14. Drown the pain away

J'entends une vague s'écraser contre les rochers au pied de la falaise, je sens l'odeur saline de la mer et celle du sol mouillé qui annonçait une averse. Je revois le ciel s'assombrir, le désespoir dans les yeux de ma mère, Violet tenant l'arme dans ses mains et puis j'entends le coup de feu. Je vois son sang gicler hors de son crâne, je le sens atterrir sur moi, chaud et visqueux. Je la revois chuter vers sa mort, son corps, fracturé et étendu sur les rochers, puis cette vague s'écraser et l'emporter.

Une autre vague s'écrase et me force à me rejouer la scène de l'exécution de ma mère alors que je me tiens à bonne distance, comme chaque fois que je reviens ici.

Cette falaise me terrifie.

Elle m'a toujours terrifié. Petit, c'était seulement la hauteur qui m'effrayait. J'admirais le courage de ma mère de s'y jeter pour se baigner, malgré le risque que les rochers posaient, malgré l'interdiction de mon père et les avertissements de James. Je me souviens du jour où il s'y était également jeté, la première fois qu'il l'avait vue sauter, de peur qu'il lui arrive quelque chose. Il n'avait pas hésité.

Je me disais qu'un jour moi aussi j'aurais son courage et sa force, qu'un jour moi aussi je sauterais de cette falaise, vaincrais ma plus grande phobie et deviendrais l'homme qu'il était.

Vingt ans plus tard, elle reste ma plus grande phobie.

C'est ironique. Moi qui ai toujours tenté de me suicider en me jetant de structures élevées donnant sur l'eau, pour la rejoindre, je n'ai toujours pas le courage de m'approcher du bord de cette falaise. Quand le son des vagues fracassant la roche devient trop clair, quand le bord devient trop près, le vertige trop intense et le souvenir trop vif, ma phobie prend le dessus et je recule.

Jamais je ne sauterai de cette falaise-là.

— Ricci.

Je me tourne vers Jay que je n'avais pas entendu s'approcher de moi. Derrière lui se dresse la résidence des Ricci. La maison où j'ai autrefois été heureux.

— Ils sont là.

Déjà? Ils ont vite rappliqué.

Mon regard se porte de nouveau vers le bord de la falaise et mon angoisse redevient maitre. À ma crainte se mêle l'appel du vide, celui auquel je résiste tant bien que mal depuis des années. Depuis qu'Heidi m'a supplié de ne plus recommencer.

Saute.

— Leo.

Meurs.

— Leonardo.

Va la rejoindre.

Voyant que je n'arrive pas à m'en détacher, Jay prend ma main tremblante et m'entraine loin, suffisamment loin pour que je reprenne le contrôle de mon corps et le suive jusque dans ma chambre où ils nous attendent.


Il est vrai que j'ai hâte de rentrer, mais je dois reconnaître que cette île a ses charmes.

L'afflux de touristes et donc de visages étrangers a rendu mon infiltration facile. Personne pour contester ma présence dans des endroits où je ne suis pas censé être. Lorsque c'est arrivé, il m'a suffi de faire semblant de ne pas parler l'italien comme ma langue maternelle et feindre d'être perdu pour être gentiment redirigé par les locaux.

J'ai donc eu tout le loisir de préparer mon attaque de demain soir sans réel obstacle. J'ai trouvé une façon de m'infiltrer dans la demeure lors de la soirée qui sera tenue par les Ricci.

Il ne me reste plus qu'à faire profil bas et attendre.

Je croyais que je pourrais le faire en observant ma cible, Leonardo Ricci fils. Mais ces derniers jours, comparés aux autres, il n'est presque plus sorti de sa chambre. Pourtant je l'y ai vu, enfin, sa silhouette derrière des rideaux, ainsi que celle d'autres personnes. Il s'est littéralement barricadé.

Tanné de le regarder ratisser la pièce comme si c'était un spectacle d'ombres, j'ai décidé d'arrêter de l'épier. De toute façon, à part nourrir ma rage, cela ne sert à rien.

Sauf que sans la rage, l'attente est longue. Je ne connais personne ici et je n'ai franchement pas le cœur à profiter des merveilles de Capri. Je ne veux pas bronzer, je ne veux pas barboter dans l'azur, je ne veux pas découvrir les spécialités culinaires ; je veux tuer Leonardo Ricci.

