27. Farewell and welcome
La tragédie a commencé le jour où ma mère avait fait un malaise.
Un médecin avait été dépêché à la villa des Ricci pour l'ausculter. Je me souviens de l'angoisse de James alors que nous attendions dans ses quartiers d'avoir des nouvelles. Il faisait les cent pas dans la chambre de maman et jouait nerveusement de ses doigts.
Il n'avait pas le droit d'être à son chevet, ce n'était pas son rôle, mais celui de mon père. Comme moi à qui l'on avait refusé l'accès à l'infirmerie, il ne pouvait que patienter, impuissant.
Il était si rare qu'il perde son sang-froid, mais lorsque ma mère qui a toujours eu une santé fragile et qui subissait les sautes d'humeur de mon père n'allait pas bien, il perdait tout son calme.
Mais là, c'était un peu trop pour moi.
— James.
Il s'arrêta brusquement.
— Quoi ?! éleva-t-il la voix, provoquant un sursaut chez moi.
— Est-ce que c'est grave ? Est-ce que maman va mourir ?
En voyant les larmes border mes yeux, il comprit qu'il était en train de me communiquer son angoisse. Il soupira, s'approcha avant de prendre place à mes côtés sur le lit. Il fit l'effort d'apparaître rassurant.
— Non. Je suis sûr que ça va aller. Pardon si je t'ai fait peur.
Peu convaincu par sa tentative, j'avais quand même opiné et chassé mes larmes. S'il faisait bonne figure pour moi, il fallait aussi que je le fasse pour lui.
— Tu veux jouer en attendant qu'elle revienne ?
J'acquiesçai, je n'avais pas la tête au jeu, mais je crois que James cherchait un moyen d'occuper son esprit avec autre chose et détourner mon attention de la peur.
J'ignore combien de parties d'échecs nous avions disputées, je sais seulement que James m'avait laissé gagner à quelques reprises, histoire de me remonter un peu le moral. Je le sais parce que quand il jouait avec maman, il ne faisait toujours qu'une partie.
Une seule et très longue partie. Et c'était toujours la même chose. James qui fixait le plateau d'échec pendant des minutes, pendant une heure même et ma mère qui le regardait cogiter, rictus au coin de la lèvre.
Quand elle se lassait de le regarder tenter de se sortir ou d'anticiper ses coups, elle baillait, le mettait échec et mat et lui disait « meilleure chance la prochaine fois, Rex »,consciente que la prochaine fois se déroulerait de la même façon.
Et James lui semblait un peu plus amoureux d'elle chaque fois.
La porte de la chambre s'ouvrit alors que nous étions encore assis au sol, l'échiquier entre nous. Ma mère se tenait dans le cadre de celle-ci, le visage blafard.
— Giulietta !
James se leva d'un bon et dévora la distance entre eux pour aller la prendre dans ses bras. À la manière dont il la tenait, on aurait cru qu'il craignait qu'elle s'effondre dans ses bras comme plutôt dans la journée. Puis il l'embrassa.
Mais là encore, ma mère ne réagit pas. Cela intrigua James qui mit de la distance entre eux.
— Est-ce que ça va ?
Elle était pâle, plus que d'habitude et son regard vitreux semblait suspendu quelque part, mais sûrement pas ici, sûrement pas dans celui de James qui l'implorait d'interagir avec lui.
— Oui... ce n'était rien de grave.
James fronça les sourcils. Si ce n'était rien de grave, qu'est-ce qui pouvait la mettre dans un tel état d'hurluberlu ?
— Qu'est-ce qu'il y a ?
Elle baissa le regard. James comprit alors que c'était très grave. Elle n'avait jamais baissé le regard face à lui. Elle le prenait même de haut.
— Giulietta ?
Sans réponse, il tenta :
— Violet...
— Je suis enceinte, lui dit-elle.
Les yeux de James s'arrondirent de surprise, il laissa ses bras retomber le long de son corps et son visage se décomposa.
— Je suis désolée...
Elle s'excusait. Ça voulait dire un autre fils de mon père, ça voulait dire une autre chaîne qui l'empêchait de s'évader de sa prison d'or. Comme si cette grossesse était une seconde trahison envers James.
La première trahison, je le savais, c'était moi.
Même si elle ne me l'avait jamais dit, je l'avais toujours senti dans son regard. Son ressentiment. Elle m'en voulait, parce qu'en plus de la condamner ici, je ressemblais trait pour trait à son bourreau.
— J'ai tout fait pour que ça n'arrive pas... je te le jure, j'ai-
James pris délicatement son visage dans ses mains et il lui sourit tendrement.
— Félicitations, Violet...
Les larmes montèrent aux yeux de maman qui n'en versait presque jamais.
— Non ! Pas félicitations ! Je veux pas... j'en veux pas un autre. Pas avec lui... un c'était déjà trop... je suis désolée.
Conscient qu'elle parlait de moi, je me contentai de baisser la tête. Ça m'avait fait mal, de la voir aussi dévastée, aussi terrifiée à l'idée d'engendrer un autre enfant comme moi.
Une autre déception.
James remarqua que je les écoutais.
— Ne dis pas ça... ce n'est pas grave. On va s'en sortir... comme avec Leo.
