23. The Master of evasion

— Matteo Ricci...

Je lève les yeux vers Adam quand il souffle un nom et vois son expression mi-surprise, mi-terrifiée, le visage rivé sur la baie vitrée donnant vue sur la chambre que nous espionnons.

— Quoi ?

— Leur patron, c'est Matteo Ricci.

Ricci?

— C'est qui ?

— C'est le cousin de Leonardo.

Quand il mentionne le nom de Leonardo, je tourne rapidement la tête vers la fenêtre où apparaît l'homme dont la voix est émise dans notre chambre. Je fouille dans le sac que j'ai amené avec moi et en sors des jumelles pour mieux voir. La silhouette que je percevais mal prend en effet la forme d'un homme avec des traits similaires à ceux de Leo. S'il était un peu plus grand, j'aurais pu le prendre pour lui.

Mon cœur se met à battre plus vite. S'il a survécu au massacre, il a sûrement vu quelque chose, quelqu'un, les responsables de la mort de Leonardo.

— Il fiche quoi ici ?

— Il a survécu aux massacres des Ricci. Jérôme a dit que la mafia était sûrement à la recherche de The Players.

— Lui aussi cherche le Roi ?

— Sûrement.

Je passe les jumelles à Adam et augmente encore le volume pour mieux capter ce qu'il se dit là-bas.

— J'espère pour toi que tu as des résultats, vu la somme que je t'ai payée, dit Matteo en s'adressant à quelqu'un qui n'est pas devant la vitre. Vous en êtes où avec les recherches ?

— Nous avons fait le tour des clubs de danseuses.

— Les clubs de danseuses ?! Pour quoi faire ?! Qu'est-ce que des filles de joie ont à avoir avec le chef d'une organisation terroriste ?!

— Wow, il est nerveux le Matteo, commente Adam qui regarde toujours à travers les jumelles.

— Un peu stupide aussi.

Il acquiesce.

— Vous m'avez engagé spécialement parce que contrairement à vos hommes, moi je vis ici. Las Vegas, je connais. Et ici, ce qui fait tourner la ville, c'est les casinos, les hôtels et les travailleuses du sexe. Elles détiennent autant d'informations que tout le reste.

Apparaît alors dans notre champ de vision un autre homme.

— C'est le type de tout à l'heure, m'informe Adam. Le blond.

Il me passe les jumelles et je regarde pour voir qu'il s'agit en effet de Vito.

Il n'est donc pas de la faction des hommes de Matteo Ricci, mais a été engagé comme spécialiste de Las Vegas pour traquer le Roi...

— Et alors ? Vous avez trouvé le Roi ?

— Non ?

— Le 21 ?

— Non plus.

— Le patron du 21 ?

— Non, mais nous avons eu une description physique et un autre nom.

— Lequel ?

— Cole. Ça vous dit quelque chose ?

Matteo réagit immédiatement au nom.

— Si, j'ai connu un James Cole quand j'étais jeune.

— Blond, les yeux bleus ?

Matteo hoche la tête.

— Oui... mais... je croyais... on m'a dit qu'il était mort.

— Mort ?

— Oui. Lui et ma tante avaient trahi mon oncle. Je les avais dénoncés et ils ont tous les deux été exécutés.

Adam et moi nous regardons, mais lui ne semble pas aussi choqué d'apprendre l'exécution de son père et l'implication de Matteo Ricci dans celle-ci.

Vito lève les épaules.

— Ce n'est peut-être pas lui. Est-ce qu'il a de la famille ? Un frère ? Un fils ?

— Pas à ma connaissance. Et connaissant mon grand-père ils les auraient tous fait tuer si c'était le cas.

— Je vois... oh une dernière chose.

— Quoi ?

Le visage de Vito se tourne vers la baie vitrée, vers notre chambre, vers moi et à travers mes jumelles, nos regards se croisent et la chair de poule fourmille le long de ma peau.

— Ce n'est pas très poli d'écouter aux portes, mademoiselle Bailey.

What the fuck !

Matteo fronce les sourcils, suit le regard de Vito et nous voit Adam et moi.

— Qu'est-ce que- Tuez-les, ordonne-t-il.

Nous entendons les pas des cinq hommes qui étaient avec Vito et la porte s'ouvrir. Bientôt, Matteo les suit. Vito lui reste sur place.

— Merde..., souffle Adam. On se barre.

