19. Chaos

Il est rare que je sois le premier arrivé.

Habituellement, ce sont les membres fondateurs qui sont là en premier, Latifah et les jumeaux sont souvent parmi les premiers également, ce qui fait que je trouve toujours la pièce bien animée quand je foule moi aussi le sol du QG.

Mais ce soir, je suis le premier à avoir poussé la porte après les multiples sas de sécurité, trouvant la pièce vide et plongée dans le noir.

Aussitôt que mes pas envahissent la salle, les lumières s'allument bruyamment à la file, telle une rafale de tirs, révélant l'architecture brutaliste de notre quartier général. Je descends l'escalier en acier noir et suis accueilli par le jardin suspendu qu'entretient religieusement Moïse.

La table de nos réunions trône au centre, juste sous le stage et le grand écran diffusant les médias. L'avatar de Sky y apparaît, avec ses yeux et ses cheveux bleu lagon.

— Bonsoir Joker, résonne sa voix robotique et monotone.

— Bonsoir Sky, dis-je en m'approchant de la table.

Ses yeux suivent mes mouvements jusqu'à la table, me donnant cette sensation très désagréable d'être observé par un tableau dans un musée. Je tente de me débarrasser de cette impression et m'installe.

— Quelle est la raison de cette convocation ?

— Une fois que tout le monde sera là, tout sera expliqué.

— Tout le monde a répondu ?

— Non. Numéro 3 comme toujours ne pourra pas être de la réunion. Dans les faits, nous tenons les informations qui vous seront transmises ce soir de sa part.

Il est vrai que c'est de Numéro 3 que nous tenons la plupart des informations concernant la sécurité du groupe grâce à sa proximité avec les menaces pesant sur nous.

— Je vois.

Aussitôt ma phrase achevée, d'autres pas résonnent. Je lève les yeux pour voir Ashton entrer dans la salle, descendre et approcher de la table sans un regard pour moi. Sky l'accueille comme elle l'a fait avec moi.

Je songe à lui demander directement qu'est-ce qu'il se passe, certain que, en tant que membre fondateur, il sait déjà tout ce que Sky va nous dire ce soir. Mais il semble épuisé, des cernes creusent le pourtour de ses yeux et il a le regard vitreux.

Ailleurs.

Je suis accoutumé à le voir dans toutes sortes d'états. Des fois avec des pansements suite à des brûlures chimiques, les yeux rouges à cause d'une exposition prolongée à des produits, ayant perdu l'odorat pour quelques jours. C'est un passionné, mais également une victime de sa discipline. Je prends quand même la peine de le saluer.

— Salut Ash.

Comme s'il me remarquait enfin, il lève les yeux de ses mains qu'il était en trait d'enduire de gel hydroalcoolique.

— Bonsoir Adam.

La porte s'ouvre de nouveau, cette fois sur Latifah et les jumeaux. Ils sont suivis de près par Diego. Archibald fait une entrée remarquée un peu plus tard, car il participe très rarement en présentiel.

Mais ce soir, il est là.

— Bonsoir tout le monde. Ça fait longtemps, dit-il en posant une main ferme sur mon épaule. C'est bon de vous revoir. Wow, mais c'est qu'ils ont grandi les bébés du groupe.

Les jumeaux lui sourient. Il est vrai que ça doit faire au moins deux ans qu'il ne les a pas vus. Rajoutez par-dessus cela la poussée de croissance qui semble les avoir frappés pendant l'été et ils sont presque méconnaissables.

Mika qui portait encore des broches au moment de son recrutement il y a trois ans est en train de devenir une magnifique jeune femme. Elle a changé son look d'élève de lycée privé catholique pour un style vestimentaire plus provocateur à en juger par la quantité de peau exposée et son piercing au nombril.

Elle a toujours été la plus rebelle des deux.

Kimi que l'acné n'avait pas épargné trône à présent sur son mètre 80, ses boutons remplacés par des cicatrices de rasage. Tout à l'heure quand il m'a salué j'ai sursauté en entendant le baryton de sa voix qui, il y a quelques mois encore, était nasillarde et chancelante. Lui garde son apparence de fils à papa et futur ministre, portant ce soir une cravate par-dessus son costume.

Apparemment au moment où ils ont reçu l'alerte, sa sœur faisait la fête et lui rentrait d'une compétition avec le club de débat qu'il préside.

— Est-ce que tu sais toi pourquoi nous sommes là ? demande Mika qui comme moi s'impatiente. Ashton refuse de me le dire.

