Chapitre 1
(Moodboard by Cheongja)
https://youtu.be/JzF6JIJlMec
(Trailer by champagneandhoney pour les Watty K-Pop Awards)
Séoul, quartier de Gangnam.
Il est trois heures quarante-cinq du matin, et Jeon Jungkook est assis à son bureau, le menton caché dans la paume de sa main, le coude appuyé sur la paperasse qu'il est censé rentrer dans l'ordinateur ; au lieu de ça, il contemple d'un air absent les lumières des complexes d'appartements en face, qu'il peut discerner depuis sa place à travers la fenêtre. (C'est l'un des rares bons côtés de son boulot, cette fenêtre – voire le seul, peut-être.)
De l'autre côté de la vitre, à l'extérieur, la température refuse obstinément de descendre en dessous des trente degrés pour le quatrième jour consécutif mais dans la pièce, la climatisation a encore une fois été poussée trop fort, et Jungkook a froid. Il a la chair de poule, sous la chemise à manches courtes de son uniforme de policier – mais, tout à sa rêverie, il ne s'en rend pas compte. L'envie d'aller chercher une veste lui traverse vaguement l'esprit, mais il n'y prête aucune attention, perdu dans ses pensées, les yeux posés sur le monde qui s'étend devant lui. Le bourdonnement discret de l'air conditionné entoure son esprit d'un voile cotonneux. À côté de son coude, posée sur son bureau, une tasse de thé déjà froide attend toujours d'être bue.
C'est peut-être dans ces moments-là, au cœur de la nuit, dans un bureau presque vide, que Jungkook est le plus heureux.
Mais tous les bons moments ont une fin, et Jungkook sursaute violemment lorsque le téléphone sonne, instantanément arraché à sa méditation. Il lève la tête vers l'open space, où huit bureaux sont disposés à une relative distance de sécurité les uns des autres ; mais à cette heure avancée, sur les sept collègues (sans compter le chef, qui a son propre bureau) qu'il compte dans son petit poste de police de proximité, un seul est présent avec lui pour la garde de nuit. À la troisième sonnerie, celui-ci lui jette un regard mauvais.
— Tu vas répondre, ou quoi ?
Jungkook étouffe un soupir et tend la main pour décrocher avant que la personne à l'autre bout de la ligne ne se lasse d'attendre.
— Commissariat de police de Cheongdam-Dong, Jeon Jungkook à l'appareil, j'écoute.
— Officier, répond une voix de femme autoritaire (entre la cinquantaine et la soixantaine, juge Jungkook à l'oreille). Mon voisin du dessus donne une fête et sa musique fait un vacarme épouvantable. Est-ce que vous pourriez venir lui dire d'arrêter ? Je suis déjà montée trois fois, mais Monsieur est une star, donc il s'imagine que les règles ne le concernent pas.
Jungkook jette un regard rapide à son collègue Cheon-Soo. C'est lui qui est censé partir pour la prochaine patrouille pendant que Jungkook assure la permanence téléphonique, mais pour une affaire de tapage nocturne, sans aucune gloire à récolter, il est fort probable qu'il oblige Jungkook à s'y coller à sa place.
— Vous pouvez me donner l'adresse ? demande-t-il à son interlocutrice, qui continue à déblatérer sur son irrespectueux voisin dans le combiné du téléphone.
Il pioche un crayon dans le pot sur le bureau et griffonne sur un post-it l'adresse que lui récite la femme.
— Très bien, nous nous en chargeons, conclut-il. Merci d'avoir appelé.
Lorsqu'il repose le téléphone sur son socle, Cheon-Soo lève les yeux vers lui, intrigué.
— C'était quoi ?
— Tapage nocturne, pas très loin d'ici. (Il détache le post-it jaune du reste du bloc et l'agite en direction de Cheon-Soo.) Voici l'adresse. Tu pars bientôt faire ta patrouille, non ? Tu pourras passer t'en occuper en même temps ?