Hypnotisée par le regard de Vito, Adam m'arrache les jumelles, ferme le site, récupère le laser qu'il jette dans le sac et me traîne hors de la chambre. Le choc passé, je retrouve les capacités. Au moment où nous sortons de la chambre, les hommes de Matteo Ricci apparaissent au tournant du couloir, armes sorties.

L'un d'eux tire un premier coup de feu qui me rate de peu. Adam sort également son arme et abat deux d'entre eux du premier coup.

— Reste derrière moi.

J'opine et commence à reculer. Quelques secondes plus tard, Matteo apparaît et s'arrête.

— Qui êtes-vous ?

Adam garde le silence, les bras tendus, le viseur de son arme alternant entre les quatre hommes ayant une arme braquée sur lui, conscient que sa vitesse ne compensera pas le désavantage numérique.

— Je répète, qui êtes-vous et pour qui travaillez-vous ?

Notre silence l'accueille de nouveau. Matteo Ricci plisse les yeux en regardant Adam, l'air de tomber des nus.

— James ?

Adam profite de son ahurissement pour lever le bras et tirer sur les néons au-dessus de nos têtes, plongeant le couloir dans le noir. Par réflexe, nos adversaires tirent à l'aveugle, mais nous manquent. L'obscurité comme allié, Adam et moi prenons la fuite.

Après une très longue descente de 15 étages, nous nous retrouvons au deuxième sous-sol où la moto d'Adam se trouve. Nous nous empressons de la retrouver. Adam met son casque en vitesse et me donne le mien. Je suis en train de le mettre quand le son d'un moteur de voiture et des phares braqués sur nous nous font sursauter.

Tous les deux tournons la tête pour voir une des berlines qui nous a menés ici et derrière son volant, ne se trouve nul autre que Vito.

Quand est-ce qu'il est arrivé ici?

— Bordel ! jure Adam avant de démarrer et de quitter la place de stationnement.

Dès qu'il s'engage dans le couloir de sortie, la berline l'élance à notre poursuite. Je prends l'arme d'Adam sur son corps et vise le pare-brise pour atteindre Vito, mais les balles font des ricochets sur ce dernier.

— Putain, la vitre est pare-balle !

Adam qui comprend qu'on ne pourra se débarrasser de lui qu'en fuyant accélère. Nous arrivons bientôt vers la sortie du stationnement où une barre de métal contrôle les déplacements. N'ayant pas le temps de nous arrêter pour payer notre sortie, Adam m'ordonne :

— Ne me lâche surtout pas.

Je m'exécute alors qu'il prend de la vitesse. Puis au moment de heurter la barre, Adam fait pencher sa moto tout en la faisant virer. Nous tombons de celle-ci, mais il garde une main sur le guidon. La moto encore en marche nous traîne sur le sol de béton alors que nos têtes passent juste en dessous de la barre. Dès que nous sommes de l'autre côté, Adam se redresse et nous fait remonter sur la moto encore en mouvement. Comme si elle était une extension de son propre corps, sa moto se redresse d'elle-même et poursuit sa route.

Je m'empresse de jeter un coup d'œil derrière. Notre pourchasseur lui ne s'encombre pas de prouesses comme Adam et fonce directement dans la barre de métal avec sa berline.

— Adam...

— Je sais, je vais le semer, accroche-toi.

Après avoir quitté le domaine de l'hôtel, Adam entre dans le street et fonce à toute vitesse, zigzagant entre les véhicules avec une agilité que je lui reconnais, mais qui m'impressionne toujours autant. Rassurée, je resserre ma prise autour de lui, confiante qu'il nous sortira de là.

Mais c'était sans compter la ténacité de Vito, aussi à l'aise derrière son volant qu'Adam sur sa moto. Chaque fois que je vérifie derrière si nous sommes enfin parvenus à nous en défaire, le noir brillant de la berline reflète les lumières colorées de la rue alors qu'elle se faufile entre les voitures. Comme nous, il grille les feux et il provoque même un accident.

Rien ne l'arrête.

Adam lui a l'habitude de ce type course-poursuite, même que lui il a d'habitude des dizaines de patrouille à ses trousses. Il commence à mettre de la distance entre nous et notre poursuivant, si bien qu'au bout d'un certain temps, nous le semons.

— On l'a semé.

Quand je confirme à Adam que la Berline noire n'est plus visible, il ralentit.

— Non, mais c'était qui ce type ?!

— Il s'appelle Vito, ce doit être un mercenaire que Matteo a engagé justement parce qu'il connaît bien Vegas.

