13. Look me in the eyes
— Je suis désolée Heidi.
Mon cœur se brise pour la énième fois. Comme chaque fois que je viens ici pour voir s'il est de retour.
— Non, ce n'est pas de votre faute. Hum... pourriez-vous-
— Je te ferai savoir quand il reviendra, oui.
— D'accord, merci. Encore désolée du dérangement.
Elle me présente un triste sourire avant de refermer la porte de sa maison qu'elle occupe seule depuis bientôt un mois. Depuis qu'Adam est parti sans rien dire à personne.
Je fais demi-tour et retourne dans ma voiture pour rentrer chez moi, le cœur serré, la crainte qu'il lui soit arrivé malheur grandissant en moi.
Lorsqu'après qu'il ait mis fin à notre relation j'ai tenté de le revoir, pour lui parler, pour mieux m'expliquer, demander son pardon à nouveau et que sa mère m'a informé qu'il lui avait dit qu'il allait s'absenter quelques jours, je ne me suis pas trop inquiétée. Avec ce qu'il venait d'apprendre, il est normal qu'il ait ressenti le besoin de se distancer de moi, de Leo, de cette histoire et même d'ici.
J'ai même d'abord cru à une mission qui demandait qu'il se déplace pendant plusieurs jours, mais Le Valet m'a dit qu'aucune nouvelle mission n'avait été assignée à Adam. Dans les faits, il avait prévenu qu'il serait indisponible pour les missions avant son retour.
J'ai bien sûr demandé à Sky si elle savait où il était et ce qu'il faisait pour refuser des missions, lui qui est accro à l'adrénaline que celles-ci lui procurent. Mais comme The Players ne se mêle pas de la vie privée des membres, elle m'a avoué ne pas avoir cherché à savoir ce qui allait occuper son temps.
Je me suis donc résigné à attendre qu'il revienne de je ne sais où dans quelques jours, qui sont devenus des semaines, qui sont devenues un mois entier maintenant.
Ça ne lui ressemble pas, de s'évaporer ainsi. Il a laissé derrière sa mère avec qui il est d'ordinaire surprotecteur, sa moto qui l'accompagne d'ordinaire tel un organe supplémentaire, a lâché son équipe qui a amorcé une saison estivale bien moins glorieuse que quand il occupait le terrain, n'a fait aucune mission.
Même sa mère commence à s'inquiéter.
« Il était devenu très agressif les jours avant son départ. Il ne parlait plus pendant les repas... il s'enfermait de longues heures dans sa chambre. Le jour de son départ, il est venu me dire au revoir et m'a laissé le prendre dans mes bras... en promenant mes mains sur sa tête, j'ai remarqué qu'il s'était rasé les cheveux. »
Entendre l'effet que ma trahison a eu sur lui m'accable de culpabilité. Lui qui a toujours été source de lumière, Le soleil dans la vie de tous ceux qui le connaissent s'est éteint.
Je l'ai vu à la manière dont il me regardait alors qu'il m'insultait de pute et de salope. Je l'ai vu alors qu'il me foutait à la porte de chez lui. Même sa mère a ressenti le changement dans sa personnalité.
Il était si pur... et je l'ai corrompu.
Leonardo et moi l'avons corrompu.
Leonardo l'a corrompu.
Combien même j'ai ma part de responsabilité dans tout ça, une part de moi ne peut s'empêcher de penser que Leonardo est le véritable responsable de cette situation. Il a tout orchestré, et ce depuis le début. Il s'est joué de moi, il s'est joué de nous avant de s'éclipser.
Je me retrouve seule avec mes remords et mes doutes, sans la moindre idée d'où ils se trouvent tous les deux.
Il me coûte de l'admettre, mais le départ de Leo m'a fait autant de mal que le soudain départ d'Adam. Même si au fond je sais que c'était sans doute calculé pour instaurer encore plus de discorde dans mes sentiments... lorsqu'il m'a dit qu'il m'aimait...
Je ne compte même plus le nombre de fois où je l'ai presque supplié de me dire ces mots-là. Le nombre de fois où il n'a fait que me fixer, comme si je lui avais demandé de me donner la lune ou son foie, toutes les fois où il n'a fait que sourire avant de détourner le regard.
Malgré toute la haine que je lui porte, celle que j'ai été avec lui pendant presque quatre ans a été ravie de l'entendre le dire. Et aujourd'hui encore, en y repensant, je ne peux m'empêcher de sentir mon cœur décoller. Ça me confirme ce que je redoutais.
Je suis encore éprise de lui. Comme la gamine en pâmoisons devant le garçon plus vieux que j'étais à l'époque.
L'absence des deux m'a forcée à faire une introspection, le ménage dans mes sentiments.
Je les aime tous les deux, cela n'est même plus sujet à débattre.
Je les aime, mais différemment.
Leo a toujours été auprès de moi, d'aussi loin que je me souvienne en tout cas. Et combien même il est distant et sévère, une partie de moi avait la certitude qu'il veillait sur moi, qu'il ne m'arriverait jamais rien. Il me recadrait pour que je ne dérape pas. Leo était l'ancrage qui m'empêche de me perdre au large. Avec lui, tout était toujours calculé à la minute près. Il représente pour moi l'ordre, la sûreté, comme un chez-soi, stable, rassurant.
Adam lui est tout le contraire. Lui vit sa vie comme s'il se jetait dans le vide, sans même être sûr qu'il atterrira en un seul morceau. Il m'a toujours encouragée à me surpasser, à affronter mes peurs. Adam était comme le vent qui poussait mes voiles vers l'horizon à perte de vue. Avec lui, tout était si spontané. Il représentait pour moi une merveilleuse aventure, le genre qui donne un sens à votre vie et vous fait être reconnaissant d'être vivant.
Le problème c'est que chez soi, on rêve d'aventure, d'ailleurs, alors qu'ailleurs, notre chez-soi nous manque terriblement. Je suis aux prises avec le même paradoxe pour ce qui est d'Adam et Leo.
Je veux les deux.
Je veux le sérieux de Leo et l'insouciance d'Adam. Je veux le charisme de Leo et le charme d'Adam. Je veux que Leo me fasse garder les pieds sur terre et qu'Adam me donne des ailes.
Suis-je si mauvaise d'avoir désiré le meilleur des deux mondes ?