Cheon-Soo plisse les yeux. Jungkook sait qu'il aurait peut-être dû y mettre un peu plus de formes, parce que Cheon-Soo est son aîné, sans compter qu'il ne tient pas forcément à se rendre la vie au poste plus difficile qu'elle ne l'est déjà – mais d'un autre côté, il sait aussi qu'il aura beau se plier en quatre, ses collègues continueront à le haïr et à le pousser à bout jusqu'à ce qu'il finisse par démissionner. C'est bien parce qu'il est têtu comme une bourrique qu'il s'accroche à ce job comme une moule à son rocher, mais pour le reste, à quoi bon faire des efforts ?
— Vas-y, toi, rétorque Cheon-Soo. Je couvre les appels.
Évidemment.
— Et pour la patrouille ?
— Tu la feras une fois que tu te seras occupé de cette affaire de tapage nocturne.
— J'ai déjà fait la mienne ce soir, fait remarquer Jungkook.
Le protocole dans leur poste est le suivant : chaque garde est effectuée par deux officiers, tenus de procéder chacun à une patrouille au cours de la nuit. En principe. Dans les faits, lorsque Jungkook est de garde, c'est souvent lui qui se coltine les deux patrouilles à la suite.
— Dommage pour toi, répond Cheong-Soo en cachant difficilement son sourire mesquin. T'es bon pour faire la deuxième aussi.
L'important, c'est de faire semblant de râler, pour que ses collègues soient persuadés qu'il a horreur de ça et qu'ils continuent à lui infliger ce qu'ils considèrent comme une punition. En réalité, Jungkook adore partir seul en patrouille ; c'est l'un des rares moments où il peut faire son travail tranquillement, sans subir de harcèlement moral de la part de ses t̶o̶r̶t̶i̶o̶n̶n̶a̶i̶r̶e̶s̶ collègues.
Pour la forme, donc, il soupire et grommelle quelque chose d'inintelligible, mais il rassemble rapidement ses affaires et file vers le tableau mural, où les clés des voitures de service sont accrochées.
— J'y vais, dit-il finalement.
— Amuse-toi bien, lance sarcastiquement Cheong-Soo.
Oh oui, songe Jungkook, satisfait. C'est bien ce qu'il compte faire.
Lorsqu'il passe la porte d'entrée du petit commissariat, après l'atmosphère glacée de l'open space, l'air chaud du dehors l'enveloppe comme une couverture. Le cœur un peu plus léger, Jungkook se glisse dans la voiture de police et démarre.
Quinze minutes plus tard, Jungkook lève le nez en l'air et se demande s'il a noté la bonne adresse. L'impressionnant bâtiment s'élève dans le ciel nocturne comme une flèche, flanqué sur le côté d'une autre tour. Au moins vingt-cinq étages, évalue-t-il. Qu'est-ce que la femme a dit, déjà ? Que c'était une star ? Tout s'explique.
Quelques lumières sont encore allumées ici et là, mais Jungkook remarque surtout un étage en particulier, tout en haut, dont près de la moitié des fenêtres sont inondées de lumière, et où il distingue quelques silhouettes qui se déplacent. Il tend l'oreille pour voir s'il s'agit de l'appartement où a lieu la soirée, mais à plus de quatre-vingt mètres en dessous des perturbateurs, il n'entend rien du tout.
Après quelques pas (la chaleur, qu'il trouvait bienvenue au sortir du commissariat, redevient déjà désagréable), près du portail qui barre l'accès à la cour intérieure, il débouche sur un guichet donnant sur le bureau du gardien de l'immeuble, qui lui tourne le dos, en train de regarder une émission de télé et de manger des chips. Lorsque Jungkook frappe trois coups secs contre la vitre, il sursaute et le paquet de chips tombe par terre ; son air d'abord revêche se fait brusquement paniqué lorsqu'il découvre l'uniforme de policier, les holsters dont les lanières en cuir entourent les épaules de Jungkook et se rejoignent dans le dos, et le badge de police qu'il lui présente. Il se dépêche de faire glisser la fenêtre coulissante qui les sépare.
— Officier ! s'exclame-t-il. Excusez-moi, je n'ai pas l'habitude de voir des gens à cette heure-ci...
— Aucun problème, répond Jungkook. Quelqu'un dans l'immeuble m'a appelé pour un problème de tapage nocturne. Je peux entrer ?
— Bien sûr, bien sûr ! balbutie le gardien.
