17. Death to all of them

Assis tout au fond, je regarde les secondes qui défilent sur ma montre alors que je retiens mon souffle. À mesure que le temps avance, mes poumons me brûlent. Je sens que je vais imploser, mais je suis si près de mon record que je me force à demeurer là.

J'atteindrai mon record, 8 minutes et 2 secondes. Je laisse encore quelque vingt secondes supplémentaires s'écouler et quand je commence à perdre connaissance, pour éviter d'endommager mon cerveau avec le manque d'oxygène, je remonte à la surface.

Je prends la plus grande bouffée d'air de ma vie. Je me délecte de chaque centilitre d'oxygène qui entre dans mes poumons, car ils pourraient compter parmi les derniers. Mon cerveau de nouveau oxygéné cesse de me donner le vertige, alors je nage jusqu'au bord de la piscine et en sors.

Le Soleil de Capri réchauffe ma peau refroidie par les profondeurs du plan d'eau. Je prends tout de même une serviette pour accélérer le séchage de mon corps. Je me penche et tape sur mon oreille pour sortir l'eau qui s'est infiltrée dans l'autre et répète le geste de l'autre côté. Mes oreilles à présent débouchées, de la musique me parvient en provenance de la chambre de Leonardo.

L'Aria de Bach, suite numéro 3.

J'accroche ma serviette de bain autour de mon cou et me dirige vers les escaliers menant au balcon et à sa chambre. Je l'y trouve, comme je l'ai laissé il y a une heure pour aller me rafraîchir.

Mais cette fois, tout un arsenal repose sur la surface du lit que nous partageons depuis deux jours. Des pistolets, armes automatiques et semi-automatiques de plusieurs modèles, des grenades et autres dispositifs du genre, des armes blanches allant du naginata, à la machette, aux couteaux de longueurs diverses.

Il y a également de l'équipement de protection, trois uniformes, gilets par balle, protège-coudes et genoux, casques. Ils sont non loin des appareils de communication tels des oreillettes. Et il y a des munitions, des centaines et des centaines de munitions.

— Wow...

Leonardo qui était en train de charger une des armes lève la tête vers moi. Quand il me voit, l'air sinistre qu'il avait s'envole, ses yeux s'illuminent.

— Adam... comment était ta baignade ?

— Bien, dis-je en m'approchant. C'est impressionnant...

Il suit mon regard vers son lit digne d'une exposition de l'armée.

— Tu trouves ?

— Mais oui ! Comment as-tu fait pour te procurer tout ça ?!

Il cligne des yeux alors qu'il me fixe en silence, me laissant le temps de réaliser combien ma question était stupide. Malgré ce que je sais, dans ma tête il est toujours ce simple étudiant brillant, mais peu sociable, un nerd qui donne des cours de math et entraîne des joueurs de football. J'oublie parfois qu'il est destiné à être à la tête d'un des plus puissants empires criminels au monde. Tout de même... comment s'y est-il pris pour faire entrer tout ça alors que toute l'île est sous surveillance maximale ?

Comme s'il avait lu ma question sur mon visage, Leonardo répond :

— J'ai convaincu mon père que tu avais quitté l'île le soir même où il l'a mise en quarantaine. Il s'en doutait déjà, alors ça a été facile. C'est comme ça que j'ai pu faire entrer tout ceci.

— Je vois, dis-je, même si ça ne rend pas l'exploit moins impressionnant.

Puis, quelque chose attire mon attention.

— Pourquoi trois combinaisons ?

— Nous ne serons pas seuls contre tous les hommes de mon père. Ce serait du suicide. Nous aurons un allié avec nous.

— Un allié ?

Il hoche la tête.

— Qui ?

Un rictus se forme sur ses lèvres.

— L'ange de la mort lui-même.

L'ange de la mort?

Il poursuit sa besogne sans préciser de qui il s'agit. Comme je commence à le cerner, je ne pose pas de questions auxquelles je sais qu'il ne répondra pas.

L'aria joue toujours en boucle, emplissant la pièce de violons. Quel choix de musique étrange pour ce genre de situation... Une aria, douce et apaisante alors qu'il charge ses armes de munitions en prévision du massacre de sa propre famille.

Dire que je vais l'y aider...

Il y a deux jours, quand Leonardo m'a littéralement demandé de faire une mission pour lui, j'ai d'abord refusé. Le Joker est au service des Players et des Players seulement. Mais lorsqu'il a soulevé la menace que la mafia représente maintenant qu'ils savent nos identités, j'ai conclu que l'aider à les décimer était dans le meilleur intérêt de The Players.

