34. Forty-Seven
« Tu peux dormir tranquille, Heidi. »
Oui... je veux dormir.
J'ai tellement mal...
« S'il te plaît. Reste encore un peu. »
Mes yeux s'ouvrent subitement. La vue et l'ouïe me reviennent partiellement ainsi que ma perception de l'espace au moment où je réalise que j'ai la tête à l'envers.
J'ai mal partout, il fait noir, ça sent le brûlé et l'essence, je ne sais pas où je suis, ni même qui je suis. Mais une seule pensée est répétée dans ma tête.
Leo.
Je dois sauver Leo.
Je fais un mouvement et le regrette immédiatement quand la douleur irradie tout mon corps. Mais il faut que je sorte. De peine et de misère, je parviens à défaire ma ceinture de sécurité et tombe sur ma tête.
Alors que je pleure de douleur, je réussis à briser la vitre de la portière et à m'extirper du véhicule. Ce n'est que dehors, une fois mes yeux accoutumés à la lumière des lampadaires que je réalise à quel point ma voiture a été endommagée.
Elle est aplatie comme une crêpe par le lampadaire qui s'est écroulé sur elle et qui a manqué de me tuer de quelques centimètres seulement.
J'ai été chanceuse.
— Les mains en l'air !
Je tressaute, me tourne et me retrouve face à deux officiers de police, tous les deux armés et s'approchant de moi.
J'obéis.
— Étendez-vous par terre !
Je suis sur le point d'obtempérer quand mes oreilles se mettent à sonner et que mon esprit me scande encore son nom.
— Leo.
Ni une ni deux, je tourne le dos aux policiers et commence à courir en direction de l'immeuble.
— HEY !
J'entre à l'intérieur avec eux à mes trousses. Aussitôt, je tombe nez à nez avec les hommes qui ont dû être postés à la réception pour monter la garde. On dirait qu'ils ne me reconnaissent pas, en tout cas pas dans l'état dans lequel je suis, couverte de sang et de suie. Quand la police débarque et que l'un d'eux lève son arme, je roule sur le côté et esquive la balle qui atteint un des policiers derrière moi.
Débute alors un échange de tirs entre les forces de l'ordre et les hommes lourdement armés de Matteo.
Je ne demande pas mon reste, remercie le coup de main involontaire des agents de police et prend le chemin des escaliers de secours. Ceux-ci me mènent au sixième où est le condo de Leonardo. Dès que j'y arrive, je trouve des hommes en train d'essayer de défoncer la porte de son appartement. Il y a des balles logées un peu partout dans le couloir, une forte odeur de poudre ainsi que du sang et deux cadavres.
C'est donc à l'extérieur que l'affrontement a commencé. Leo était sûrement en train de s'en aller et a été pris de cours.
Je réfléchis à que faire, moi qui ne suis pas armée et voyant qu'ils sont sur le point de venir à bout de la porte de Leonardo, je décide d'attendre.
Quand enfin ils défoncent la porte dans un grand fracas, ils s'y glissent et la fusillade reprend entre eux et Leonardo. Je ne devrais pas m'en réjouir, mais c'est ma certitude qu'il est vivant.
Et qu'il se bat pour le rester.
Je les suis à bonne distance, m'arrête pour retirer l'arme d'un des cadavres. Alors que je le dépouille, je remarque l'insigne que porte son uniforme. Un insigne que j'ai déjà vu de très près, lorsque j'ai failli moi-même mourir.
Les Hunters.
Encore secoué par cette réalisation, j'entre dans l'appartement à leur suite et profite qu'ils me font tous dos pour les tirer et les atteindre avec une précision que j'ai bossée tout l'été avec Senri. Une bonne partie de la dizaine d'hommes s'écroule, leurs ogane vitaux touchés avec efficacité.
Dès que je finis au salon, je me dirige vers la chambre de Leonardo, tue celui qui a échappé ma première salve de tir dans le couloir. J'ouvre la porte de la chambre en mode commando, prête à descendre tout ce qui bouge. J'entends le cliquetis d'une arme derrière moi, me tourne et braque la mienne.