Archibald lève les épaules.

— Il y a tant de menaces qui planent sur le groupe, mais aucune ne me saute à l'œil plus que les autres.

— Moi je paris que ça a un lien avec les Hunters, lance une voix.

Moïse est arrivé.

— Tu crois ? demandé-je.

— Oui. Nous avions éliminé quelques-uns de leur membre seulement. Il est très probable que les autres nous aient pris pour cible pour les venger.

— Oui mais ça fait presque un an, pourquoi agir maintenant, s'interjette Diego.

— Peut-être qu'ils se préparaient et ne sont prêts que maintenant. Je veux dire, si on avait tué cinq de nos membres le même soir, j'aurais bien réfléchi avant de lancer une contre-attaque, commente Kimi.

Moïse comme moi le dévisage en entendant sa voix.

— Non, tranche Archibald. Même se préparer à une attaque, surtout une attaque de grande envergure, laisse des traces alors que c'est silence radio depuis votre raid...

— C'est vrai. Je n'ai eu vent d'aucune transaction important de leur part qui pourrait indiquer des représailles, ajoute Latifah. Ce qui est très étrange d'ailleurs. Les Russes vengent toujours leurs camarades.

Archibald acquiesce. Tous à table se lancent dans des spéculations, tous sauf Ashton qui, déjà de nature silencieuse, est décidément ailleurs.

La porte s'ouvre de nouveau, laissant d'abord apparaître une botte portée par des jambes à n'en plus finir. Dès qu'elle entre, l'ambiance de la pièce change et mon cœur trépigne.

Heidi.

Après ne pas l'avoir vu de tout l'été, je suis à la fois terrifiée et fou de joie de la revoir. Plus belle encore que dans mon souvenir, elle descend gracieusement les marches et balance les hanches jusqu'à notre niveau. De plus près, je peux voir le changement qui s'est opéré sur son physique depuis la dernière fois qu'on s'est vus.

Elle qui a toujours été un peu ronde a fondu, sa silhouette est devenue plus élancée, son col roulé noir laisse voir des muscles tonifiés, ses joues qui la rendaient adorable se sont creusées, la vieillissant un peu. Elle porte ses cheveux dans deux nattes sages qui s'arrêtent au niveau de sa poitrine moins généreuse.

Contrairement à Latifah et Mika, elle ne porte pas de maquillage, ce qui m'indique qu'elle devait être chez elle au moment de recevoir l'alerte.

Depuis son admission au sein du groupe, nous nous asseyions ensemble, car bien souvent nous venions ensemble. Cela nous permettrait de partager des moments de complicité, même lors des réunions. Mais aujourd'hui, même si sa place habituelle auprès de moi est vacante, elle tire le fauteuil en face de moi et s'y assoit gracieusement.

Et elle évite scrupuleusement mon regard, pas comme elle le faisait alors que je la mettais face à tous ses mensonges, mais comme si elle me refusait le privilège de revoir ses jolis yeux. Elle n'interagit avec personne et fixe ses mains.

Je n'ose pas l'interpeler. Elle et moi devons avoir une discussion, mais je n'ai pas envie que ce soit en présence de tous les autres. Ça ne les regarde pas et nous n'étions même pas censés avoir une histoire.

Je comprends mieux maintenant. Les relations ont cette capacité d'envenimer les rapports entre les membres. Le bon sens me dit d'en rester là avec elle, de suivre la règle pour une fois.

Mais mon cœur... mon cœur réclame sa reine.

Pour établir le premier contact, mon pied tapote sa jambe dans une botte de cuir sous la table. Elle fronce les sourcils et lève enfin ses yeux vers moi. Bien que déstabilisé par leur beauté, je lui souris pour lui exprimer qu'elle n'a plus à craindre d'hostilité de ma part.

Seulement, l'hostilité c'est d'elle qu'elle émane.

La porte s'ouvre à nouveau, dans un quasi-fracas cette fois. La puissance derrière ce geste fait son entrée en la personne de Senri, talonné par Jérôme qui comme toujours tient son ordinateur sous le bras.

Il ferme donc le bal ce soir.

Tous les deux viennent se joindre à nous. Senri va prendre place après d'Heidi et Jérôme lui comme toujours s'en va au bout de la table, à sa place de représentant de Dieu sur terre. La tension dans la salle monte, car nous savons qu'il va nous délivrer les informations sur la menace qui nous a rassemblés ce soir. Nous sommes suspendus à ses lèvres alors qu'il retire ses lunettes, les essuie et les replace avant d'ouvrir son ordinateur.