Ma mère m'adressa un regard pour la première fois.
— Non, dit-elle en me regardant droit dans les yeux. Plus jamais.
Puis ses yeux montèrent jusqu'à ceux de James.
— Il faut que tu m'aides.
James la questionna du regard.
— Leonardo sait que je suis enceinte, le médecin lui a dit avant même de me l'apprendre. Je ne pourrai pas avorter discrètement. Il faut que tu m'aides à orchestrer un accident.
— Quoi ?
Elle saisit son haut, les yeux alertes d'une folie nouvelle, rougis par ses nerfs sur le point d'éclater.
— Je peux me jeter des escaliers... o-ou de la falaise- Oui ! La falaise, si je tombe assez mal, ça devrait suffire à le tuer et ensuite-
James n'avait jamais levé la main sur ma mère. Il la vénérait trop pour ne serait-ce que la contredire, d'où le choc de celle-ci quand il la gifla.
— Non mais tu t'entends ? Tu vas tuer ton enfant ?!
Une fois le choc passé, elle se mit en colère.
— Ce n'est pas mon enfant ! C'est le sien ! Le sien, James !
— Ce n'est pas lui qui le porte. C'est en toi qu'il est en train de se former, c'est ton sang qui coule dans ses veines, c'est ton air qu'il respire, Giulietta c'est ton enfant. Et il est hors de question que je te laisse faire ce que tu complotes déjà d'infliger à ta propre chair.
— Mais-
— Mais rien ! éleva-t-il la voix avec autorité. C'est l'enfant de Leonardo et alors ? Tu n'as pas le droit de faire payer à tes enfants les choses que Leonardo te fait subir.
Ma mère retrouva la raison, réalisant les atrocités sur lesquelles elle venait de fantasmer.
Et moi... avait-elle aussi fantasmé de mettre fin à sa grossesse de moi, en se jetant du haut des marches et de la falaise ? Avait-elle tenté et échoué ? Fantasmait-elle encore sur ma mort maintenant que j'étais né ?
Elle fondit en larmes dans les bras de James.
— Je ne pourrai pas, James. Celui-là, je ne pourrai pas l'aimer...
James la consolait comme il pouvait, compatissant avec la douleur de ma mère. Puis, son regard accrocha de nouveau le mien et il s'attendrit. Alors qu'il lui caressait les cheveux, il lui demanda :
— Je ne vais pas t'obliger à garder cet enfant si tu n'en veux pas.
— Je n'en veux pas.
— Oui, j'ai compris. Et je t'aiderai à t'en débarrasser sans élever de soupçons, si ça peut te rendre heureuse.
— Merci, Ja-
— Mais avant, je veux savoir. Si cet enfant était de moi, tu l'aimerais ?
Maman leva la tête pour voir le visage sérieux de James.
— De tout mon cœur.
— Alors garde-le. Pas parce qu'il est innocent, pas parce que c'est dangereux, mais garde-le pour moi. Parce que pour moi, Leo est mon fils, dit-il une fêlure dans la voix. Quand je le regarde, ce n'est pas ton mari que je vois, c'est toi, c'est nous. Regarde comme il est beau.
Maman tourna la tête vers moi et je vis son regard changer, comme si je m'étais métamorphosé devant ses yeux. La peur et le dégoût que je percevais parfois disparurent et l'amour s'y installa.
Tout son amour pour James.
— Et cet enfant que tu portes en ton sein... Violet, cet enfant, je le considère déjà comme le mien. Moi je l'aime déjà de tout mon être.
Il se mit à genoux, les larmes aux yeux, tout son corps implorant.
— Je t'en supplie, laisse-moi revivre le bonheur que j'ai vécu lorsque tu nous as donné Leo.
Elle hésita quelques secondes et finit par hocher la tête. Soulagé, James l'attira vers le bas et l'étreint de toutes ses forces alors que maman sanglotait contre lui. Je les observais de loin, heureux et quelque peu envieux de l'affection qu'ils se portaient.
— Approche Leonardo, me commanda James.
Je m'exécutai. Je me retrouvai en face d'eux. James et maman échangèrent un regard avant qu'il ne m'indique d'un mouvement de tête. Maman ferma les yeux et soupira avant de me regarder.
— À genoux, garçon.
James m'appelait par mon prénom, mon diminutif et très souvent, il m'appelait fiston. Ma mère, elle, ne m'avait jamais appelé par aucun surnom affectueux. Et comme mon prénom était celui de son bourreau, elle m'appelait « garçon ».
Je lui obéis et les rejoins au sol.
— Tu es un grand frère maintenant, luce dei miei occhi.
C'était la première fois qu'elle m'avait donné un nom affectueux. Luce dei miei occhi, lumière de ma vie.
— C'est vrai ?
Elle hocha la tête.
— Tu as un petit frère.
— Ou une petite sœur, dit James.
Je fronçais les sourcils.
— Ils sont où ?
Elle prit ma petite main dans la sienne avant de la porter à son ventre.
— Juste ici, dans le ventre de maman.
— Moi aussi j'étais dans le ventre de maman ?
— Oui.