Nous devons profiter du fait que son père a parqué les têtes les plus importantes de la mafia italienne sur l'île, ceux qui savent qui nous sommes. S'ils parvenaient à quitter l'île, l'information ne serait plus contenue. Le monde entier finirait par savoir qui nous sommes.

J'ai donc accepté cette mission vu la gravité et l'urgence de la situation.

Ma mission est très simple : tuer toutes les personnes présentes dans la demeure Ricci, que ce soit lui, sa famille, ses associés, ses hommes de main et même le personnel.

Leonardo a été très clair, il ne veut aucun survivant.

L'idée de tuer des femmes et des employés ne me réjouit point, mais je comprends la nécessité de le faire. Tous les gens présents ici savent potentiellement ce que Leonardo n'a pas eu le choix de révéler aux associés de son père.

Si tout se passe bien, il ne restera plus un seul Ricci en vie d'ici quelques heures.

Je vais prendre une douche pour laver ma peau et mes cheveux de tout le chlore qu'ils ont absorbé. Après quoi, je me vêtis et retourne dans la chambre où Leonardo est encore en train de charger des armes, serein comme un moine en trans. Il s'y prend avec la vitesse et la dextérité de quelqu'un qui a l'habitude de faire ça.

Même lorsqu'on s'est battu lui et moi, j'avais l'ascendant, mais j'ai vite su que je n'étais pas face à un amateur. Leonardo Ricci cache bien son jeu derrière ses lunettes, ses diplômes et les figurines de superhéros qui décorent son bureau. Il semble inoffensif alors qu'il doit compter parmi les personnes les plus dangereuses que je n'ai jamais rencontrées. Le simple fait qu'il soit parvenu à tous nous démasquer me force à le tenir en estime, malgré tout la haine que je ressens envers lui.

— Arrête de me fixer comme ça, tu vas me faire rougir.

Je lève les yeux en l'air. Il a cette manie d'alterner entre l'autorité et le flirt qui me déstabilise franchement. Je détourne mon regard pour qu'il n'aille pas penser que je le mate. Mes yeux tombent sur un objet métallique sur sa table de chevet, objet que je reconnais être un pistolet. Le fait qu'il ne soit pas sur le lit comme toutes les autres armes pique ma curiosité alors je m'en approche et l'inspecte.

J'écarquille les yeux quand je reconnais un Singer 1911A1. Oui, Singer, la même compagnie qui fait les machines à coudre de vos grands-mères. Comme beaucoup d'autres suite à la Première Guerre mondiale, elle s'était lancée dans l'industrie militaire. Seulement Singer n'a produit que 500 armes et ce avant l'attaque de Pearl Harbor. Beaucoup ont été perdues avec le temps et quelques-unes sont encore en circulation, mais à très fort prix.

— C'est un joli bijou que tu as là.

Il s'arrête, regarde de quoi je parle, puis reprend sa tâche comme si le pistolet l'ennuyait.

— Tu trouves ?

— Tu parles que je trouve ! Chacune de ses armes a une valeur minimum d'un quart de millions de dollars. J'ai essayé de m'en procurer une à des enchères, mais un vieux collectionneur avait offert plus que moi et pour éviter de trop me faire remarquer j'avais abandonné.

— Tu le veux ? demande-t-il du tac au tac.

— Oui ! Euh... non- je veux dire oui, mais elle est à toi...

— Garde-la. Ça fait des années que je cherche à m'en débarrasser, de toute façon, ajoute-t-il d'une voix lasse.

— Pourquoi ?

Quelques secondes de silence et il répond.

— C'était à ma mère. Elle collectionnait les armes. C'est également l'arme qui a servi à abattre ton père.

J'examine l'arme.

— Elle est chargée ?

— Depuis vingt ans.

Je la pointe vers lui et il ne réagit même pas. Il continue les préparatifs de notre attaque. Je baisse l'arme, déçu que ça n'ait pas suffi à le faire chier dans son froc comme l'autre soir. Il a plus peur de moi que d'un pistolet.

— Mon père n'est pas mort.

Il me regarde.

— Qu'est-ce qui te fait dire ça ?

— Rien. Je refuse d'y croire c'est tout. Je sens que... qu'il est là, quelque part, proche et loin en même temps. S'il était l'homme dont m'a parlé ma mère, celui que tu idéalises tant et que ton père craint au point de pâlir chaque fois qu'il me voit, je l'imagine mal mourir d'un coup de feu.

Il me fixe longuement.

— Ton père était un grand homme certes, mais il restait un homme. Un sac de viande, d'os et sang. Tout ce sang...

Comme lorsqu'il m'a raconté la matinée où mon père lui a dit ce qu'un véritable homme, son regard s'égare dans un souvenir, un souvenir douloureux cette fois. J'en déduis qu'il sait très bien de quoi il parle. Mon père est donc vraiment mort... et vu comme la mélancolie ne le quitte plus, je sais que Leonardo a assisté à son exécution.

