31. Under the stars
Pourquoi est-ce que je me retrouve toujours dans des situations comme ça ?
Le tableau de bord de ma voiture connectée à mon téléphone affiche le 13e appel de Jay depuis que j'ai suivi Adam hors du condo et jusque dans ma voiture.
— Tu ne réponds pas ?
Je jette un coup d'œil à ma droite où est assis Adam, tenant toujours son arme contre ma tempe. Je me reconcentre sur la route.
— Non.
— Pourquoi ?
— Quand je suis entré dans la voiture, j'ai désactivé la localisation. C'est sans doute pour ça qu'il m'appelle comme ça, il a compris que quelque chose ne va pas. Si je réponds, il nous localisera...
— Et ?
— Je ne veux pas qu'il t'arrive quoi que ce soit.
— Qu'est-ce qu'il m'arriverait ?
— Tu te rappelles de l'ange de la mort ?
— Ton allier de Capri qui s'est chargé de presque tous les hommes de ton père ?
— Oui, voilà à qui tu devras répondre s'il venait à m'arriver quoi que ce soit.
Il colle son arme sur ma peau.
— Je ne dirais pas non à un combattant moins pleutre que toi. Accélère.
Il est vraiment insouciant. Il se fout de la menace, il se fout probablement même de la mort. Il s'est quand même jeté vers une mort quasi certaine sur la falaise et si je n'avais pas été là, il serait au fond de la mer méditerranée à l'heure qu'il est. Il est exactement comme notre mère, impulsif avec un soupçon de folie des grandeurs qui fait qu'il se croit immortel.
J'appuie plus fort sur la pédale d'accélération et mon cerveau aussi tourne plus vite à la recherche d'une échappatoire qui n'implique pas d'aviser Jay et, de ce fait, signer l'arrêt de mort de mon petit frère. Puis l'évidence me vient d'elle-même.
Heidi.
— Heidi et toi avez parlé ?
— Tais-toi.
— Ok, dis-je en levant les mains.
— Garde tes mains sur le volant.
J'obéis et de nouveau le lourd silence se fait dans la voiture, mais il ne dure pas longtemps, car bientôt, Adam le craque.
— On a parlé.
Trop facile.
Je le zieute et vois qu'il a l'air bouleversé. Il veut m'en dire plus, mais il n'ose pas.
— Et ?
— Je crois que... je crois qu'elle n'est plus sûre de vouloir qu'on réessaye... tous les deux. Elle a dit qu'elle non plus n'est pas sûre de vraiment me connaître, avoue-t-il, une pointe de tristesse dans la voix.
C'est donc ça qui l'a mis dans cet état ?
— Parce que tu lui as menti ?
— Je n'avais pas le choix.
— Bien évidemment.
— Elle aussi m'a menti. Pendant des mois.
— Mais tu l'aimes toujours.
— Bien sûr que je l'aime.
— Alors tu n'as pas à t'en faire. Elle se sent trahie c'est tout, c'est normal qu'elle ne soit pas aussi enthousiaste qu'avant. Sa colère se résorbera... elle te pardonnera. On pardonne toujours ceux qu'on aime, même quand ils nous font les pires crasses.
Il secoue la tête.
— Pas la vérité. Elle ne me pardonnera pas la vérité. C'est toi qui l'as dit.
Je réfléchis.
— Possible. On a plus de mal à pardonner ceux qui font du mal à ceux qu'on aime. Ne lui dis pas la vérité, c'est tout.
De nouveau le silence.
— Pourquoi ?
Je tourne la tête vers lui.
— Pourquoi tu ne lui as pas dit ce que j'ai vraiment fait à Capri ? Ce que je t'ai fait ?
Un sourire se dessine sur mon visage malgré moi.
— Pour mon propre divertissement.
Je termine ma phrase en le regardant droit dans les yeux, ignorant la route devant moi et le provoquant sans me soucier qu'il me menace avec une arme.
Son regard se durcit et pendant une seconde, je crois voir celui que James avait quand il attendait avec moi que mon père sévisse sur ma mère. Un frisson me parcourt, électrisant mes veines d'adrénaline en repensant à ce qu'il m'avait dit un jour.
« La patience est amère, mais ses fruits en sont doux. »
James a attendu sa vengeance, mais il est mort avant d'avoir pu anéantir les Ricci lui-même. Peut-être qu'il fallait seulement attendre que son fils s'en charge lui-même. Que son fils se charge de son assassin.
Je reporte mes yeux sur la route.
— Par contre, tu penses que Heidi te pardonnera après ce que tu vas me faire ? Tu penses que tu pourras l'avoir si tu élimines la compétition ?