Plutôt que me faire comprendre, sa réponse m'avait perturbé. Une crainte que je taisais habituellement franchit la frontière de mes lèvres.
— Tu veux me remplacer ? Tu ne m'aimes plus ?
Je vis la culpabilité balayer son regard quand elle comprit que je pouvais voir au-delà de ses sourires et de ses mots doux, qu'une part d'elle ne m'a jamais vraiment accepté.
— Non, Leonardo. Tu veux que je te dise comment on fait des petits frères ?
James s'étouffa avec sa salive et dévisagea ma mère. Elle leva les yeux au ciel.
— Relax, dit-elle avant de reporter son regard vers moi. Ça arrive quand une maman aime tellement son enfant qu'elle en veut beaucoup beaucoup comme lui.
— Comme moi ?
— Hmm, il sera comme toi. En fait, ce sera ton meilleur ami.
— Et il jouera avec moi aussi ?
— Oh oui, à tous les jeux que tu veux.
— Tu joueras aux cartes avec lui, ajouta James.
— Vous irez à l'école ensemble.
— Vous jouerez au football ensemble.
— Vous sauterez de la falaise ensemble.
— Non, ne faites pas ça. N'imitez pas votre mère.
— Tu lui enseigneras des choses.
— Vous regarderez les étoiles ensemble.
— Vous partagerez tout, vos joies, vos peines, ce que vous aimez. Vous vous soutiendrez, mais surtout, tu le protégeras coûte que coûte. Compris ?
Je hochai la tête.
— Je le protégerai, parce que je suis un homme, un vrai.
Maman et James éclatèrent de rire avant de me prendre dans leur bras. Dans la chaleur de leur étreinte, j'étais déjà impatient d'avoir ce petit frère avec lequel je pourrais faire toutes ces choses que j'aimais tant.
Puis, un détail me traversa l'esprit.
— C'est quoi son nom au petit frère dans le ventre de maman ?
— Son nom ?
Quelques minutes plutôt, elle prévoyait comment le tuer, un prénom ne lui avait même pas effleuré l'esprit.
— Oh j'en sais rien, ton père trouvera sûrement un-
— Adam.
Nous nous tournâmes vers James.
— Si c'est un garçon, il va s'appeler Adam.
Le sourire de ma mère disparut.
— Hors de question.
Elle se leva.
— Allez... supplia James en la suivant.
— Non !
— Violet...
— Jamais !
— Allez, en plus s'il apprenait que tu as donné son nom à ton fils je suis sûr qu'il te détesterait moins.
— Je m'en fiche. Je ne donnerai pas son nom à mon enfant. Plutôt crever.
— Mais je lui ai promis...
— Bah va engrosser une autre, il en est hors de question.
James avait passé la soirée à l'implorer d'appeler cet enfant Adam et maman avait catégoriquement refusé. Ça n'avait pas empêché James d'appeler le bébé Adam à la moindre occasion, ce qui enrageait maman, même s'il lui arrivait d'avoir des lapsus et de faire de même.
C'était vraiment l'époque la plus heureuse pour nous trois. Adam représentait l'espoir.
Et puis...
— C'est ta catin de mère ou James. Si tu ne choisis pas, je les tuerai tous les deux.
— Sois un homme Leonardo. Tire.
— Tout est de ta faute. Je te déteste et je t'ai toujours détesté. Tu as gâché ma vie et tu l'as tué.
— Lâche cette arme Giulietta. Tu es ma femme, ma propriété, je me devais de le tuer pour t'avoir souillée. J'ai sauvé le peu d'honneur qu'il te reste.
— Va crever...
— Écoute, je suis prêt à te pardonner ton infidélité. Une fois que je t'aurai corrigé, tout reviendra comme avant. Allez, reviens à la raison.
— Plutôt mourir que de continuer à vivre avec toi...
— Et ton fils alors ? Tu préfères mourir que de l'élever ? Si tu te suicides, regarde-le dans les yeux, qu'il comprenne que sa mère le hait.
— ...
— Maman ?
— Ce n'est pas mon fils.
Elle avait tiré.
Elle avait préféré la mort à moi.
Elle m'avait vomi avant de se défaire des chaînes que je représentais.
Elle était morte.
Alors comment...
J'ai dû prendre un mauvais coup sur la tête pendant la partie, me dis-je en réalisant l'absurdité de ma conclusion.
Ce n'était pas possible. Adam ne pouvait pas se tenir en face de moi, âgé de 14 ans alors qu'il n'est jamais né. Mon petit frère n'était qu'une idée, un rêve, lapromesse d'un avenir radieux, mais certainement pas quelqu'un.
L'adolescent en face de moi ne pouvait pas être le fils de James, James était mort. Je l'ai tué de mes propres mains.
Ma mère était morte alors qu'elle le portait encore dans son ventre. Je l'ai vue mourir devant mes yeux.
Et pourtant, il était là, plus vrai que vrai, plus James que James.
Après quelques secondes de stupeur, ma langue se délia au moment où il me tourna le dos et que je vis le nom Cole sur son dos.
— Cole, l'appelé-je pour la première fois.
Il se tourna vers moi.
— Qu-quel est ton prénom ?