Comme à celle de sa mère.

— S'il est vraiment mort, la personne qui l'a tué devait vraiment être forte et intelligente.

— Ou suffisamment faible et stupide pour qu'il ne se doute jamais qu'elle le tuerait, répond-il toujours là-bas, il y a vingt ans.

Ces mots m'intriguent. Il veut dire que mon père a été tué par quelqu'un qu'il ne craignait pas... possiblement quelqu'un en qui il avait confiance, quelqu'un qu'il aimait ? Les mots de ma mère viennent se mêler aux siens pour dissiper le brouillard et leur donner du sens :

«Un homme est celui qui protège la femme qu'il aime.»

James a fini par tomber amoureux de Giulietta. Je mettrais même ma main à couper que tous les deux entretenaient des relations extraconjugales.

«Je compte sur toi pour veiller sur elle en mon absence.»

Elle ne représentait pas une menace, pour lui elle était vulnérable.

« C'est à cause d'elle qu'il est mort. Tout est de sa faute, elle l'a tué. »

Elle en a profité pour le tuer.

« Je l'ai butée, et c'est très bien comme ça »

Et ma mère s'est vengée.

Dans ce cas quelle est l'implication du père de Leonardo dans toute cette histoire ?

— Adam.

Je quitte mes tergiversions et porte mon attention vers Leonardo qui est de retour parmi nous.

— C'est l'heure.

J'augmente le volume de la musique dans mes oreilles au moment où Adam et moi sortons de ma chambre.

J'ai toujours aimé accompagner les moments importants de ma vie. Ça me rappelle l'époque où j'observais James alors qu'il écoutait des morceaux de son impressionnante collection de disques vinyle, quand ma mère le rejoignait et qu'il l'a faisait valser, la faisait rire et la couvrait de baisers, même si c'était dangereux.

Même si c'était mal.

Avec la musique, même les moments les plus insupportables me paraissent insignifiants.

Alors lorsque je m'élance dans le couloir pour aller massacrer ma propre famille, c'est le morceau préféré de James qui résonne en boucle dans mes oreilles ; My Way de Sinatra.

Nous avançons d'abord sans rencontrer personne, mes quartiers étant interdits d'accès, mais lorsque nous passons la limite, nous croisons un des hommes de mon père.

Adam l'abat sans même qu'il ne se soit tourné vers nous. Le silencieux étouffe la détonation et son corps tombe sur le sol. Adam poursuit sa route, passant par-dessus son corps comme s'il ne s'agissait là que d'un obstacle.

Je l'imite et nous poursuivons notre route, tuant chaque personne sur notre passage. Les premières minutes, nous progressons rapidement et sans problème ; nous tuons, avançons et tuons encore, profitant de l'effet de surprise, mais au bout d'un moment l'alerte est sonnée. Sans doute quelqu'un nous a vus au loin ou a trouvé un des cadavres que nous avons laissé derrière nous.

Maintenant que nous ne jouissons plus de l'effet de surprise, Adam et moi sommes en désavantage numérique et l'arsenal de mon père est bien plus impressionnant que le nôtre. Toutefois, j'ai pris tout cela en considération au moment d'élaborer le plan B. Si nous ne pouvons pas condamner la salle des armes qui est à l'autre bout de la maison, ça veut également dire que tous les hommes qui iront s'y armer seront suffisamment loin. Ça nous donne le temps de nous occuper du reste de la demeure.

Il nous faut juste une distraction, pour les maintenir à l'écart de nos vraies cibles.

Les hommes que nous rencontrons sont dorénavant armés jusqu'aux dents et sur leurs gardes. Ça ne ralentit guère Adam qui, couvert par moi, avance, les décimant les uns après les autres avec une facilité déconcertante. Ceux à qui il ne prête pas attention et qui pensent avoir été oubliés sont éliminés par moi.

À aucun moment il ne jette de coup d'œil par-dessus son épaule pour vérifier si j'arrive à suivre. Il me fait entièrement confiance pour veiller sur ses arrières et ça lui permet d'avancer et de tuer efficacement.

Nous finissons par atteindre le pavillon abritant les associés de mon père et leurs femmes ou maîtresses. Comme mon père a abattu leur garde rapprochée il y a deux jours pour les empêcher de quitter l'île avec l'information que je leur ai partagée, nous les trouvons presque sans protection.

