26. Soul Brothers

Après une demi-heure de route marquée par le silence et le paysage singulier de la vie de nuit à Vegas, la Cadillac noir dans laquelle nous sommes entrés lorsque Jack nous a révélé avoir le même prénom que lui s'arrête dans la rue d'un quartier riche de la ville ; juste en face d'une somptueuse villa. La devanture de la villa de style espagnol est illuminée par des projecteurs et il y a de la lumière à l'intérieur.

Le chauffeur se presse à venir nous ouvrir la porte. Jack sort du véhicule le premier et je le suis bientôt, mais Adam lui reste assis, le regard fixe vers le pare-brise de la voiture.

Quand je remarque qu'il ne bouge pas, je fais demi-tour et passe ma tête dans l'ouverture de la portière.

— Bah alors tu ne viens pas ?

Adam me regarde du coin de l'œil avant de secouer la tête.

Hein?

— Pourquoi ?

Il ne répond rien, mais je déchiffre une forme d'angoisse dans son regard d'habitude si confiant. C'est alors que je remarque les tremblements de ses mains sur ses jambes.

Il est terrifié.

Je ne comprends pas ce qui peut bien causer une telle peur chez lui. Nous n'avons rien à craindre de Jack. S'il voulait nous tuer ou nous faire du mal, il en a eu l'occasion à plusieurs reprises. Au contraire, si nous sommes entrés dans cette voiture, c'est parce que nous avons eu la confirmation de son lien avec James.

Et pas n'importe quel lien. James a nommé Adam en l'honneur de Jack. Ça veut dire qu'ils étaient proches, très proches même. Probablement même que James affectionnait Jack.

Leur ressemblance au niveau des traits physiques me pousse à croire que Jack, enfin Adam, est le frère de James. Mais si ce n'est leur blondeur et la couleur de leurs yeux, Adam et son homonyme ne partagent pas vraiment les mêmes traits de visage qui caractérise un lien de parenté.

— On n'a rien à craindre, Adam. Je ne crois pas qu'il nous veuille du mal, tenté-je de le rassurer.

— Je sais, dit-il légèrement agressif.

Oh...

Voyant que sa réaction m'a un peu effrayée, le regret s'installe sur son visage et il baisse la tête.

S'il sait, c'est qu'il y a autre chose.

J'analyse de nouveau son non verbal et déduis par la fréquence où il cligne des yeux et déglutit ainsi que les grandes bouffées d'air qu'il prend qu'il est au bord des larmes.

Je pose délicatement ma main sur la sienne.

— Qu'est-ce qui ne va pas Adam ?

Quand je lui pose la question, les premières gouttes lèchent la lisière de ses yeux.

— Pour- pour moi mon père a toujours et un concept abstrait, incompréhensible, absurde. Depuis que je suis petit, je suis confronté au silence lorsque je l'appelle, lorsque je le réclame comme tous les autres enfants avec un père encore vivant commence-t-il avec peine.

J'imagine que ne pas avoir de père a dû être difficile pour lui. Quand mes parents se sont séparés et que je ne voyais plus le mien tous les jours, j'ai commencé à mal tourner. Si Leonardo n'avait pas assumé ce rôle d'autorité masculine dans ma vie, qui sait quel genre de femme je serais aujourd'hui.

J'imagine que quand on est un garçon, on souffre encore plus de l'absence d'un modèle masculin. Surtout Adam qui a endossé le rôle d'homme de la maison de manière très précoce à cause de la cécité de sa mère.

— Ma mère en parlait si peu, quand je le mentionnais elle finissait en pleurs dans sa chambre alors j'ai arrêté de la questionner. Nous n'avions même pas de photo de lui chez nous. J'ignorais même de quoi il avait l'air, tout ce qu'elle me disait c'est que je lui ressemblais comme deux gouttes d'eau. C'était comme Dieu ou un truc du genre.

Je hoche la tête.

— Puis j'ai appris qu'il avait un lieu avec The Players par l'entremise du Roi. C'était la première chose que j'apprenais sur lui de ma vie. Alors j'ai rejoint The Players, pour en savoir plus, pour en avoir plus. Ce père sans visage, sans voix, sans chaleur... j'avais l'impression de communiquer avec lui à chaque nouvelle avancée. Chaque nouvelle enquête succédée d'une découverte était comme une conversation entre lui et moi, peu importe où il était, ici ou là-bas.

Là-bas... l'outre-tombe.

— Enquêter sur lui a comblé le vide de mon enfance. Je connaissais son nom, son visage, l'université où il avait fait ses études, le sport qu'il pratiquait, son lien avec les Ricci et même les circonstances entourant sa mort. Et là, je viens de savoir qu'il m'a donné le nom d'un proche bien avant ma naissance... comme si... comme s'il m'avait déjà passé un message à l'époque.

— « Sois comme lui ».

Il opine et des plis se forment sur son front quand il lève la tête et fixe la maison où Jack nous attend.

— Mais là... une fois que Jack aura répondu à mes questions, toutes mes questions... ce sera fini. Ce sera ma toute dernière conversation avec mon père, craque-t-il.