Il a l'air de plus mauvaise humeur que d'ordinaire, ce qui nous laisse mesurer la gravité de la situation et quand, après avoir mis ses lunettes, ses yeux se portent vers moi et que le frisson me traverse, je devine la raison de notre présence.

Merde...

Il prend une grande inspiration.

— Bonsoir à tous.

— Bonsoir, répondent les gens en cœur.

Seuls moi, Heidi et Senri qui ne m'a pas non plus lâché du regard, ne disons rien.

— Premièrement, je vous remercie d'être tous venus aussi vite et pardon pour notre retard, Senri et moi avions... quelques détails à régler-

— Est-ce qu'on peut savoir ce qu'il se passe ? craque finalement Mika.

Il faut croire que la maturité viendra un peu plus tard dans son développement. Son frère la somme de se taire. Jérôme ne lui tient pas rigueur de son interruption et hoche simplement la tête.

— Sky.

L'écran derrière lui s'illumine lorsque l'avatar de Sky est remplacé par une image. Une image que je ne connais que trop bien et qui me confirme le mauvais pressentiment que j'ai eu tout à l'heure.

On y voit la résidence des Ricci en vue d'oiseaux. L'image semble avoir été prise par un hélicoptère, probablement celui d'une chaîne de télévision.

— Qu'est-ce que c'est ? demande Mika malgré l'ordre de son frère.

— C'est une villa qui se trouve sur l'île de Capri en Italie et comme vous pouvez le voir par la présence policière, elle a été le théâtre d'une attaque il y a de cela deux semaines. Quelqu'un sait-il pourquoi ?

Silence dans la salle alors que les gens semblent réfléchir. Puis, la voix d'Archibald s'élève.

— Parce que c'était la résidence des Ricci.

Je sais qu'Achibald s'est retrouvé impliqué dans cette histoire avec Leonardo Ricci lorsque Heidi lui a demandé de l'aide pour tenter de maîtriser la situation. Mais entendre ce nom de sa bouche augmente légèrement ma tension artérielle lorsque je repense à son sang chaud giclant sur mon visage et la vie quittant ses yeux.

Je dois fermer les miens pour chasser l'image de son visage, de son sourire en coin, de ses yeux calculateurs, de la manière dont ses traits et sa voix s'adoucissaient lorsqu'il m'appelait par mon prénom.

Je repense à ses mains meurtries alors qu'il s'était agenouillé pour panser mes blessures alors que ses propres plaies étaient encore ouvertes, alors que c'est moi qui les lui avais infligées. Pour la première fois depuis l'événement, une brise de culpabilité souffle sur ma conscience.

— En effet, reprend Jérôme. Qui ici n'est pas familier avec le nom Ricci ?

Personne ne lève la main.

— Excellent, ça m'évitera d'avoir à vous expliquer qui ils sont... ou plutôt qui ils étaient.

Aussitôt que sa dernière tournure de phrase a capté notre attention, l'image change pour montrer celle d'un cadavre troué de balles. Non loin, on peut voir la silhouette d'autres cadavres en arrière plan et du sang.

Beaucoup de sang.

Une autre image d'une scène similaire mais de corps différents passe et une autre encore.

— Il y a deux semaines, tous mes membres de la famille Ricci ont été assassinés dans le cadre d'un raid éclair qui n'a laissé que deux survivants et un disparu.

Je fronce les sourcils.

Quoi?

— Oh mon dieu... souffle Latifah en grimaçant quand une image montrant l'enfant que j'aurais juré avoir épargné s'affiche. Toute la famille ?!

— Tout le clan oui. Enfin... ceux à la tête de celui-ci. Comptent également parmi les cibles, les dirigeants de plusieurs clans affiliés au leur, leurs femmes et les descendants présents ; l'écosystème du crime organisé italien.

Des chuchotements s'élèvent déjà, car on dirait que tous ici prennent la mesure de ce que ça représente. Je regarde Heidi qui semble un peu troublée. Elle et Archibald échangent d'un regard, l'air de tous les deux réaliser quelque chose qui m'échappe. Puis, elle fixe l'écran comme à la recherche de quelque chose.

De quelqu'un parmi les victimes.