Je tombe nez à nez avec Leonardo qui lui aussi tient son arme pointée sur moi.
— Heidi...
— Leo...
Il baisse son arme et passe de la surprise à la colère.
— Qu'est-ce que tu fiches ici ?!
— Je suis venue te sauver.
— Quoi ?! Je t'ai expressément demandé de ne pas venir !
— TU ALLAIS MOURIR !
— ET ALORS ?!
Je lui donne un coup de crosse, suffisamment puissant pour qu'il tombe sur le lit.
— Espèce de petite merde. T'en as pas marre de faire souffrir ceux qui tiennent à toi en acceptant la mort ?! Te jeter d'un pont ne t'a-t-il pas suffi ?! Te pendre ne t'a-t-il pas suffi ?! Te faire égorger ne t'a-t-il pas suffi ?! hurlé-je en larmes. Les larmes de Marina et les miennes ne t'ont-elles pas suffi depuis le temps ?!
— Heidi...
Encore en colère, je monte sur lui, lui saisit le col pour le redresser puis colle le canon du révolver sous son menton.
— Si c'est ton fantasme de mettre fin à tes jours, dis-le que je me charge d'exaucer ton veux une bonne fois pour toutes !
Il écarquille les yeux, surpris par mon agressivité. J'attends qu'il réponde à ma question, qu'il me dise que non, il ne veut pas mourir, qu'il me le promette.
Au lieu de cela, ses pupilles se dilatent, sa bouche se déforme dans un sourire concupiscent, exactement comme la dernière fois que je l'ai menacé de le tuer ou celle où j'allais le torturer..
— Si je n'étais pas en train de me vider de mon sang, je t'aurais déshabillée pour te montrer toute ma rage de vivre.
Je fronce les sourcils et remarque la grande tache de sang sur son bras gauche. Je me rappelle alors qu'il avait été touché.
Mon Dieu, ça fait combien de temps qu'il saigne ?!
Je me lève et l'aide à se relever. Nous avons déjà perdu trop de temps. Nous nous dirigeons vers la sortie, mais Leo insiste pour amener son sac avec lui. En revoyant les cadavres et leur insigne, je dis à Leonardo :
— Ce sont des Hunters. Des mercenaires russes.
— Je sais. Je croyais que mon père les avait engagés pour me surveiller... mais je me suis trompé. C'est Matteo. Je le prenais pour un idiot au service de mon père, mais depuis le tout début c'est lui qui est derrière les attaques.
Il grimace, sa plaie le faisant souffrir.
— Et comme tu as tué la sœur de leur chef, tu es au tout haut de leur liste. Alors faut vraiment pas trainer.
J'essaie de me souvenir du jour où leur organisation nous a été présentée par Sky.
Yelena... celle que j'ai asphyxiée. C'était la sœur de Natasha, leur chef.
La seule Hunter sans photo.
On dirait qu'elle a réformé son effectif, mais a opté pour la quantité plutôt que la qualité. Les hommes présents ici ne m'ont pas donné un dixième du combat que les Hunters de la dernière fois nous ont offert aux membres exécutifs et à moi.
Ou peut-être que c'est moi qui suis plus forte.
Nous sortons de l'immeuble et trouvons Hunter et policiers morts après leur échange de coup de feu. Des sirènes au loin indiquent que le renfort arrive. Alors nous nous hâtons à aller dans la voiture de Leonardo stationner non loin. Je prends le volant et quitte le site.
En chemin, nous croisons les patrouilles qui se dirigent vers le massacre que nous avons laissé derrière nous. La confusion devrait nous accorder une petite demi-heure avant qu'ils ne se mettent sur notre trace.
Alors que je conduis, le téléphone intégré dans la voiture de Leonardo sonne. Sur le tableau de bord, je vois le nom Jay apparaître.
Le fameux.
Leo décroche.
— Salut Jay, dit-il avec peine.
— J'ai cru halluciner quand j'ai reçu le signal de ta voiture. Comment t'as fait pour t'en sortir ?
La voix bien que distordue par un modificateur m'apparaît étrangement familière.