Le souci, c'est quand cherchant à avoir les deux, je les ai perdus tous les deux. Leo m'a littéralement fait ses adieux et Adam n'a même pas daigné me dire au revoir.
Pour la première fois de ma vie depuis quatre ans, je ne suis pas en couple. C'est étrange... de devoir me contenter de mon amour propre et non le recevoir d'un homme. De vivre uniquement avec moi-même.
Mon frère à qui j'ai expliqué la situation sans exposer tous les détails m'a dit que c'était une bonne chose.
« Avant de chercher l'amour d'Adam ou de Leo pourquoi tu ne cherches pas le tien ? Une fois que tu sauras t'aimer, peut-être que tu sauras ce que tu veux vraiment. »
Au début, ça a été difficile, de me concevoir comme une entité entière, à part de Leo ou Adam. Mais comme ils ne m'ont pas laissé le choix, peu à peu, je me suis accoutumée à ma seule compagnie.
J'y ai même pris goût.
Est-ce que ça m'a permis de trancher sur lequel je veux vraiment ? Non. Je suis encore perdue, mais moins déboussolée qu'au début de l'été. D'ailleurs, j'ai encore tout l'été pour y réfléchir.
Et pour oublier combien ils me manquent.
— ACHOUM !
Je me tourne pour me prendre un mouchoir après avoir éternué, mais Jay qui a été plus rapide que moi m'en tend déjà un. Je le saisis et me mouche.
— Dis donc, tu n'aurais pas pris froid, toi ?
— Sur cette île ? En plein mois de juillet ? Ne sois pas ridicule.
— J'en sais rien. Tu éternues beaucoup ces derniers temps, avec tes après-midi de baignade je commence à croire que tu es enrhumé.
— Je ne suis pas enrhumé, me défendis-je en allant jeter le mouchoir dans la poubelle de la chambre que nous partageons. C'est peut-être des allergies.
Quoi que l'air d'ici ne m'a jamais rendu allergique, seulement nauséeux par moment.
— Sans doute... Il parait aussi que quand quelqu'un pense à nous ou parle de nous, on éternue.
Je souris.
— Je ne pensais pas à Heidi.
Mon sourire disparaît.
— À qui ? demandé-je mollement, ne voyant plus l'intérêt de cette conversation.
— Adam.
L'intérêt me revient.
— Pourquoi il penserait à moi ?
Jay me fixe, l'air de me dire d'arrêter de jouer l'idiot. Mon sourire regagne mes lèvres et mon cœur trépigne rien que de repenser aux yeux d'Adam sous la pluie, à l'incompréhension, à la manière dont elle a arrêté de respirer lorsque je lui ai avoué mes sentiments pour elle. Je me suis dévoilé à elle et je l'ai dévoilée à lui, et c'était plus intime que la nudité elle-même, ce moment qu'on a partagé tous les trois. Si Jay ne m'attendait pas dans la voiture, je crois que je me serais touché sur place.
— C'est sur qu'il pense à moi. Ça doit tellement le travailler de connaitre la vérité. Tu crois qu'ils se sont disputés ? Insultés ? Balancés des choses à la figure ? Oh non ! Tu crois qu'ils se sont réconciliés ? C'est sûr qu'ils vont finir par se réconcilier...
Jay soupire.
— T'es un grand malade.
Je me retiens de rire pour ne pas l'excéder plus qu'il ne l'est déjà et me contente de me mettre de l'eau de Cologne.
— Tu veux qu'ils se réconcilient ? finit-il par demander, trahissant son enthousiasme face à la situation.
— Bien sûr ! Ils vont si bien ensemble.
— Dans ce cas, pourquoi avoir fait ça ?
— Il fallait qu'Adam sache. Il n'est pas chose bien de fonder une relation sur des mensonges.
— C'est toi qui dis ça ?
Je souris de plus belle, mais cette fois, avec un peu de mélancolie. Combien même j'ai retiré un plaisir fou à révéler notre liaison au grand jour, il arrive qu'un poil de culpabilité vienne me chatouiller le fond de la gorge.
James aurait été déçu par moi.
Il disait toujours qu'un homme ne se défilait pas au dernier moment, qu'il affrontait les situations, ses doutes, ses peurs avec courage et honneur, et les gens en les regardant droit dans les yeux ; que ce soit ceux qu'on aime ou nos ennemis. Après tout, ces dernières paroles ont été :
« Sois un homme Leonardo, et regarde-moi dans les yeux. »
Et comme lui a regardé la mort droit dans les yeux, j'aurais dû regarder l'amour droit dans les yeux, mais au lieu de cela, je me suis défilé ; j'ai tourné le corps d'Heidi prétextant vouloir la dévoiler à Adam avant de lui dire ce que je ressens.
Je crois que j'ai opté pour cette option parce que l'idée de la vulnérabilité derrière ces quelques mots, « je t'aime » me terrifie encore. L'amour me terrifie, car la seule expérience que j'en ai eue s'est terminée en tragédie. Alors j'ai préféré me confesser dans son dos, incapable de regarder l'amour en face, incapable de regarder Heidi en face.
— Tu crois qu'il me le pardonnera un jour ? Pas que ça m'importe vraiment, mais tu crois qu'il me pardonnera ? demandé-je, ne sachant plus si je parle de James ou de son fils.
— Peut-être... À tous les coups, elle lui a pondu un mensonge pour atténuer les dégâts, il l'a crue et ils se sont réconciliés.
— C'est sur.
— Il ne m'a pas l'air du genre rancunier.
— Il ne l'est pas.
— Et il est un peu con.
— C'est vrai...
Trois très faibles coups donnés à la porte détournent notre attention. Jay et moi nous mettons sur nos gardes combien même la personne derrière la porte s'est annoncée. J'attrape mon révolver sur la table de chevet et lui indique d'un geste de tête d'aller ouvrir. Jay se lève du lit, va ouvrir la porte, fronce les sourcils, baisse le regard et la tension quitte ses épaules.
— Oh...
À son expression, je comprends qu'il n'y a pas de danger et baisse mon arme.
— C'est qui ?
Au lieu de répondre, il se tasse pour laisser entrer un petit garçon vêtu d'un polo blanc et de culottes bleu marine.
Romeo.
— Qu'est-ce que tu fichez ici ?