Et elle finit par le trouver lorsqu'une image du corps de Leonardo dans la position dans laquelle je l'ai laissé est affichée à l'écran pendant quelques secondes qui semblent durer des heures quand des larmes remontent à la surface de ses yeux déformés d'effroi.

Elle détourne le regard et regarde Archibald qui baisse les yeux. Cet échange n'échappe pas à l'œil vigilant de Jérôme dont les yeux verts alternent entre Heidi, Archibald et moi. Je m'efforce à garder mon sang-froid.

— Heidi, Adam.

Elle sursaute quand il nous mentionne.

— Si j'ai bien compris, vous étiez plutôt proche de Leonardo Ricci IV, non ?

Quand elle se rend compte que les projecteurs sont sur elle, Heidi s'empresse de réprimer ses larmes et secoue la tête.

Menteuse...

— C'est- c'était mon coach de football et notre prof de math, répondis-je choisissant l'option de la demi-vérité.

Jérôme continu de nous fixer, visiblement peu convaincu par la réponse d'Heidi et très peu satisfait par la mienne.

— Rien d'autre ? insiste Senri.

Je porte mon regard vers elle. Je n'apprécie pas la manière dont elle me dissèque du regard depuis son entrée. Si elle me suspecte, elle n'a qu'à porter ses couilles et m'accuser qu'on en finisse.

— Rien que tu ne sais pas déjà, ponctué-je plus sèchement que je ne l'aurais voulu.

La méfiance ne la quitte pas.

— Quel est le rapport avec nous ? finit par demander Diego, détournant l'attention de sur Heidi et moi.

Jérôme soupire.

— Vous rappelez vous des Hunters ?

— Les assassins qui en avaient après nous ?

— Oui.

— C'est eux qui ont fait tout ça ?

— On n'en sait rien. C'est ça le problème.

— Comment ?

— Personne n'a la moindre idée de qui est derrière ce massacre. Pas la police italienne, Interpol, aucun service de renseignement américain ou même russe. Les auteurs du massacre de Capri se sont tout simplement volatilisés.

— C'est pas possible ça, commente Moïse qui a l'habitude des raids. Comment ont-ils pu commettre un tel massacre et disparaître ?

Jérôme semble encore plus irrité par sa question, car ça se voit qu'il se la pose et n'arrive pas à trouver la réponse.

— Et les survivants alors ? Qui sont-ils ? Ils n'ont rien vu ? demande  Kimi de son calme habituel.

— Les survivants à l'attaque sont : Matteo Ricci deuxième du nom.

Une fiche contenant une photo du concerné s'affiche.

— Matteo Ricci est le neveu du chef du clan, Leonardo Ricci troisième du nom qui a lui aussi été retrouvé mort. Il serait parvenu à quitter le site de l'attaque et c'est lui qui a alerté les forces de l'ordre. Matteo a pu identifier un des agresseurs qui n'était nul autre que son propre cousin, Leonardo Ricci quatrième du nom, l'héritier de l'empire, lui aussi trouvé mort sur les lieux.

Cette dernière information sème la confusion autour de la table. Entre le fait que l'un des attaquants était l'héritier de la famille et qu'il fait également partie des victimes, même les plus stoïques d'entre nous expriment leur soudain intérêt.

— Excuse-moi, tu as dit que l'un des attaquants était Leonardo Ricci ? demande Archibald. Tu veux dire qu'il a massacré toute sa famille ?!

— Selon Matteo Ricci oui. Son témoignage est appuyé par le fait qu'on a trouvé Ricci vêtu de la combinaison que portaient les agresseurs et armé jusqu'aux dents. Sa chambre contenait également un arsenal impressionnant. Il se peut même que ce soit lui qui ait commandité l'attaque. Après tout, c'est lui qui était le cerveau derrière les attaques des Hunters qui visaient à nous éliminer.

— Ce n'était pas son père ?

— Non. Numéro trois a été plus que clair. Leonardo Ricci avait reçu l'instruction par son père de se charger de nous, mais il enquêtait indépendamment.

— Tuer autant de gens, chez eux et s'en aller sans laisser de traces... sait-on combien ils étaient ?

— Nos sources italiennes ne sont pas certaines. Mais ils étaient au moins cinq vu l'hécatombe.

— Pourquoi Leonardo Ricci compte-t-il parmi les morts ? finit par s'élever la voix d'Heidi.

— Ça aussi nous l'ignorons, renvoie Jérôme. Les renseignements italiens ont fait deux hypothèses. Il a été tué par un des occupants de la villa qui a ensuite été assassiné par les complices de Ricci ou...