— Il a vu nos visages...

— Et il m'a reconnue.

— Va falloir être deux fois plus prud-

Je n'ai rien vu, j'ai seulement entendu un moteur accéléré, senti le pare-chocs de la berline nous happer, mon corps se détacher de celui d'Adam que j'avais relâché et s'envoler dans les airs avant de s'écraser au sol. Je roule au sol sur une longue distance avant d'enfin m'arrêter. Mon casque m'a protégé des impacts répétés à ma tête, mais je suis bien sonné. Une douleur sans nom me lance le long du corps et un mal de dos que je n'avais pas ressenti depuis longtemps me saisit. Je pousse une plainte de pure souffrance et sens même des larmes couler.

Elles ne s'arrêtent que quand j'entends une portière se fermer et un sifflement.

— Ton petit copain est vraiment un pro sur sa moto. Je n'ai jamais vu ça...

L'adrénaline se charge de me faire oublier ma douleur lancinante. Je me redresse sur mes fesses avec peine et retire mon casque pour chercher Adam du regard. Je le vois, à côté de sa moto, en partie désintégrée dont il a également été éjecté.

Il est totalement inconscient, peut-être même mort... Je ne sais pas, mais il ne bouge pas. Il ne bouge pas du tout.

Je suis prise de panique.

Pas lui...

Je rampe vers lui, lui retire son casque pour constater qu'il saigne abondamment de la tête. Je cœur tambourinant de terreur, je le secoue, l'appelle, le supplie d'ouvrir ses yeux, mais rien. Alors que je suis en train d'essayer de le réanimer, je vois sa silhouette de Vito en périphérie. Je m'empresse de prendre Adam dans mes bras et le couvrir de mon corps pour le protéger. En voyant mon geste, Vito semble étonné, mais surtout amusé puisqu'il éclate de rire. Il s'accroupit et prend la main d'Adam. D'instinct, je l'attire à moi pour l'éloigner de notre assaillant.

— Ne le touchez pas ! sifflé-je. Sinon... sinon...

Je n'arrive même pas à proférer une menace convenable, tant je tremble, étouffée par la peur.

— Sinon quoi ?

Je sens les larmes me monter aux yeux quand je comprends que c'en est fini de nous. Alors quand il reprend la main d'Adam, retire son gant et pose son pouce sur le poignet d'Adam, je ne bouge pas, tétanisée.

— Il n'est pas mort.

Je n'ai pas le temps d'accueillir la bonne nouvelle qu'il braque son arme sur Adam.

— Et si tu veux que ça reste ainsi, il va falloir faire exactement ce que je te dis. Compris ?

Les joues baignées de larmes et à court d'options, je hoche lentement la tête.



La main étendue sur mon front en sueur, j'essaie de me protéger comme je peux du Soleil. J'aurais dû apporter une casquette.
— Cole.

Je baisse le regard vers la voix qui vient de m'interpeller et le vois, avec son air sévère, vêtu de l'uniforme des entraîneurs.

— Oui coach ?

Il me tend une bouteille d'eau que je reconnais être la sienne. Je n'en amène jamais, car il y a une fontaine à quelques centaines de mètres du terrain.

— Bois, sinon tu vas te déshydrater.

Le contraste entre son expression froide et distante et sa gentillesse envers moi m'a toujours fasciné.

— Merci coach, dis-je en prenant volontiers sa bouteille pour me désaltérer après l'effort sous le soleil.

— Merci à toi de m'aider, encore.

Comme toujours, je suis arrivé en avance pour l'aider à sortir les équipements lourds du rangement et les placer sur le terrain pour l'entraînement de cet après-midi.

— Ce n'est rien. C'est mon devoir de capitaine. Et puis j'aime bien passer du temps avec vous.

Il rougit à vu d'œil comme chaque fois que je lui exprime de l'affection. Il est adorable malgré lui.

Je m'approche et lui retire sa casquette de baseball et la porte à l'envers avant de prendre un ballon dans le sac à nos pieds.

— On se la lance en attendant les autres ?

Il acquiesce et recule suffisamment loin pour que je puisse mettre toute ma force dans mes lancées. Je lance la balle et lui qui a sous-estimé ma force est obligé de reculer pour l'attraper.

— Putain, mais est-ce que tu as une limite ?! se plaint-il en secouant une de ses mains endolorie par le choc.