— Ce n'est pas pour Heidi que je fais ça. Heidi n'est pas le centre du monde.
C'est vrai... le centre de mon monde à moi, c'est toi.
— Pourquoi alors ?
— Heidi et moi étions à Vegas.
Mes oreilles se redressent, mais je contrôle le reste de mon corps.
— J'en ai été informé.
— Je sais que tu as tué mon père. Matteo m'a tout dit.
Lorsqu'il dit cela, les souvenirs que j'essaie de fuir depuis des années reviennent m'assaillir. Les pleurs de ma mère, James qui me supplie de le tuer lui pour que mon grand père épargne ma mère.
« Je compte sur toi pour les protéger, fiston. »
Elle et Adam.
Mes mains se mettent à trembler autour du volant comme autour du fusil et sa voix autoritaire résonne, ses tout derniers mots.
« Sois un homme Leonardo, tire. »
La détonation, le cri déchirant de ma mère, son sang, tout ce sang.
Le début d'un cauchemar duquel je ne me suis réveillé que quand je t'ai rencontré.
— Et qu'est-ce que ça te fait ? De savoir que j'ai abattu ton père comme un animal d'élevage ?
Encore, nous nous jaugeons pendant un cours instant qui semble durer l'éternité quand on le passe dans les yeux d'Adam, dans les yeux de James. Mais Adam ignore ce que je viens de lui dire. Il se contente de baisser son arme et regarder droit devant lui.
Au bout de près d'une heure sur cette route de campagne, il parle.
— Arrête-toi, ordonne-t-il.
Je regarde autour de moi, ne voyant pas où exactement où est-ce qu'il veut que je m'arrête. De chaque côté de la route s'étendent des champs à perte de vue. Je croyais qu'il m'emmenait quelque part, dans un bâtiment isolé pour faire sa besogne.
— J'ai dit arrête toi, répète-t-il quand, confus, je n'obéis pas.
— Ici ?
— Ici.
— Mais- on est au milieu de nulle part là.
— Arrête-toi, répète-t-il en braquant le pistolet sur moi.
— Ok, ok...
Je mets le véhicule en arrêt.
— Descends.
J'obéis et descends de ma voiture au moment où Jay m'appelle une énième fois. J'ai une pensée pour lui qui doit être en totale panique en ce moment même, après Capri.
Mais ce qui doit arriver doit arriver.
Adam m'ordonne de quitter la route pour entrer dans un des champs. Puis il se place derrière moi et m'ordonne d'avancer. À mesure que nous nous enfonçons dans la plaine et que la route disparaît derrière nous, je comprends qu'il a l'intention de me tuer dans cet endroit reculé pour disposer de mon corps et éviter qu'on me retrouve après.
Les seules sources de lumière sont la lune et les étoiles au-dessus de nos têtes. Autrement, dans cet espace purement rural, nous avançons dans le noir. Je ne vois pas plus loin que le bout de mes doigts.
— Stop.
J'obtempère.
Je contemple les fermes qui s'étendent devant moi.
Est-ce que c'est parce que je lui ai dit que j'ai abattu son père comme un animal d'élevage ? Je ne savais pas son humour aussi raffiné.
Adam se poste en face de moi et dépose une boîte que je distingue mal dans le noir et sans mes lunettes à mes pieds.
— C'est quoi ?
— Tais-toi.
— Ok.
Pendant qu'il ouvre la boîte et sort son matériel pour m'éliminer, je lève les yeux vers le ciel. Contrairement à Capri, je n'ai pas peur de ce qui s'en vient. J'ai mené ma mission à bout. J'ai tué mon père, Violet va pouvoir se venger de mon grand-père, Adam protégera et chérira Heidi à ma place, The Players se chargeront d'en finir avec Matteo.
Je retrouve la paix pour la première fois depuis 21 ans.
Je vais enfin mourir.
— Bordel... je crois que je vais avoir besoin d'aide.
Je baisse mes yeux pour le trouver accroupi devant la boîte ouverte. Lorsque je plisse les yeux et que je reconnais ce qu'elle contient, ils retournent vers Adam.
— Est-ce que c'est-
— Ton télescope ? Oui. Je l'ai trouvé chez toi.
Hein ?
— En revanche, ça ne sert à rien d'être un génie si tes inventions sont aussi compliquées à utiliser.
Plus confus que jamais, je le questionne du regard.
— C'est la dernière journée, dit-il. C'est toi qui me l'as dit... sur le toit de l'université.