Il ignore ma question et saute sur mon lit, regarde les deux pulls étendus sur ce dernier avant de pointer celui de couleur crème. Je regarde Jay avec qui j'essayais de choisir quoi porter avant de prendre le pull que Romeo m'a indiqué et de le porter par-dessus ma chemise.
— C'est qui Adam ?
Je m'arrête en plein acte, les bras dans les airs quand j'entends ce nom prononcé par sa petite voix de bambin. Je soupire avant d'enfiler le reste du vêtement.
— C'est mal poli d'écouter aux portes, dis-je en italien.
— Tu lui as fait quoi à Adam ?
— Sors de ma chambre.
— C'est qui Heidi ? Ton amoureuse ?
Jay et moi échangeons un regard qui n'échappe pas à Romeo. Ce doit être suffisamment révélateur pour lui puisqu'il sourit.
— C'est l'amoureuse d'Adam alors ?
— Romeo, dehors.
Je tente de le saisir pour le foutre à la porte, mais il m'esquive avec toute cette agilité que seuls les enfants possèdent. Je le fusille du regard et il me sourit.
— On m'a envoyé venir te chercher. Tu es en retard.
— C'est bon, j'arrive. Maintenant, sors.
— Je peux rester avec vous ?
— Non.
— Mais-
Cette fois, je parviens à lui attraper le col et le traîne vers la sortie, mais avant de le chasser, je le soulève à mon niveau par son habit.
— Si tu prononces une seule fois les noms que tu as entendus, je te tue. Capicse ?
Il hoche vigoureusement la tête, la peur dans ses yeux verts. Je le remet sur ses deux pieds sans toutefois le lâcher.
— Oh et la prochaine fois que tu entres dans ma chambre comme ça, je t'enferme dans la cave, dis-je avant de claquer la porte. Sale mioche.
Je retourne terminer de m'habiller maintenant que je sais que mon retard volontaire a fait son effet.
— Tu devrais être plus gentil avec lui. Aux dernières nouvelles, lui ne t'a rien fait. Il veut juste passer du temps avec toi... discuter avec toi...
J'entends dans ses mots la compassion qu'il a pour Romeo et son désir d'attention de ma part. Il doit se reconnaître en lui en quelque sorte, bien que c'est avec lui que je passe le clair de mon temps.
— On n'a rien à se dire, passé-je à l'anglais.
— C'est ton petit frère.
— Ce n'est pas mon petit frère !
Jay lève les mains devant ma réaction que je ne voulais pas aussi excessive. Je ferme les yeux et respire pour me calmer avant de reprendre mon arme et de la glisser derrière mon pantalon.
— Je n'ai pas besoin d'un petit frère et je ne veux rien à avoir avec Leonardo ou ses rejetons. On y va.
Jay, qui lui était déjà prêt pour être à l'heure à ce stupide repas de famille, me suit à travers les couloirs de la résidence de vacances des Ricci. Elle est stratégiquement située sur une île, rendant l'accès un peu plus difficile que sur le pays. L'île de Capri est entièrement sous son contrôle, tous les commerces sont reliés de près ou de loin à ses affaires à lui, il connait tout le monde et tout le monde le connait. Les étrangers se font vite remarquer, les comportements suspects sont vite notifiés et les quelques tentatives d'attaque qui l'ont visé se sont toutes solvée par des échecs. La villa et sa centaine d'hommes armés, mais également l'île dans son entièreté constituent un lieu imprenable.
Je n'aurai pas le droit à l'erreur.
Au départ, mon père ne voulait pas que Jay assiste au repas de famille, parce que même si nos pères sont d'associés de longue date, il n'est pas de la famille. Mais j'ai été clair que si Jay n'en était pas, ils pouvaient également compter sur mon absence.
Pour une raison que j'ignore, ça a suffi à lui faire changer de décision. J'ai alors compris qu'il tenait absolument à ce que je sois présent. Pourquoi ? Je l'ignore. Je lui ai demandé, mais il a refusé de me répondre. Ou plutôt, il m'a dit que c'était le premier repas de famille depuis longtemps et que c'était important, pour resserrer les liens.
Je ne suis pas naïf.
Je ne crois pas une seule seconde que mon père a à cœur l'unité dans cette famille. Ça n'a jamais été une priorité pour lui et c'est très suspect qu'il essaie de me faire croire que c'est le cas à présent.
Il y a autre chose. J'ignore qu'est-ce qu'il a derrière la tête et la seule façon de savoir, et bien c'est de participer à ce rassemblement familial. C'est donc ma curiosité qui me pousse à devoir passer du temps avec lui, sa femme et leurs enfants.
Nous arrivons finalement devant la porte qui mène à la salle à manger où des conversations en italien me parviennent. À les entendre, je détecte déjà plus de voix que ce à quoi je m'attendais. Beaucoup plus de voix.
Je me tourne vers Jay qui lui aussi a remarqué que la salle à manger est bien plus peuplée que prévu.
— Qu'est-ce que...
J'hésite à entrer. Ma présence ici est déjà un énorme risque, risque que j'ai accepté de prendre à condition d'être au contrôle d'absolument tous les paramètres. Les imprévus sont synonymes de mort.
Et toutes ces voix que j'entends sont des imprévues, des inconnus dans l'équation.
Sauf que ne pas connaître ce qu'il se passe derrière cette porte est presque aussi risqué. Le manque d'information est le plus grand des handicaps.
Pour en avoir le cœur net, j'ouvre la porte. Le silence se fait dans la pièce, les ustensiles cessent de claquer contre la porcelaine et au moins une vingtaine de pairs d'yeux se braquent sur moi.
Sans surprise, ceux de mon père, de sa femme et de leurs quatre enfants, Romeo inclus. Mais à table se trouvent également mon grand-père paternel et sa femme, mon oncle Mateo et sa famille, dont son homonyme de fils. Il y a également des gens que je reconnais, mais qui ne font pas partie de cette famille.
Renzo Albertini et une bonne partie de sa famille.
Quand je comprends le motif derrière ce repas et quand les yeux gris de mon grand-père glacent mon sang, je fige, refusant d'aller de l'avant. Des souvenirs me reviennent en mémoire, je me sens redevenir l'enfant terrifié que j'étais. Je commence même à planifier ma fuite, mais la main de Jay se pose sur le bas de mon dos et il m'intime.