Ça ne pouvait pas être lui. C'était une coïncidence. Un sosie. Le hasard qui me torturait encore.
— Adam. Je m'appelle Adam Cole.
Non...
C'est pas vrai...
— Euh, si ça ne te dérange pas, je dois y aller. Ma mère m'attend et on marche pour rentrer donc...
Il pointa les gradins avec son pouce. Je le suivis, et je la vis.
Ma mère.
Elle avait beaucoup changé, mais je n'eus pas le moindre doute que c'était elle, assise dans les gradins, le regard suspendu dans le vide.
Je fus en proie à une incompréhension que même son suicide ne m'avait pas causée, car je la croyais morte, morte par ma faute. Car j'avais déjà fait son deuil, même s'il a fallu que j'emménage avec ma tante à l'autre bout de la terre. Car pour moi, je n'avais plus de mère.
Et pourtant elle était là, bien vivante, sa peau illuminée par les projecteurs du terrain de football, froide et brillante comme la lune au-dessus de nos têtes. Ses très longs cheveux noirs dansant au rythme des quelques brises nocturnes.
Elle était là.
Adam semblait gêné que je la fixe et que je ne réponde rien alors il se contenta de me dire au revoir et de se diriger vers les gradins pour la retrouver. Elle le consola après cette défaite d'un seul point et l'embrassa tendrement.
Mon cœur se brisa en milliers de morceaux en les voyant. En voyant ma mère là, vivante et aimant un autre comme elle ne m'a jamais aimée.
Elle avait survécu... et elle avait refait sa vie avec le fils qui s'est finalement avéré être celui de James.
Elle m'avait abandonné aux mains de mon père.
Après leurs retrouvailles, ils quittèrent les gradins. Comme attiré par un aimant, je me mis à les suivre. D'un œil extérieur, je devais avoir l'air d'un malade, d'un frustré sur le point de s'en prendre à un gamin et sa mère sans défense, mais c'était plus fort que moi.
Ils étaient tout ce à quoi j'avais été forcé de renoncer autrefois. Une mère, un frère, une famille.
Je ne pris même pas la peine de les suivre à bonne distance, si bien qu'elle entendit mes pas et se tourna vers moi avant de demander alerte :
— Qui est là ?
Hein ?
Je ne comprenais pas sa question. Ne m'avait-elle pas reconnu ? M'avait-elle oublié ? Non, impossible. Je ressemblais beaucoup trop à mon père pour qu'elle n'ait pas vu les traits de son bourreau sur mon visage. Elle-même m'avait dit que c'est mon visage qu'elle verrait en enfer pour l'éternité.
Et pourtant...
Adam intervint.
— C'est le capitaine de l'autre équipe maman. Il voulait me complimenter.
Elle se détendit, comme si elle redoutait que ce soit quelqu'un d'autre.
— Je...
Je voulais lui dire qui j'étais, lui dire « c'est moi maman, tu ne me reconnais pas ? » ou juste « tu m'as manqué maman ». Mais je réalisai que la peur qui l'avait saisit deux secondes plus tôt était parce qu'elle redoutait que je sois une des personnes qu'elle a dû fuir pour refaire sa vie.
Mon père.
Mon grand-père.
Pire encore, moi.
Le souvenir de la manière dont elle m'avait regardé avec tout le dédain de la terre au moment de tirer me revint. Il m'avait hanté des années durant. Je ne voulais plus jamais le revoir.
Je ne voulais pas qu'elle me regarde encore comme ça.
Alors profitant du fait qu'elle ne m'avait pas reconnu, je mentis.
— D-désolé de vous déranger. Votre fils m'a dit que vous marchiez pour rentrer ?
— Oui, on n'habite pas très loin.
Mon regard descendit vers les bras de ma mère verrouillés autour de ceux d'Adam. Un sentiment de jalousie me saisit en les voyant aussi proches.
— Vous marchez toujours après les matchs ?
— Oui. Maman est aveugle et je n'ai pas encore mon permis alors...
Aveugle ?
J'examinai ma mère qui bien qu'elle regardait dans ma direction ne semblait effectivement pas vraiment me voir. Était-ce pour ça qu'elle ne m'avait pas reconnu ? Que les vignes empoisonnées du dégoût n'avaient pas encore rampé sur son visage ?
— Euh, je ne suis pas venu avec mon équipe. Je peux vous déposer chez vous si vous voulez.
Quoi ?
Pourquoi avais-je dit ça ? Si elle a tenté de se suicider, c'est parce qu'elle me détestait. Si elle a pu refaire sa vie, c'est parce que j'étais loin d'elle. Je n'avais pas le droit de lui prendre cela. Je n'avais pas le droit de m'immiscer dans sa vie, de lui parler à elle et son fils, de savoir où ils habitent.
Pourtant j'en avais tellement envie. Envie de les suivre, de tout savoir sur eux, de les observer, de m'immiscer dans leur petite vie tranquille.
Envie d'avoir une famille.
— Non, nous n'habitons pas loin, je préfère-
— Je vous en prie, supplié-je du tac au tac.
S'il te plaît, maman...
Elle cligna des yeux, ma proposition semblait la mettre mal à l'aise. Alors Adam prit la parole.