Alors comme ce soir, je ne trouvais pas le sommeil, j'ai décidé de me rendre dans un bar, dans l'espoir de boire suffisamment pour que le temps me semble moins long et que demain arrive plus vite.

Le souci c'est ma tolérance pour l'alcool. C'est sans doute à cause de ma stature et de mon conditionnement physique, mais j'ai besoin de boire beaucoup pour ressentir les effets que je recherche. Cette tolérance est utile en mission lorsque je dois faire semblant de boire avec une cible, tout en demeurant alerte, mais ce soir, c'est tout le contraire que je veux.

Je veux m'oublier.

Je veux noyer dans ma peine dans des litres de ces excellents alcools italiens aux fraiches notes d'agrumes.

Pour l'instant, tout se passe comme prévu. Je fais défiler les verres de cocktail en faisant un simple signe au barman que mon excès ne semble même pas déranger. Je les enfile à vitesse grand V et en redemande. Si bien que devant moi s'étend une petite assemblée de verre vide.

Il est déjà si tard.

La seule personne qui boit plus que moi ici, c'est cette femme blonde qui est arrivée quelque vingt minutes après moi. En plus de sa descente impressionnante, j'ai été étonné de la manière dont les gens la traitaient.

Elle semble être connue ici. Ce doit être une habituée de l'institution.

Depuis son arrivée, elle boit en versant des larmes qu'elle essuie aussitôt. Ses lèvres remuent comme si elle était en pleine conversation alors qu'elle est seule. De temps à autre, elle cogne sa tête contre la table en répétant des injures, traitant je ne sais qui de connard. Tous les hommes qui, attirés par sa beauté, ont tenté de l'aborder pour la draguer, se sont fait remballer de la manière la moins délicate possible.

Pas besoin d'être devin pour savoir qu'elle aussi est là pour noyer une peine de cœur. Ça me fait sourire.

— Qu'est-ce que tu regardes, toi ? demande-t-elle en italien.

Je quitte ma contemplation de ses lamentations lorsqu'elle m'interpelle, réalisant que j'ai été pris à la lorgner. Mon sourire se défait, je secoue la tête et pivote sur mon banc pour fixer mon verre.

— Hey, je te cause !

Je la zieute furtivement et répond en italien.

— Rien.

Au lieu d'en rester là, elle se lève et vient se placer à côté de moi. Puis, elle penche son corps pour se placer dans mon champ de vision.

— « Rien » ? C'est moi que tu appelles « rien » ?

Je soupire avant de secouer la tête.

— Je te regardais, passé-je aux aveux.

— J'ai vu ça. Tu souriais. Quoi, ça t'amuse les filles qui pleurent ?

— Non.

— Qu'est-ce qui était si drôle alors ?

J'avise s'il vaut la peine de lui dire la vérité et conclus que je n'ai rien à perdre.

— De me dire que tu es probablement ici pour la même raison que moi. Et aussi que tu as une vessie en titane puisque tu n'es pas encore partie aux toilettes depuis ton arrivée.

Sa colère s'envole et elle sourit de ses yeux d'azur en examinant mes verres devant moi, presque aussi nombreux que les siens.

— Ah oui ?

— J'y mettrais ma main à couper.

— Fais attention à ce que tu dis. Chez moi, ce n'est pas chose rare de couper la main du perdant d'un pari.

Le mot éveille mon intérêt et je pivote vers elle.

— Un pari ?

Elle hoche la tête en se mordant la lèvre inférieure.

— Tu dis que je suis ici pour la même raison que toi. Moi je dis que tu n'as aucune idée de pourquoi je suis ici-

— Peine de cœur ? la coupé-je, ennuyé et intéressé à la fois.

Elle ouvre la bouche comme pour protester, réfléchit quelques secondes et la referme.

— C'est si évident que ça ?

Je hoche la tête et elle geint, ce qui me fait sourire. Je lui indique la place à côté de la mienne. Elle tire la chaise, s'installe à ma droite et m'arrache mon verre des mains avant de le caler. Je la regarde faire sans rien dire. Le goût semble lui plaire, elle fait signe au barman de lui servir la même chose, mais au moment où le verre arrive je le lui confisque.

— N'as-tu pas assez bu comme ça ?

