16. Lemon

C'est chaud... chaud et doux... c'est rassurant aussi... j'ai l'impression d'être de nouveau petit garçon dans les bras réconfortant de ma mère.

J'ouvre les yeux pour découvrir la source de ce bien-être incommensurable et tombe sur ces iris noisette qui parcourent les miens avec bienveillance. Je les reconnais et tout prend sens ; la douceur, la chaleur, la vie.

— Ma Reine...

Comme toujours, ce surnom lui donne le sourire. Son nez légèrement aplati se retrousse et d'adorables rides forment un v entre ses sourcils. Je ne résiste pas à glisser ma main derrière sa tête à travers ses cheveux pour approcher son visage du mien et déposer un baiser sur son nez si parfait. Je sens sa jambe nue se lever et venir se poser sur mon corps qui comme le sien n'est recouvert que d'une couverture blanche. Ses doigts délicats qui caressaient mon visage descendent jusqu'à ma poitrine quand je passe de son nez à ses lèvres. Puis, sa main va se perdre plus bas dans mon anatomie et d'un regard insistant, elle me communique ce qu'elle désire.

Mon cœur palpite et mon sexe suit la cadence quand elle fait mouvoir sa main autour d'elle.

— Hmmm Heidi... râlé-je tant ses touchers sont bons.

Mes doigts vont eux aussi trouver entre ses cuisses leur place et au premier contact, elle couine, frémit et mord mon lobe d'oreille. Ma résolution de jouer de son corps meurt, étouffée par mon désir, par le besoin de ne faire qu'un avec elle.

Je me redresse, me saisit de ses poignets que j'épingle au-dessus de sa tête et grimpe sur son corps. Je la laisse aux prises à l'hilarité et quand ses yeux reviennent à moi et moi seul, ma main libre prend son bassin et le conduit jusqu'au mien. Son souffle est coupé lorsque je la pénètre de toute ma longueur et ses jambes se crispent autour de moi, m'interdisant de la quitter.

Comme si je pouvais le faire alors que je viens de gouter au velouté de ses entrailles. Je me meus en elle, consumé par le brasier du plaisir, le visage baignant dans les délicieuses eaux de son cou jusqu'à ce que la tension croissante lâche. Mon corps s'écroule sur le sien recouvert d'une pellicule de sueur. Je reprends mon souffle et baise sa nuque, m'attardant sur les petites boucles derrière son oreille.

Ses bras flattent mon dos là où elle a précédemment planté ses ongles, m'enveloppant de nouveau de cette chaleur.

— Je t'aime, soufflé-je.

— Moi aussi, je t'aime.

J'ai entendu les mots que voulais, mais pas la voix que j'espérais. Je prends un peu mes distances pour regarder Heidi, mais ce n'est plus elle, mais Leonardo Ricci qui est lové dans mes bras.

Buongiorno, luce dei miei occhi, susurre-t-il.

Je pousse un cri d'effroi, le pousse loin de moi et recule jusqu'à tomber du lit où je me trouvais. La tête à l'envers, j'entends son rire grave résonner.

C'est quoi ce bordel?!

Je place mes bras des deux côtés de ma tête et pousse sur le sol pour me propulser dans les airs, atterrir sur mes jambes et me mettre en position de combat. Leonardo qui est toujours allongé sur le lit hausse un sourcil avant d'applaudir.

— Impressionnant ! T'as d'autres tours comme ça ?

— Tu me prends pour un animal de cirque ?

— Non, les animaux de cirques sont domptés, toi tu ne l'es pas... pas encore.

Le regard qu'il me lance en disant cela me donne la chair de poule et je me mets encore plus sur mes gardes.

— Qu'est-ce qu'il s'est passé ? On est où là ? Qu'est-ce que tu faisais dans mes bras, espèce de pervers ?!

— Il s'est passé que tu as failli te tuer en te jetant de la falaise, nous sommes actuellement dans ma chambre. Je suis resté dormir avec toi cette nuit pour m'assurer que tu ne ferais pas une noyade secondaire et puis c'est toi qui m'as pris dans tes bras. Et tu es si fort, je n'ai eu d'autre choix que d'accepter mon sort, conclut-il théâtralement.

Ces explications me calment un peu et je regarde les alentours. En effet, nous sommes dans une somptueuse chambre. Petit à petit, les souvenirs de la soirée d'hier me reviennent en mémoire. La vague, la chute, le combat et le confinement de l'île.