Je ne comprends rien de ce qu'il me raconte. J'essaie de me repasser le moment que nous avions passé tous les deux sur ce toit, notre conversation et alors je tilte.
— Les Perséides...
Nous sommes le 26 août, c'est la dernière journée où elles seront visibles dans le ciel. Je lui avais dit que j'aimerais les regarder avec lui, conscient que je ne pourrais pas le faire puisque j'étais convaincu que je mourrais pendant l'attaque que je prévoyais.
Il s'en est souvenu.
— Adam-
— Tu m'aides à le monter ou je te bute ? dit-il en brandissant de nouveau l'arme sur moi.
Qu'est-ce que c'est que ce cirque ?
J'hésite un instant, m'abaisse et commence à monter le télescope sous son regard attentif.
— Je peux essayer ?
Je cligne des yeux.
— Euh... oui...
Il poursuit le montage après m'avoir vu faire et me le présente pour que je l'approuve. Alors qu'il visse une des pattes, je prends la parole, ne comprenant pas pourquoi je n'ai pas une balle entre les deux yeux à l'heure qu'il est.
— Tu... tu ne vas pas me tuer ?
— Non. Je voulais seulement t'amener ici pour qu'on regarde la pluie d'étoiles filantes.
— Tu sais que je t'aurais suivi si tu m'avais simplement dit « Hey coach, venez regarder les étoiles avec moi ». Pourquoi me menacer avec une arme ?
Ses yeux bleus dans lesquels se reflète divinement la Lune reviennent à moi, espiègles.
— Pour mon propre divertissement.
Un rictus se forme sur mes lèvres.
That's my boy.
— Ok, mais... tu ne veux pas te venger ? Tu ne veux pas finir ce que tu as échoué à Capri-
— Je sais tout.
— Tout ?
— Je sais que ton cousin t'a trahi et c'est la raison pour laquelle tu as dû tuer James, je sais que ma mère et mon père étaient les premiers Players, je sais que ma mère est le Roi.
Puis, il lève ses yeux vers moi.
— Notre mère.
De longues secondes de silence s'étirent pendant lesquelles, la surprise doit se lire sur mon visage malgré l'obscurité. Un sourire nerveux déforme mes lèvres.
— Ta mère t'a enfin avoué la vérité ?
Il secoue la tête.
— Je l'ai déduit.
— Déduit ?
— Chez Jack, j'ai vu une photo de ma mère et mon père ensemble pour la première fois. Mais je n'ai pas reconnu ma mère parce qu'elle a énormément changé. Par contre, j'ai reconnu Giulietta, car j'avais vu des photos d'elle chez ton père, le jour de ton anniversaire. Alors quand Jack m'a dit que le nom de la femme sur la photo était Violet et non Giulietta, j'ai compris. Giulietta Mancino est le vrai nom de ma mère... ce qui fait de toi mon demi-frère.
Sur cette fin de phrase qu'il a lâchée comme si c'était une banalité, il me tend une bouteille de bière avant de s'asseoir, de fermer les yeux et de savourer l'air chaud de cette fin d'été.
Je m'assois près de lui.
— Tu es déçu ?
Il tourne la tête.
— Que je sois ton frère... je comprendrais...
Que tu me détestes comme elle ?
— Pour être honnête, ça m'a fait un choc. J'ai appris d'un seul coup la véritable identité de ma mère, qu'elle est le roi, que j'ai un grand frère et qu'en plus c'est toi... je t'avoue que j'ai encore du mal à digérer tout ça, le fait que ma vie n'est qu'un ramassis de mensonges.
— Toujours et encore des mensonges.
Nous nous fixons et il hoche la tête.
— Mais étrangement... le fait que tu sois mon frère m'a le moins chamboulé. J'ai été surpris... mais rien n'a changé en moi, ou dans ma perception de toi.
— Ta perception de moi ?
— Oui. Même avant que je ne le comprenne, même si je ne l'ai jamais exprimé, tu as toujours été comme un grand frère pour moi. Tu m'as toujours materné, que ce soit en cours ou sur le terrain de football. Tu es plutôt solitaire et pourtant tu pouvais passer des heures à m'écouter parler comme si ma vie te passionnait... tu me payais des repas sans aucune raison, tu me conseillais, la manière dont tu pansais mes blessures... tu as toujours été le grand frère que je n'avais jamais eu.
Quand il me sourit, mon cœur s'emballe, je me sens rougir et je détourne le regard. Ma réaction le fait rire. Je n'y peux rien. Adam est ce que j'ai de plus précieux, et le voir sourire, le voir heureux me mets dans tout mes états, j'ai envie de crier, j'ai envie de sauter, j'ai envie de pleurer de joie.