J'éclate de rire, lève les épaules et lui fais signe de lancer. Le coach Ricci avance de quelques mètres et se met en garde pour m'envoyer la balle, mais avant de la lancer, son regard descend sur moi et il me dit :

— Alors ? Tu l'as dit à Heidi ?

Je fronce les sourcils, ne comprenant pas de quoi il parle. Puis son image se met à changer, son uniforme de coach laisse place à la combinaison qu'il portait le jour du massacre, son visage est taché du sang de ses victimes, de sa famille.

Mais ce qui ressort c'est la plaie sous son menton, du côté gauche de son cou. Celle que je lui ai faite au moment de l'égorger alors qu'il était venu me porter secours en pleurant, dévasté à l'idée que je sois mort. Je vois ses yeux éteints, fixe vers le néant dans lequel je l'ai expédié. Happé par la vision d'horreur, je ne réagis pas quand le ballon quitte ses mains à toute vitesse et ferme les yeux au moment où il me fonce dans le visage.

Je les ouvre rapidement et prend une grande inspiration comme si j'avais été en apnée de longues minutes. Je reprends mon souffle, désorienté. Le terrain a disparu, les gradins aussi. La personnification de ma culpabilité n'est plus là non plus.

Je ne vois que du noir.

En bougeant la tête, je réalise que c'est parce que quelque chose m'obstrue la vue. Un sac.

Immédiatement, je cherche à l'enlever, mais constate que j'ai pieds et mains liés. Je suis également assis sur une chaise qui sert d'encrage à mes liens. Peu à peu, la conscience me gagne, de même que les souvenirs.

On venait de semer le mercenaire, j'allais me diriger vers notre hôtel quand la berline sortie de nulle part nous a foncés dessus. J'ai entendu le cri d'Heidi, senti mon corps être arraché à ma moto et puis plus rien.

Je sais que je suis dans une situation délicate, mais dès que toutes mes facultés mentales me reviennent, la seule chose qui me vient en tête est elle.

— Heidi...

Où est-elle? Elle a subi le même choc que moi... a-t-elle survécu? Comment va-t-elle?

Je suis dans l'incapacité d'avoir une réponse à toutes ces questions, car je ne sais rien, je ne vois rien.

— Alors c'est Heidi son vrai nom...

En entendant la voix de celui qu'Heidi a identifié comme étant le mercenaire de Vegas, celui qui m'a coursé et rattrapé, mes sens sont d'un coup en alerte.

Il est dans la pièce et si j'ai bien entendu il est juste devant moi. Je ne l'ai pas entendu s'approcher... ça veut dire qu'il était dans la pièce, donc il est là depuis un moment déjà, avant mon réveil en tout cas. Je l'entends s'approcher, puis, le sac que j'ai sur la tête est tiré et la lumière accrochée au plafond me brule la rétine alors que se révèle le visage de mon ravisseur. Il est assis sur une chaise en face de moi, juste assez loin pour que je ne puisse pas l'atteindre.

— Je vous prévient, si vous lui avez fait le moindre mal-

— C'est drôle, c'est exactement la première chose qu'elle m'a dite. Sauf qu'elle pleurait comme une madeleine.

L'image d'Heidi en train de pleurer à cause de moi s'impose à moi.

— Où est-elle ? Comment va-t-elle ?

— Elle est plutôt mal en point après la torture que lui a fait subir mon employeur.

La terreur comme je ne l'ai jamais ressenti prend possession de moi.

— Quoi ?

— Il était ravi que je vous ramène tous les deux vivants. Voyez-vous, ça aurait été embarrassant pour lui que vous vous enfuyiez avec les choses que vous avez entendues. Et comme Heidi refusait de parler... je ne suis pas du genre sensible, mais j'avoue que ses cris et ses supplications m'ont fendu le cœur. Et quand il a scarifié son si joli visage-

Fou de rage, je tente de bondir de ma chaise pour le tuer de mes propres mains, mais mes liens me retiennent. Mon mouvement soudain le fait quand même sursauter, puis il rit aux éclats.

— Donc pour répondre à votre question, oui elle va bien... enfin, elle est vivante, ce qui dans son état n'est pas vraiment une bonne chose. Personnellement, j'aurais choisi la mort. Mais c'est une brave fille, elle a survécu à son calvaire sans rien révéler de vos identités et de la raison de votre espionnage.