Certains des chefs de clan ont brandi leurs armes, en vain. Ils sont les hommes les plus puissants d'Italie, mais ce ne sont en fin de compte que de vieux hommes gras qui ont l'habitude d'envoyer les autres se salir les mains pour eux. Je les abats comme les porcs qu'ils sont, sans la moindre considération des liens que j'ai pu avoir avec certains d'entre eux, même ceux que j'appréciais plus ou moins.

Quand j'entre dans la suite qui héberge Albertini, je le tue lui et sa femme avant de passer à la chambre de leurs fils que j'élimine également.

Je ne trouve toutefois pas Serena.

Je sais que sa famille l'a reniée depuis ce diner... elle a rarement dormi dans la demeure de mon père, accablée de honte.

Au fond, je suis content de ne pas l'avoir croisée, car même si je n'aurais pas hésité à la tuer, je préfère ne pas le faire. Elle a ses défauts, mais elle a été ma seule confidente après l'horreur que m'a fait subir mon grand-père et dans un monde où Heidi n'aurait pas existé j'ai la certitude que je serais tombé amoureux d'elle.

Des coups de feu retentissent au loin, attirant notre attention à Adam et moi. Au son, je reconnais que ce sont les armes de l'armurerie.

— C'est quoi ça ? demande Adam.

— La contre-offensive vient d'être lancée. Tous les hommes de mon père sont partis s'armer pour défendre la villa.

— Merde... on fait quoi alors ?

— On attend.

— Quoi ?

L'échange de tirs reprend.

— Que notre allié s'en charge.

— Tout seul ?!

Je me rappelle de sa consigne : « Je ne veux pas vous avoir dans mes pattes ».

— Oui.

Adam fronce les sourcils et s'approche de la fenêtre de la dernière pièce où nous avons abattu des gens. Je le rejoins et cherche la salle des armes du regard. Je ne la vois pas d'ici, mais une fenêtre non loin laisse apercevoir les flashs des coups de feu.

D'où nous sommes Adam et moi abattons les hommes qui cherchent à se rendre vers la salle des armes en renfort. Ça dure une éternité, mais la tempête de tirs cesse de retentir dans toute la villa. Je retiens mon souffle, car c'est soit une excellente nouvelle, soit la pire de tout.

Bientôt, une ombre apparaît dans l'une des fenêtres dont la vitre a éclaté sous les balles, suivi d'une silhouette portant le même ensemble qu'Adam et moi. Je souffle quand sa voix me parvient dans l'oreillette.

— J'ai fini de mon côté. Ton père est mort. J'ai ton grand-père.

— Excellent. Quitte l'île immédiatement. Les autorités ne vont pas tarder à bloquer la côte.

Adam qui n'entend pas notre échange me regarde étrangement, pensant que je parle seul.

— Compris... Leo.

— Oui, mon ange ?

— Ne meurs pas.

Sa voix est légèrement vacillante, témoignant de la sincérité de son souci. Alors pour une fois, je ne me moque pas.

— Promis.

Je coupe la communication entre nous et m'éloigne de la fenêtre.

— Allons-y ordonné-je à Adam. Nous devons finir le ménage.

Adam et moi quittons le pavillon des invités pour retourner dans le bâtiment principal à la recherche des rescapés de la première offensive, c'est-à-dire quelques hommes de mon père et les membres du personnel s'étant réfugiés dans des cachettes que je ne connais que trop bien. Je les tue sans le moindre remords, parcourant les couloirs de cette maison, celle où j'ai autrefois été heureux en revivant des souvenirs :

C'est ici que je me cachais lorsque je jouais à cache-cache avec ma mère, je tire.

C'est ici que James passait son temps à essayer de la battre aux cartes ou aux échecs, je tire.

C'est ici que je montais la garde quand James et ma mère me demandaient de les attendre dehors, je tire.

C'est ici que j'attendais avec James que mon père finissent de battre ma mère, je tire, je poignarde.

C'est ici que James est mort. Je me revois enfant, tenant l'arme dans mes mains trop petites et tremblantes, refusant d'obéir à l'ordre catégorique de mon grand-père, sur le point d'abandonner quand sa voix à tonné, claire et ferme.

« Leonardo. Fais-le. »

Alors je cesse de trembler, et braque mon arme sur lui.

— Qu'est-ce que tu fiches ?

En entendant la voix d'Adam, je reviens à moi et réalise que ce n'est pas sur James que mon arme est dirigée, mais sur lui. Je la baisse immédiatement.

J'ai cru qu'il était une de mes hallucinations...

— Pardon... continuons.

Il me regarde étrangement derrière sa cagoule. C'est alors que je me rends compte des larmes que j'ai laissées couler dans mon état second.

— T'es sûr que ça va ?