— D'accord, on veut bien que vous nous rameniez.
— Adam !
— Quoi ?
— Qu'est-ce que je t'ai dit ?!
— On ne suit pas les étrangers et on n'invite personne chez nous, je sais, mais c'est un étudiant comme moi, y'a pas de danger. Hein ?
C'était faux. J'étais certes un étudiant d'à peine quatre ans de plus que lui, mais j'étais également ce qu'elle redoutait le plus. Un Ricci.
Mais ça, ni elle, ni lui ne le savait.
— Bon d'accord, finit-elle par céder.
Le chemin jusqu'à ma voiture et jusque chez eux fut étrange. C'était à la fois comme si j'avais ce dont j'avais toujours rêvé ; ma mère et mon frère, mais d'un autre côté, je ne l'avais toujours pas.
Adam était déjà très bavard à l'époque. Il me fit la conversation tout le trajet alors que sa mère elle fixait inutilement l'horizon. Mais la regarder à travers mon rétroviseur arrière m'avait rempli d'une telle joie que je me sentis revivre.
Une fois arrivés, je les escortai jusqu'au porche de leur petite maison. Adam courut prendre une douche sur ordre de sa mère qui demeura avec moi.
— Merci de nous avoir ramenés, dit-elle d'une voix froide qui exprimait qu'elle était plus mécontente que reconnaissante.
— De rien. Votre fils est un prodige du football. Il pourrait faire carrière. Il est rapide et robuste.
Quand je lui parlai d'Adam, elle retrouva le sourire. Le même qui apparaissait soudain sur son visage quand James entrait secrètement dans sa chambre, un bouquet de violettes caché derrière le dos.
— On me le dit souvent. Il est ma fierté.
Sa fierté... lui...
Et moi alors, maman ?
C'était risqué, mais je tentai quand même.
— Vous n'auriez pas un autre fils plus vieux et aussi bon qu'on pourrait recruter dans notre équipe ? plaisanté-je.
Son sourire disparut et elle marqua une pause avant de répondre :
— Non. Adam est mon seul fils.
Elle me remercia une dernière fois et entra chez elle avant de fermer la porte à double tour.
J'en ai vécu des traumatismes. J'ai assisté aux violences domestiques que subissait ma mère, j'ai tué mon père adoptif à quatre ans, j'ai hérité de la perversion de mon grand-père, et j'ai vu ma mère se tirer une balle dans la tête. J'ai connu la perte et la douleur, j'ai vécu l'enfer, mais rien ne m'a jamais fait aussi mal que ce moment-là.
Lorsqu'elle m'a renié pour la deuxième fois de sa vie.
La première fois, elle venait de perdre James par ma faute, j'avais compris. Cette fois, elle m'avait rejeté parce qu'elle avait un autre fils. Celui qu'elle avait désiré de toutes ses forces. Je compris alors que le fait qu'elle soit vivante ne changeait rien.
Violet était vivante, mais Giulietta, ma mère, était morte sur cette falaise.
Par amour pour elle et par respect pour James, je devais oublier Violet et Adam Cole.
Une noble résolution que je ne parvins pas à tenir. Pendant des mois, je me suis mis à les espionner, à les observer, dans l'attente de... en fait, je ne savais pas ce que j'attendais, ce que j'espérais.
Aujourd'hui, je sais que je n'espérais rien. C'est simplement que j'étais devenu accro au sentiment doux-amer que les voir me provoquait, quelque chose entre l'envie et le bonheur.
Comme Violet ne sortait jamais de la maison, c'est Adam que je me mis à suivre pour satisfaire mon obsession. Je l'observais naviguer dans la vie qui aurait dû être la mienne, inconscient de la chance qu'il avait.
Ça me foutait la rage et j'étais vert de jalousie. Et cette jalousie alimenta mon obsession pour lui.
Pourquoi ?
Pourquoi lui et pas moi ?
Pourquoi m'a-t-elle regardé avec tant de haine alors que je n'avais fait qu'honorer la dernière volonté de James ?
Pourquoi n'a-t-elle pas renoncé à sa tentative de suicide quand je lui ai supplié ?
Pourquoi a-t-elle préféré la mort à moi ?
Pourquoi n'est-elle pas venue me chercher, me sauver ?
Pourquoi m'a-t-elle laissé à la merci de mon père et de mon grand-père ?
Au fond, je savais pourquoi. Parce que je lui rappelais trop mon père, parce qu'à cause de moi, la vie dont elle a rêvé s'était envolée avec la fumée du canon de son pistolet, parce que j'avais tué le seul homme qu'elle n'ait jamais aimé, parce qu'en naissant je l'avais enchaîné à l'homme qu'elle haïssait.
Les Ricci étaient sa prison, et moi j'ai toujours été les chaînes qui l'empêchaient de s'évader, de fuir et tout laisser derrière.
Je sais qu'elle m'a abandonné pour protéger Adam. Je le comprends, vraiment.
Mais moi aussi je suis son fils... j'étais son fils bien avant lui...
Ce que je n'avais pas prévu, c'était que ma jalousie pour ce fils, celui qu'elle avait eu avec le seul homme qu'elle ait véritablement aimé, celui qui m'avait remplacé dans son cœur se transforma peu à peu en amour.
