maman de Jungkook ramène un gâteau d'anniversaire, une surprise à laquelle Taehyung ne s'attendait pas du tout. Sous l'appareil photo de Junghyun et le sourire de Jungkook, il se penche vers le gâteau pour souffler ses bougies, un peu ému à l'idée de fêter son anniversaire dignement pour la première fois depuis des années, avec la famille qui sera la sienne un jour (du moins, il l'espère de tout son cœur).

Tout le monde applaudit lorsqu'il éteint toutes les bougies, et bien entendu on lui demande quel vœu il a fait, mais il préfère ne pas mettre en péril son futur avec Jungkook, avec qui il a souhaité rester toute sa vie, et répond que c'est un secret.

Puis lorsque la fatigue commence à se faire sentir, la mère de Jungkook lui annonce :

— J'ai préparé ton lit dans la chambre de Junghyun, il dormira avec Jungkook.

Immédiatement, tout le monde se tourne vers elle de concert.

— Quoi ?? s'exclament les deux frères.

Leur mère leur jette un regard désapprobateur.

— On ne va pas demander à Kim Taehyung de partager une chambre, quand même !

— Maman, proteste Jungkook, on partage toujours la chambre d'hôtel quand on est en déplacement. On est habitués.

— Ah bon ? répond sa mère, étonnée. Mais quand même...

— Je dormirai dans la chambre de Jungkook, intervient Taehyung immédiatement, saisissant l'opportunité. J'ai l'habitude, et je me sentirais coupable de prendre la chambre de Junghyun.

(Derrière lui, le frère de Jungkook hoche vigoureusement la tête.)

— Bon, cède-t-elle finalement. Après tout, c'est comme vous voulez...

Elle a tout de même l'air légèrement contrariée, mais elle est probablement trop polie pour insister. Taehyung se retient de lâcher un soupir de soulagement. La dernière chose qu'il souhaitait pour son anniversaire, c'était de dormir séparé de Jungkook.

Heureusement, tout est bien qui finit bien, et lorsque Jungkook ferme la porte à clé, après être passé par la salle de bain, ils s'engouffrent tous les deux dans le petit lit de son enfance, un peu trop étroit, mais ça donne une excuse à Taehyung pour le serrer contre lui. (Non qu'il en ait besoin, certes.)

— Faudra qu'on fasse semblant d'avoir utilisé le futon demain, murmure Jungkook tout contre Taehyung, ou ma mère trouvera ça bizarre.

— T'inquiète pas, on y pensera.

(Ou du moins, lui oubliera probablement, mais il fait confiance à Jungkook pour y penser.)

— Ta famille est gentille, ajoute-t-il dans un murmure. Pourquoi tu stressais tellement de la revoir ?

Pendant un long moment, Jungkook reste silencieux, et Taehyung se demande s'il n'aurait pas malencontreusement marché sur une mine. Il est sur le point de lui dire que ce n'est pas grave s'il ne veut pas en parler, lorsque Jungkook répond :

— Mes parents ont des idées... arrêtées, on va dire, sur certains sujets.

Taehyung relève légèrement la tête pour pouvoir le regarder, même si dans la pénombre, il ne peut que deviner ses traits. Il a une petite idée des sujets en question, mais demande quand même :

— C'est pour ça que tu ne leur as rien dit ? Sur ton homosexualité ?

Il y a un autre long silence, et Jungkook finit par soupirer :

— C'est toutes les petites réflexions que je les entends faire en passant depuis que je suis gosse. Chaque fois qu'ils disent que les gens comme nous sont anormaux et qu'il faudrait les guérir. J'ai grandi en pensant qu'ils disaient vrai et que j'étais détraqué. Quand j'ai voulu partir à Séoul avec Jimin... c'était la chance de ma vie d'échapper à cet environnement, et je l'ai gâchée. Ma mère était trop contente, elle. Elle n'aimait pas me voir danser. Elle disait que la danse, c'était pour les filles. Et elle détestait Jimin, elle le trouvait trop efféminé, elle avait peur qu'il me contamine. Quelle ironie, quand on sait que c'est lui qui est hétéro et moi qui suis gay... Quand je me suis cassé la jambe, non seulement j'ai perdu d'un coup mon meilleur ami et la possibilité d'exercer ma passion, mais en plus, ma famille s'en est réjouie.

Plus il raconte, plus Taehyung entend sa voix devenir rauque, et il regrette d'avoir posé la question. Visiblement, c'est un souvenir difficile, pour lui.

— J'ai souvent pensé à Jimin, quand il est parti. Je me demandais pourquoi il ne m'appelait jamais, je pensais qu'il m'avait oublié. Je me disais qu'il aurait au moins pu demander de mes nouvelles quand j'avais la jambe dans le plâtre... Et tu sais ce qu'il m'a dit, il n'y a pas si longtemps ? Qu'il avait essayé. Des dizaines de fois. Il est même venu chez moi. Elle ne m'a jamais rien dit. Elle lui a fait croire que je ne voulais pas lui parler. Jimin croyait que je ne voulais plus lui parler !