— Il faut que je quitte l'île... me rappelé-je.

— Nul besoin. Personne ne viendra te chercher ici et mon père doit être convaincu que tu as déjà quitté l'île. Tu as une réputation de maître de l'évasion.

Ses explications n'éclaircissent pas toutes les zones d'ombre, en fait, un tas de questions affluent dans mon esprit. Je pose la plus importante.

— Pourquoi ne pas m'avoir livré à lui ?

Il me fixe en silence avant de se lever, un rictus accroché aux lèvres.

— Il est 10h passé. Prends une douche, habille-toi et viens me rejoindre sur la terrasse.

Après son commandement à peine voilé, Ricci me tourne le dos et se dirige vers le balcon. Je le vois disparaître à mesure qu'il descend les escaliers menant à la terrasse dont il m'a parlé.

Je demeure là, hébété.

Comment est-ce que je me suis retrouvé dans son lit, qui plus est dans ses bras ? Mon dernier souvenir date d'hier soir. Je chutais, j'ai senti mon corps fouetter l'eau aussi dure que la brique, j'ai cherché l'air, je suis remonté à la surface, j'ai vu cette vague sur le point de s'abattre sur moi et...

Plus rien.

J'ai dû heurter un rocher et perdre connaissance. Ce qui veut dire que...

Il m'a sauvé de la noyade...

Je finis par me détendre et inspecte sa chambre. Elle est immense et richement décorée, mais rien n'indique qu'il s'agit là de la sienne. Pas de photo, pas de poster et je doute que ce style corresponde à Leonardo. On dirait plus une chambre d'un hôtel de luxe qu'il occupe pour une durée limitée.

Tant bien que mal, je me dirige vers une porte qui mène à une salle de bain attenante. Je ferme la porte à clé et vais me positionner devant le miroir pour constater l'ampleur des dégâts de cette chute sur mon corps.

Je défais les bandages qu'il a dû me faire durant mon sommeil et révèle les taillades et les contusions qui me font souffrir au moindre mouvement. La plupart viennent de mon combat contre lui, seules la plaie à l'arrière de ma tête et l'énorme ecchymose dans mon dos proviennent de ma chute. Je touche ma lèvre fendue et jure.

— S'il n'y avait pas eu cette satanée falaise, je lui aurais broyé sa cervelle de surdoué.

J'inspire un bon coup pour apaiser mon courroux, m'éloigne du miroir, retire mes vêtements non sans réaliser qu'il me les a également enfilés et vais sous la douche. L'eau, bien qu'elle est froide, brûle mes plaies encore sensibles alors qu'elle me lave de mon sang et de ma sueur. Pendant ma douche, mille et une questions se bousculent dans ma tête.

Pourquoi n'a-t-il pas averti les siens de ma présence pendant leur rencontre au sujet de The Players ?

Pourquoi leur avoir quand même dit que j'étais présent sur l'île ?

Que prépare le clan Ricci contre nous ?

Comment son père a-t-il su pour Heidi ?

Pourquoi m'a-t-il sauvé alors que je suis venu le tuer ?

Pourquoi veut-il que je le rejoigne dehors ?

Réalisant que ces questions n'auront sans doute de réponses que si j'obtempère et le retrouve dehors, je m'empresse d'en finir avec cette douche. J'en ressors les muscles moins endoloris et plus éveillé. Je quitte la salle de bain, laissant mes bandages souillés au sol et retrouve la chambre où des vêtements m'attendent sur le lit. Une chemise blanche et un pantalon de même couleur, tous les deux en lin et très amples, vu la chaleur.

N'ayant d'autre choix, j'enfile le pantalon et noue le cordon autour de mes hanches avant de me glisser dans la chemise que je boutonne jusqu'à ma poitrine. Ils sont parfaitement à ma taille, ce qui me laisse deviner qu'il connait mes mensurations.

Espèce de malade.

Je contourne l'énorme lit et gagne le balcon où Le Soleil brille, des effluves de fleur de citronnier et d'embruns me ravissent les narines et le son des goélands résonne au loin. Une matinée des plus exquise. Je ferme les yeux et inspire, profitant de la brise qui me caresse et secoue les tissus de ma chemise.

Lorsque je les ouvre, mon enchantement prend fin, car la première chose que je vois, c'est Ricci, plus bas, assis sur une terrasse non loin d'une piscine. Je ne peux pas voir ses yeux derrière ses lunettes de soleil, mais son sourire m'indique qu'il m'a vu me délecter de l'instant.