J'essaie de chasser les images d'Heidi en détresse de ma tête. J'aurais préféré qu'elle parle, qu'elle révèle tout plutôt que d'endurer ça. Bordel de merde. J'étais revenu pour la protéger et maintenant parce que je ne suis pas parvenu à semer ce taré, elle...

«Je n'ai pas abandonné Heidi, je te l'ai confiée.»

Et j'ai échoué.

— La bonne nouvelle c'est que Matteo Ricci est un homme généreux. Il ne pouvait pas attendre ton réveil, alors il m'a chargé de te communiquer son offre.

Il croise les pieds et joint ses doigts.

— Si tu me dis qui vous êtes toi et Heidi, pour qui vous travaillez et ce que vous êtes venus faire à Vegas, il acceptera de laisser l'un d'entre vous en vie. Tu choisis.

— Vous croyez vraiment que je vais tomber dans le panneau ? Je sais qu'on va tous les deux finir morts quoi qu'il advienne. Les Ricci ne laissent pas de témoins.

Il me fixe de longues secondes avant de me sourire.

— Donc tu les connais assez bien... c'est vrai, Matteo Ricci voulait vous tuer tous les deux de toute façon, mais je l'un ai proposé ce marché. C'est donc avec moi que tu négocies, pas Matteo.

— Qu'est-ce que ça change ?

— Les Ricci ont été décimés, leur influence considérablement réduite, leur clan affaiblit et en plus nous sommes en Amérique, loin de leur fief. Ici, Matteo Ricci n'a pas de pouvoir. Vous n'êtes pas ses prisonniers, mais les miens, et moi je suis un gentleman et un homme de parole. Si tu parles, Heidi survit.

— Et si je ne parle pas ?

— Tu vas parler.

— Non. Si Heidi n'a pas parlé, c'est que c'est parce qu'elle préfère la mort à la trahison. Et il se trouve que c'est de moi qu'elle tient ça.

Le mécontentement ne l'effleure même pas.

— Je l'avais deviné. Vu comme vous êtes parvenus à nous tracer et la facilité avec laquelle tu as quitté l'hôtel sur ta moto... je sais que vous êtes des pros. Je n'aurai pas ce que je veux en vous torturant.

J'ouvre la bouche pour répliquer, mais il me coupe.

— Toutefois, ça ne m'a pas non plus échappé que combien même vous êtes professionnels, votre relation elle n'est en rien strictement professionnelle. Elle t'aime et toi aussi, tu l'aimes. Je ne doute pas de ta ténacité, mais je me demande combien de temps tu tiendrais si tu avais à assister à la torture qu'Heidi a subie.

Je serre la mâchoire, car même moi, j'ignore si je pourrai garder ma résolution de me taire si l'on m'imposait d'assister à ça.

— Allez, sois raisonnable. On peut commencer par ton petit nom, comme ça on fait connaissance. Enchanté de faire ta connaissance, moi c'est Vito. Et toi ?

Je le fixe, décidant de comment je vais me sortir d'ici parce que je n'ai pas d'autre choix. Sinon je parlerai.

Je parlerai pour sauver Heidi.

Je dois gagner du temps.

— Nathan.

— Nathan... à quelle organisation appartenez-vous Heidi et toi ?

— Aucune. Nous sommes un couple de chasseurs de prime à notre propre compte.

Il plisse les yeux, à la recherche d'une trace de tromperie.

— Et qui vous a employés.

— Je n'en ai aucune idée, c'est Heidi qui se charge de nous décrocher des contrats et qui communique avec les employeurs.

— Je vois. Mais j'ose espérer que tu sais au moins en quoi consiste votre mission.

— La même que la vôtre. Nous cherchons le Roi des Players.

Quand je mentionne le Roi, son intérêt se retrouve décuplé et il se redresse avant de se pencher vers moi.

— Qu'est-ce qui te dit que nous cherchons le Roi des Players.

— Vous chercher le 21. Cet endroit et le Roi sont intimement liés.

Il m'examine de ses yeux bleu céruléen en hochant la tête.

— Exactement. Seulement comme tu as dû t'en rendre compte, cet endroit et tous ceux qui y sont liés sont introuvables. Et de toute manière, il faut un accès pour y entrer.

Il plonge sa main dans sa poche et sort la carte que Leonardo m'a donnée.

— C'est votre employeur qui vous a donné l'accès ?

— Oui... vous allez vous en servir pour y être admis ?

Il écarte les doigts et une deuxième carte identique à la mienne apparaît.