Je ne sais pas. J'ai rêvé de ce jour toute ma vie, mais plonger ainsi dans mes souvenirs m'a ébranlé et éprouvé. Mais c'est fini... presque. Une fois qu'on aura fini de ratisser la maison, tout ça sera derrière moi.

— Oui.

— J'espère. Je ne veux pas d'un pleurnichard pour couvrir mes arrières, alors arrête ça tout de suite, dit-il froidement en se dirigeant vers la sortie.

J'essuie mes larmes et m'apprête à le suivre quand un bruit sourd dans la pièce où nous avons tué tout le monde attire mon attention.

Celle d'Adam également puisqu'il s'arrête et se retourne. Nos yeux alertes sondent la pièce à la recherche de l'origine du bruit, mais nous ne la voyons pas. La pièce est maintenant plongée dans le silence. Probablement qu'une des personnes que nous avons tuées n'était pas encore tout à fait morte. Adam semble tirer la même conclusion que moi, puisque ses épaules se relâchent.

Seulement le bruit se répète.

Adam et moi nous regardons, à présent certains,qu'il y a quelqu'un de vivant. Je crois même qu'il a déjà localisé d'où il vient. Il prend les devants et moi je le couvre alors qu'il contourne le bureau de mon père et braque son arme vers la source du bruit. Le temps se suspend avant qu'il n'écarquille les yeux et baisse son arme.

— C'est quoi ?

— Rien. C'est juste un enfant, répond-il d'un air désintéressé.

Il s'éloigne du bureau et vient en face de moi.

— On y va, ordonne-t-il.

— Oui... j'arrive...

Il me contourne et lorsque je suis certain qu'il a quitté la pièce, je me rends jusque derrière le bureau où je trouve Romeo, recroquevillé, tremblant comme une feuille, du sang sur les mains, le visage souillé de larmes comme de morve et pataugeant dans sa propre urine. En me voyant, un visage familier, sa terreur s'envole et l'espoir naît dans ses yeux si semblables aux miens. Tel un naufragé sauvé, il se lève et accourt vers moi, son grand frère.

— Leo-

Il s'arrête quand le canon de mon fusil se pose sur son front. L'incompréhension prend possession de ses traits de chérubin.

— Leo ?

Romeo, plus que tous les autres, m'a toujours dégouté. Contrairement à nos frères et sœurs qui ont pris les traits de leur mère, lui et moi sommes les copies de notre père. C'est bien pour cela que nous sommes ses favoris. Son premier fils prodige et héritier et son précieux benjamin. Je déteste Romeo, car il nous ressemble, car il me ressemble, car en lui je vois l'enfant que j'étais lorsque j'ai perdu James et ma mère. Toute la haine que j'éprouve envers lui, c'est celle que j'éprouve envers moi depuis toutes ces années.

Et l'absence de pitié aussi.

J'appuie sur la gâchette. La balle va se loger dans son front et il s'écroule à mes pieds. L'écho de la détonation résonne encore dans la pièce alors que son sang ruisselle jusqu'à mes pieds.

— Tu aurais dû la fermer, dis-je à son cadavre, mais également à l'enfant que j'étais.

Je contourne le bureau dans le sens inverse et sors de la pièce. Adam n'est pas là. Il a dû s'impatienter et poursuivre sans moi. Je m'apprête à lui demander sa position quand une ombre passe dans mon angle mort.

Je tourne aussitôt la tête, mais ne vois personne. Toutefois, je suis presque certain que j'ai vu du mouvement. Je me remets sur mes gardes et me dirige vers celle-ci. Quand j'entends des pas me fuir, j'accélère, tourne au coin du couloir et aperçois Matteo au moment où il dirige son arme vers moi.

Il tire.

La première balle me rate de peu et la seconde va se loger dans mon épaule. Je m'empresse de revenir sur mes pas pour me protéger avec le mur du bout du couloir alors qu'une douleur indescriptible me lance le long de mon épaule blessée. Je reprends rapidement mon souffle, le temps que l'adrénaline se répande dans mes veines et assomme la douleur. Je change mon fusil d'épaule, celle de mon bras dominant ayant été touchée et vise le couloir.

Seulement Matteo n'est plus là. Il a fui...

— Bordel !

Je cours pour le rattraper et le vois sur le point de sortir. Je le suis et sors du bâtiment à mon tour au moment où il entre dans un véhicule qu'il démarre. Je tire en direction de ce dernier, mais les voitures de mon père et de ses associés sont toutes à l'épreuve des balles. Il fonce vers le portail qu'il défonce avant de rouler jusqu'à disparaître de mon champ de vision.

Putain...

Je songe à me saisir d'un véhicule moi aussi et de le pourchasser, mais la douleur revient m'assaillir. Je pose ma main sur la plaie et constate tout le sang que je suis en train de perdre. Je jure e retournant à l'intérieur. Je dois trouver Adam pour qu'on quitte les lieux immédiatement, Je me chargerai de Matteo plus tard.