— C'est toi qui me dis ça ?

— Certes, mais j'ai bu moins que toi et je pèse beaucoup plus. Ce n'est pas raisonnable pour une femme de boire autant.

Elle lâche un rire amer et lève les yeux au ciel.

— Rien n'est jamais raisonnable pour une femme...

Sa voix vacillante me fait perdre de mon assurance. Ma faiblesse a toujours été les femmes qui pleurent.

— D'accord... on... on peut le partager, hein ?

Elle relève sa tête du comptoir collant et me présente son visage en larmes.

— Comme ça, c'est notre dernier verre à tous les deux.

Elle me fixe longuement, ses jolis sourcils froncés en signe de désapprobation de mon idée de partager un dernier verre, mais fini par hocher la tête, prendre une paille dans un de mes verres vides et la placer dans notre ultime verre. Tour à tour, nous faisons descendre la quantité de liquide, d'abord dans le silence. Puis, j'ose lui demander :

— Qui est le connard ?

Elle arque joliment un sourcil.

— Celui qui t'a suffisamment brisé le cœur pour que tu viennes faire le chiffrer d'affaire de ce bar à toi seule.

Elle ricane.

— Un homme qui a gâché ma vie.

— Gâchée ? Comment ?

— En piétinant mon cœur et en m'humiliant devant tous ceux à qui je tiens.

— Oh...

Comme elle ne me donne pas de détail, je n'en demande pas.

— Et, ça faisait longtemps que vous étiez ensemble ?

— On n'a jamais été ensemble autre part que dans ma tête. Mon amour était à sens unique.

— Aïe.

Elle touille le contenu de notre verre avec sa paille en acquiesçant, l'air pensif. Ses longs cils maquillés se rabattent sur ses pommettes striées de tache de rousseur qui ne rendent ses yeux que plus jolis. Mon regard s'attarde également sur son corps que je devine magnifique, même dissimulé derrière cette prude robe blanche. Sa voix est douce, un peu enrouée comme si elle revenait d'un concert. Avec son crucifix pendant au-dessus de ses seins libres sous sa robe, elle est le cliché de la parfaite petite Barbie italienne.

Quel genre de crapule briserait le cœur d'une telle sublime créature ?

— Je l'attends depuis des années.

Je cesse de la mater quand elle reprend.

— C'est vrai que je n'ai pas été parfaite, mais qui l'est ?! s'indigne-t-elle.

— Pers-

— Lui non plus n'a pas été parfait, alors pourquoi c'est à moi seule d'être disgraciée ?

Ok... c'est un monologue. Autant la laisser finir.

— Même si je suis allée voir ailleurs de temps en temps ça ne change rien à mon amour pour lui. C'est lui que je voulais moi, c'est lui que j'ai toujours voulu.

Je hoche la tête.

— Il croit quoi ? Que je n'ai pas eu d'autres prétendants ?! Il croit que c'était facile pour moi, d'attendre gentiment qu'il daigne poser un regard sur moi, autre que pour me baiser en cachette ?

— Euh...

— Et tu veux que je te dise c'est quoi le pire ?!

— Vas-y.

— Il est déjà amoureux. D'une autre fille. Une stupide Américaine en plus. Sans vouloir t'offenser.

— Oh ce n'est ri- attends, comment sais-tu que je suis américain ?

— Ton petit accent, dit-elle en anglais avec un accent italien.

— Oh...

Moi qui croyais mon italien parfait.

Je crois qu'elle a fini avec son charabia sans queue ni tête puisqu'elle se contente de boire en silence avant de me demander tout en regardant la glace fondre dans le verre :

— Et toi, quelle est la cause de ta peine de cœur ?

— Une trahison.

Sa curiosité piquée, elle me prête toute son attention. Je ne voulais pas trop penser à ça, à Heidi, à Leonardo, encore moins en parler... mais puisqu'elle est là, et m'écoute, j'en ressens le besoin, après des mois sans personne avec qui partager mon chagrin.

— J'étais amoureux... je suis amoureux.

— Et ?

— Elle m'a trompé.

— Un aussi beau garçon que toi ?

Je lui souris et hoche la tête.

— Avec qui ?

Rien que l'image mentale de ce malade me fout la rage.