Les larmes déferlent sur son visage et il se met à pleurer tel un enfant esseulé et abandonné, un orphelin qui vient de perdre un parent pour la deuxième fois. Mon cœur se serre quand je comprends sa douleur et son angoisse.

— Oh Adam...

Je me penche et le prend dans mes bras alors qu'il fond en sanglot contre ma poitrine. Tout en caressant ses cheveux, je le laisse pleurer, je le laisse faire le deuil de ce lien particulier qu'il a pu tisser avec son père au travers de sa quête de ce dernier. Car comme moi, il sait qu'il doit le faire. Il doit suivre Jack et obtenir des réponses.

Il doit accepter le silence, l'absurde.

Au bout de cinq minutes il me révèle son visage, s'en doute pour me dire d'y aller, mais vu comme il respire encore frénétiquement, vu la peur dans ses yeux, je sais qu'il n'est pas prêt.

On n'est jamais prêt à dire adieu.

Mais...

J'essuie mes larmes, puis les siennes avant de coller mon front contre le sien et de l'embrasser. C'est le seul moyen que je trouve de lui exprimer mon amour, ma présence, mon soutien dans cette dure épreuve qui l'attend. Ça me vient si naturellement.

Adam approfondit notre baiser en prenant mon visage dans ses mains. Je sens les battements de son cœur ralentir et il se détend. Quand il met fin au baiser, la peur n'est plus dans ses yeux.

Seuls s'y trouvent l'amour et la reconnaissance.

Il retire sa ceinture, descend de la voiture et prend ma main. Il a trouvé le courage, mais aura encore besoin de soutien. Puis il s'élance dans l'allée menant à la demeure devant laquelle Jack nous attend toujours.

Il semble avoir compris la situation, car il nous a laissé du temps dans la voiture arrêtée et il ne pose pas de questions.

Tous les trois entrons dans la maison.

Une villa tout ce qui a de plus banale. Enfin, si l'on peut dire d'une villa qu'elle est banale. Le hall d'entrée est spacieux et on y découvre déjà le motif du marbre doré qui tapisse le sol. Des sculptures blanches et bleues contrastent joliment avec ce dernier. Une coupole mène vers un salon tout aussi grand et équipé de meuble de luxes, eux aussi bleus ou blancs avec quelque rappels d'or. Une femme est endormie devant un film. Elle tient dans ses bras un poupon, lui aussi somnole et une fille est étendue non loin.

— Une minute, nous demande Jack.

Il s'approche de la fille et la porte jusqu'à l'étage où il disparait. Peu après, il redescend et fait de même avec le bébé. La femme qui a été réveillée par le bruit se lève et se met à dévisager Adam avant de monter à son tour sans poser de questions. En haut, on entend Jack lui intimer qu'il lui explique tout demain.

— C'est chez vous ? demande Adam lorsqu'il revient au bout de quelques minutes.

Ok, il est prêt.

— Oui, maintenant c'est chez moi.

— Maintenant ?

— Avant c'était le QG des Players, répond Jack en ouvrant deux portes.

Adam se tend à mes côtés, mais pas à cause de l'angoisse, à cause de l'excitation. Nous suivons Jack à travers un couloir qui nous mène à une porte. Jack l'ouvre à l'aide d'une clé et dévoile des escaliers qui descendent. Jack nous invite à passer devant lui et après une petite hésitation d'Adam, nous le faisons.

Nous parcourons les marches jusqu'à la dernière. Graduellement, une grande pièce nous apparaît. Elle est semblable au salon, avec ses meubles et des écrans un peu partout, mais au centre se trouve une table longue et quatorze sièges.

Comme celle de notre QG.

Mais contrairement à notre repère qui pourrait figurer dans un catalogue IKEA tant il est impersonnel, cet endroit donne l'impression d'avoir été habité. Il y a une table de billard et de poker, ainsi qu'une cible de fléchettes où des dards sont encore plantés. Les meubles sont légèrement usés, il y a des insignes, des graffiti sur la table, un bocal à injures qui déborde de billets et surtout, il y a des photos de jeunes gens un peu partout.

Cet endroit à une âme.

Un insigne lumineux où il est inscrit 21 illumine en partie la pièce aux lumières de plafond tamisées.

— C'est...

— Le vrai 21. Mon casino, aussi fantastique soit-il n'est qu'une vaine tentative de recréer le sentiment que cet endroit me procurait. La magie c'est ici qu'elle s'opérerait.

Nos regards émerveillés se promènent dans la pièce. Nous explorons d'abord timidement la pièce, des yeux seulement, n'osant toucher à rien. Mais quand Adam voit une photo de son père plus jeune avec une femme aux cheveux noir de jais et courts, il s'arrête devant, lâche ma main et la prend.

Sur la photo, les deux semblent être sur le pont d'un bateau de plaisance. La femme repose dos contre la rambarde et approche une flamme d'une cigarette dans sa bouche. Elle a l'air ennuyée. James qui est tout prêt lui parle on dirait, tout en tenant une mèche de cheveux dans sa main. Il a l'air ravi.

Jack vient voir ce qui a capté son attention et aperçoit la photo encadrée.

— Ah...

— C'est mon père..., souffle Adam, comme si quelqu'un pourrait en douter.

Le regard de Jack s'adoucit.

— Oui.