J'essaie d'avancer, mais mon épaule me fait souffrir le martyre. Je n'avais encore jamais reçu de balle, ça fait mille fois plus mal que ce que je m'imaginais. La douleur est locale, mais je la ressens dans tout mon corps et la perte de sang affaiblit mes capacités. Je prends un moment pour reprendre mon souffle et m'y accoutumer quand des coups de feu en provenance de la villa résonnent.

Ce ne sont pas ceux d'une exécution, mais d'un affrontement. La fusillade dure quelques secondes et de nouveau, le silence règne. Je contacte Adam pour lui demander ce qu'il s'est passé.

— Joker.

Rien.

— Joker, tu m'entends ?

Plus les secondes de silence s'étirent, plus mon cœur bat vite et la douleur à mon épaule devient insignifiante.

— Adam...?

Finalement, le grésillement qui précède une intervention se fait entendre, suivi de grognement d'agonie et du souffle aigu de poumons percés.

— Leo...

L'angoisse sous sa forme la plus pure me frappe de plein fouet et déjà je ressens le besoin de vomir.

— Adam ! Où es-tu ?! Est-ce que ça va ?! demandé-je affolé.

— Non... putain je pisse le sang... au secours, dit-il faiblement.

Saisi de terreur, je me redresse.

— Donne-moi ta position !

Il tousse, tousse et tousse encore et puis plus rien.

— Non...

Je rebrousse chemin et retourne près du bureau de mon père. C'est de là que semblaient venir les coups de feu. J'ouvre toutes les pièces sur mon chemin à la recherche d'Adam. J'entre dans une pièce où l'odeur de poudre et les balles dans le mur attirent mon attention. Trois hommes armés, mais morts reposent au sol. Mais ils ne m'intéressent pas. Je cherche Adam dans la pièce pour lui porter secours.

Une faible plainte attire mon attention vers un coin de la pièce où je remarque un corps, ainsi que la combinaison d'Adam. Le cœur cognant dans ma poitrine, je cours jusqu'à lui, le prends dans les bras et retire ma cagoule.

— Adam, je suis là... Adam, je t'en supplie, reste avec moi.

Je le retourne pour trouver l'origine de sa blessure et constate que ce n'est pas lui.

Ce n'est pas Adam.

Mon cerveau n'a pas encore traité l'information que je sens une main se saisir de mes cheveux et une lame se poser sur mon cou. Quelques secondes s'écoulent, le temps que je comprenne que c'est la main d'Adam qui tient la lame et que je me suis fait piéger.

Je déglutis.

— À quoi tu joues, Adam ?

— Au jeu de The Players.

— Quoi ?

— La mission avant tout.

— En quoi ceci serait ta mission ? Tu devais éliminer les Ricci.

— Bah j'ai une mauvaise nouvelle à t'annoncer, Ricci.

Je réalise mon erreur. Celle d'avoir cru qu'il me faisait confiance comme moi je lui ai fait confiance.

— Tu sais très bien que je ne m'incluais pas dans la liste des cibles. Ça n'a rien à avoir avec la mission... c'est personnel, pas vrai ?

— Démasqué. C'est vrai que t'es intelligent ! s'exclame-t-il, son sarcasme à peine voilé.

— Tu n'as donc aucune loyauté ?

— Ma loyauté est pour The Players et mon Roi uniquement.

— Tu ne sais même pas de qui il s'agit.

— Pas pour très longtemps, grâce à toi.

Merde... je sais que le défier en duel ne fonctionnera pas de nouveau. Je ne peux même pas tenter de lui proposer ce que je sais sur son père et sur le Roi. Pas après lui avoir tant révélé au cours des derniers jours. J'ai perdu l'avance que j'avais sur lui et je me retrouve à genoux, une dague sous la gorge et sans rien pour négocier ma survie.

— Tu commets une grave erreur Adam. Heidi ne te le pardonnera jamais.

Il ne répond rien.

— Adam...

Toujours rien. Sa prise autour de mes cheveux se resserre et il applique une pression plus forte sur ma peau que la lame taillade légèrement. À court d'idée pour m'en sortir par le simple dialogue, j'essaie de le désarmer pour prendre la fuite, mais il ne m'en laisse pas la moindre chance. D'un coup de genou sur la blessure à mon épaule, il stoppe ma tentative d'évasion qu'il réprime en prenant ma tête et en la cognant à mainte reprise contre le sol.