— Ressaisis-toi, Ricci.
Sa voix dure et sévère me ramène à moi et je suis de nouveau en possession de mes moyens.
Ce n'est qu'un vieillard à présent. Il ne peut plus te faire du mal.
Je fais un premier pas dans la pièce, puis un autre, et un autre, tous suivis avec attention par les gens à table. Je la contourne pour m'asseoir à la place qui m'a été assignée.
À droite de père, lui-même à droite de mon grand-père, au bout de la table pour symboliser une forme de supériorité. L'ancien chef du clan, l'actuel et son héritier.
Jay lui, n'étant pas un Ricci, va prendre place à l'autre extrémité, avec les cadets et les filles, côté Ricci. En face se trouve les membres du clan Albertini et spécifiquement en face de moi se trouve une carte que je n'avais pas prévu de jouer pendant mon séjour ici, l'autre actrice de cette mascarade.
Serena Albertini.
À présent une magnifique jeune femme, portant toujours la couronne de longues boucles d'or avec laquelle je l'ai laissée, la dernière fois qu'on s'est vus. On dit qu'on n'oublie jamais sa première fois, et c'est la vérité. Plus je la regarde, plus les souvenirs de cette nuit où nous nous sommes donné nos virginités me reviennent. Oh, ce n'était rien de fameux, nous étions des enfants, rapprochés uniquement par les relations de nos pères, la proximité de notre âge, le chaos de nos hormones et le soleil de Capri. La chaleur de l'été nous était montée à la tête, elle m'avait suivie et rompu la promesse de chasteté qu'elle avait faite à son père.
Je sais qu'elle aussi s'en souvient à la manière dont ses yeux bleus ne lâchent pas les miens, au rictus qu'elle se retient d'afficher et sa lèvre qu'elle mord d'anxiété quand je la regarde. Elle porte ce soir une jolie robe estivale, blanche bien évidemment, sinon comment saurait-on qu'elle est pure et innocente ?
Un requis pour être ma promise.
Après que la panique soit passée, la situation commence un peu à prendre son sens. Les informations de Jay étaient donc exactes ; mon père a toujours pour projet de joindre nos deux familles. Nous ne sommes pas en guerre avec eux, mais ne sommes pas tout à fait des alliés. Les Albertini sont presque aussi puissants que les Ricci ici en Italie et bien plus ailleurs. Joindre les clans dans une union matrimoniale assurerait une alliance moins fragile et une extension du pouvoir pour les deux parties.
Et ce dîner est le début de la mise en marche de son projet. Il est coutume pour les familles de se rencontrer avant ses unions, pour commencer à tisser des liens et permettre aux deux prétendants de se connaître en étant chaperonnés. Je sens le regard de son père et de ses frères sur moi alors que je détaille les délicats traits de son visage sans me soucier d'eux.
Elle est si jolie... dommage qu'elle soit timbrée.
Alors que le tintement des ustensiles sur les assiettes a repris depuis longtemps, mon assiette à moi n'a pas bougé. Je ne sais pas ce qui me coupe le plus l'appétit : la proximité de mon grand-père ou les yeux de biche de Serena.
Contrairement à moi, je vois qu'elle on ne l'a pas piégée à participer à ce dîner prénuptial. Elle veut être ici... elle me veut. Elle me l'a bien fait comprendre chaque fois qu'on s'est vu après avoir couché ensemble et mon seul regret en cet instant, c'est de ne pas avoir annihilé ses espoirs. De lui avoir dit que moi aussi, je ne rêvais que d'elle, pour m'acheter la paix après d'elle et de mon père.
Ça, c'était avant que cette sotte de Heidi se pointe chez nous, aux bras du fils de James qui plus est. Avant qu'elle lui tende la main pour qu'il y dépose le baiser de la mort. Il a très vite compris. Ce doit même être la raison à tout ceci.
Les voix et les conversations se mélangent alors que je réfléchis à comment je vais me sortir de cette tentative de mariage arrangé. Je n'ai pas que ça à gérer et, malgré son tempérament, j'apprécie assez Serena pour ne pas lui infliger d'être un jour ma femme.
Comme ma mère a été celle de mon père.
— Alors Leonardo, comment se fait-il qu'on ne te voie presque jamais ? me demande-t-elle en italien.
Depuis le début, elle me pose des questions pour briser la glace, mais rencontre ou mon silence, ou des monosyllabes. Ça ne l'empêche pas de continuer à essayer d'établir un lien avec moi, surtout quand sa mère lui jette des regards appuyés. La pauvre.
— Je suis occupé.
— Par quoi ?
Ça ne te regarde pas.
— Mes études.
— Oh !
Il est assez rare que les hommes du milieu poursuivent de longues études, rien qui surpasse le commerce et les relations commerciales et encore. Ici, ils préfèrent acquérir des connaissances sur le terrain que sur les bancs d'école.
— Et tu fais des études de quoi ?
— Astrophysique. Doctorat.
— Oh !
Je n'aime pas sa manière de jouer la blonde. Serena est une fille intelligente, et drôle et a même beaucoup de caractère. Mais ça, elle ne l'exprime presque jamais auprès de ses parents qui la veulent écervelée.
— Donc tu vas retourner là-bas pour faire tes études ? demande-t-elle d'une voix dépitée.
J'ouvre la bouche pour répondre, mais mon paternel me coupe.
— Non. Il a terminé et s'impliquera plus dans les affaires de la famille. Il va s'installer ici, alors tu le verras plus souvent.
— Oh ! Vraiment ?!
J'ai déjà dit à mon père que si j'étais prêt à lui succéder, il était hors de question que j'emménage ici, ou nulle part en Italie. Je croyais avoir été clair, mais on dirait qu'il a décidé pour moi... où est-ce mon grand-père qui lui a forcé la main ?
Quand je regarde dans la direction du vieux sénile, il me sert un sourire qui fait redresser tous mes poils. Je ramène mon regard vers Serena, pour la supplier de ne plus me bombarder de questions. Elle saisit le message.
Mais alors que la tension vient de redescendre, que les gens ont redirigé leur attention vers leurs assiettes, la voix de Romeo s'élève.