— Et qui est cette femme avec lui ?

La tendresse quitte le visage de Jack.

— Une fille qui s'appelait Violet. Une de nos membres.

Puis il tourne les talons, se dirige vers le bar d'où il sort trois verres et du whisky hors de prix, et va s'asseoir sur l'un des divans. Adam lui regarde encore la photo de son père et sa mère, fasciné.

— Ça va ? m'enquiers-je.

Il acquiesce.

— C'est la première fois que je les vois ensemble...

Sa voix est légèrement émotive, mais il sourit, ce qui me rassure. Je caresse son dos et quand il me regarde, je lui retourne son sourire. Puis je lui indique que Jack nous attend.

Adam se tourne et me suis jusqu'au divan en face de celui dans lequel Jack a pris place. Il tient toujours le cliché de ses parents qu'il admire comme un archéologue qui vient de dénicher les reliques d'une civilisation jusque-là inconnue.

Jack fini de verser la liqueur ambre dans les verres, en prend un qu'il entame avant de s'adosser, les yeux braqués sur Adam.

— Bon, si j'ai bien compris, Adam tu as beaucoup de questions. Par quoi souhaites-tu que je commence ?

Adam passe son doigt sur la vitre du cadre de photo, l'air pensif. Puis il lève la tête.

— Par le début.

Jack hausse un sourcil, amusé par la curiosité d'Adam.

— Tu es sûr fiston ? C'est une très longue histoire.

— C'est encore mieux. Dites-m'en plus sur mon père, dites-moi tout.

Jack me regarde. On dirait qu'il ne sait pas trop par où commencer. Alors je pose la question qu'Adam dans son enthousiasme n'a pas pensé à poser.

— James et vous êtes vous frères ?

Jack sourit.

— Si on veut... on partage le même nom de famille après tout et on a grandi ensemble... mais nous ne sommes pas liés par le sang.

Il prend une autre gorgée.

— Ma mère est morte en me donnant naissance. Poupon, je suis passé de familles proches en familles proches pour finalement déboucher dans un orphelinat tenu par de bonnes sœurs. J'y ai eu une enfance plutôt paisible. C'est là que j'ai rencontré James.

Un orphelinat? Alors James n'avait vraiment pas de famille biologique...

— Moi j'avais grandi à l'orphelinat et lui venait tout juste d'arriver. Son père qui était violent avec sa mère avait fini par la tuer et avait laissé James pour mort avant de s'enlever la vie. James avait été trouvé par la police après que les voisins les aient alertés de cris plus inquiétants que d'habitudes. James avait seulement 12 ans.

Je mets ma main sur ma bouche, choquée.

— Quand il est arrivé, il était traumatisé. Il ne parlait pas, ne mangeait pas. Il avait ce regard des hommes qui reviennent l'esprit ravagé par la guerre, le genre de regard qui ne devrait jamais se trouver sur le visage d'un petit garçon. Les sœurs ont tout essayé pour le faire parler, la thérapie et même la prière. Mais comment voulez-vous qu'un garçon qui a subi la violence de son père toute sa vie, l'a vu tuer sa mère avant de passer à lui remercie le bon Dieu ? Elles avaient fini par abandonner, il y a des troubles qui ne se soignent pas, des démons qui ne s'exorcisent pas.

Adam regarde de nouveau son père pourtant si heureux sur la photo.

— Son silence et ses terreurs nocturnes où il revivait l'attaque de son père ont fait de lui le paria de l'orphelinat. Comme il était frêle, les autres enfants n'en ont fait qu'une bouchée. Moi j'avais déjà 15 ans alors embêter un petit ne m'intéressait pas. J'assistais quotidiennement aux brimades qu'il subissait et James me fascinait parce qu'il ne pleurait jamais. Peu importe ce qu'on lui faisait subir. Ses traumas l'avaient insensibilisé à toute douleur, à tous stimuli. Quand les autres garçons se lassaient de le tourmenter, James se relevait, partait dans un coin isolé et jouait tout seul aux cartes.

Il marque une courte pause.

— Un jour, je l'ai approché pour lui demander pourquoi il ne disait rien, pourquoi il ne les dénonçait pas. Il m'a snobé ce petit merdeux, dit-il un léger sourire aux lèvres. Humilié, je me suis dit « mais pourquoi tu lui parles ? Il préfère jouer seul ce fou ». J'allais partir quand j'ai entendu sa voix pour la première fois : « Non, c'est pas amusant de jouer tout seul. Mais c'est déjà plus amusant que de jouer avec des idiots. » J'aurais dû le laisser, mais une part de moi sentait qu'il m'avait inclus dans les idiots, alors mon ego m'a poussé à m'asseoir en face de lui et à le défier. J'étais plus vieux, j'allais forcément gagner. Mais non, James m'a fait comprendre ce jour-là que j'étais des idiots de ce monde et qu'il y avait des gens à l'intellect qui dépassent ma compréhension aujourd'hui encore. Des gens comme James.

Des gens comme Leo...

— Pourtant James s'était amusé à me confirmer que j'étais un idiot. Le lendemain, il est lui-même venu me voir pour me demander de jouer avec lui encore. C'était la honte, tout le monde nous regardait, mais je tenais à l'avoir ma victoire. Je ne voulais pas être un idiot.