Parce qu'il me rappelait James et surtout parce que c'était mon petit frère. Celui que j'avais juré de chérir et de protéger alors qu'il était encore dans le ventre de ma mère.
Depuis je n'ai fait que cela, veiller sur lui, car j'ai pu renoncer à ma mère, mais pas à Adam.
— Je ne l'ai pas fait exprès, je te jure... je ne savais pas que Matteo irait le répéter je-
— Chut, m'interrompt-elle tout bas. Je sais.
Elle poursuit ses caresses pleines de tendresse alors que je demeure impuissant à ses pieds.
— C'est à moi de m'excuser, finit-elle par dire, rompant le silence. Tout est de ma faute. C'était mon plan. Il devait être infaillible. J'ai échoué... et je t'ai abandonné... avec lui. Je n'imagine même pas ce qu'ils ont pu te faire endurer.
Une larme solitaire roule le long de sa joue et atterrit sur mon visage.
Je voudrais la rassurer et lui dire que mon grand-père ne m'a rien fait, qu'il n'a pas implanté en moi des traumatismes, des démons contre lesquels je ne serai jamais vainqueur, mais le mensonge serait trop flagrant.
— Tu as fait ce qu'il fallait. Pour Adam... tu as assumé ton rôle à la perfection.
Elle secoue la tête.
— À cause de moi James-
— James a eu confiance en toi, en son Roi. Il savait que tu pouvais achever la mission, même sans lui. Tu as fait les sacrifices nécessaires pour y parvenir, c'est tout.
— Tu ne devais pas être un sacrifice, pas toi. James ne me l'aurait jamais pardonné... il ne m'aurait jamais pardonné parce que pour lui, tu étais son fils, notre fils. Comment ai-je pu ?!
Elle fond de nouveau en larmes, mais je m'empresse de les lui sécher.
— Tu as raison. James ne te l'aurait jamais pardonné et peu importe où il est en ce moment, je sais qu'il ne te l'a toujours pas pardonné.
Son visage se décompose quand je lui confirme ce qui a probablement été sa plus grande crainte depuis 20 ans.
— Mais moi je t'ai pardonné au moment même où tu as tiré. La seule chose que je ne t'aurais jamais pardonnée, c'est si tu m'avais laissé être la source de ton malheur. Si tu ne t'étais pas débarrassé de moi comme tu l'as fait, c'est moi qui t'aurais débarrassé de moi, et moi, je ne me serais pas manqué.
L'horreur lui froisse les traits quand je lui confesse que je suis suicidaire depuis que j'ai tué James. J'avais déjà prévu de mettre fin à mes jours, accablé par la culpabilité, mais elle m'avait devancé.
— Oh... Leo...., dit-elle en déposant sa main sur ma joue.
Je la retire et me relève, ayant recouvré ma dignité et un semblant de virilité. Je renifle une dernière fois, replace mes cheveux et descend mes yeux vers elle.
— Je dois y aller.
Une peur que je ne l'avais encore jamais vu afficher s'empare d'elle. Elle secoue frénétiquement la tête et se lève à son tour pour verrouiller ses bras trop fins autour de ma taille. Son geste m'ébranle. Elle est si petite...
Non... c'est moi qui ai grandi. Je ne suis plus son petit garçon.
Je ne suis plus son fils.
— S'il te plaît. Encore un peu, laisse-moi te sentir contre moi encore un peu, luce dei miei occhi.
Je combats tous mes instincts et pose froidement mes mains sur ses épaules.
— Violet.
Encore, elle me serre encore plus fort.
— Non... je t'en prie...
— Ma mère pense encore que je suis mort. Je dois la voir et lui dire la vérité, Violet.
Quand je dis cette phrase, quand j'appelle une autre « ma mère », elle comprend qu'une autre a pris sa place.
Ma mère, c'est celle qui m'a sorti de l'enfer dans lequel elle m'a abandonné. C'est celle qui a tenu tête à tous les Ricci pour me sauver, c'est celle qui m'a offert une nouvelle vie. J'ai enterré Giulietta il y a 20 ans.
Ma mère c'est Marina.
Après quelques secondes, elle retrouve la raison et me lâche. Je recule d'un pas. Elle a retrouvé son sang-froid, celui dont j'ai hérité.
Elle se rassoit et verse du thé dans la tasse qu'elle m'a servie.
— Merci... d'avoir veillé sur Adam.
— Je n'ai fait que tenir ma promesse envers James. Il lui ressemble tellement... si tu pouvais le voir.
Elle sourit faiblement.
— Toi aussi tu lui ressembles. Votre manie de toujours vouloir prendre les choses en main et de faire passer tout le monde avant vous.
Cette comparaison me donne également le sourire. C'est vrai. James est ce que j'ai eu le plus proche d'un père. Alors entendre que je lui ressemble un tant soit peu me comble de fierté.
— Tu devrais y aller, Marina doit être morte de chagrin.
Je hoche la tête, l'approche à nouveau, me penche et dépose un baiser sur son front.
— Adieu, Violet...
— Adieu, garçon...