— Son ex. Un stupide Italien. Sans vouloir t'offenser.

Cette fois, elle éclate de rire avant de retrouver sa mélancolie.

— Est-ce que... ça t'arrive de vouloir tuer la personne qui t'a pris celle que tu aimes ? De lui faire payer de te l'avoir volée ?

Si tu savais.

— Parfois. Toi ?

— Tous les jours. Je rêve de la tuer.

D'ordinaire, j'aurais soulevé l'extrémisme de cette méthode de se débarrasser d'une rivale. Mais je m'apprête à faire la même chose demain, alors je me garde bien de lui faire la leçon. Au lieu de cela, je lui lève un verre que j'avais presque vidé.

— Je te souhaite de parvenir à tuer ta rivale.

Elle fait de même.

— Je te souhaite de parvenir à tuer ton rival.

Nous trinquons et enfilons nos verres. Je demande l'addition, car il est vraiment temps que j'y aille. J'en ai déjà trop dit. Je règle la note et sors du bar avec elle. Quand elle me dit qu'elle ignore comment est-ce qu'elle va rentrer, je lui propose de la ramener chez elle, mais elle refuse. Apparemment, ce n'est pas rose avec sa famille ses derniers jours. Alors je lui offre de lui payer une nuitée dans l'auberge où je séjourne depuis quelques jours et elle accepte volontiers.

Titubants et hilares, nous marchons les quelques centaines de mètres qui séparent l'auberge du bar en deux fois plus de temps que nécessaire. Arrivés, je me dirige vers l'accueil pour lui payer une chambre. J'ai un peu de mal vu tout l'alcool dans mon sang.

— À quel nom ? me demande la tenancière.

— Euh...

Je la regarde et réalise que je ne lui ai même pas demandé son nom de toute la soirée.

— Serena Albertini, répond-elle.

Albertini... je jurerais connaître ce nom, mais ma tête tourne tellement que je n'arrive pas à me concentrer pour chercher ce qu'il m'évoque.

La tenancière tape son nom dans le système, prend ma carte et nous donne la clef de sa chambre. Je prends la main de Serena -quel nom délicieux- et la conduis jusque devant la porte de sa chambre qui se trouve sur le même étage que la mienne. Je dépose la clef dans sa paume.

— Bon... merci d'avoir partagé un verre avec moi. Bonne nuit, Serena.

— Bonne nuit, Adam.

C'est ce que nous nous disons, mais ma main n'a toujours pas lâché la sienne et elle continue à papillonner des yeux comme elle le fait depuis un moment déjà.

Elle veut.

Sincèrement, moi aussi. Elle est tout à fait genre... enfin, mon genre jusqu'à ce que Heidi entre dans ma vie. La dernière fois que je l'ai fait, c'était avec Heidi, juste après avoir regardé les étoiles avec Ricci, juste avant que tous les deux ne me brisent le cœur.

Moi qui cherchais une manière de faire passer le temps, ça serait excellent.

Seulement, je sais qu'elle est désespérée. Peut-être que l'alcool n'a pas suffi à noyer sa peine et qu'elle espère que baiser l'aiderait à oublier. Dans tous les cas, elle est vulnérable, je ne devrais pas accepter. Je ne devrais pas l'utiliser comme cet homme qui l'a rendu dans cet état, juste pour me vider les couilles.

Alors je secoue la tête. Elle comprend, se mord la lèvre et me lâche.

— Tu es un mec bien, toi. Ça se voit.

— Mer-

— Ça doit être pour ça que ça a été facile de te tromper.

— Pardon ?

Elle met sa main sur sa bouche.

— Désolée... ça m'a échappé. Je dis n'importe quoi. Bonne nuit.

Elle s'apprête à fuir après sa bévue, mais je la retiens.

— Attends, qu'est-ce que tu veux dire par là ?

Elle se tourne vers moi.

— Je veux dire que dans ce genre de situation, c'est toujours les gens bien qui finissent blessés par les connards et les menteuses. Être quelqu'un de bien ne t'apportera rien d'autre que de te faire enculer.

Les connards et les menteuses.

Leonardo et Heidi.

Je songe à ce qu'elle m'a dit. C'est vrai ça ? J'ai tout bien fait. J'ai été patient. J'ai compréhensif, j'ai été fidèle. J'ai été quelqu'un de bien et où est-ce que ça m'a mené ? Au final, on a fait de moi le dindon de la farce.