— Heidi m'a sorti de là. Tu devrais la remercier.
Il y a un silence. Puis il dit :
— Oui bon. Et tu n'as rien ?
— Je suis touché, mais pour le moment ça va. Je crois...
— Ok. Je vais te donner l'adresse d'une clinique clandestine. Là-bas vous trouverez de quelqu'un pour te soigner.
Je regarde Leonardo qui hoche simplement la tête.
— Heidi.
— Euh... oui ?
— Si Leo meurt, je te tiendrai pour responsable et je te ferai exécuter. On s'est bien compris ?
— Jay, gronde Leo.
— On s'est bien compris ? répète-t-il.
— Hum... oui...
— Parfait. À tout à l'heure.
Je m'apprête à lui demander exactement ce qu'il entend par là, mais il coupe l'appel.
Peu commode le personnage...
— Il est toujours comme ça ? demandé-je à Leo.
Il éclate de rire.
— Non, c'est juste qu'il ne t'aime pas.
— Qu'est-ce que je lui ai fait ?
Il ne répond pas à ma question. Je me tourne vers lui et constate qu'il n'est même plus conscient.
— Leo ?
Rien.
Je lui donne plusieurs gifles pour le faire revenir à lui. Ça marche mais je vois que la perte de sang le fait divaguer.
— Leo, tiens bon ! On va arriver dans cette clinique bientôt.
Que nenni ! Cette foutue clinique est à une bonne demi-heure d'heure d'ici ! Pourquoi Leo lui a dit que tout allait bien alors que sa blessure est tout sauf superficielle ?! Même si je fonce, ça va me prendre 20 minutes et il aura clamsé d'ici là. Il saigne beaucoup trop.
— Hei... di ?
Je jette un coup d'œil vers lui.
— Je veux pas mourir, je te promets que je veux pas... mais je sens pas... bien... là..
Il sombre encore et se bat clairement pour rester parmi nous.
Le pauvre...
Mon cœur se met à tambouriner et je comprends que le temps que je me rende à cette foutue clinique à l'autre bout de la putain de ville, il aura passé l'arme à gauche.
Merde !
Je finis par accepter la réalité : je dois lui apporter les premiers soins moi-même.
À la place de la clinique, je tape l'adresse d'une pharmacie et m'y rends. J'achète tout ce qui ressemble au matériel médical que j'aurais eu dans un kit comme celui que j'ai donné à Adam. Je rafle les rayons et balance le tout dans le sac de Leo qui ne contenait que des appareils, une arme et une boite. Au moins à la caisse on ne me questionne même pas sur mon propre état.
Dans un pays où la majorité des gens sont soit non assurés, soit déjà très endettés, il est commun que les gens évitent les hôpitaux et cherchent à guérir leurs maux comme ils peuvent tandis que les compagnies d'assurance s'enrichissent sur leurs souffrances.
Peut-être qu'il faudrait que notre prochaine attaque vise l'une ou plusieurs d'entre elles.
Je sors et vais retrouver Leo qui s'accroche toujours à la vie dans la voiture. Après m'être stationné dans un coin peu fréquenté, je l'étends à l'arrière du véhicule.
— Ok, docteur Ricci ?
— Mmm ?
— Est-ce que c'est juste pour faire joli ou tu sais aussi comment on traite une blessure par balle ?
— Bien sûr pour qui tu me... prends ?
Malgré la gravité de la situation, son ego me donne le sourire.
— Commence par arrêter l'hémorragie. Si je perds plus de sang, je tiendrai pas...
Ok... mais comment ?!
Je repense à ma soirée d'initiation, celle où j'avais été tellement gourde que je suis tombée dans la fosse aux lions. Après que Moïse se soit littéralement battu avec la bête, les employés de Latifah ont dû lui faire un garrot avant même de commencer à cautériser sa plaie.
— Un garrot.
J'en fabrique un de fortune avec les bandages et le vaporisateur d'alcool à friction qui me sert de tourniquet pour serrer le tissus autour de son bras.
— Non, trois ou quatre pouces avant le lieu d'impact me corrige Leo quand il revient à lui.