— Mais si Leo a déjà une amoureuse, comment est-ce qu'il va marier Serena-
Bianca, sa sœur, s'empresse de fermer sa bouche, mais il est trop tard. Je fige, les ustensiles cessent leur cacophonie, les yeux se braquent à nouveau sur moi.
Bordel.
— Pardon ? demande Renzo Albertini.
Mais je ne le regarde pas, en cet instant, c'est Romeo que je foudroie du regard. Il rapetisse dans son siège.
— Rien, c'est juste les inepties d'un enfant-
— Qu'est-ce que tu viens de dire Romeo ? Leonardo a une amoureuse ? demande Serena en coupant mon père.
Romeo hoche la tête.
Serena se tourne vers moi.
— Ah oui ?
Bordel de merde.
— Non, mentis-je.
Ce n'est pas le moment de créer la discorde. Si le nom d'Heidi sort, ce ne sera plus seulement mon père qui lui voudra du mal, mais également la famille de Serena... et Serena aussi vu comme son expression charmante a changé pour être plus menaçante.
Au fond, elle reste la fille d'un mafieux. Et j'ai le malheur d'être l'objet de sa convoitise.
Elle plisse les yeux et trouve le mensonge écrit quelque part sur mon visage puisqu'elle demande ensuite à Romeo :
— Et qui est son amoureuse.
Un furtif coup d'œil en direction de Romeo lui rappelle ma menace, il baisse la tête et refuse de répondre. Alors, Leonardo, mon grand-père père intervient.
— Parle mon enfant, qui est-ce ?
Romeo lève la tête. Son regard alterne entre notre aïeul et moi, à la recherche de qui lui inspire suffisamment la peur pour se plier à sa volonté. Naturellement, notre grand-père l'emporte.
Il n'est personne qui n'est pas terrorisé par lui ici.
— Elle s'appelle Heidi.
Ce n'est pas Romeo qui a répondu. Je tourne la tête vers mon père qui vient de prononcer le nom que je redoutais que ces gens sachent.
— Heidi ? demande Leonardo sénior.
— Heidi Mäkinen.
— Mäkinen ? Ce n'est pas italien, c'est la fille de qui ?
— Personne. Elle n'est personne. N'est-ce pas, Leonardo ?
Je suis étonné de son soutien. Puis je me rappelle que s'il est avéré que j'ai une femme dans ma vie, l'accord entre les Albertini et les Ricci coule à l'eau. Et moi j'ai besoin que tout soit harmonieux pour que tout se passe comme je l'entends. Alors j'entre dans le jeu, servant une demi-vérité.
— Pardonnez-moi, je n'ai pas été totalement honnête avec vous. Heidi est une fille que j'ai rencontrée à l'université. On s'est aimé, puis c'est d'un autre qu'elle est tombée amoureuse, et maintenant c'est fini.
Une forme de soulagement s'inscrit dans les visages en apprenant qu'il s'agit d'histoire ancienne. Serena seule ne semble pas apaisée de savoir qu'Heidi est mon ex.
— Comment se fait-il que Romeo soit au courant ? Pourquoi ton père aussi la connait ? Tu lui as parlé d'elle ? Tu penses encore à elle ? Tu l'aimes encore ?
Complètement folle.
— Ça ne te regarde pas.
Elle arque un sourcil. Mon regard accroche Jay qui m'indique d'un secouement de tête de coopérer pour apaiser sa jalousie.
— Non.
— Non ? C'est vraiment fini être vous ?
— Oui.
— Tu ne ressens plus rien pour elle ?
— Absolument rien, dis-je la mâchoire serrée.
Elle porte une bouchée à sa bouche et mâche avec élégance.
— Tu ne verrais donc pas de problème à ce que je la fasse tuer, non ?
L'air se charge de nouveau en électricité et cette fois, je peine à simuler le détachement.
— Pardon ?
Au lieu de me répondre, elle se tourne vers son père.
— Je la veux morte, sinon je refuse d'aller de l'avant avec ce mariage.
— Voyons ma chérie, intervient sa mère. Il a dit que c'était de l'histoire ancienne.
— Moi je n'y crois pas. Si toi ça ne te dérange pas de supporter les maîtresses de papa, moi je tuerai toutes celles qui tournent autour de mon mari, à commencer par celle que son frère et son père connaissent déjà.
Renzo se crispe quand ses maîtresses sont abordées, Bianca couvre les oreilles de Romeo, mon père soupire en voyant que son parfait dîner est gâché par le seul nom de Heidi et moi...
Je fulmine à l'idée de cette nouvelle menace à la vie de Heidi. Mon poing dissimulé sous la table se serre. Du coin de l'œil, je vois Jay dont le regard appuyé me commande de ne pas faire de conneries.
— Serena ! s'indigne sa mère.
— Quoi ?! Je ne me suis pas préservée toutes ces années pour avoir une rivale dès le départ ! Papa !
La main de mon père s'abat sur la table pour ramener l'ordre autour de celle-ci.
— Ça suffit.
— Mais-
— Ça suffit !
Le silence se fait dans la pièce. Serena et moi nous fixons toujours, elle me défiant et moi essayant de me contenir comme le prie sans doute Jay en ce moment. Elle a retiré son masque d'innocente jeune fille.
Très bien, si elle veut jouer à ça.
— Nul besoin de la faire tuer. Il est hors de question que j'épouse Serena, dis-je en la regardant droit dans les yeux.
Jay soupire et se lève.
— Ok, tu as trop bu Leo, on ferait mieux de-
— Non, non... j'ai plus envie de faire semblant de jouer à leur jeu.
Je fais face à mon père et de facto à mon grand-père.
— J'accepterai n'importe quelle épouse que vous me présenterez, du moment qu'elle est respectable. Serena ne l'est pas.
Elle fronce les sourcils et quand elle comprend que je parle de son innocence, la peur la saisit.
— Leo-
— Je le sais parce que je l'ai déjà souillée. J'ai également surpris Beniamino avec elle une fois- je ne savais pas qu'elle aimait bien les hommes plus jeunes.
Mon demi-frère bien aimé écarquille les yeux en apprenant que je sais.
J'ai même eu vent de quelques aventures qu'elle a eues par-ci par-là avec des hommes de votre région. Je refuse de prendre une putain comme épouse.