Il se précipite pour appuyer sur un bouton, et le portail buzze.
— Merci ! s'exclame Jungkook avant de le pousser.
Il traverse rapidement la cour, qui n'est en fait pas tant une cour que l'entrée d'un parking, dont l'ouverture s'enfonce dans les profondeurs du sol comme une bouche béante, et se dirige vers l'entrée, dont la porte vibre à son tour pour le laisser passer.
L'intérieur est impressionnant. Pourtant, Jungkook travaille et habite à Gangnam ; il sait que c'est un quartier riche, il devrait être habitué. Mais le hall de cet immeuble, où de nombreuses appliques illuminent le carrelage blanc scintillant, où il n'y a pas moins de trois immenses ascenseurs côte à côte, est bien différent du sien, dont le sol est en carreaux d'un beige maussade et dont le seul (minuscule) ascenseur tombe régulièrement en panne.
Vingt-troisième étage, a dit la dame au téléphone. Dès que l'ascenseur l'y dépose, il comprend immédiatement qu'il ne s'est pas trompé d'endroit. Le vacarme y est tel, malgré les portes fermées, qu'il pourrait se dire que c'est un miracle que les autres voisins de palier n'aient pas contacté la police également, mais la raison en est toute simple : il n'y a pas de voisin de palier. Le couloir est minuscule et ne comprend que deux portes : l'une vitrée, qui donne sur un balcon, et l'autre, en face de l'ascenseur, d'où provient le son. Les basses de la musique font presque trembler le sol – il a l'impression d'être en boîte de nuit, bien qu'il ne soit même pas à l'intérieur. Sérieusement, il plaint les habitants des étages inférieurs et supérieurs.
Lorsqu'il sonne à la porte d'où vient le raffut, personne ne vient lui ouvrir. Pas étonnant – il y a fort à parier qu'ils n'ont même pas entendu la sonnette.
Après trois essais infructueux, il décide de tambouriner sur le battant, le poing fermé.
— Police ! s'exclame-t-il. Ouvrez !
Cette fois, après de longues secondes d'attente, un déclic se fait entendre, et une silhouette apparaît dans l'encadrement de la porte.
Jungkook cligne des yeux, surpris par l'apparition haute en couleur. L'homme a les cheveux décolorés en blond cendré et gominés, séparés en deux par une raie sur le côté, d'énormes lunettes de soleil ambrées qui ne cachent pas ses lentilles de contact bleues, et il est vêtu d'une chemise blanche surmontée d'un gilet vert en tweed à boutons d'or, d'un incroyable pantalon pattes d'éléphant assorti, qui lui moule les cuisses d'une façon particulièrement indécente, et d'une cravate verte et rouge à rayures, sans compter les bagues, boucles d'oreilles et la montre-bracelet en or qu'il porte en guise d'accessoires. La tenue est dans son ensemble parfaitement incongrue, et pourtant, il réussit le tour de force de la porter comme si elle était du dernier chic.
C'est probablement à cause de son visage, qui est presque choquant de perfection, pense Jungkook. Une star, a laissé entendre la voisine, et Jungkook se dit un instant qu'il est forcément mannequin ; mais lorsque l'autre enlève ses lunettes, il se rend compte qu'il a déjà vu ces traits-là quelque part. Ils lui sont familiers.
Oh. Une star, en effet. Et pas n'importe laquelle.
Il est chez Kim Taehyung.
Jungkook manque de peu de s'étrangler. Après tout, il y a "star" et il y a "star", et Kim Taehyung, alias V, n'est même plus dans cette dernière catégorie. Il est LA star, l'idole de la chanson, la voix qui passe à toute heure sur toutes les ondes, le visage qui s'étale à la une de tous les magazines. À peine cinq minutes plus tôt, dans la voiture, Jungkook a entendu sa dernière production à la radio. Et voilà qu'à présent, il se tient devant lui.
De son côté, Kim Taehyung prend lui aussi son temps pour dévisager Jungkook des pieds à la tête ; puis un fin sourire se dessine sur son visage.
— Je ne sais pas qui a invité un stripteaseur, mais c'était une excellente idée, déclare-t-il en détaillant l'uniforme de Jungkook.