Je recommence.
— Les gants...
Je me désinfecte les mains et enfile les gants. Puis, sans qu'il me le dise, c'est sa plaie que je désinfecte.
— Ensuite ?
Il est déjà dans les vapes. J'improvise donc, plante mes doigts dans sa plaie et déloge la balle. Leo grimace et gémit de douleur en me serrant le bras. Ses yeux sont maintenant grand ouverts par l'adrénaline.
— Ne retire surtout pas la balle, elle contient l'hémorragie, dit-il les yeux fermés.
Je fige.
— Euh...
Il ouvre les yeux et quand il la voit entre mes doigts son regard devient sévère.
— T'es tellement...
— Tu m'insulteras quand ta vie ne dépendra plus de moi, je fais quoi ?
— Remplace la balle, bouche la cavité avec les bandages.
Je m'exécute alors qu'il se tord de douleur et peine à respirer.
— Et maintenant ?!
— Y'a plus rien à faire. On va à la clinique.
— Ok.
Je m'apprête à aller devant, mais il retient mon bras.
— T'as assuré, Pinocchio.
Quand il me dit cela, des larmes que je retenais remonte à la surface. Il est loin d'être sorti d'affaire, mais son commentaire me rassure.
Je l'embrasse pour lui communiquer mon soulagement.
— Tiens bon encore un peu... je t'aime.
— Je t'aime, souffle-t-il.
Je prends le volant et me dépêche pour atteindre cette clinique qui se trouve en fait à être une clinique vétérinaire déjà fermée puisqu'il est presque 22h.
Mais un homme descend d'une voiture juste après nous. Dès qu'il nous voit, il ouvre la clinique et nous indique d'y entrer sans poser d'autres questions. Il prend Leonardo en charge, cherche la balle pendant un moment avant que je lui avoue l'avoir retirée et puis il s'occupe de cautériser la plaie avant de recoudre Leo et de le bander.
Avant de retirer le garrot, il lui administre un médicament censé éliminer les déchets métaboliques accumulés dans la partie privée de sang de son bras pour éviter d'empoisonner le reste de son corps. Il rétablit ensuite la circulation sanguine de Leonardo.
Il laisse Leonardo qui a perdu connaissance avant même qu'on arrive se reposer un peu et me dit dans un mélange de langue slave et de langage des signes qu'il va aussi soigner mes blessures. Je le laisse faire, réfléchissant déjà à que faire par la suite.
Quand il a fini, Leo s'est réveillé de lui-même, ce qui surprend l'homme.
Leo a toujours eu le sommeil léger. Quelque chose, quelque chose de terrible l'empêche de dormir sur ses deux oreilles. Ce doit être de ça qu'Adam me parlait.
Il se met à discuter avec l'homme en question dans sa langue. Quand enfin il termine, Leo me regarde et me sourit.
— Qu'est-ce qu'il dit ?
— On ne peut pas rester ici. Ils ouvrent super tôt. Et aussi on doit réchauffer mon corps pour m'éviter l'hypothermie.
Je m'approche de lui et touche sa peau effectivement bien en deçà d'une température saine.
— On va aller dans un hôtel et y passer la nuit. Demain, on verra comment riposter, dit-il en descendant de la table sur laquelle des animaux sont normalement traités.
Il m'indique de l'aider à remettre son haut. Alors que je fais glisser le tissu par-dessus son corps, je lève les yeux vers lui.
— Riposter ?
Il baisse ses yeux de fauve sur moi et je sens le danger émaner de lui.
— Je vais les traquer jusqu'au dernier et leur faire la peau, dit-il en prenant mon visage dans sa main. Tu veux bien partir à la chasse avec moi ?
Une partie de moi veut lui dire non. Prendre mes jambes à mon cou, ou du moins laisser Adam s'en charger.
Mais une autre me commande de lui obéir, de lui être loyale jusqu'à mon dernier souffle. Je hoche la tête. Il prend ma main et baise le site où se situe le tatouage signifiant qu'il me possède.
— Excellent.