Nous ricanons avec lui.

— Voilà comment nous sommes devenus amis. Les garçons de son âge n'osaient plus s'en prendre à lui parce qu'on passait le clair de notre temps ensemble et que j'étais un peu la racaille de l'établissement. James était plus jeune, mais avec tout ce qu'il avait traversé j'avais l'impression de parler à une vieille âme qui se reposait en ma présence. On a grandi. À ma majorité, j'ai dû me débrouiller tout seul. Je faisais des trucs peu recommandables pour m'en sortir. Bientôt, ça a été le tour de James d'être abandonné par le système. Mais il m'avait moi. Je l'ai recueilli chez moi et on a cohabité. Il a légalement changé le nom de famille hérité de son géniteur et a pris le mien, Cole. James était brillant, sage et bon élève. Je ne pouvais pas le laisser finir comme moi, comme un idiot. J'ai pris un prêt bancaire et je l'ai enrôlé à la fac de droit. De mon côté, j'enchaînais les petits boulots plus ou moins légaux parce que je refusais qu'il travaille en plus de ses études et du football.

Je commence à comprendre pourquoi il a donné son nom à son fils. Jack... Adam était un modèle pour lui. Un frère de cœur.

Jack soupire, sort un cigare qu'il allume et relâche l'épaisse fumée.

— Et puis j'ai tout gâché.

Notre attention est décuplée par sa dernière phrase.

— Pendant un de mes petits boulots, je m'étais fait arrêter. James s'était servi de ses quelques années d'études pour me représenter en cours. Il m'a évité une lourde peine et a payé ma caution d'un million de dollars.

— Un million de dollars ?!

Jack hoche la tête en crachant plus de fumée.

— J'ai découvert que James avait effectué plusieurs emprunts, auprès de sa banque et auprès de gens que je n'osais moi-même pas fréquenter tant ils étaient dangereux. Il semble que quand j'étais encore au centre pénitentiaire, il avait arrêté les études et s'était trouvé deux boulots pour essayer de rembourser sa dette. J'étais atterré et en colère, je lui ai demandé pourquoi il avait fait ça alors que j'étais coupable. Il m'a répondu que sa seule raison de vivre c'était moi. Il a sacrifié son avenir brillant pour moi, un idiot, tremble la voix de Jack.

Adam et moi nous regardons, ne sachant pas trop comment réagir.

— Mais bon, nous étions endettés jusqu'au cou et nos créanciers nous auraient tués en cas de défaut de payement, alors nous n'avons pas eu le temps pour les regrets. Nous nous sommes tous les deux mis à travailler. À un moment, nous avions trois boulots chacun. Nous étions misérables, épuisés et effrayés. Nous ne nous en sortions pas malgré tous nous l'effort parce que les intérêts étaient si élevés... mais James n'a jamais exprimé le moindre regret pour ce qu'il avait fait. Il m'avait dit que si c'était à refaire il le referait, parce que j'étais son frère. Un jour, nous étions allés essayer d'emprunter à la banque, préférant les créances légales que celles de la rue. Alors que nous attendions notre tour, James m'a dit : « Tu crois qu'on y a assez d'argent ici pour éponger toute notre dette ? »

Je fronce les sourcils et Jack me pointe.

— J'avais fait la même tête. Avant de comprendre qu'il parlait d'un braquage. Je n'y croyais pas. James ?! L'enfant sage et rangé, pacifiste, l'étudiant en droit qui avait toujours été correct me parlait de braquer une banque ?! J'ai ri et je lui ai dit d'oublier ça. Ce que je ne savais pas, c'est que dans la demi-heure où nous avons attendu notre banquier, qui soit dit en passant a refusé notre demande, James avait déjà élaboré le plan parfait.

30 minutes seulement ? Je veux bien croire que c'était un génie, mais à mon avis ça devait cogiter dans son esprit depuis un moment déjà, vu le désespoir dans lequel ils étaient.

— Un mois et demi plus tard, nous étions cagoulés et armés, dans une autre banque bien sûr. Nous avions pris le double du restant de notre dette et nous étions enfuis. Grâce à son plan parfaitement calculé et mes talents de conduite, nous avions échappé à la police. C'était...

— Grisant ?

Jack lève le regard vers son homonyme et hoche la tête, un large sourire aux lèvres. Quelque chose me dit qu'ils partagent le même amour pour les sensations fortes.

— Mais le mieux c'était l'après-braquage. Cette angoisse constante que les fédéraux débarqueraient chez nous d'un moment à l'autre. Mais rien. Le plan de James avait été parfaitement élaboré et exécuté. Nous avions tellement d'argent une fois notre dette payée que nous ne savions pas quoi en faire. James avait été exclu de l'université après son absence trop prolongée, alors nous avons décidé de nous faire plaisir pour la première fois de nos vies. Et devinez l'endroit que James a choisi.

— Las Vegas, répond Adam.

— Bingo ! Au départ, on venait juste liquider le surplus d'argent que nous avions volé, mais Las Vegas nous a plu, nous qui avions formé notre lien autour du jeu. On jouait, on pariait, on enchaînait les filles. On se sentait chez nous. Mais quand l'argent est de nouveau venu à manquer...