Son père, sa mère et ses frères se tournent vers elle que la panique envahit. Moi je n'ai que faire de ses parties de jambes en l'air, mais dans le milieu, c'est mal vu et je compte bien me servir de leur sexisme pour me débarrasser d'elle.
— Serena c'est vrai ?
Les larmes lui montent aux yeux. Pfff, si ça avait été Heidi, elle aurait tourné la situation à son avantage en quelques mots seulement. Je n'ai que faire d'une pseudoprincesse qui joue les saintes alors qu'elle a autant d'amants que son père a de maîtresses.
Le scandale balaie la pièce. Mon grand-père se met à jurer sur leur famille et leurs ancêtres, Serana, couverte de déshonneur, baisse la tête alors que son père la questionne.
Je pourrais me délecter de sa chute, mais Jay que je n'avais pas vu m'approcher me saisit le bras pour me lever. Il s'excuse pour moi et me traîne à l'extérieur alors que je souris à Serena que je viens de réduire à néant.
— C'est bon, lâche-moi, dis-je en retirant mon bras de sa prise une fois hors de la pièce.
Le chaos débute dans la pièce que nous venons de quitter, la colère de ma famille envers celle de Serena, la colère de la famille de Serena envers elle pour envoie foutu en l'air ceux pourquoi elle avait de la valeur. Je sais que je vais finir par regretter ce que je viens de faire, mais là, maintenant, ça fait un bien fou de leur mettre un bâton dans les roues à tous.
J'écarte Jay de mon chemin et prends la direction de ma chambre. Dès que je passe le pas de la porte de ma chambre, je me débarrasse du pull qui m'a étouffé de chaleur dans cette pièce à l'air irrespirable et me laisse tomber sur le lit.
Comme j'entends la porte se refermer derrière moi, je devine que Jay m'a rejoint. Seulement, il ne vient pas me rejoindre sur le lit. Il reste planté devant la porte à me fixer, le regard inquisiteur.
Je soupire.
— Je sais. Je n'aurais pas dû.
— Non, tu n'aurais pas dû. Non seulement tu viens sans doute de te mettre les Albertini à dos, ton père ne te lâchera plus et il est à présent plus qu'évident que Heidi représente pour toi bien plus qu'une amourette d'université. Non, mais qu'est-ce qui t'a pris ?
Elle l'a menacé de mort, j'ai perdu mon sang-froid.
— Je ne veux pas en parler.
— Maintenant tu ne veux pas parler ? Alors que tout à l'heure tu n'as pas pu t'empêcher de l'ouvrir ? Qu'est-ce que tu aurais pu leur révéler si je ne t'avais pas traîné hors de la pièce ?
Dieu seul sait.
Je ricane, l'alcool que j'ai consommé commence à faire effet. Jay soupire avant de s'approcher et de s'asseoir sur le lit, à quelques centimètres de ma tête. Je lève les yeux dans sa direction.
— Qu'est-ce que je ferais sans toi ? demandé-je pour l'apaiser un peu.
— Rien. Tu ne ferais absolument rien parce que sans moi tu n'es absolument rien.
— Aïe.
Il sourit enfin. Ses sourires sont rarissimes vu son tempérament, mais ils ne manquent jamais de me mettre le baume au cœur. Mon courroux après ce dîner s'est presque envolé.
— Désolé.
— Non, tu as raison. Sans toi, je ne peux et ne suis absolument rien.
Son sourire disparaît aussi vite qu'il est venu.
— Et pourtant c'est celle qui n'a jamais rien fait pour toi que tu as choisie, marmonne-t-il.
Je plisse les yeux.
— Pardon ?
Il lève les yeux au ciel.
— Rien.
Il s'apprête à se lever, mais je retiens son poignet.
— Qu'est-ce que tu viens de dire ?
— Rien, répète-t-il excédé.
— Tu sais que tu n'as pas à craindre de représailles de ma part. Tu peux t'exprimer librement.
Il détourne encore les yeux, mais bientôt, il les ramène à moi et j'y lis la défiance.
— Heidi n'a jamais rien fait pour toi, elle n'a jamais rien sacrifié pour toi, c'est à peine si elle sait vraiment qui tu es... mais c'est pour elle que tu es prêt à tout risquer, à foutre en l'air tout ce que tu as bâti depuis qu'on se connaît et ça je ne le supporte pas. Que ce soit elle ou Adam, aucun d'entre eux ne te mérite, mais toi tu n'as d'yeux que pour eux.
Lui et moi nous fixons quelques instants alors que je cherche que répondre à ses accusations très fondées. Je souffle, trop saoul et épuisé pour m'engager dans ce genre de discussion.
— Le genre d'amour que je porte à Heidi et Adam ne se mérite pas. Même s'ils ne me servent à rien, même s'ils me nuisent même parfois. Ça n'a rien à avoir avec la relation que j'ai avec toi.
Dès que les mots sortent de ma bouche, je me rends compte de mon erreur.
— Quelle est la relation que tu as avec moi ? Parce qu'à mon avis, au point où l'on en est, ça a dépassé la simple amitié.
J'ai mal à la tête.
— Ce n'est pas ce que je voulais dire. Bien sûr que c'est plus que de l'amitié... toi aussi je t'aime, comme on aime un frère. C'est juste... différent.
J'attends qu'il lâche l'affaire, mais dans ses yeux se trouve toujours ce sentiment d'injustice qu'il vient d'exprimer. Qu'est-ce qu'il veut que je lui dise ? Qu'est-ce qu'il veut que je fasse ?
Je lui demande.
— Mais ça ne te satisfait pas.
— Non, crache-t-il. Ça ne me satisfait pas d'être ton laquais.
Je me redresse pour me retrouver sur mes deux jambes et me poste en face de lui. Il lève la tête.
— Bien. Dis-moi ce que tu attends de moi.
Il ricane, s'imaginant peut-être que je plaisante, mais face à mon sérieux, lui-même regagne le sien.
— Rien que tu ne puisses m'offrir, dit-il en détournant le regard comme il le fait si souvent aussitôt que vient le moment de parler de ses désirs. Laisse tomber-
— Non. Je ne peux pas laisser tomber et faire semblant que tu ne viens pas de me partager ton insatisfaction quant à notre relation. Dis-moi ce que tu veux, je te l'offrirai. Tu veux de la reconnaissance ? Tu sais que je te suis infiniment reconnaissant pour tout ce que tu as fait et sacrifié pour moi.