Je lève les yeux au ciel, pivote sur ma jambe gauche et descends les escaliers. J'arrive à son niveau.

— Bonjour Adam, chantonne-t-il. Bien dormi ?

Je le fixe, refusant d'entrer dans son jeu où il me traite encore comme son protégé. Il passe sa langue sur sa lèvre inférieure, elle aussi fendue. Maintenant que je suis plus près, je peux constater l'ampleur des dégâts que je lui ai infligés. Il a plusieurs ecchymoses, l'arcade sourcilière ouverte derrière ses points de suture, des bandages à quelques endroits et je le suspecte de porter des lunettes de soleil de si bon matin pour dissimuler le coquard que je lui ai laissé. Cadeau de la maison.

Le voir dans cet état me fait presque rire.

— Je ne vais pas te demander si tu as fait de beaux rêves. Je crois que ça je le sais déjà vu comme tu me serrais dans tes bras musclés, se moque-t-il en nouant les siens autour de son propre corps. Heidi, oh Heidi ! Je t'aime Heidi, ma Reine. Oh oui, Heidi !

— C'est bon on a compris.

Il éclate d'un rire sincère et je me sens rougir à l'idée non seulement qu'il m'ait entendu avoir un rêve érotique avec Heidi, mais qu'en plus je l'ai pris pour elle. Combien de temps m'a-t-il laissé le prendre dans mes bras ? Lui intimer que je l'aime ? Je frissonne rien que de penser à lui m'observant en train de dormir.

— N'aie pas honte. Mieux que quiconque, je te comprends, crois-moi. Elle a ce je ne sais quoi qui la rend addictive et te fait perdre la raison.

Je reconnais tout ce qu'il me dit là. Elle est addictive. Comme une drogue que l'on sait nocive, mais qui nous offre des piques de dopamine inouïe. Mais pour rien au monde je ne lui donnerais le plaisir d'être sur la même longueur d'onde. Face à mon refus de répondre, Leonardo m'indique la table couverte d'une nappe d'un blanc aveuglant.

J'y vois ce qui ressemble à un déjeuner. Du pain, des fruits frais, de minuscules pots de confitures faites maison, du jus pressé, du fromage de chèvre et du miel. Il y a également du café, de la crème et tout le reste.

— Joins-toi à moi, s'il te plaît.

— Il ne me plaît pas.

Il inspire longuement. On dirait que mon attitude commence à l'exaspérer ; très bien.

— Qu'est-ce que tu veux, Adam ?

— Tu sais très bien ce que je veux.

— Me tuer ? C'est vraiment tout ce que tu veux de moi, alors que je peux t'offrir tellement plus ?

Comment tellement plus ? Je songe à ce que je pourrais souhaiter de lui, autre que sa mort.

— Des réponses. Je veux des réponses.

— Eh bien pose tes questions qu'on en finisse. Tu en as droit à cinq, je ne répondrai que la vérité, pour le reste je ne te garantis rien, dit-il en croquant dans une figue.

— Tu as connu mon père ?

Il hoche la tête.

Je m'apprête à lui demander ce qu'il lui est arrivé, mais réalise que j'ai des questions plus importantes et lui des réponses limitées.

— Qu'est-ce que tu sais sur The Players ?

— Presque tout.

— Qui est le Roi ?

Comme quelqu'un qui savait pertinemment que cette question allait venir, il fouille dans sa poche et sors une carte.

— Qu'est-ce que c'est ?

— C'est une carte d'accès au 21.

— Le 21 ?

— Un casino clandestin. Tu y trouveras votre Roi.

Un casino ?

— Mais-

— Il te reste une question.

Une seule question à laquelle il n'aura pas le choix de répondre honnêtement. J'en ai en fait plusieurs, mais elles se résument en un seul mot.

— Pourquoi ?

Il soupire.

— Parce que je l'aime.

Je ris jaune.

— Menteur. Tu ne l'aimes pas.

— Qu'est-ce qui te fait dire ça ?

— Si tu l'aimais véritablement, tu ne l'aurais pas traitée comme tu l'as fait alors que vous étiez encore ensemble. C'est à peine si tu lui donnais l'heure.

— Tu as entendu la même chose que moi hier non ? Mon père n'aurait pas manqué une seule chance de se servir d'elle contre moi. La tenir à l'écart c'était la protéger.

— Dans ce cas, pourquoi ne pas simplement mettre fin à votre relation ?

— Je te retourne la question.