Il la relève en tirant mes cheveux et replace la lame sous mon menton. Je suis trop sonné pour comprendre ce qu'il se passe, mais je le sens s'approcher de ma tête, de mon oreille et me chuchoter :

— Longue vie au Roi.

Puis je sens la lame ouvrir ma gorge, sa main relâcher mes cheveux, ma tête rebondir au sol. Je vois ses bottes, ses jambes s'accroupir et son visage disparaitre dans un tunnel noir et sombre.



Il convulse quelques instants alors que son sang se répand sous son corps jusqu'à moi. La souffrance suite à ma trahison se lit encore sur son visage qui m'implore de lui venir en aide. Mais même si j'avais voulu, ce qui n'est pas le cas, je ne pourrais rien pour lui. J'attends qu'il cesse de bouger et quand la lueur dans ses yeux disparait, un sourire gagne mes lèvres.

Je sifflote l'air de ce film pour enfants et ferme ses paupières.

Je me sens alors libéré du poids de la haine que je lui porte depuis que j'ai découvert ce qu'il a fait à Heidi. Même si je me suis servi de l'amour sincère qu'il me porte pour le tuer, je n'ai pas le moindre remords. Je m'apprête à me lever pour quitter cette demeure et cette île lorsqu'un cliquetis me parvient et ce que je devine être une arme à feu se pose à l'arrière de ma tête. Je fige.

— Bouge et je t'éclate la cervelle, menace une voix féminine et autoritaire derrière moi.

Une voix que je ne pourrais pas ne pas reconnaitre, pas après l'avoir entendue scander mon nom une nuit durant.

Serena...

Je croyais que Leonardo et moi avions fini de tuer les invités du pavillon, mais maintenant que j'y songe, nous n'avons pas croisé Serena pendant le massacre.

Merde.

Défiant son ordre, je me lève.

— Je suis sérieuse, je vais te-

Quand je me tourne vers elle son air assassin se décompose alors qu'elle me reconnait. Ses sourcils blonds se rencontrent et sa poitrine se soulève plus rapidement.

— Adam...?

Son regard hagard se promène dans la pièce, à la recherche d'élément pour expliquer le choc qu'elle ressent. Elle regarde l'homme au sol, le corps de Leonardo sans une marre de son propre sang et ses yeux reviennent vers moi et mon uniforme. Ma prise se resserre autour de la dague que je tiens alors que déjà je planifie comment je vais la désarmer et la tuer, surtout maintenant qu'elle a vu mon visage.

— Alors c'était vrai...

C'est mon tour de froncer les sourcils.

— Pendant la fête, quand tu m'as laissée toute seule, mon père est venu me chercher. Il était en colère, il n'arrêtait pas de me demander où tu étais et qu'est-ce que je faisais avec toi.

Je me rappelle alors que j'étais l'homme le plus recherché de l'île il y a encore quelques heures et que Serena est la dernière personne avec qui j'ai été vue, autre que Ricci. À mon tour alors, je l'analyse. Je remarque les bleus et les plaies sur son corps.

— Je leur ai dit que je ne savais pas de quoi ils parlaient. Ils ne m'ont pas crue alors lui et mes frères m'ont battue pour que je leur dise où tu étais... Alors c'est vraiment toi, le Joker.

Je relâche ma prise autour de l'arme que je tiens.

— Oui, admis-je, ne voyant pas l'intérêt de lui mentir après qu'elle ait déjà tant souffert de mes mensonges. Et j'ai tué mon rival, ajouté-je.

Elle regarde le cadavre de Leonardo.

— Ton... ton rival ? Celle que tu aimes-

— Heidi. J'aime Heidi.

Elle finit par comprendre et baisse son arme, à ma plus grande surprise.

— Toi aussi alors ? constate-t-elle, la tristesse et la jalousie dans la voix.

Je hoche la tête. Quelques secondes de silence accueillent sa réalisation, mais voyant le temps avancer, je lui avoue :

— Je dois te tuer.

Je dois tuer tous ceux qui savent.

Elle semble le concevoir, car elle n'oppose pas de résistance, elle ne semble même pas surprise. C'est la fille d'un mafieux, les exécutions de ce type, elle doit y être habituée. Tout de même, j'attendais un peu plus d'instinct de survie de sa part. Au lieu de cela, elle laisse son arme tomber, me tourne le dos et place ses parfaites boucles blondes sur son épaule droite, me présentant sa nuque.

— Vas-y.

Sans me faire prier, je m'approche d'elle, prends son délicat visage dans l'une de mes mains gantées et le soulève de manière à placer sa lame juste en dessous de ce dernier.

— Je suis désolé Serena...