J'ai envie de vivre.
Nous trinquons et nous étendons pour observer le ciel étoilé de la campagne. Comme c'est la dernière journée, la pluie d'étoiles filantes à peine visible dans le ciel. La prochaine sera en octobre... rien que de penser à ça me donne envie de tenir jusque là. Pour regarder les étoiles avec Adam comme je les regardais avec James.
— Pourquoi tu ne me l'as pas dit ? demande-t-il. Je veux dire, je peux comprendre, on venait de se rencontrer, mais à Capri... pourquoi tu ne m'as pas dit la vérité à Capri ?
Je hausse les épaules.
— J'en sais rien... j'ai cette manie de tenir ceux que j'aime à l'écart, de mettre de la distance entre nous. Je crois que c'est un mécanisme de défense... après tout, ceux que j'aimais sont morts par ma faute. Et j'avais peur que toi aussi, tu me rejettes.
Il m'écoute et opine.
— Est-ce que je peux connaître toute la vérité maintenant ? Si tu veux bien me raconter ton histoire... notre histoire.
Je lui sourit et passe ma main dans ses cheveux blonds.
— Oui, Adam.
Alors je lui raconte tout depuis le début. La romance secrète entre son père et ma mère, la grossesse de ma mère, l'espoir qu'il représentait pour nous, le plan de maman pour une nouvelle vie, l'erreur que j'ai faite en voulant y inclure mon cousin que j'adulais à l'époque, les représailles, l'exécution de James, le suicide raté de ma mère... je passe ma vie de solitude et de deuil et je lui raconte notre première rencontre.
Adam soupire.
— T'as vraiment eu une vie de merde.
Je ricane
— Une vie de merde est un euphémisme. Je n'en voulais plus du tout, de la vie. Puis ma tante et moi avons aménagé à côté de chez Heidi et sa famille. Ils m'ont presque adopté. Elle est devenue ma meilleure amie, une petite sœur et bien plus quand les hormones s'en sont mêlées.
Il rigole avec moi,
— Mais même là, ça ne suffisait pas, j'avais encore ce mal-être en moi, cette solitude... mais quand je t'ai vu... toi, mon petit frère, pour la première fois j'ai eu peur de la mort.
Adam se redresse pour s'asseoir sur l'herbe.
— Je suis désolé.
— Pourquoi ?
— Pour ce que je t'ai fait à Capri. Je suis tellement, tellement désolé. Quand j'ai compris à Vegas... je me suis tellement voulu... pardon.
Je m'assois à mon tour.
— Ce n'est rien. J'ai survécu. Je vais bien.
Ses yeux descendent vers le bandage autour de mon cou, il pose délicatement ses doigts sur moi, sur le bandage.
— La blessure à ton cou a peut-être cicatrisé, tu respires, tu es en vie, c'est vrai... mais est-ce que tu as vraiment survécu ? Est-ce que tu vas vraiment bien ? demande-t-il alors que son pouce caresse la surface de ma peau.
J'écarquille les yeux.
Je ne me suis pas posé la question. Ai-je vraiment survécu à ce qu'Adam m'a fait ? Au-delà d'avoir frôlé la mort, la trahison d'Adam m'a profondément blessé. Et je réalise maintenant qu'il me pose la question que la plaie est encore ouverte. Toutes mes plaies sont encore ouvertes.
La plaie de sa trahison.
La plaie du rejet de ma mère.
La plaie de la perte de James
La plaie du sadisme de mon grand-père.
La plaie de la trahison de Matteo, celui que je considérais comme mon premier ami.
Celle de la culpabilité, de la solitude et de l'angoisse constante.
Je secoue la tête alors des torrents de larmes remontent et s'écoulent de mes yeux. J'essaie de refouler ces sentiments comme je le fais depuis 20 ans, mais je n'y parviens pas. J'éclate en sanglots et Adam me prend dans ses bras pour que je puisse cacher mon visage.
Pour que je puisse pleurer comme l'enfant que je n'ai jamais eu le droit d'être, parce que je devais être un homme.
Adam s'excuse, pour ce qu'il m'a fait, mais aussi pour ce que la vie m'a infligé. Même ma mère ne s'est pas formellement excusée, elle a seulement exprimé du regret pour ce que James penserait d'elle. Personne ne s'était jamais excusé d'avoir fait de moi ce que je suis devenu. Personne avant lui, Adam.
Et dans ses bras, je sens les plaies qui saignent depuis deux décennies se refermer.
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