— Vous avez fait d'autres coups.

— Les plans de James et mes compétences d'exécutant faisaient de nous un duo efficace. On était inarrêtable, si bien que nous avons commencé à nous faire un petit nom. Le Joker et le Valet. D'autres ont cherché à avoir recours à nos services. Quand ça valait la peine, nous acceptions. Et puis on s'éclatait, on gagnait des primes énormes, on jouait dans les casinos, j'avais ma dose d'adrénaline et lui stimulait son cerveau, les filles nous adoraient. On était devenus des putains de dieux. C'était lui et moi contre le monde, deux frères unis non pas par le sang, mais par la tragédie et le goût du risque, se remémore-t-il les yeux fermés de délices.

Alors c'est eux deux, les premiers Players... Adam et James.

Jack et Joker.

— Mais Jack... c'est le Valet, pas le Roi. Je croyais que c'était le Roi qui avait fondé le groupe, demandé-je puisque le Roi était la raison de ma venue.

— Oh, nous n'étions pas encore tout à fait un groupe, ce n'était vraiment qu'un surnom que quelques personnes et clients que nous fréquentions nous avaient attribué. Nous faisions des boulots ça et là, sans insigne réel, ce n'était rien de bien sérieux... jusqu'à ce qu'il rencontre le Roi.

Je sens Adam se tendre d'excitation à côté de moi, tout comme moi alors que la partie la plus intéressante de ce récit approche.

L'identité du Roi.

Sentant notre engouement, Jack dépose son verre et croise ses jambes.

— Un patron de casino avait fait appel à nous pour un boulot... assez différent des autres.

— En quoi ?

— Eh bien, ces dernières semaines, un joueur gagnait de très d'importantes sommes d'argent à chaque jeu et à chaque essai. Vous savez, les casinos sont des entreprises qui misent sur le fait que vous allez perdre bien plus d'argent que vous allez en gagner.

— Mais si quelqu'un gagne beaucoup tout le temps alors c'est la faillite.

— Tu parles et ce joueur gagnait des sommes faramineuses, soir après soir, si bien que certains casinos ne voulaient même plus l'accueillir. Mais le patron du Golden Nugget, intrigué, voulait connaître le secret de ce joueur qu'il soupçonnait bien évidemment de tricher. Alors il a engagé James qui lui même était réputé très bon joueur. Tout ce qu'il devait faire, c'était jouer et parier, aux frais de l'entreprise, dans son enseigne, pour attirer le Roi et dévoiler la supercherie. James a naturellement accepté. Il adorait jouer et tout l'argent qu'il perdrait serait cadeau de la maison. Pendant presque une semaine, James a joué sans un seul signe du Roi. Et puis...

Il s'arrête pour remplir son verre.

Il le fait exprès.

— Un soir, le Roi a accepté le défi. Un homme s'est présenté devant lui pour une partie de poker et pour la première fois en une semaine, James a perdu. L'homme est parti avec près d'un million de dollars. Le patron était furieux, parce que James n'avait pas réussi à trouver comment il avait fait. Alors il était revenu jouer le lendemain soir, confiant que le Roi reviendrait. Et le Roi était revenu. Sauf que ce n'était pas le même homme que la veille.

— Quoi ?

— C'était un autre homme qui s'était présenté comme étant « le Roi ». D'abord, on a cru à un canular, un vulgaire imitateur essayant de profiter de la réputation que notre joueur s'était forgée en ville. Mais nous l'avons laissé jouer quand même. Et encore une fois, il a battu James à plate couture avant de partir avec son pactole de 1,2 million.

— Mais...

— Le lendemain, encore un autre homme s'était présenté comme étant le Roi. James avait décidé de ne pas jouer cette fois, pour observer la scène à distance. Mais le Roi avait refusé de jouer contre quiconque d'autre que lui. Il était parti. Le lendemain, toujours quelqu'un de différent qui s'appelait le Roi et réclamait de jouer contre le Joker. Piqué dans son ego, James avait accepté de l'affronter de nouveau.

Il sirote son verre. Nous, nous n'avons pas touché aux nôtres, trop captivés par son récit.

— Soir après soir, le Roi venait narguer James et l'humilier à tous les jeux possibles et avec un visage différent à chaque fois. C'était même devenu une attraction. Les gens abandonnaient les autres casinos pour assister au spectacle. Le Roi avait commencé à accepter de jouer avec d'autres personnes que James, à condition que les mises soient élevées. L'argent que James perdait contre le Roi, le casino gagnait le double en plumant de richissimes curieux voulant tenter leur chance.

Un Roi à plusieurs visages. Tout le monde et personne en même temps... c'est bien le Roi.

— Ça ne le dérangeait pas de perdre, ça le permettait d'enquêter tout en s'amusant à jouer au chat et à la souris avec le Roi. Une certaine complicité s'était même établie entre lui et le personnage du Roi.

— A-t-il fini par trouver de qui il s'agissait ?

Jack sourit.

— Un jour James avait affirmé avoir démasqué le Roi, mais avait refusé de partager sa découverte, même avec moi. C'était devenu leur petit secret. Comme un aveu de sa défaite, le Roi avait arrêté de jouer à ce moment précis. Petit à petit, les gens s'étaient lassés d'attendre son retour et Las Vegas avait retrouvé son calme... James et moi avions repris notre affaire, mais il était devenu différent.