— J'y ai mis fin moi.

— Ce n'est pas l'impression que j'avais quand tu la baisais dans ton sommeil. Laisse-moi deviner, ton plan c'était de me tuer et de rentrer la rejoindre. Je me trompe ?

Je me tais.

— Tu vois que ce n'est pas si facile que ça. Moi aussi j'ai essayé de tout arrêter avec elle. Pourquoi penses-tu que je t'ai aidé à la conquérir ? J'espérais que ce soit elle qui me quitte parce que je savais que je n'y parviendrais jamais, moi. Elle me rend faible et irrationnel.

— Et une fois qu'elle t'a quitté, pourquoi l'avoir manipulé pour qu'elle retombe dans tes filets ?

— Je ne l'ai pas manipulée.

— Ah non ?

— Non. Elle est revenue d'elle-même.

— Tu l'as fait chanter en la menaçant de me balancer pendant des mois. Moi j'appelle ça de la coercition.

— C'était du bluff. Ce n'est pas de ma faute si elle a été assez crédule pour croire que je pourrais te faire le moindre mal.

— À d'autres. Tu la connais comme ta poche, vu que tu abuses d'elle depuis qu'elle est mineure. Tu as toujours eu ce contrôle malsain sur elle. Tu savais qu'elle le ferait.

Il me fixe longtemps derrière ses verres fumés, l'air contrarié. Puis, ses lèvres se fendent dans un sourire alors qu'il laisse tomber le masque.

— J'avoue, concède-t-il avant de lécher le jus de figue sur le couteau dont il s'est servi. Elle a toujours été ma marionnette, ma petite menteuse, ma Pinocchio.

Sale pervers.

Je serre la chaise en osier pour me retenir de lui faire bouffer son sourire alors qu'il n'exprime pas le moindre remords après avoir manipulé Heidi.

— Mais ces derniers temps, elle est devenue plus indépendante, plus instable et imprévisible. Si je suis parvenu à mes fins, c'est uniquement parce qu'elle t'aime tellement qu'elle a paniqué.

Quand il dit cela, ma rage diminue, mais pas ma méfiance.

— Elle ne m'aime pas. Sinon elle n'aurait pas fait ça.

— Elle l'a fait parce qu'elle craignait pour ta vie. Elle aurait fait n'importe quoi pour toi et le fait que tu en doutes me laisse perplexe.

Il ment...

Je veux croire qu'il me ment. Mais je repense à Heidi me suppliant chez moi de l'écouter, essayant de m'expliquer les choses sans trouver les mots justes. Je l'entends me répéter qu'elle m'aime et commence à douter. Si elle est sa marionnette comme il l'a dit, puis-je vraiment lui en vouloir pour ses actions ?

— Et toi tu l'as abandonnée.

— Je ne l'ai pas abandonnée.

— Ah non ? demande-t-il, l'énervement dans sa voix qui jusqu'ici était enjouée. Alors qu'est-ce que tu fiches ici ? Oh c'est vrai ! Tu es venu te venger, donc tu l'as laissée toute seule, sans défense, à l'autre bout de la terre alors qu'elle est plus que jamais à risque parce que tu l'as entraînée dans ta putain d'organisation terroriste.

Je fronce les sourcils. Il est vrai qu'en recrutant Heidi, en faisant d'elle la Reine, j'ai également fait d'elle la cible de tous les ennemis de The Players. Dont les Ricci et toute la putain de pègre italienne maintenant. Elle a certes acquis quelques compétences de combat, mais manque cruellement d'expérience.

Elle est le maillon faible du groupe.

— J'ai passé ma vie à la tenir à l'écart de la menace qu'était mon père et mes ennemis, je me suis tué à lui donner une adolescence normale, un encadrement strict pour combler le vide qu'a laissé le divorce de ses parents et l'alcoolisme de sa mère. Tout ça pour que tu débarques dans sa chambre, la prenne en otage et fasse d'elle ta Bonnie. Comme si ça ne suffisait pas, tu mets constamment sa vie en danger ; tu la ramènes dans des missions auxquelles elle n'est même pas censée participer, tu l'as laissée seule dans le repère des Hunters et elle a failli y passer. Est-ce que tu savais que le FBI a son ADN ? Une seule erreur et ils la coffrent, poursuit-il en écrasant le fruit dans sa main.

Le vent se lève et souffle sur moi le remords. Je prends conscience de ce que j'ai fait. J'ai placé une épée de Damoclès au-dessus de sa tête.