Mes yeux se voilent de larmes et deux gouttes cascadent le long de ma joue. En voyant que ce qu'elle a dit m'a blessé, Serena panique.

— Oh... Adam, je ne voulais pas-

Je gruge la distance entre nous, prends son visage dans mes mains et écrase mes lèvres contre les siennes. Elle ne se laisse même pas surprendre ; Serena me rend mon baiser avec autant de fougue que je l'ai initié. Quand je me lasse de sa bouche, je passe à son cou, à ses épaules et commence à défaire la bretelle de sa robe alors qu'elle nous conduit maladroitement jusqu'à sa chambre.

Et pendant toute la nuit, je déverse ma frustration, ma jalousie, ma peine et mon foutre en elle et avec chaque éjaculation, je sens ce qu'il restait de juste en moi me quitter.

Comme le récipient qu'elle est à mes yeux, Serena accueille ma noirceur, bras et jambes ouverts.

Au petit matin, elle tombe d'épuisement contre mon torse, me serrant comme si je ne venais pas juste de me servir d'elle. Au fond, peut-être qu'elle s'en fout. Et puis elle aussi elle m'a utilisé. Personne ne finit blessé.

C'est parfait comme ça.

Je donnerais tout pour être dans l'état de béatitude dans laquelle son dernier orgasme l'a laissée. J'aimerais tant m'oublier dans ses bras comme elle le fait dans les miens, mais le Soleil se lève et je réalise qu'on est demain.

Le jour J.

Ce constat dissipe le brouillard dans mon esprit. À présent désenivré, le nom que je n'arrivais pas à placer m'apparaît alors évident. Je fixe la femme blonde couchée paisiblement dans mes bras et réfléchis déjà à comment je pourrais encore me servir d'elle.


S'il y a une chose que je ne pourrais jamais reprocher à mon géniteur, c'est sa capacité à organiser de belles et grandes réceptions.

Il y a une heure, de depuis ma chambre j'assistais au cortège de berlines de luxe noires pénétrant l'enceinte de la demeure et à présent tous ceux qu'il a invités, c'est-à-dire toutes les familles affiliées de près ou de loin à la nôtre son répartis dans la salle. Les mafieux les plus redoutables sont accompagnés de leur femme, certains ont même osé amener leur maîtresse à la place. Elles discutent entre elles, alors que leurs maris échangent eux avec leur hôte.

Ne vous laissez pas berner par les festivités, les rires et la boisson. Il n'y a absolument rien à fêter.

Si mon père a organisé cette mascarade, c'est pour pouvoir réunir tous ces hommes influents sans lever de soupçons. Ainsi, d'un extérieur, il s'agit d'une réception, mais c'est plus un sommet qu'autre chose.

Un sommet ayant pour sujet l'élimination de The Players.

Mes joueurs préférés se sont vraiment attaqués à de gros poissons et pour que mon géniteur soit parvenu à tous les réunir ici, c'est que chacun d'entre eux sent la menace terroriste planer sur leur propre clan.

C'est pour ça que ce soir c'est l'opportunité parfaite pour accomplir ce que je prépare depuis des années. Et cette fois, contrairement à il y a vingt ans, je n'échouerai pas.

Je les tuerai tous.

— Leonardo !

Je reconnais cette voix, mais à peine me suis-je tournée qu'elle me saute au cou. Je manque de perdre l'équilibre mais me rattrape. Je referme mes bras autour de sa fine taille et la fait tournoyer, me délectant de ses rires. Puis, quand je la dépose par terre, ses magnifiques yeux gris se révèlent à moi.

— Bonsoir, Giulietta, dis-je en italien.

— Bonsoir Leo, me répond ma cousine.

Puis je réalise.

— Comment se fait-il que tu sois ici ?

— L'oncle Leonardo nous a invité papa et moi. Il a dit que tu serais content de me voir.

Mon cœur chute dans ma poitrine.

— Il est où ?

Elle pointe mon oncle, le frère de ma mère, qui s'entretient plus loin avec mon père. Je hoche la tête.

— Tu m'as tellement manqué ! Pourquoi ne viens-tu pas plus souvent ?

J'ébouriffe sa courte chevelure noire.