— Différents ?

— James a toujours aimé le plaisir, il jouait, il consommait et baisait. Il baisait beaucoup. Il enchaînait les filles, les coups d'un soir, il trompait ses copines. Chaque mois, une fille venait pleurer auprès de moi parce qu'il lui avait brisé le cœur.

Ah ouais... le salop.

— Vous pouvez le dire, c'était un salop côté nanas. Mais c'était un salop malin et charmant. Il avait même commencé à leur donner des noms de fleur pour éviter de se tromper de prénom. Les filles étaient flattées et lui s'évitait de se prendre des baffes. Un jour, il m'a présenté une fille qu'il s'appelait Violet. C'était une petite brune aux cheveux très courts, très pâle, au visage très fin et aux manières un peu étranges. Elle était très silencieuse, froide et ne semblait apprécier personne. Mais James lui était totalement gaga d'elle. Il parlait d'elle à longueur de temps, il l'invitait régulièrement à se joindre à nous, ici.

Il s'arrête en plein milieu de son récit et fixe Adam.

— Attends- qui est ta mère fiston ?

Adam lui présente la photo de son père et sa mère.

— Violet.

— Oh non pas elle !

Jack lève les yeux au ciel, l'air exaspéré d'apprendre qu'Adam est le fils de Violet. Quand il voit que sa réaction nous a intrigués, il s'explique :

— Violet était une garce méprisante et méprisable. Je n'ai jamais détesté quelqu'un comme je la détestais elle. En fait, personne pouvait se la voir, cette mijaurée, ajoute-t-il sans tenir compte de la présence d'Adam.

— Pourquoi ?

— Elle prenait tout le monde de haut, surtout James avec qui elle entretenait une relation toxique de dépendance affective. Elle le menait par le bout du nez et de la queue, mais refusait toute relation sérieuse. James buvait ses paroles, lui obéissait au doigt et à l'œil. Il n'avait d'yeux que pour elle, mais elle le traitait comme une nuisance. Le pire c'est que l'indifférence de Violet lui plaisait ! Il me disait des cœurs dans les yeux : « Aujourd'hui, Violet m'a donné un surnom : Rex~ ». Je voulais les tuer tous les deux.

Adam et moi échangeons un regard, ayant du mal à croire qu'il parle de la même Violet. Celle que je connais un sucre. Jack soupire.

— Mais bon, malgré mes protestations, au fil du temps, Violet s'était jointe à notre duo. Elle avait même proposé de faire un groupe officiel, The Players. Elle s'était chargée de recruter quelques personnes aux talents divers pour nous aider de faire des coups de hautes voltiges. Mais à l'époque, nous ne signons pas nos coups. On formait une belle équipe et l'on était très complices. Sauf Violet et moi qui étions comme chien et chat. James m'avait complètement délaissé pour elle. Vous vous rendez compte ?!

Il enfile le reste de son verre et l'abat sur la table. Mais sa colère et sa jalousie laissent bientôt place à la mélancolie.

— Seulement, du jour au lendemain elle a disparu, sans donner de nouvelles aux membres de The Players, même pas à James avec qui elle avait fini par accepter de sortir par pitié. Elle s'était volatilisée sans laisser la moindre trace. James l'a cherchée dans tout Vegas et les alentours, il s'est rendu malade à retourner le pays à sa recherche. En vain. Il en avait fait une dépression sévère. Il ne sortait plus, il ne mangeait plus, il ne parlait plus. Il était redevenu l'enfant traumatisé que j'avais rencontré dans cet orphelinat. À cause d'une femme, une femme qui lui avait à peine donné l'heure quand elle était là. Ça me dépassait et je lui avais fait comprendre. On s'était disputé un soir et je lui avais dit que le groupe ne pouvait pas survivre s'il était dans cet état, c'était lui notre leader. Je lui avais dit : « soit tu te reprends en main, soit tu t'en vas rejoindre cette pimbêche. Choisis, ta maîtresse ou ton frère ? »

Il prend sa main dans sa tête.

— Le lendemain, j'ai reçu une lettre de James. Il m'informait qu'il quittait The Players et Vegas. Il me remerciait pour tout ce que j'avais fait pour lui et s'excusait. Il disait que pour se faire pardonner de l'avoir choisie elle, il donnerait mon nom à son premier fils. C'est elle qu'il a choisie.

Il termine sa phrase avec une telle tristesse dans sa voix que j'en demeure ébranlée. Le pauvre, il a perdu son meilleur ami à cause d'une fille qu'il détestait en plus.

— J'étais perdu, je ne comprenais pas, comment est-ce qu'il pouvait tout laisser, nous abandonner, m'abandonner après toutes ces années pour cette fille détestable en tous points. Et puis un jour, j'ai compris que ma haine pour elle m'avait aveuglé tous ces mois. La raison était devant mes yeux depuis le début, je la connaissais depuis des années.

— « C'est pas amusant de jouer avec des idiots. » cite Adam.

Hein?

Jack soupire et hoche la tête.