— Non. Il se trouve que Matteo Ricci avait déjà une carte similaire à la tienne.

Les Ricci avaient deux cartes en leur possession?! Pourquoi?

— Avoir un accès ne sert à rien si vous ne savez pas où est le 21.

Là, il sourit d'une oreille à l'autre.

— Sauf que je sais où se trouve le 21. Mes recherches ont porté fruit et pas plus tard qu'il y a deux heures j'ai pu le localiser.

Quoi?

Il se lève.

— La vérité c'est que moi je n'ai plus besoin de vous. Je ne tiens pas particulièrement à savoir qui vous envoie. J'ai fini mon travail.

Il commence à se diriger vers la sortie.

— Hey ! Où allez-vous ?

— Tuer Heidi. Ne vous en faites pas, je suis le Maître de la torture, je m'occuperai bien d'elle et filmerai le tout pour que vous pussiez profiter aussi, dit-il en faisant tourner un trousseau de clés autour de son index. Ah et une dernière chose...

Lorsqu'il se tourne pour me narguer et me trouve en face de lui, debout, défait de mes liens, il écarte les yeux et commence à fuir.

Trop tard.

Je le saisis et lui décroche un crochet du droit puissant et précis qui le met au tapis.

— Et moi je suis le Maître de l'évasion, bâtard.

J'ai envie de l'achever, de le tuer rien que pour avoir osé lever la main sur Heidi, mais je ne laisse pas mes émotions l'emporter sur ma raison. Il sait où est le 21. Si je le maintiens vivant, il nous le révélera de gré ou de force.

Ma priorité c'est de trouver Heidi et la secourir.

Alors je le prends, le traîne contre le sol de la cellule, jusqu'à la chaise qui me retenait avant de l'y attacher bien mieux qu'il l'a fait avec moi, de le bâillonner et recouvrir sa tête du sac qui m'obstruait la vue à mon réveil.

Une fois fini avec ma besogne, je récupère le trousseau de clés au sol et quitte la cellule, non pas sans l'y enfermer. Sans une minute de plus, je me mets à la recherche d'Heidi. J'ouvre toutes les portes que je rencontre, mais trouve à chaque fois des salles vides, des cellules vides.

Étonnamment, je ne rencontre personne sur mon chemin. Pas les hommes de Ricci ou même d'autres qui auraient pu travailler avec mon ravisseur. J'ai l'étrange sensation que quelque chose ne va pas. Je descends des escaliers et me retrouve un étage plus bas. Des voix me parviennent en provenance de la porte au fond du couloir.

Je fonce vers celle-ci, prêt à tuer tous ceux que j'y trouverai et la défonce.

Des dizaines de pairs d'yeux se portent vers moi dans la salle bondée. Un orchestre cesse de produire la musique, les conversations que je percevais à peine s'arrêtent lorsque tous me dévisagent, moi et mon arme pointée sur tout le monde et personne à la fois.

Les gens présents reprennent leur conversation comme si de rien n'était. La salle est immense est à tout d'un casino avec des éléments de cirque. Il y a des tables de jeu un peu partout, des machines à sous au fond, deux femmes se promènent sur des échasses de près de cinq mètres, un homme est à attaché à une roue devant un groupe d'hommes et de femmes bien vêtus qui semble lancer des dards dans sa direction. Je vois même un tigre se balader dans la pièce auprès d'un dompteur.

Qu'est-ce que c'est que ce bordel?!

Je baisse mon arme et entre dans la salle, assommé par le kaléidoscope de bizarrerie que je croise à mesure que j'avance. Des serveuses se promènent dans la salle, vêtues uniquement d'un nœud papillon, rien d'autre, j'entends un homme crier parce qu'il a perdu à une partie et en écoutant j'entends qu'il avait parié sa main droite.

On la lui coupe sur le champ.

Alors que sa main se vide de son sang, il demande une autre partie et parie sa deuxième main. J'ai l'impression d'avoir atterri dans le rêve tant le délire de ce qu'il se passe autour de moi me dépasse totalement. Et parmi la cacophonie, les cris, les rires aux éclats, les plumes roses en surtension dans l'air, les billets qui tapissent le sol comme la moquette, je les vois.

Les volumineux cheveux d'Heidi, relâchés pour la première fois de notre séjour dans un sublime afro. Elle porte une robe rouge-grenat à paillettes, est pieds nus et est en train de rire en jouant aux cartes.

Mais qu'est-ce que....

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