Nous sortons de la clinique et il remercie une dernière fois notre sauveur qui fait la courbette avant de disparaître dans la nuit.
— Tu parles combien de langues ?
— Quelques-unes.
— Comment ça se fait ?
— La plupart des Européens parlent d'eux à trois langues avant même d'entrer à la maternelle. Il n'y a que vous, les Américains, qui ne parlez que l'anglais et encore, les dernières études montrent que les adultes ont un niveau de lecture de sixième primaire.
— De la condescendance. Je vois que tu vas beaucoup mieux.
Il ricane et entre dans la voiture. Une fois à l'hôtel, notre chambre réservée, Leonardo informe d'abord Adam que nous sommes en vie. Lui aussi est en lieu sûr avec sa mère et Serena. J'ai alors la possibilité de parler avec lui et de recevoir d'autres louanges.
— Bon, je vous laisse vous reposer. À demain.
— À demain.
Il coupe l'appel.
C'est la première fois qu'il ne me dit pas je t'aime après un appel. Ça fait bizarre, mais je vais devoir m'y habituer.
Puis, au lieu de se reposer pour récupérer un peu, Leonardo se met à passer des tas d'appels, s'exprimant tantôt en italien, tantôt en anglais. Il fait les cent pas dans la chambre d'hôtel, organisant la riposte dont il parlait, donnant des ordres et faisant jouer ses relations. Chaque fois qu'il coupe et que j'essaie de lui parler, il tend sa main pour me dire d'attendre et passe à un autre appel.
J'ai alors le même sentiment que j'ai toujours quand on était en couple. Celui d'être de trop, mise à l'écart, ignorée.
Je vais prendre une douche comme il est trop occupé pour m'accorder de son attention. Quand je reviens, il est assis devant un ordinateur cette fois.
— Tu devrais prendre une douche.
— Mmh, lâche-t-il sans lever les yeux de son écran.
— Ça te fera du bien et ça devrait te détendre.
— Mmh.
Mon cœur se serre.
— J'aurais dû choisir Adam. J'ai failli te perdre et toi tu agis exactement comme avant.
Il arrête de taper et me regarde enfin. En voyant la frustration dans mon regard, il tente de s'excuser.
— Je suis désolé, Pinocchio. Je devais m'assurer qu'on ne nous trouve pas et que ta famille est aussi en sécu-
— Et qu'est-ce que ça te coûte de me le dire ? Qu'est-ce que ça te coûte de me partager ce qu'il se passe dans ta tête ? Qu'est-ce que ça te coûte de me laisser t'assister ? Pourquoi tu ne me dis pas le mal qui te ronge depuis tant d'années ?! Pourquoi tu l'as dit à Adam et pas à moi ?!
Nous nous fixons de longues secondes alors que des larmes roulent le long de mes joues. Il ferme l'écran de son ordinateur, se lève, m'approche, me traverse et s'enferme dans la salle de bain sans un mot.
J'abandonne.
Abattu, je vais me glisser dans le drap pour me coucher. Je suis exténuée et je dois regagner des forces. Au bout de dix minutes, Leonardo ressort de sa douche en peignoir lui aussi. Il vient se planter devant moi.
— T'es bandage et tes cheveux sont mouillés, dit-il froidement. Tu vas attraper froid.
— Qu'est-ce que ça peut te faire ? Retourne appeler la terre entière.
Il ne bouge pas.
Je soupire, me retourne et me redresse pour le trouver avec une boîte de premiers soins. Je retire mon peignoir pour le laisser changer mes pansements trempés. Il commence par le haut de mon corps, puis se met à genoux pour bander mes jambes.
C'est alors que sa voix perce le silence.
— Je suis né à Capri à peine un an après le mariage de mes parents qui n'avait pour but que de produire un héritier, pour unir le clan Ricci et Mancino, les plus influents de la région méditerranéenne à l'époque.
Je baisse les yeux vers lui et lui les lève vers les miens.