— Il avait trouvé en Violet son égale, voire sa supérieure. Un esprit encore plus puissant que le sien. Voilà pourquoi il était tombé amoureux d'elle, pourquoi il l'avait laissé s'ingérer dans notre duo, pourquoi elle l'avait obsédé au point où même moi je lui importais moins qu'elle.

Il regarde Adam qui semble lui aussi comprendre ce que Jack a compris il y a plus de vingt ans.

— Violet est le Roi, souffle Adam.

Un éclair zèbre le ciel orageux et illumine la pièce plongée dans le noir dans laquelle je suis. Quelques secondes après, le tonnerre gronde d'une puissance qui fait trembler les murs.

L'horloge accrochée au mur rythme les secondes et les minutes qui passent depuis que je suis dans le salon. Ça fait presque deux heures que je suis là, immobile, attendant je ne sais quoi. Je ne sais même pas ce que je fais là, alors je ne me le suis jamais permis.

Adam n'est pas là de toute façon. Je ferais mieux de m'en aller.

Je me décide enfin de me lever et m'en aller quand une porte s'ouvre.

Pour ne pas me faire repérer, je demeure sur place, sans faire de bruit. Des pas légers se font ouïr dans la maison.

Ses pas à elle.

À mesure qu'ils se rapprochent, mon cœur bat de plus en plus vite. Puis elle apparaît.

Un éclair déchire le ciel et me laisse voir sa silhouette, ses très longs cheveux noirs, la robe blanche qu'elle porte, et son visage.

Qu'elle est belle...

Elle s'arrête brusquement de marcher.

— Qui est là ?

Je cesse de respirer. Je croyais être resté parfaitement silencieux et immobile pour qu'elle ne m'entende pas. On dirait que non. Je ne réponds pas. Je me contente de retenir mon souffle alors qu'elle se tourne dans ma direction. Quelques secondes s'écoulent et elle soupire.

— Tu t'imagines des choses Violet, murmure-t-elle pour elle-même.

J'aurais soufflé de soulagement si ça ne m'aurait pas instantanément grillé. J'espère qu'elle va retourner se coucher dans sa chambre pour que je puisse sortir, mais au lieu de cela, elle allume la lumière et va dans sa cuisine.

Elle y demeure quelques minutes, fouille dans les armoires et allume le feu. Je profite du bruit et de la distance pour reprendre mon souffle. Au bout de 15 minutes, Violet sort de la cuisine et se dirige vers le salon avec une théière qu'elle a dû remplir. Je la regarde faire.

Elle a toujours adoré le thé.

Elle se lève et retourne à la cuisine. Elle en ressort bientôt avec une tasse qu'elle dépose sur un sous tasses. Elle s'assoit sur le divan et commence à verser le thé fumant dans la tasse. Le liquide est d'une jolie couleur bleue et sent très bon. Elle se penche et saisit une tranche de citron qu'elle presse au-dessus de la tasse. Le citron a toujours sa signature. Son thé passe du bleu au rose, ce qui me fait sourire, car ce phénomène me fascinait autrefois.

Puis, au lieu de porter la tasse à ses lèvres, Violet la pousse dans ma direction et lève les yeux vers moi.

Elle sait que je suis là.

Comme si elle pouvait voir l'étonnement sur mon visage, elle sourit.

— Quoi, tu croyais pouvoir t'introduire chez moi sans que je m'en rende compte ? me demande-t-elle en italien.

Je ne sais pas quoi répondre. J'avoue qu'une part de moi aurait été déçue si elle ne m'avait pas repéré.

— Bois, ça va refroidir.

J'hésite un instant, mais lui obéit. Je me saisit de la tasse et la porte à mes lèvres pour goutter le thé qu'elle m'a préparé. Il est aussi bon et parfumé que dans mes souvenirs.

— On m'a dit que tu étais mort.

— Et toi de même.

Elle ricane. De longues secondes de silence s'écoulent sans que nous ne disions mot, semblables aux moments de silence que nous avions l'habitude de partager. Je finis mon thé et me lève.

— Tu pars déjà ? demande-t-elle une pointe de tristesse dans la voix.

— Oui. Je voulais seulement te dire que tu n'as plus à craindre pour ton fils. Je me suis chargé des Ricci, enfin, presque tous. Matteo ne va pas tarder à les rejoindre. Et aussi...

Je sors la petite clé de ma poche et la dépose sur la table en face d'elle. Elle la prend et la touche. Elle comprend vite de quelle clé il s'agit.

— Il est tout à toi.

— Lequel ?

— Grand-père. Père est mort.

Quand je lui dis que c'est de mon grand-père dont il s'agit, son sourit change du tout au tout. Il passe de rassurant à menaçant, ses mains tremblent d'excitation et elle respire plus vite à l'idée qu'il soit à sa merci, qu'elle puisse le faire regretter ce qu'il lui a fait subir.

L'essentiel c'est que ça lui plaise.

Je prends une grande inspiration, ayant de plus en plus de mal à rester détaché émotionnellement. Je lui tourne le dos, prêt à partir.

— Bon, c'était tout. Je ne te dérangerai plus jamais-

— Leonardo.

Je fige, dos à elle, mais je ne réponds pas.

— Leo.

Redis-le encore...