Je sors de sa maison le cœur lourd. Une fois installé dans mon véhicule, je prends la direction de l'État, de la ville, du quartier et de la maison où j'ai grandi. Je sonne à la porte.
Une ombre apparaît dans la vitre teintée et la porte s'ouvre. Ses yeux s'écarquillent lorsqu'elle me voit, vivant, et lorsque je la vois, les miens se couvrent des larmes que je croyais avoir épuisées dans les bras de Violet.
— Maman...
Je me jette sur elle et l'étreint de toutes mes forces.
Le ronflement du moteur de la bécane d'Adam cesse et la pluie m'apparaît à présent plus bruyante. Il m'aide à descendre de sa moto après plusieurs heures de route pour rentrer chez moi.
Nous retirons nos casques en même temps, laissant l'orage nous tremper. Adam a toujours le même air pensif qu'il a depuis que nous avons quitté le 21 hier.
Après que nous ayons appris l'identité du Roi.
— Adam... ça va ?
Il me regarde enfin et secoue la tête. Je le comprends. Le choc a été énorme, même pour moi, alors lui, je n'imagine pas.
— Je n'en reviens pas, dis-je.
— Moi non plus. De toutes les personnes que j'aurais pu suspecter, ma mère était la dernière. Je veux dire elle est aveugle, bon sang !
Je réfléchis à ce qu'il dit. En effet, ça semble absurde, mais...
— Quand on y pense, elle est le Roi parfait.
Il lève les yeux vers moi.
— L'attribut principal du Roi est qu'il n'est personne. Il tire les ficelles, terré dans l'ombre de son anonymat. Si c'était quelqu'un de connu, quelqu'un de dangereux ou tout simplement quelqu'un qu'on pourrait suspecter d'être à la tête d'une redoutable organisation terroriste, ça ne marcherait plus. Mais quand même... Violet ? Elle semble si inoffensive.
Adam semble réfléchir à ce que je viens de dire.
— Non... à bien y penser non. J'aurais dû le comprendre plus vite.
— Qu'est-ce que tu veux dire ?
— Ma mère a une collection d'armes, elle les manipule avec une agilité déconcertante, elle semble toujours au courant de tout, au contrôle de tout. Comme par hasard, c'est quand j'ai commencé à la questionner sur mon père que le Roi m'a recruté pour me mettre sur sa piste...
Adam semble vraiment bouleversé par la nouvelle.
— Dire que j'ai fait tout ça pour savoir qui était mon père, j'apprends maintenant que je ne sais même pas qui est vraiment ma mère.
— Tu es sûr que tu ne veux pas que je rentre avec toi ?
— Non... je dois la confronter seul sur ce qu'elle m'a caché toutes ces années et ce qu'elle me cache aujourd'hui encore.
Je hoche la tête.
J'ai bien évidemment renoncé à mes plans d'éliminer le Roi quand j'ai su que c'est Violet. Je l'aime au moins autant que j'aime Adam.
— Ça veut dire que quelqu'un d'autre est derrière le massacre du clan Ricci, pensé-je tout haut.
Adam se crispe lorsque j'évoque la raison qui m'a fait le suivre à Vegas. Il a fait ça à chaque fois, avant d'afficher une expression étrange ou d'éviter mon regard comme il le fait à présent.
J'ai un mauvais pressentiment. Violet n'est pas la seule Cole à cacher quelque chose.
— Bon, je vais y aller, s'empresse-t-il de dire, prêt à s'enfuir encore une fois.
Je le retiens, l'attire à moi et l'embrasse. Il fige d'abord, surpris. Puis, il laisse son casque tomber par terre et me serre pour approfondir notre premier vrai baiser depuis des mois.
Je fonds dans ses bras comme j'ai voulu le faire durant toute cette semaine, durant tout l'été. Son parfum masculin mêlé à celui de la pluie qui s'abat sur nous m'enivre. Nous nous dévorons comme des affamés, redécouvrant comme nos corps s'assemblaient si bien, comme nos langues fusionnaient dans une danse élégante et vulgaire à la fois.
Je crois que je ne me suis jamais senti aussi bien que quand il me susurre qu'il m'aime entre deux baisers.
Après la plus belle des éternités, nous séparons nos lèvres pour nous contempler.
— Je suis désolée... dis-je les larmes aux yeux. Je voulais pas te blesser. Je t'aime tellement... tu dois me croire, je t'aime Adam.
— Moi aussi, ma Reine. Je suis désolé d'en avoir douté... je suis désolé de ne pas avoir vu ta détresse... je suis désolé de t'avoir laissée...
Il essuie mes larmes que la pluie avait déjà lavées.
— Et si tu veux encore de moi, je veux qu'on se donne une autre chance. Sans mensonge cette fois. J'attendrai que tu sois prête à-
— Je suis prête.
Il ouvre grand les yeux, sourit et m'embrasse, plus tendrement cette fois.
— Je t'aime, souffle-t-il.
— Je t'aime, réverbéré-je.
Il se baisse et ramasse son casque par terre avant de le mettre. Un éclair zèbre le ciel, lui redonnant sa silhouette de Joker, celle que j'ai vue quand il s'était introduit dans ma chambre.