Sa voix se brise sur le dernier mot, et Taehyung ne peut rien faire d'autre que de le serrer avec force contre lui.

— On a tous les deux passé dix ans à croire que l'autre nous avait oublié, murmure Jungkook, son souffle mourant dans le cou de Taehyung. À cause d'elle.

— Je suis désolé, Kookie... Je suis vraiment désolé que tu aies dû subir ça...

— Ça ne fait rien, maintenant, répond Jungkook. On a compris ce qui s'était passé, Jimin et moi. Mais j'en veux quand même à ma mère. J'ai beau aimer ma famille... je ne me sentirai jamais vraiment chez moi parmi eux.

— Je serai ta nouvelle famille, alors, propose Taehyung.

Pendant un instant, il se dit à nouveau qu'il a fait une gaffe, car Jungkook ne répond pas. Puis, dans le noir, il sent les lèvres chaudes de celui qu'il aime se poser sur les siennes, et le baiser qu'ils échangent est plein de tendresse, jusqu'à ce que Jungkook se recule et pose une main sur sa joue.

— Oui, souffle-t-il. C'est toi ma nouvelle famille, Tae.

Pour remercier la famille de Jungkook de l'accueillir, Taehyung leur donne des places pour le concert de l'après-midi à Busan. Il ne pensait pas que ça leur ferait si plaisir, mais toute la famille est absolument folle de joie, et c'est complètement revigoré que Taehyung arrive sur la scène.

C'est un concert collaboratif avec d'autres artistes pour le Nouvel An, et Taehyung boude un peu quand ils croisent à nouveau IU dans les coulisses, car il sait à quel point Jungkook l'adore, mais heureusement, la chanteuse prend à peine dix secondes pour les saluer et souhaiter bonne chance à Taehyung, et s'éclipse assez vite.

Taehyung a un set de huit chansons, dont quatre dansées, mais il n'est pas vraiment inquiet – en tout cas, beaucoup moins qu'aux MAMA. (Il faut dire que le fait d'avoir raflé plus d'une dizaine de daesangs au cours des diverses cérémonies de ce mois a bien boosté sa confiance en lui.)

Pour une fois, Jungkook a accompagné sa famille et regarde le concert depuis la salle au lieu de le suivre en coulisses comme à son habitude ; il n'est donc pas là pour lui souhaiter bonne chance juste avant qu'il ne commence, mais lorsque Taehyung entre sur la scène, il sait qu'il est présent, quelque part, à le regarder en vrai, et il se sent encore plus motivé que d'habitude.

Les chansons défilent comme dans un rêve – après la quatrième, la chorégraphie de Untrue, alors qu'il jette un œil vers l'endroit approximatif où Jungkook est censé se trouver, il capte son regard complètement par hasard, et ne peut s'empêcher de lui adresser un sourire lumineux, que lui rend son petit ami de loin. Évidemment, la caméra le retransmet sur tous les différents écrans de la scène, et il entend le public hurler d'allégresse.

Le reste du concert passe à toute allure ; Taehyung enchaîne les performances, et croise le regard de Jungkook dès qu'il le peut, ce qui le galvanise à chaque fois, puis il est déjà temps de revenir en coulisses et de laisser la place aux autres artistes.

Jungkook revient rapidement le retrouver, ce qui lui fait très plaisir, car c'est IU qui passe juste après lui, et il aurait pu en profiter pour regarder sa prestation, mais il ne l'a pas fait pour retourner aux côtés de Taehyung le plus vite possible – et ça, c'est une vraie marque d'amour.

Puis il retourne une dernière fois sur scène pour saluer, et c'est enfin le deuxième moment de cette journée qu'il attendait avec le plus d'impatience : celui où il rentre chez Jungkook avec sa famille pour fêter le réveillon du Nouvel An tous ensemble.

Depuis qu'il est devenu une star nationale, en passe d'être internationale, Taehyung n'a plus jamais eu l'occasion de fêter le réveillon en famille, aussi se réjouit-il de pouvoir le faire cette année, même si ce n'est pas la sienne mais celle de Jungkook (il continue à penser que ce sera peut-être la sienne un jour, avec un peu de chance).

La mère de Jungkook, bien évidemment, a encore préparé de nombreux plats (Taehyung ne sait pas où elle a trouvé le temps de faire tout ça et d'assister à son concert en plus), et un peu comme la veille, ils s'installent tous autour de la table, la télé allumée sur l'émission que Taehyung a enregistrée quelques jours plus tôt.

— Je croyais que c'était en live, fait remarquer Junghyun.

— C'est en live. V-hyung a la capacité de se dédoubler, répond Jungkook, pince-sans-rire.