— Parce que je n'ai pas le choix Giulietta.

— Quoi, tu ne veux pas me voir ?

Je ricane avant de lui sourire, plus tristement que je ne l'aurais voulu.

— Tu es sans doute la seule personne que je veux voir ici.

— C'est vrai ? demande-t-elle toute souriante.

J'acquiesce avant de lui baiser le front et d'admirer une nouvelle fois son visage où je trouve tous les traits de ma mère et de ma tante Marina. Si seulement moi aussi j'avais pu ressembler aux Mancino... mais non, il a fallu que je sois l'indéniable clone de Leonardo Ricci. Il ne pourrait même pas me renier s'il le voulait. J'avais commencé la soirée de mauvaise humeur, mais l'unique présence de ma cousine a suffi à m'attendrir, malgré le mauvais augure qu'elle implique.

Je discute avec elle quelques minutes. Elle me raconte sa vie d'adolescente de 17 ans et je l'écoute comme si c'était ce qu'il y avait de plus passionnant.

Vraiment, ce l'est. Au moins, ça m'évite de parler avec les associés de mon père, réunis ici ce soir. Alors que je l'écoute débiter, je remarque Jay qui me fixe dans un coin de la salle. À son regard, je comprends qu'il veut me parler, alors je m'excuse auprès de Giulietta et vais le rejoindre.

— Elle ne devait pas être ici.

— Je sais, dit-il.

— Tu crois ça va être possible de le faire sans les blesser elle et son père ?

— On peut essayer, mais je ne peux pas te l'assurer. Veux-tu prendre le risque ?

Je tourne la tête et regarde ma cousine. Elle hausse les sourcils en me souriant l'air de me demander quand je vais revenir. Je me tourne vers Jay et perd mon sourire.

— Dis-leur qu'on annule.

— Compris.

Il recule et retourne dans l'ombre.

Des jours de planification, pour au final annuler. Je sais que Jay n'apprécie pas qu'on déroge au plan, il déteste les imprévus, mais il s'est gardé de me le faire savoir. Il sait combien je tiens à la famille de ma mère.

Il faut que je trouve un plan B et vite. Un moyen plus précis d'arriver à mes fins pendant que toutes les têtes que je veux sont encore agglutinées ici.

En scannant la pièce remplie de gens que j'étais prêt à sacrifier pour mes desseins, j'accroche le regard de mon père, qui malgré qu'il discute avec mon oncle regarde en ma direction, un sourire carnassier aux lèvres.

Lui aussi sait à quel point je tiens à ma cousine. Il est évident qu'il a compris que je profiterais qu'il est obnubilé par The Players pour passer à l'acte. En les invitant, il s'est assuré que je ne tenterais rien. Et là, il me défie. Il veut jouer avec moi.

D'accord.

Jouons.

— Leonardo.

Urghh... c'est vraiment pas le moment.

Je me tourne pour me retrouver en face de Serena qui, pour la première fois depuis que je la connais, porte une robe rouge-carmin. Mon exaspération s'envole face à la surprise et, je l'accorde, sa beauté.

Le rouge lui va bien, ses longs cheveux blonds contrastent si bien avec la couleur de sa robe et de ses lèvres. Et que dire de ses yeux !

Je suis transporté à l'été où elle m'a dépucelé.

— Bonsoir Serena, dis-je sobrement.

Elle ne me répond pas et se contente d'analyser les alentours.

— Tu n'as pas de cavalière ce soir ?

— Je croyais que c'était toi ma cavalière.

— Très drôle.

Je ricane avant de lui tourner autour et de prendre une de ses boucles blondes dans ma main que je porte à mon nez.

— Mais c'est que le rouge te va à ravir...

Elle me lance un regard meurtrier si intense que la tension crée une décharge dans mon pantalon. Je me dis que je pourrais peut-être la convaincre de me suivre en douce jusqu'à ma chambre comme au bon vieux temps, mais pour ça il faudrait que je me fasse pardonner ce que je lui ai fait au dernier dîner entre nos deux familles.

— Je suis désolé pour la dernière fois.

— De quoi ? D'avoir dévoilé notre secret ? D'avoir foutu en l'air la seule chose pour laquelle j'avais de l'importance ? De m'avoir humiliée devant ma famille et la tienne ?