— Si tu savais combien de fois je me suis retenu de te faire la peau en la voyant sérieusement blessée à cause de toi et de ton insouciance. Mais pour une fois, j'ai décidé de ne pas intervenir, de ne pas la contrôler, de la laisser faire ses choix. Elle t'a choisi toi. C'est pour ça que je suis parti l'esprit en paix, parce que malgré tous les risques que tu lui fais prendre, tu restes le Joker. Je savais qu'avec toi au moins, elle était en sécurité. J'ai renoncé à elle, je te l'ai confiée, Adam. Alors je te le redemande ; qu'est-ce que tu fiches ici ?

Je baisse la tête. Ma détermination et ma rage s'égrainent et coulent dans le sablier de ma bêtise alors que le temps s'étire. Leonardo saisit un linge blanc avec lequel il essuie le jus qui a ruisselé le long de son bras.

— Assieds-toi Adam, que je te dise ce qu'un homme, un vrai.

— Va te faire voir.

Ricci soupire, se penche au-dessus de la table et se saisit d'un couteau. Aussitôt, je me mets sur mes gardes. Il le remarque, ça le fait sourire.

Il se moque de moi cet enfoiré...

Puis il attrape un des énormes citrons sur la table et se met à le peler, m'ignorant pendant deux longues minutes. Alors j'ose approcher et m'asseoir en face de lui. Le soleil de Capri se reflète dans ses verres fumés alors qu'il glisse un pot en ma direction.

— C'est quoi ? demandé-je méfiant.

— Scorze candite di limone. De la pelure de citron confite. Ma mère adorait en faire l'été et Heidi en raffole. Ce n'est pas trop sucré et elle sort du frigo.

Je le toise lui et sa confiserie qui, je le reconnais, semble alléchante et rafraîchissante avec cette chaleur.

— Je ne suis pas venu-

— Oui, oui, tu es venu me tuer, j'ai compris. Goûte, je l'ai faite moi-même, insiste-t-il enthousiaste.

Sa colère d'il y a quelques secondes s'est envolée. Moi je me sens encore mal après qu'il m'ait mis face à l'erreur que j'ai commise en laissant Heidi sans défense, alors pour la première fois, j'obéis. Me servant de la petite cuillère à ma droite, je prends une bouchée. Il me regarde faire souriant.

— C'est bon ?

Je détourne les yeux avant de hocher la tête. C'est tellement bon que mon ventre vide depuis près de 24h en redemande bruyamment. Je peux presque voir ses yeux pétiller.

Sans plus attendre, il coupe une tranche de pain qu'il tapisse de fromage frais et de la confiserie avant de la tendre vers moi en disant « ahhhhh~ ». Je le toise lui et sa bouchée, refusant de m'adonner à cela.

— Fais-moi plaisir et mange, ordonne-t-il plus sévère.

Je laisse mon ego de côté, ouvre ma bouche, le laisse y glisser la bouchée qu'il a préparée pour moi et mâche.

— Bon garçon...

Je lui lance un regard assassin et son sourire s'étire. Ce qui m'énerve par-dessus tout, c'est le plaisir que je tire de ce commentaire. J'ai l'impression d'être celui que j'étais il y a quelques mois. Celui qui aurait tout fait pour le rendre fier, pour qu'il me complimente sur le terrain ou en cours, pour être son favori. Je ne saurais l'expliquer, lui faire plaisir à quelque chose de gratifiant.

Il dépose le reste de la tranche de pain sur mon assiette pour que je me nourrisse moi-même. J'avale mon premier repas depuis plus de 24h sous son regard satisfait. Il retire ses lunettes de soleil, révélant l'œil au beurre noir que je suspectais, se lève et quitte.

Il revient quelques secondes plus tard avec une boite contenant des pansements, des bandages et de l'antiseptique.

Alors que je mange, il s'affaire à refaire mes pansements dans le silence et avec une douceur qui m'ébranle. D'abord, je le regarde faire, méfiant et curieux à la fois.

Ses propres blessures ne sont toujours pas panser alors qu'il est dans un état plus déplorable que le mien après la raclée que je lui ai mise, ses mouvements semblent eux aussi douloureux, mais son seul soucis c'est mes blessures... c'est moi. Quand il verse de l'alcool sur une de mes plaies, un jurons m'échappe et je serre son épaule.

Je sens la raillerie arriver, alors je lui coupe l'herbe sous le pied.