Celui-ci retombe aussitôt de son nuage d'émerveillement et fronce les sourcils, interloqué. Stripteaseur ?!
— Police, dit-il en levant son insigne. J'ai été appelé pour tapage nocturne.
Le sourire lascif de Kim Taehyung s'évanouit aussitôt.
— Oh.
Eh oui, "oh". Refroidi par la réflexion du chanteur, Jungkook ajoute :
— Une de vos voisines m'a contacté. Le boucan l'empêche de dormir, et on est en pleine semaine. Je vais vous demander de baisser le son.
À sa décharge, Kim Taehyung a l'air embarrassé, mais Jungkook est incapable de dire si c'est parce qu'il a honte d'avoir pris un officier de police pour un stripteaseur ou si c'est parce qu'il regrette un peu tardivement d'avoir dérangé ses voisins.
— D'accord, dit-il d'un air contrit. Désolé, on fait une soirée disco, on s'est laissés emporter. Ça ne se reproduira plus.
Une soirée disco ? Jungkook comprend mieux le pourquoi du costume flashy.
— Et désolé aussi de vous avoir pris pour un stripteaseur. Mais vous portez vraiment trop bien l'uniforme, ajoute-t-il avec un petit sourire coquin.
Jungkook le regarde, bouche bée. Ce n'est pas un rêve. V, le célèbre V, est indubitablement en train de le draguer.
Jungkook fronce les sourcils. Aussi flatteur et inattendu que ce soit, il n'a pas envie de se faire embobiner. Kim Taehyung doit probablement briser en une journée autant de cœurs que Jungkook reçoit d'insultes au poste de police. (Autrement dit, beaucoup.)
— Puisque vous avez compris, répond Jungkook froidement, baissez le son immédiatement. Si je suis obligé de revenir, je vais devoir faire appliquer des sanctions.
Kim Taehyung se tourne vers l'intérieur de la pièce et crie :
— Bogum ! Baisse le son, steuplaît ! La police est là !
Immédiatement, le niveau sonore redevient supportable, et Taehyung se tourne à nouveau vers Jungkook, tout sourire.
— Vous voulez boire un verre avec nous ?
Jungkook lui lance un regard incrédule.
— Non. Je suis en service.
Taehyung fait la moue. (Malgré tous ses efforts, Jungkook ne parvient pas à s'empêcher de trouver son expression adorable.)
— Dommage. On s'amuse bien. Vous devriez venir vous amuser avec nous...
— Je suis en service, répète Jungkook. Merci d'avoir baissé le son. Je vais y aller. Et respectez vos voisins, à partir de maintenant. Vous n'êtes pas tout seul à habiter ici.
— Une prochaine fois ? demande Taehyung, toujours campé sur la même idée. Quand est-ce que vous êtes disponible ?
Voilà donc à quoi ressemble un homme habitué à ce que tout lui tombe tout cuit dans les bras.
— Bonne soirée, dit Jungkook pour toute réponse avant de se tourner vers l'ascenseur et de presser le bouton d'appel – la porte s'ouvre immédiatement.
— Attendez ! lance le chanteur. Comment vous vous appelez ?
Jungkook entre dans l'ascenseur et se retourne vers lui.
— Officier.
Il a juste le temps de voir l'air dépité de Kim Taehyung avant que les portes ne se referment sur lui.
Références si vous êtes curieux :
Visite virtuelle de l'appartement de Taehyung :
https://youtu.be/smjEg8sJ9dk
Ce n'est pas son appartement personnel, mais un autre dans son immeuble et je suppose que le sien doit être basé sur le même format !
Le commissariat où travaille Jungkook (bon ok les liens fonctionnent pas déso, mais si jamais un jour ça débarque sur wattpad, je le laisse, on sait jamais) :
https://www.google.fr/maps/@37.5207648,127.0544375,3a,75y,291.36h,93.01t/data=!3m6!1e1!3m4!1sNmgTrD84X9gtnLUC60v7aA!2e0!7i13312!8i6656
C'est vraiment pas loin de chez Taehyung. Vous pouvez voir en tournant la cam la barre d'immeubles qu'il regarde quand il a les yeux dans le vide.
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