— Non, de ne pas être passé dans ta chambre après. Vu comme tu me touchais sous la table, c'est clairement ce que tu voulais, non ?

Encore ce regard. Plus elle me déteste, plus l'idée de la faire me vénérer comme un dieu m'excite. Mon plan est tombé à l'eau et même si je le dissimule bien, ça m'enrage plus que Jay. J'ai besoin de canaliser ma frustration et je ne dirais pas non à ce que ce soit elle qui me divertisse.

Je réfléchirai mieux à un plan B avec ses lèvres rouges autour de ma queue.

— Je vois que les membres de ta famille te tiennent toujours à l'écart.

— La faute à qui ?

— La mienne, mais vois le bon côté des choses Serena, tu n'as plus rien à perdre.

— Qu'est-ce qui te dit que je n'ai plus rien à perdre ?

— La robe que tu portes. C'est ta manière de leur faire savoir que tu assumes ne plus être sa sainte que tu prétendais être.

— Alors tu penses que parce que je n'ai plus rien à perdre je vais te suivre pour qu'on baise ?

— J'espère, oui. Je veux dire, à moins que tu veuilles passer le reste de la soirée ici, seule, à subir le jugement de tous pour quelque chose qu'on a pourtant commis à deux.

Dans son regard, je vois la crainte de ce que je lui décris. Il faut croire que malgré son choix téméraire de robe, elle redoute encore les rumeurs qui doivent circuler sur elle. Profitant de cet instant de vulnérabilité, je lui tends ma main.

— Laisse-moi être ton cavalier et nous les ferons taire.

Elle considère ma main, ramène ses yeux à moi et je la regarde avec toute la douceur que je peux commander à mon visage d'adopter, pourvu que d'ici une heure elle me suce. Elle lève le bras et s'apprête à prendre ma main quand une voix résonne derrière elle.

— Elle a déjà un cavalier.

Mon cœur rate un battement quand j'entends cette voix. Je suis d'abord certain de l'avoir hallucinée. C'est pas possible, Adam est à l'autre bout du monde. Mais quand une paire de chaussures cirées se place près des talons de Serena, ma certitude n'en est plus une.

Je ne suis alors que terreur.

Je lève lentement la tête pour voir Adam prendre Serena par la taille et l'attirer à lui. J'en ai le souffle coupé, mon cœur bat de plus en plus fort et je commence à étouffer dans mon costume sur mesure.

Qu'est-ce qu'il fiche ici?!

Il est différent de la dernière fois que je l'ai vu. Ses cheveux blond polaire sont à présent dans une coupe qui lui donne un air de recrue de l'armée. Je ne sais pas si c'est moi, mais il a même l'air d'avoir grandi.

— Ça va ? Tu es pâle, s'enquiert-il auprès d'elle, m'ignorant totalement.

Elle hoche la tête en se tenant à lui. À la regarder jouer la demoiselle en détresse, on croirait qu'il vient de la sauver du grand méchant loup.

— Tu as encore la gueule bois ? demande-t-il presque dans un murmure.

Elle opine de nouveau.

— Tiens. Tu devrais aller t'asseoir quelque part.

Serena prend la bouteille d'eau qu'il vient de sortir de je ne sais trop où, parce que je suis presque certain qu'il n'en avait pas il y a une minute.

— Merci Adam.

— De rien. J'arrive.

Elle acquiesce, se hisse sur la pointe de ses orteils alors qu'Adam s'abaisse pour l'accoler à lui et échanger un baisé avec elle, sans se soucier du regard de tous les convives, dont la famille de Serena.

Et mon père.

Oh putain...

Oh putain...

Serena nous laisse, Adam la regarde alors qu'elle s'éloigne avant de reporter son attention sur moi. L'air bienveillant qu'il avait avec Serena il y a encore quelques secondes s'est envolé. Il fait un pas vers moi, de manière à me surplomber de sa taille et me forcer à lever la tête tandis que lui me regarde de haut.

James...

Non, ma mémoire me joue des tours. Il lui ressemble trait pour trait, mais ce n'est pas James. Celui qui se tient devant moi, à me quadriller de ses iris bleus électriques, le visage fermé à toute émotion, ce n'est pas Adam non plus...

Buona sera, coach. Le sono mancato?

C'est le Joker.

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