— Un mot et je dis à Heidi que j'ai fait de toi ma pute hier.

Il reconsidère si sa plaisanterie en vaut la peine et se ravise. Leonardo souffle sur la plaie pour apaiser la brûlure avant de la recouvrir de bandage. C'est limite s'il ne dépose pas un bisou magique dessus.

— C'est fou comme tu lui ressembles, souffle-t-il, toujours à genoux devant moi.

Je le questionne du regard tout en mâchant.

— James, précise-t-il. C'est pour ça que je t'affectionne particulièrement.

Je ralentis la cadence de ma mastication, ne sachant pas quoi répondre à cela. Il m'avait déjà dit par le passé qu'il m'aimait, alors qu'on regardait les étoiles ensemble, maintenant je sais pourquoi. On dirait qu'il voue une admiration sans failles à mon père.

— J'avais l'habitude de déjeuner avec lui ici. Il s'asseyait juste là où tu te trouve. Ma mère, elle sautait toujours le déjeuner, ça lui levait le cœur de manger dès le réveil, l'odeur du café aussi. Alors en attendant, elle se promenait, elle s'asseyait au bord de la piscine et y trempait ses pieds, elle s'allongeait sur le gazon et lisait un livre, elle partait vers la colline cueillir des fleurs sauvages ou ramasser des coquillages sur la plage pour venir décorer notre table, dit-il, les yeux fermés, loin dans ce souvenir qu'il me partage.

Je promène mon regard sur la cour arrière, la pelouse, la piscine, la colline un peu plus loin et la mer au large en imaginant Giulietta Mancino faire ce qu'il vient de me décrire.

— Un jour James m'a demandé : Leo, à ton avis, qu'est-ce qu'un homme, un vrai ? Je lui ai donné la réponse que mon père aurait sans doute voulu entendre. Je lui ai dit qu'un homme se devait d'être fort et craint, qu'il ne devait pas avoir de faiblesse, qu'il ne devait jamais pleurer et devait se venger de ceux qui s'en prennent aux siens.

Il termine sa phrase en me regardant droit dans les yeux, pour que je comprenne qu'il parle de ce qui m'a poussé à venir ici.

— Il a secoué la tête. « Ça, c'est ce que ceux qui jouent aux hommes font », m'a-t-il dit. « Le pouvoir et la violence seuls ne feront jamais de toi un homme. Juste un monstre. »

— Qu'est-ce qu'un homme alors ? finis-je par demander.

Il sourit.

— « Un homme est celui qui fait tout ce qui est en son pouvoir pour protéger la femme qu'il aime. »

Je grimace, car je trouve ça trop mièvre et il pouffe de rire en même temps que moi.

— Je lui ai répondu que la femme que j'aimais c'était ma mère. Il a ri avant d'acquiescer et de me dire « dans ce cas, je compte sur toi pour veiller  sur elle quand je ne suis pas là. »

Son sourire s'envole presque aussi vite qu'il est venu.

— À l'époque, je croyais que c'était de mon père que je devais la protéger. Alors j'ai essayé d'être un homme et j'ai commis une erreur. Une seule... et ça a suffi pour que Violet la tue.

«Je l'ai butée et c'est très bien comme ça.»

— C'est pour ça que je te déteste, dit-il sans me lâcher du regard.

Un frisson me parcourt et je ne me sens plus en sécurité. Pas quand il tient ce couteau entre ses doigts comme il le fait maintenant. Ça aussi, il me l'avait dit alors qu'on regardait les étoiles.

— Je ne commettrai pas la même erreur. Je protégerai la femme que j'aime coûte que coûte. Et toi, Adam. Qui est la femme que tu aimes ?

La femme que j'aime...

— Heidi.

— Qu'es-tu prêt à faire pour la protéger ?

— Absolument tout.

Il m'examine de longues secondes, pour s'assurer de ma sincérité et quand il semble convaincu, il lâche mes doigts. Moi je réalise que je ne suis pas ici à ma place.

C'est auprès d'Heidi que je dois être, pour la protéger.

Alors je me lève, prêt à partir quand sa voix m'interpelle.

— Où vas-tu ?

— Protéger Heidi.

— Non.

Je m'arrête et me tourne vers lui.

— Comment ça non ? Tu viens de dire-

— J'ai changé d'avis. J'ai besoin de toi ici.

— Besoin de moi ?

Il opine.

— Qu'est-ce que ça veut dire ?

— Ça veut dire que j'ai une mission pour toi, Joker.

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