— Ces mercenaires se sont retournés contre lui, achève Senri les bras croisés. Tuant ainsi la seule personne au fait de leur identité.

— Oui, d'autant plus qu'en 20 minutes à peine c'était plié. Personne ne les a vus pénétrer l'île, personne ne les a vu quitter.

— C'est un travail de pro, souffle Moïse.

Je souris intérieurement. Moïse est mon mentor pour ce genre d'attaque tactique, alors ce compliment même s'il ne m'est pas directement adressé me ravit.

— L'autre survivante est une jeune femme. Serena Albertini. Elle est la fille du chef de la famille Albertini qui compte parmi les victimes. Selon sa déposition, elle aurait trouvé un endroit où se cacher pendant l'entièreté de l'attaque. Elle dit n'avoir vu aucun des agresseurs et ignore totalement leur nombre elle aussi.

Bravo Princesse.

— C'est drôle ? me demande Senri.

Je réalise alors que j'ai souri malgré moi en repensant à Serena. Je corrige mon expression et me redresse avant de secouer la tête et de m'excuser. Elle ne me lâche pas pour autant du regard, m'écrasant avec la pression de son aura meurtrière.

Je déglutis.

— Senri.

Elle regarde Jérôme, lève les yeux au ciel, croise de nouveau les bras et se détends un peu.

— Comme je vous ai dit, poursuit Jérôme, nous ignorons si les Hunters sont les mercenaires qui ont contribué à cette attaque. Nous savons toutefois qu'ils ont été employés par les Ricci au paravent. Pour nous tuer.

— Je ne comprends toujours pas pourquoi les Ricci en avaient après nous, dit Diego.

— Oh, ce n'est pas les raisons qui leur manquaient, disons que la querelle entre nos deux organisations remonte à très longtemps. Après qu'on ait éliminé la faction qui avait été chargée de nous tuer, Numero 3 a pu récolter suffisamment d'informations sur Leonardo Ricci fils et le reste du clan pour que nous les identifiions comme leurs employeurs. Le Joker, la Reine et moi-même nous étions infiltrés dans leur demeure sur le sol américain pour recueillir plus d'informations sur eux et leurs futurs plans afin de nous préparer à une contre-attaque de la part des Ricci ou des Hunters. Et c'est ça le problème.

— En quoi c'est un problème ? ose demander Latifah.

Jérôme semble sur le point de répondre, mais Kimi le devance.

— Le chaos.

Jérôme acquiesce.

— Si nous-même ignorons qui a mené l'attaque, alors la mafia, la police italienne et les renseignements américains aussi et ils sont en train de chercher les coupables. Toutes les familles mafieuses affiliées aux Ricci, aux Albertini, aux Busato, même les pègres de pays voisins ayant conclu de pactes avec les Ricci ; tout le monde veut les responsables. Et le fait que nous ayons pris les Ricci pour cible peu avant le massacre nous place au sommet du tableau de chasse.

Chacun commence à réaliser la menace qui pèse sur nous. La dernière fois, c'était un groupe d'assassins peu nombreux employé par une famille certes puissante, mais une seule famille. Là, on parle de dizaines de familles, de centaines d'hommes, de mercenaires et d'assassins.

— Pour la police du monde entier, ça ne change pas grand-chose à notre situation habituelle, mais pour le reste... c'est tout simplement ingérable. Nos membres exécutifs ont beau être compétents, nous ne faisons pas le poids face à leur nombre et leur puissance.

— En gros la seule raison pour laquelle nous sommes encore en vie c'est notre anonymat...

Une part de moi regrette d'avoir mené cette attaque à cause des conséquences, mais l'autre sait que c'était nécessaire. En les tuant tous, j'ai maintenu l'anonymat qui nous protège aujourd'hui.

— C'est cela. Et plus que jamais, il est crucial que nous gardions profil bas. Plus que jamais vous devez être sur vos gardes. N'allez pas en Europe, nous allons ralentir la cadence des missions, veillez à effacer toutes vos traces numériques et rapportez-nous même le moindre  incident suspect. La vie de tout le monde est en jeu. Et si jamais vous avez vent de qui pourraient être les responsables, dites-le-moi.

Nous hochons tous du chef.

— Et le Roi dans tout ça ?

— Le Roi est en train de faire comme eux tous, chercher qui est responsable de cette attaque pour nous blanchir... alors avant que je vous laisse retourner à vos vies, il est crucial que je l'assure que ce n'est pas en vain.