Son frère lui envoie un coup de coude dans les côtes qui lui fait lâcher un petit rire de douleur, mais Taehyung est très heureux de voir que Jungkook semble plus à l'aise aujourd'hui que la veille (même s'il continue à l'appeler "hyung"). Peut-être que leur discussion de la veille lui a permis de se libérer un peu de la tension. En tout cas, Taehyung observe ses interactions avec son père, sa mère et son frère ; bien qu'il soit capable de détecter la distance que Jungkook met entre eux (il la repère, parce qu'elle n'existe pas avec lui, ou avec Jimin ou Yoongi), celui-ci ne montre jamais un signe de raideur ou un geste d'agacement, soit qu'il ait un immense contrôle sur ses réactions, soit qu'il ait décidé au cours de la nuit d'accepter les défauts de sa famille.

Après le succulent repas, la mère de Jungkook sort un album photo de ses fils, au grand dam de son cadet, et Taehyung découvre avec ravissement une petite bouille ronde, des grands yeux noirs et des dents de lapin encore plus marquées. Il éclate de rire pour ne pas montrer à quel point il le trouve adorable, et le taquine pour s'empêcher de lui dire qu'il était déjà incroyablement beau quand il était petit.

— Cette coupe de cheveux, glousse-t-il devant une photo du collège. On dirait que tu t'es pris un coup de vent dans la tronche et que c'est resté comme ça.

— C'était la période Bieber, soupire Jungkook. Je n'en suis pas fier, mais bon.

Le plus dur, finalement, c'est d'interagir avec lui presque comme s'ils étaient en privé, mais en étant obligé de se restreindre. Taehyung peut faire semblant de ne pas être proche de lui quand c'est vraiment nécessaire, lorsqu'ils passent devant des groupes de fans ou du personnel des endroits où il est invité ; il se rattrape ensuite quand ils ne sont rien qu'à deux. Mais être à mi-chemin entre la distance et le naturel, c'est beaucoup plus compliqué qu'il ne l'aurait pensé.

— Je suis rassurée, tout de même, dit la mère de Jungkook après un moment, alors qu'ils sont tous installés sur le canapé à regarder l'émission (Taehyung en profite pour coller son genou à celui de Jungkook discrètement). J'avais peur, depuis cet incident avec l'agresseur.

Immédiatement, Tae se sent coupable, comme toujours à chaque fois qu'il y repense.

— Maman, soupire Jungkook, on en a déjà parlé. Tout va bien. J'ai juste une toute petite cicatrice, j'ai complètement retrouvé l'usage de mon bras.

Taehyung lève les yeux au ciel en entendant ça. La cicatrice est loin d'être toute petite, mais ça ressemble bien à Jungkook de minimiser tout ce qui lui arrive.

— Je sais, mais je me suis inquiétée quand même. Je suis ta maman, c'est normal. Je me demandais si ça valait vraiment la peine que tu te mettes en danger. Mais maintenant que j'ai fait la connaissance de Taehyung, je suis contente que tu l'aies fait, Jungkook. Vous avez l'air de bien vous entendre, tous les deux, et ça me rassure que vous soyez amis. C'est quelque chose qu'il faut protéger.

Taehyung voit Jungkook lui jeter un regard embarrassé, et il lui sourit.

— Je suis content d'avoir rencontré Jungkook, moi aussi, dit-il en évitant délibérément de prononcer le mot "amis". Je crois que ma vie aurait été vraiment différente si je ne l'avais pas connu. Peut-être même que je ne serais plus là.

Jungkook lui donne un coup de coude dans le flanc.

— Arrête de dire ça, grogne-t-il. Ça ne sert à rien d'y penser. Je n'ai presque rien fait.

— La vidéo est devenue virale, fait remarquer Junghyun. On t'a tous vu mettre le type au tapis. C'était impressionnant.

Jungkook lève les yeux vers Taehyung, et il sait ce qu'il se dit : est-ce qu'ils ont également vu à quel point ils étaient inquiets l'un pour l'autre ? L'amour qu'il y avait déjà dans leurs yeux ? Mais la famille ne fait aucun commentaire là-dessus, et bien entendu, ni Jungkook ni Taehyung n'abordent le sujet.

— On était très fiers de toi, fiston, dit son père (prenant la parole pour ce qui semble être la première fois de la soirée). Tu nous as fait honneur.

Jungkook rougit légèrement, et trouve d'un coup la diversion parfaite en pointant du doigt la télé :

— Le compte à rebours a commencé ! s'exclame-t-il.

Immédiatement, sa famille détourne son attention de lui, toute excitée, mais Taehyung ne peut s'empêcher de lui adresser un sourire plein de tendresse que Jungkook lui rend.

— Quatre ! Trois ! Deux ! Un ! Bonne année ! s'exclament-ils tous en chœur.

Tout le monde se serre dans les bras, et Taehyung, cette fois, décide de s'autoriser un petit plaisir ; il serre Jungkook contre lui et dit :

— Merci de m'avoir sauvé la vie. J'espère que tu seras encore là pour me protéger l'année prochaine.

Jungkook lui donne une tape sur le bras.

— Idiot, répond-il avant de se dégager doucement de son étreinte.

Mais il lui fait un petit sourire qui veut tout dire, et Taehyung est profondément heureux de pouvoir commencer la nouvelle année avec lui, pour la première fois de sa vie. Il sent déjà qu'elle va être incroyable.