— Quand elle a appris qu'elle allait être mariée à Leonardo Ricci, mon père, qui avait une réputation de bourreau cruel et impitoyable, ma mère a fait une fugue. La pauvre n'avait que 18 ans. C'est pendant sa fugue qu'elle a rencontré James à Vegas et qu'ils ont fondé The Players.
Je hoche la tête, pour lui indiquer que je l'écoute.
— Mais quand elle a appris qu'en son absence ce serait sa petite sœur qui n'avait alors que 15 ans qui serait mariée à sa place, elle est retournée en Italie pour épouser mon père et remplir son devoir. C'est là que son calvaire a commencé.
Je grimace quand il serre un peu trop le bandage qu'il est en train de faire. Il le desserre un peu.
— Mon père était réputé violent et sadique avec ses ennemis, mais c'était encore pire avec ceux qui vivaient avec lui. C'était un despote, un véritable tyran, parfaitement instable et particulièrement colérique. La première chose qui lui a déplu chez ma mère, en plus de son esprit rebelle, c'était son intelligence. Il ne pouvait concevoir qu'elle le reprenne ou le corrige. Alors il s'est donné pour objectif de la dresser, de briser son esprit prodigieux avec des coups. Et comme j'étais né un an seulement après, elle ne pouvait plus s'enfuir comme la première fois.
Il me regarde dans les yeux.
— J'ai condamné ma mère à la violence et la souffrance, tremble sa voix.
Je prends son visage dans mes mains.
— Oh Leo....
Il ferme les yeux, le temps de chasser ses larmes.
— La seule chose positive dans sa vie, c'était James. Il était parvenu à la retrouver quelques mois avant et à se faire engager comme garde du corps pour veiller sur ma mère et moi, le précieux héritier de mon père. James était...
À son sourire, je devine quel genre d'homme était James pour Leo.
— Comme Adam ?
— Exactement comme Adam. Il répandait tellement de joie dans nos vies moroses. Grâce à lui, la villa où régnait la terreur était devenue supportable. Tout le monde l'adorait, les hommes de mon père comme les employés. Leonardo était mon géniteur et l'époux de Giulietta, mais James... James était mon père et le véritable amour de ma mère. Mais malgré tous ses efforts, il ne pouvait rien faire pour nous quand mon père rentrait de voyage pour déverser sa frustration sur ma mère.
Il renifle.
— Mon père n'a jamais levé la main sur moi, mais il me forçait à écouter. Chaque fois qu'il la battait sans raison aucune. Il nous postait James et moi devant la porte et la faisait hurler de douleur. On entendait ses cris dans toute la villa. Et quand elle ressortait, elle était totalement amorphe, et éteinte.
Il esquisse un triste sourire.
— Il m'arrivait de me demander si James l'appelait Violet sans raison particulière ou si c'était parce qu'elle avait constamment la peau violacée par les coups que lui infligeait mon père.
Je mets ma main sur ma bouche.
— James était terrifié à chaque fois. Il tremblait, n'osait pas regarder mon père dans les yeux. J'ai appris plus tard qu'il avait vu sa propre mère se faire assassiner par son père de la même manière. Chaque fois que mon père battait la mienne, il redevenait le petit garçon sans défense qu'il était.
Je me souviens qu'Adam, celui de Vegas, nous a raconté cela. Alors James était tellement traumatisé qu'il restait tétanisé...
— Mais un jour, je lui ai demandé pourquoi il n'agissait pas comme l'homme qu'il me disait toujours d'être. Je crois qu'il s'est reconnu en moi, et alors il a surmonté sa peur et a commencé à mettre un plan en marche pour nous faire disparaître ma mère, lui et moi. Un plan pour qu'on ait une nouvelle vie. Et puis ma mère est tombée enceinte d'Adam. Il représentait vraiment cette vie nouvelle, l'espoir. J'allais avoir un petit frère...
Il baisse la tête.
— Mais je crois que tu sais déjà que j'ai tout gâché.
Il a voulu que son cousin qu'il aimait tant fasse sortir de cette nouvelle vie... et Matteo l'a dénoncé.
Des larmes cascadent sur mon visage.