Il me tourne le dos et retourne vers sa moto qu'il démarre. Il me jette un dernier regard et s'engage dans la rue. Alors que je le regarde disparaître, mon sourire disparaît et j'ouvre la bouche.
— Menteur.
Je lui tourne le dos et me dirige vers chez moi. J'insère la clé dans la serrure de mon appartement et entre. Essorée par ce périple à Vegas je ne rêve que d'une chose, mon lit.
Mais d'abord, je dois prendre un bain.
Je me déshabille, enroule une serviette autour de mon buste, vais à la cuisine pour lancer une machine avec mes habits trempés, m'ouvre une bouteille de rosé et prends un verre avant de me diriger vers la salle de bain en chantonnant.
Une fois à l'intérieur, je ferme la porte et allume la lumière avant de me tourner pour faire couler le bain. Mais le bain est déjà rempli d'eau et à l'intérieur, se trouve Leonardo, nu.
— Bonsoir, Pinocchio.
Je soupire et lève les yeux en l'air.
Il perd son sourire et fronce les sourcils, visiblement déçu par ma réaction ou plutôt l'absence totale de celle-ci. Je vais dans la baignoire et m'installe en face de lui, faisant déborder un peu d'eau. Je me verse un verre de rosé sucré et m'allume une cigarette avant de relaxer un peu.
Quand j'ouvre les yeux, Leonardo est toujours là, à me dévisager. J'avais décidé de ne plus interagir avec mes hallucinations de lui, mais la tête qu'il tire me fait rire. Leo n'était jamais désarçonné, vraiment mon cerveau fabrique n'importe quoi.
— C'est tout ? finit-il par demander.
— Quoi ?
— Tu me vois et c'est ta seule réaction ?
— Tu voulais que je sois choquée, que je pleure et que je me jette dans tes bras comme une femme de marin ?
— Oui ?! s'énerve-t-il.
Je pouffe de rire et souffle ma fumée sur son visage. C'est la première fois que mon esprit le fabrique avec une cicatrice au niveau du cou. Il a dû s'adapter en voyant sa photo au QG de The Players.
— Je ne me ferai plus avoir. Tu n'existes pas.
— Qu'est-ce que tu racontes ?
Je soupire de nouveau, plus fort cette fois.
— T'en as pas marre ? De me hanter ?
— Te hanter ? Attends... tu... tu crois que je suis une hallucination ?
Je roule les yeux si fort que je manque de rester coincée.
— L'humour du vrai Leo était moins pourri.
Il semble à la fois vexé et flatté. Il éclate de rire. Même s'il est le produit de mon imagination, je ne peux m'empêcher de le trouver beau, son rire.
— Pinocchio, je suis réel.
— Mais bien sûr.
— Je te jure ! À ton avis, qui a fait couler ton bain ?
Je m'arrête et pense à sa question. C'est vrai ça. J'étais venue le faire couler et il est déjà plein, chaud avec une délicieuse odeur de cerise qui s'en échappe.
— J'ai dû le faire couler et je suis allé me chercher un verre et j'ai oublié.
— T'es bête ou tu le fais exprès ?
J'arque mon sourcil droit lorsqu'il me pose cette question mesquine.
S'il pense que dire ce genre de chose va me faire le croire...
— C'est tout ? Leo était plus méchant que ça.
Je me penche pour saisir mon verre sur le rebord et me reverser du rosé, mais au moment où mes doigts touchent la vitre, Leo se penche à son tour et le pousse hors de la surface. Il éclate en une dizaine de morceaux sur le carrelage de ma salle de bain.
— Et maintenant ?
Je le fusille du regard. La malice anime ses yeux verts.
— Bien essayé, mais toujours pas.
Nous nous fixons de longues secondes et lui ne semble plus amusé du tout. Il se redresse et se penche par-dessus le rebord pour se saisir d'un bout de verre. Puis il se rapproche de moi et me saisit la main.
— Qu'est-ce que tu fous ?! Lâche-moi !
Sans un mot, il place le verre sur la paume de ma main et commence à la lacérer. La brûlure à laquelle je ne m'attendais pas me met en alerte. Je crie et je tente de retirer ma main, mais il la tient fermement et continue de m'ouvrir la paume avec le verre brisé.
— Leo ! LÉO ARRÊTE !!! imploré-je, affolée, les larmes bordant mes yeux.
Il s'arrête enfin et se repositionne de son côté de la baignoire, les bras tendus de chaque côté, déployant sa musculature. Je regarde mon sang couler et teinter l'eau dans laquelle nous baignons de rouge, stupéfaite.
Le sang... la douleur.... ils sont réels.
Quand je réalise cela, ma surprise est remplacée par la terreur, mon sang qui n'a pas encore teinté l'eau de rouge se glace dans mes veines alors que je lève lentement les yeux vers lui.
Il me regarde à présent avec son air condescendant. Il lèche mon sang sur le morceau de verre avant de me servir un de ses sourires pervers.
— Et maintenant ? dit-il d'une voix posée mais obscure.
Le frisson me parcourt l'échine malgré l'eau chaude et la vapeur.
Aucun doute.
Ce malade.
Ce monstre.
C'est bien Leonardo Ricci.
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