— Viens ici.

Je secoue la tête.

— Je dois y aller.

— Tout de suite.

Mon cœur se serre, se lacère, mais ma raison tient bon.

— Faut que j'y aille, vacille ma voix.

Je sais qu'elle ne se répètera pas, elle ne se répétait jamais. Elle ordonnait et c'est tout.

Je chasse mes larmes, ferme les yeux et me retourne vers elle. Ses yeux gris clair sont braqués sur moi, comme si elle me voyait malgré sa cécité, malgré la barrière que j'ai érigée autour de moi. Ils transpercent pour aller chercher celui que j'ai enterré il y a de cela des années, cette part de moi qui n'appartient qu'à elle.

— À genoux garçon.

Son ordre vient me chercher au fond de mon être et par instinct je lui obéis. Elle tend les mains et prend mon visage dans ceux-ci pour le détailler de ses doigts alors que les larmes lui montent aux yeux, comme moi, submergé pour le flot d'émotion que son toucher me fait ressentir. Malgré moi, une angoisse enfantine remonte et je l'exprime combien même je sais que c'est puéril.

— Je... Je pensais- Je croyais que tu m'avais oublié, dis-je la voix tremblante, ma langue maternelle s'imposant. Mais je ne t'en ai pas voulue, tu sais... je comprends que tu ne veuilles plus rien à avoir avec les Ricci. Je n'aurais pas dû venir, je sais que tu me détestes maintenant parce qu'à cause de moi... à cause de moi...

Elle caresse mon visage, des larmes cascadant le long du sien.

— Oh luce dei miei occhi... comment pourrais-je ?

C'est pourtant ce que tu m'as dit. Que tu me détestes, que tu m'as toujours détesté. Qu'en plus d'avoir gâché ta vie en venant au monde, j'ai tué la seule personne qui te rendait heureuse...

Là, c'est plus que ce que je peux affronter. Je fonds en larmes et m'écroule pour enfouir ma tête dans ses jupons et compléter ma régression.

— Scuza, parvins-je à dire entre mes sanglots. Scuza... Scuza... Scuza...

Elle caresse mes cheveux alors que j'implore son pardon pour ce que je lui ai fait, pour être venu au monde et l'avoir enchainée à la famille de ses cauchemars, pour l'erreur qui lui a coûté son rêve d'évasion, et l'amour de sa vie. Pour ne pas avoir été l'homme que j'avais promis à James que je serais. Elle sèche en vain mes larmes en me répétant que ce n'est pas de ma faute. Que je n'étais qu'un enfant.

Mais je sais qu'au fond, elle sait, comme moi, qu'absolument tout est de ma faute. Rien ne pourra jamais me laver de la culpabilité qui me ronge depuis 20 ans... depuis ce soir...

Mais comme seule une mère sait le faire, elle finit par faire tarir mes larmes et apaiser la douleur en mon cœur de ses baisers et de sa voix si douce.

Pourtant je ne bouge pas. Je demeure à ses pieds, à genoux, la tête reposant sur ses cuisses, me délectant de la tendresse des caresses et des baisers auxquels j'avais fait une croix, dans le silence, car, comme avant, seul lui porte l'intensité de nos sentiments mieux que les mots ne l'ont jamais fait.

Cette symbiose, de même que son parfum de violette ravivent mes souvenirs les plus précieux. Je sens ma peau nue contre la sienne, ses bras qui m'enveloppaient, j'entends l'eau chaude couler alors qu'elle me savonnait les cheveux.

Je me souviens aussi de la première fois que j'ai été saisi par une telle nostalgie.

C'était il y a sept ans.

J'étais le capitaine de mon équipe de football et nous étions allés disputer un match contre une équipe d'un état voisin.

Nous nous échauffions quand le coach nous a dit de faire attention à l'un de leurs joueurs, celui portant le numéro 18. Apparemment, il n'avait que 14 ans, mais était presque aussi grand que nous et très bon sur le terrain.

Intrigué, j'avais fait parcourir mon regard sur le terrain, du côté de l'équipe locale qui elle aussi s'échauffait, à la recherche du petit prodige. D'abord, je vis son numéro écrit en grand sur son dos et puis son nom :

Cole.

Le nom était trop commun, il ne me fit même pas tiquer, par contre sa force et sa vitesse me poussèrent dans mes retranchements pendant tout le match, si bien que nous l'avions emporté d'un seul point.

À la fin de la rencontre, en bon capitaine, j'avais décidé d'aller le féliciter pour sa performance, car si j'avais joué contre lui à son âge il m'aurait baisé, proprement.

Il avait retiré son casque pour la première fois de la rencontre pour me remercier du compliment. Si sa blondeur m'avait subjugué, ébloui, son visage lui m'avait frappé de stupeur, car cela faisait des années que je ne l'avais pas vu.

James...

C'est que ce j'ai pensé l'espace d'une milliseconde avant que la logique ne s'accorde avec ma surprise. Celui qui se tenait devant moi portait son nom de famille et ses traits, mais il était trop jeune. Plus jeune que moi. Une seule possibilité s'offrait alors à moi, même si elle aussi défiait toute logique.

J'avais devant moi Adam, le fils de James.

Mon petit frère.

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