— Ta reconnaissance tu peux te la foutre bien profond, marmonne-t-il, l'air insulté que je pense que c'est ce qu'il veut.
Je sais ce qu'il veut. Mais j'espère que comme depuis des années il se dégonflera, et au lieu de me le dire, il choisira une des choses que je lui énumère. Comme ça, je serai débarrassé de ce problème et je pourrai enfin dormir après ma soirée de merde.
— Plus d'argent ? Du pouvoir ?
Il soupire et se lève.
— Laisse tomber, articule-t-il.
Je le retiens.
— Lâche-moi Leo je ne veux pas en parler.
— Non, c'est toi qui as amené le sujet, je sens que c'est le problème qui reviendra sur la table. Je dois m'assurer de ta loyauté ultime et si tu es insatisfait c'est un risque. Alors porte tes couilles et dis-moi : qu'est-ce que tu veux de-
— Toi, Leonardo ! Je crève de désir et d'amour pour toi ! C'est toi que je veux, pas ta reconnaissance, pas ton argent ou même le pouvoir ! Juste toi, ça a toujours été toi et tu le sais !
Quand des larmes se forment en bordure de ses yeux, je comprends que je l'ai poussé à bout et suis pris de culpabilité. La gêne me gagne, je ne m'attendais pas à ce qu'il ait le courage de m'avouer ses sentiments, et encore moins à l'effet que ça me ferait.
À court de réponses, je laisse le silence accueillir son cri du cœur. Jay reprend son souffle, réalise ce qu'il vient de dire et baisse la tête en voyant mon expression que je n'ai pas eu le temps de contrôler. Sans doute celle qu'il a redoutée, celle qui l'a poussé à essayer de me cacher ses sentiments pendant toutes ces années.
— Mais tu as été très clair avant qu'on parte. Toi, tu ne veux pas de moi.
Oh, Jay...
Il s'empresse d'essuyer les larmes qu'il a contenues si longtemps, qu'il a laissées couler et qu'il doit amèrement regretter.
— Je suis désolé de t'avoir fait douter de ma loyauté...
Je cherche quoi lui dire qui sera suffisant pour récupérer mon manque de délicatesse et recoller les morceaux de son cœur brisé. Pas seulement son cœur, j'ai remis en question sa loyauté... après tout ce qu'il a fait pour moi. Mais rien de ce que je pourrais lui dire n'effacera la douleur de l'amour non réciproque qu'il me porte. Lui m'a toujours donné tout ce que je désirais... et j'aimerais tant pouvoir faire autant.
Sauf que c'est moi qu'il désire... soit.
Je commence à défaire les boutons de ma chemise. Ce n'est que quand je suis à mi-chemin que Jay le remarque et lève les yeux vers moi. Je prends sa main et la pose sur ma poitrine.
— Qu'est-ce que tu fais ?
— C'est moi que tu veux non ?
— Quoi- qu'est-ce que-
Il s'arrête en plein milieu de sa phrase quand je finis de retirer ma chemise, captivé malgré lui par mon abdomen. Il déglutit.
— Leo...
— Allez, prend ce que tu veux de moi, parce que tu n'es pas un laquais. Je tiens à toi, et je ferai tout pour que tu restes auprès de moi. Vas-y.
Il se crispe, son regard alerte passe de mes yeux, pour me raisonner à mon corps qui attire son attention. Il ne s'était toujours permis que de furtive œillade en ma direction, c'est la première fois que je le vois détailler mon corps comme il le fait, comme Heidi aurait pu le faire. Ses pupilles se dilatent à vue d'œil alors que défilent sans doute dans son esprit mille et nus scénarios plus torrides les uns que les autres.
Mais au lieu de laisser libre cours à son désir et prendre ce qu'il mérite, il secoue la tête, à croire que je ne suis qu'un mirage, un mauvais tour de son esprit. On dirait même qu'il cherche à se réveiller d'un rêve qu'il a trop souvent fait. Il tente de retirer sa main, mais je la maintiens contre moi.
— Leo, attends...
— Quoi ? Tu ne veux pas de moi ?
— C'est pas ça...
Il ferme les yeux, clairement déchiré entre la raison et son désir pour moi qu'il a longtemps refoulé. Je remarque ses mains qui tremblent, je sens la peur émaner de lui. Il ne fera rien de lui-même.
Je prends délicatement son visage dans mes mains.
— Qu'est-ce qu'il y a alors ? Qu'est-ce qui te fait peur ? Moi ?
Il répond par la négative.
— Quoi, tu peux tout me dire.
— Je... j'ai peur que tu regrettes. J'ai peur de te dégoûter.
J'ai envie de lui demander comment il peut penser qu'il peut me dégoûter, puis je me rappelle ce que le monde pense des hommes comme lui. Ceux qui préfèrent les autres hommes aux femmes. C'est probablement la seule chose qu'il a connue jusqu'ici, le dégoût, le rejet ; par sa famille et tant de gens... et il a peur qu'en me montrant cet aspect de lui, celui qui « crève de désir » pour moi, j'aie la même réaction.
Au lieu de lui dire qu'il n'y a rien qu'il pourrait dire ou faire qui me dégoûterait de lui, je le lui montre en posant mes lèvres contre les siennes. Son souffle se coupe les quelques secondes que dure ce baiser.
À bout de souffle, j'y mets fin et vérifie sa réaction. Jay ouvre les yeux, chacune des respirations qu'il arrache à ses poumons, vient caresser mon visage. La peur se lit de nouveau dans ses yeux, mais elle est différente.
On dirait qu'il a peur que je change d'avis.
Et comme pour empêcher que cela se fasse, il attire ma tête vers la sienne pour de nouveau sceller nos lèvres, une initiative qui me surprend et ne me déplaît guerre. Il enroule les bras autour de ma nuque alors que mes mains se posent sur ses hanches. Rien que cela le fait pousser une plainte qui – et je suis le premier étonné – réveille un certain plaisir chez moi.
Rien que pour l'entendre de nouveau, cet adorable son que je ne lui connaissais pas, j'approfondis notre baiser, promène mes mains sur son corps frêle, les passe sous le polo bleu Marine qu'il porte. Il frissonne quand ma peau entre en contact avec la sienne, froide malgré la chaleur de juillet. D'un geste de bref, je lui retire son haut pour révéler sa peau diaphane.