— Ne te sens pas mal. Si tu ne le fais pas, je finirai par le faire moi-même. J'avais déjà prévu de le faire quand ma famille m'a reniée, je ne suis plus rien depuis. Maintenant qu'ils sont morts, je n'ai plus rien non plus. Alors fais-le, s'il te plait.

— Très bien.

Mais au moment de l'égorger comme je l'ai fait sans la moindre hésitation avec cet enfoiré de Ricci, je ne trouve pas la force de procéder. La haine dont je me servais pour bâillonner ma morale et ma culpabilité n'est plus maintenant que j'en ai tué la source. De toute façon, ma main tremble trop, si je rate, elle mourra lentement et dans la souffrance.

Je baisse la lame et la glisse dans sa main.

— Adam-

Elle frissonne lorsque mes lèvres se posent à la base de sa nuque délicieuse.

— Tu n'es pas rien, tu es Serena Albertini. Et maintenant que ton père et tes frères sont morts, le clan te revient de droit, princesse.

Je peux sentir son pouls accélérer contre mes lèvres alors qu'elle acquiesce. Je décolle mon corps de son dos et recule. Je vais chercher le matériel que j'ai laissé près du corps qui m'a servi à piéger Leonardo Ricci et remets ma cagoule. Je me dirige ensuite vers la fenêtre et au moment de sauter vers l'arbre sur lequel elle donne, la voix de Serena m'interpelle :

— Elle reste ma rivale.

Je m'arrête dans mon élan et sourit en comprenant ce que ça implique.

— Je sais.

Je saute en direction de l'arbre, saisit une branche et m'en sert pour amortir ma chute de trois étages. Ma mission achevée, je quitte la demeure, puis l'île et m'empresse de retourner aux États-Unis avec un seul nom en tête.

Heidi.

La porte s'ouvre dans un prodigieux fracas et à peine les officiers de police apparaissent-ils dans mon champ de vision que je tire en leur direction, les abattant les uns après les autres. Je sors de la pièce et prends la direction inverse de celle des voix de leurs collègues, avertis par les coups de feu. Bien que j'ai mémorisé les plans du bâtiment avant la mission, Sky m'indique le chemin le plus court vers l'une des portes de service que la police n'a pas encore condamnées. Je sors du bâtiment une petite minute plus tard et me retrouve dans une ruelle.

— Je suis sortie.

— Un véhicule noir t'attend à ta droite.

Je regarde, n'en vois aucun, mais bientôt, une voiture noire apparaît entre deux bâtiments et s'arrête. La portière arrière s'ouvre d'elle-même.

— Qui est au volant ?

— Moi, répond Sky.

Je me dépêche de me rendre jusqu'au véhicule où je jette mes armes et mon matériel avant de me glisser à l'intérieur au moment où la porte que j'ai empruntée s'ouvre. J'entends tirer, mais aucune balle ne traverse la carrosserie ou les vitres. La voiture sans chauffeur quitte la ruelle et s'élance dans l'avenue de manière si furtive qu'aucune patrouille de police ne se lance à notre poursuite.

L'avatar de Sky apparaît sur le tableau de bord.

— Les données.

Je me tortille pour atteindre le port USB sur tableau de bord et y insère la clé. C'est une règle. Il faut transmettre les données le plus vite possible, au cas où l'un d'entre nous se ferait prendre et devrait se suicider.

— Merci, dit-elle quand le téléchargement se termine.

— De rien, c'était un jeu d'enfant, dis-je en essuyant le sang sur mon visage.

— Tu deviens de plus en plus compétente. C'était ta huitième mission en solo sans la moindre erreur. À ce rythme, tu auras autant de victimes que Senri.

Je souris à mon reflet dans le rétroviseur, consciente que je ne pourrais pas atteindre le nombre de victimes de Senri si l'on me donnait sept vies. Mais il est vrai que mon tableau de chasse s'est alourdi ces derniers mois.

Après le départ d'Adam et Leonardo, je me suis jetée à corps perdu dans les missions pour noyer ma peine et oublier ma solitude. Vous savez cette envie de meurtre après une séparation qu'on ne peut pas assouvir et bien moi je l'ai fait. Je n'ai accepté que des missions d'assassinat, préférablement des hommes que je pouvais imaginer être Leonardo ou Adam. Les données que j'ai volées ce soir n'étaient qu'un bonus.

Ces trois longs mois seule m'ont apporté une certaine paix intérieure. Je ne passe plus mon temps à me demander ce qu'Adam ou Leo pense, aux secrets que je cachais à Adam, au danger que représente Leonardo. J'ai découvert que le célibat qui me terrifiait tant est en fait agréable et avec le temps, ma peine s'est transformée en colère. Maintenant, je ne veux plus rien savoir d'eux.

Où qu'ils soient, ils peuvent rester crever là-bas.

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