Son regard sévère sonde le groupe à travers ses lunettes.

— Est-ce que quelqu'un ici a un quelconque lien, de près ou de loin avec cette attaque, qu'il le dise maintenant, ordonne sa voix glaciale.

Le silence règne dans la pièce, troublé uniquement par les pâles géantes des quatre ventilateurs suspendus au-dessus de nos têtes. Nous nous regardons entre nous, cherchant la culpabilité sur les visages de tous. La tension est palpable et je sens mon pouls cogner dans ma tête quand le regard d'Heidi s'arrête sur moi. Mais je garde mon calme et joue le jeu.

Elle ne dit rien non plus. Elle ne dit pas qu'elle a implanté un système d'explosif dans le corps de l'héritier qui est en fait son ex et Archi ne révèle pas l'avoir aidée à le faire dans le dos des Players.

Tous les trois savons que si nous parlons, nous mourrons ici de la main de Senri elle-même.

— Personne ?

Le silence devient insoutenable, mais nous nous y tenons.

— Adam.

Je tressaute quand il sort mon nom.

— Tu as disparu pendant une partie de l'été, que faisais-tu ?

— Je préfèrerais ne pas parler de ma vie perso-

Je n'ai rien, vu, rien entendu, seulement senti la lame de son katana tailler la peau de mon cou.

— Que faisais-tu ? insiste Senri.

Elle et moi nous jaugeons du regard. Sa question ne cache pas son accusation. Je ne me laisse pas déstabiliser. Comme Heidi me l'a un jour dit, je teinte mon mensonge d'une pointe de vérité pour qu'il soit le plus crédible possible.

— J'ai vécu une séparation... difficile, j'avais besoin de faire le point, admis-je.

Et ce n'est pas faux.

Tous les regards se portent vers Heidi, car combien même nous n'avons jamais parlé de notre couple, tout le monde nous a grillé il y a fort longtemps. Tous savent qu'on a eu une histoire elle et moi.

— Vous n'êtes plus ensemble avec Heidi ?!

— Mika ! s'énerve son frère.

Elle plaque sa main sur sa bouche.

— Oops...

Heidi soupire en cachant brièvement son visage de ses mains avant de prendre la parole.

— C'est vrai. Et moi aussi j'ai eu besoin de faire le point.

— L'un disparaît de la surface de la terre et l'autre tente de battre le record de mort de Senri... ça pour une séparation difficile !

Le commentaire de Diego détend l'atmosphère et quelque rires se font entendre. Heidi sourit même pour la première fois de la soirée. Senri ramène sa lame à elle et la replace à sa droite. Jérôme lui ne semble pas amusé du tout, mais il finit par souffler et décroiser les bras.

— Peu importe ce qu'il se passe entre vous, commence-t-il le mépris dans la voix, veillez à ce que ça ne crée pas de conflit d'intérêts avec The Players.

— Compris, répondons-nous à l'unisson.

Il nous examine une dernière fois.

— Nous éviterons les rassemblements de ce type qui font de nous une cible facile. De toute façon il n'y aura presque pas de mission pendant un moment. Bon, c'est tout ce que j'avais à vous dire. Vous pouvez disposer.

À tour de rôle, les membres se lèvent de table et quittent la pièce. Je me dirige aussi vers le garage où ma moto m'attend. Alors que je m'apprête à mettre mon casque, je vois Heidi s'approcher de son véhicule d'un pas pressé, la tête baissé. Je me dépêche de la rattraper avant qu'elle ne s'y engouffre.

— Heidi...

Elle s'arrête.

— On... on peut parler ? S'il te plait ?

Elle demeure immobile, dos à moi et la tête baissé.

— Hei-

Elle se tourne enfin vers moi, me révélant son visage dévasté par des larmes de rage. Troublé, je perds mes mots en sentant la menace. Elle me fixe de longues secondes, dirigeant sa haine et sa frustration vers moi, mais derrière, je perçois également une profonde tristesse.

Celle d'une femme qui vient d'apprendre l'assassinat de son premier amour.

Elle ouvre la bouche, l'air de vouloir me dire quelque chose, mais la porte menant au garage s'ouvre de nouveau pour laisser y entrer Jérôme. Lui même s'arrête et tous les trois nous fixons. Heidi s'empresse de se défaire de ma prise et entre dans sa voiture avant de partir.

Me laissant seul avec le chien de garde du Roi.

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