— J'ai condamné ma mère une deuxième fois... sauf que cette fois, elle n'avait plus James... parce que je l'ai tué... j'ai tué mon père de mes propres mains Heidi.
— Leo...
Je le prends dans mes bras et il sanglote.
— C'est de ma faute. Tout est de ma faute. Si je n'étais pas né... si j'étais mort...
— Ne dis pas ça. S'il te plaît, ne dis pas ça.
Je le serre plus fort contre moi alors qu'il pleure contre moi pour la première fois. Entre ses sanglots, il poursuit le récit.
Il me décrit ce que son grand-père a fait subir à sa mère et James en termes de représailles. Il a été obligé d'assister à leur torture qui s'est soldée par l'exécution de James et le suicide de sa mère quelques semaines à peine plus tard. Il me raconte la dépression qu'il a vécue avant que Marina, sa tante qui n'avait pas oublié le sacrifice de sa mère intervienne et convainc son père et son grand-père de la laisser l'élever.
Le reste, je le connais. C'est notre vie commune, notre amitié, ses succès, notre histoire.
Quand il finit, je suis prise d'un désespoir infini et d'une grande culpabilité.
Comment ai-je pu lui demander de continuer à vivre après ce qu'il a enduré ? Alors qu'il était déjà prêt à en finir... il est resté en vie juste parce que je lui ai demandé.
Je l'ai forcé à vivre son cauchemar ; sa propre existence.
Je suis tellement dévasté par son récit qu'à la fin, c'est moi qui n'arrive pas à arrêter de pleurer et lui qui me console et me rassure alors que je m'excuse de lui avoir infligé ça. Alors qu'il me serre dans ses bras, je sens tout mon amour pour lui grandir à mesure que j'entends son cœur battre. Battre pour moi.
Et alors je comprends ce qu'Adam voulait dire quand il disait qu'il aime Leo plus que moi, car c'est ce que je ressens en ce moment. Le besoin de lui donner tout l'amour qu'il n'a pas eu. De l'aimer pour dix, pour cent, pour mille.
De le choisir, car maintenant je sais qui est vraiment Leonardo Ricci.
— C'est bon, ça fait longtemps, je vais mieux maintenant.
Je pleure toujours, mes larmes coulant toute seules.
— Heidi, arrête de pleurer.
— Je n'y arrive pas... je suis tellement désolée...
Voyant que ça ne sert à rien, il soupire et se lève. Il se rend jusqu'au bureau. Là, il ouvre le sac qu'il a tenu à amener avec lui et regarde en ma direction avant de me sourire. C'est le sourire qu'il a quand il sait qu'il va me faire sourire. Alors qu'il ouvre lentement la fermeture, il prend la parole.
— Combien de fois as-tu perdues contre moi ?
Je sèche mes larmes et cligne des yeux, pour lui exprimer ma crédulité.
— Hum... à quoi ?
— Tout, jeux, paris, combats, mensonges, manipulations.
— Plein de fois... je ne connais pas le nombre exa-
— 47. Tu as perdu 47 fois.
Oh...
— Ok ...? dis-je, la voix tremblante.
— Ce devrait être plus grand, mais tu te souviens de ta réaction pendant la kermesse du lycée ?
Je me souviens, oui. Il m'avait humiliée devant toute ma classe.
— Tu aurais dû voir ta tête quand ne comprenais pas pourquoi je gagnais toujours alors que tu trichais. Et quand tu as déversé ta frustration sur le jeu et moi... ce soir-là j'ai bien failli rompre mon engagement à attendre que tu atteignes la majorité. T'es sexy quand tu as des envies de meurtre.
Je souris malgré moi en reniflant.
Depuis j'ai systématiquement refusé de jouer contre lui. Il est arrivé qu'on pari, mais les jeux, plus jamais. Sinon on aurait le triple de défaites pour moi.
Je hoche la tête pour lui signaler que oui, je me souviens de quand il m'a fait mordre la poussière devant toute ma classe.
— Et combien de fois as-tu gagné contre moi ?
À quoi il joue ?
— Jamais... je crois bien ne jamais avoir gagné contre toi.
Il confirme.
— Qu'est-ce que je devais faire, si jamais tu gagnais ?
Je lui souris.
— Me demander en mariage.
Il opine de nouveau avant de m'approcher avec une grande boîte rectangulaire faite de velours en main. Il pose un genou par terre avant d'ouvrir la boîte.
Quand j'en vois le contenu, ma mâchoire se décroche d'elle-même. Elles sont toutes différentes, mais brillent toutes d'un éclat éblouissant tout en étant si délicates. Je m'en retrouve aveuglée.
— Leo...
— 47 défaites, 47 demandes en mariage que je n'ai pas pu faire. Chaque fois, j'en achetais une, espérant que la prochaine fois serait la bonne, mais tu finissais toujours par perdre, dit-il en souriant. Alors j'en achetais une nouvelle pour calmer ma frustration et me permettre de patienter encore un peu.
Je couvre ma bouche de ma main. Moi qui croyais qu'il misait toujours le mariage par mépris pour moi... en fait, il voulait que je gagne pour me demander ma main...
Il a acheté une nouvelle bague à chaque fois... et il les a toutes gardées...
Leo prend ma main et devient solennel.
— Je n'espère pas que tu acceptes de me donner ta main 47 fois, même si ça me comblait de joie, plaisante-t-il. Une seule fois suffira, Pinocchio- non... Heidi Katerina Mäkinen...
Mes yeux se voilent de larmes, mes oreilles résonnent, comme si... comme si j'étais au fond d'une piscine et que lui me parlait du rebord. Je ne le vois plus, je ne l'entends plus, je ne sens même plus mon propre corps.
— Heidi.
Je cligne des yeux et ma vision se réajuste. Il est bien là, à genoux, devant moi, il tient bien 47 bagues. Et il semble attendre que je dise quelque chose, que je réponde... je ne l'ai même pas entendu me poser la question que j'ai rêvé qu'il me pose depuis des années. Je n'arrive pas à prononcer mot.
— Tu veux que je répète ?
Je hoche la tête et il rit.
— Feras-tu également de ta victoire sur moi la mienne en acceptant de m'épouser ?
Je me jette sur lui et l'entraîne avec moi dans ma chute. La boîte tombe et les bagues avec elle. Après avoir poussé une plainte de douleur, il éclate de rire et m'étreint.
— Je suppose c'est un oui ?
Je hoche la tête, en larmes. Il souffle de soulagement. Il me couvre de baisers, puis me demande :
— La bague, tu veux laquelle ?
Je me redresse, essuie mes larmes et regarde le choix de bagues. Elles sont toutes plus belles les unes que les autres. Je ne sais pas laquelle choisir.
— Celle que tu veux.
Lui ne réfléchit pas longtemps et en prend une qu'il glisse à mon annulaire gauche avant de me dire :
— Adam a dit qu'elle t'irait le mieux.
Adam... il savait...
Je remercie intérieurement Adam de ne pas m'avoir laissé commettre l'erreur de ne pas choisir Leo. Malgré les blessures, la douleur et la situation, c'est le plus beau jour de ma vie.
Je prends Leo dans mes bras et l'embrasse passionnément. En dépit de son état, il se lève, me porte jusqu'au lit et me fait l'amour comme la toute première fois.
Il me comble de tendresse, de caresses et d'allégresse, jusqu'à ce que, repue de bonheur, je m'écroule de fatigue. Puis il s'étend près de moi. Alors qu'il caresse les boucles de mes cheveux, je lui fais une dernière requête :
— Ne combats plus sans moi. Laisse-moi aussi veiller sur toi maintenant,
Il passe une mèche de mes cheveux derrière mon oreille et ses yeux verts m'analysent avec amusement dans la pénombre.
— Toi, petite chose, tu crois pouvoir veiller sur moi ?
— Oui. Je suis plus la gamine que j'étais. Je suis la Reine des Players... et je suis plus forte que tu ne le seras jamais.
Il ricane, me baise le front.
— D'accord, Pinocchio. Je compte sur toi.
Et pour la première fois, Leonardo s'endort avant moi, plus serein que jamais.
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