— Leo attends-
Dans le feu de l'action je le pousse pour qu'il tombe sur le lit. Il n'a pas le temps de se redresser que je me retrouve sur lui.
— Putain, lâche-t-il.
Putain en effet. Je ne sais même pas ce qui m'anime, je ne sais même pas comment on procède à ce genre de rapport, je sais simplement que je veux lui faire du bien.
Alors quand il pose ses mains sur ma poitrine pour me repousser, je me saisis de ses poignets et les clous au-dessus de ses cheveux de cuivres. Je me penche et l'embrasse de nouveau, puis mes lèvres passent à son cou, ce qui me permet d'entendre tout l'effet que je lui fais. Sa poitrine se soulève frénétiquement sous la mienne, il cambre le corps pour m'inviter à poursuivre mon exploration des parcelles de son derme alors que sa bouche elle me souffle :
— Arrête... on devrait arrêter...
Je choisis d'écouter son corps et mes lèvres descendent vers sa clavicule.
— Leo, stop...
Puis sa poitrine et puis-
D'une force que je ne lui connaissais pas, Jay se retrouve au-dessus de moi et il maîtrise mes mains de chaque côté de mon visage. Il reprend son souffle, puis ferme les yeux avant de se pencher au-dessus de moi, mais au lieu du baiser que j'attendais, son regard s'endurcit.
— Je ne veux pas de ta reconnaissance, de ton argent, de ton pouvoir et surtout pas de ta pitié. Joue avec le cœur d'Heidi et Adam si tu veux, mais pas le mien. La prochaine fois que tu fais un truc comme ça, c'est la fin de notre amitié. Capisce ?
Je cligne des yeux, hébétés. J'ignore si c'est la menace ou son regard glacial, mais je me sens bander. Lui aussi le sent.
— Fuck, c'était sexy.... Redis-le, dis-je en lui souriant.
— Urrghh, lâche-t-il en levant les yeux au ciel. T'es vraiment un grand malade.
Il se redresse et descend du lit avant de se diriger vers la salle de bain. Bientôt, j'entends l'eau de la douche couler. Je prends une grande inspiration avant de descendre à mon tour du lit et de me diriger vers l'immense balcon sur lequel donne ma chambre. Les rayons de la lune et la fraîcheur des brises nocturnes m'accueillent.
Accoudé sur la rambarde en pierre, je reprends mes esprits à coup de grandes bouffées d'air frais.
Quand j'entends Jay sortir de la salle de bain, je me redresse pour moi aussi aller prendre une douche avant de me coucher. Alors que je tourne le dos à la mer qui s'étend à perte de vue, je perçois comme un éclat de lumière du coin de l'œil.
Je m'arrête et me tourne en direction de ma brève vision, mais seule la forêt se présente à moi. Je plisse les yeux, à la recherche de la menace que mon instinct a sentie, mais rien.
Ce doit juste être la Lune qui se reflète sur l'eau...
Je tournele dos à la mer et regagne ma chambre.
Cela fait presque cinq minutes que Leonardo Ricci est dans ma ligne de mire et mon index sur la gâchette du sniper. Tout ce que j'ai à faire, c'est appuyer pour qu'une balle aille perforer son crâne.
Il suffit que je tire pour éliminer la menace qu'il représente pour The Players. Il suffit que je tire pour me venger de ce qu'il m'a fait. De ce qu'il a obligé Heidi à faire en la menaçant de s'en prendre à moi.
Après un mois à le traquer.
Ce n'est pas ainsi que je m'imaginais passer mes nuits en Italie il y a quelques mois alors que nous planifions nos vacances, Heidi et moi.
Nous devions profiter de nos missions pour parcourir le monde ensemble tout en raffinant ses compétences de membre exécutif. L'Italie était l'une des destinations dont nous avons souvent parlé, blottis l'un contre l'autre, nus et suffisamment ivres d'amour pour rêver et nous projeter dans le futur.
Si l'on m'avait dit qu'elle ne serait plus près de moi dans ce futur pourtant pas si loin, je n'y aurais pas cru, je me serais indigné, insurgé.
Pourtant ce soir, comme hier soir et le soir d'avant, je ne l'aurai pas dans mes bras. Je ne pourrai pas sentir le shampoing à la noix de coco dans ses épais cheveux, je ne pourrai pas lui dire l'effet qu'elle et son corps ont sur moi, combien ils me rendent vulnérable. Je ne sais même pas ce qu'elle fait, ni où elle est. Est-ce qu'elle pense même à moi ?
Elle est peut-être chez elle, peut-être en déplacement pour une mission.
La dispute qui a précédé notre séparation a glissé hors de mon contrôle. Je regrette énormément certains des mots que j'ai dits à son encontre, des mots que je me suis pourtant juré de ne jamais prononcer à l'encontre d'aucune femme.
Je savais ma colère immense, suffisamment pour avoir envie de lui faire autant de mal que je ressentais... mais parce que je l'aime, je ne voulais pas lui faire du mal, alors je l'ai évitée. Je me suis empêché d'avoir l'opportunité de faire pleuvoir ma rage sur elle en coupant les ponts.
Elle m'a surprise en se pointant chez moi alors que mon courroux était encore loin d'être apaisé et mes blessures encore ouvertes et irritées. Je m'en suis pris à elle alors que toute ma colère, c'est vers lui que j'aurais dû la diriger.
Elle a sa part de responsabilité... surtout avec ce qu'elle m'a révélé, le nombre de fois où ils l'on fait, la fréquence, les lieux, ses sentiments pour lui...
Mais maintenant que ça fait un mois que j'ai mis fin à notre relation, je regrette d'avoir refusé de lui donner le bénéfice du doute. Ce que je sais de leur relation c'est qu'elle a duré plus longtemps que la plupart des relations, qu'elle a commencé alors qu'Heidi était encore une enfant et que Leonardo a toujours su comment la manipuler. Maintenant que je sais qu'il est vraiment, je le sais capable d'avoir fait en sorte qu'elle retombe dans ses filets.
En voyant qu'Heidi était en train d'évacuer le poison qu'il lui a administré pendant des années, il a senti le besoin de la piéger de nouveau, en se servant de ses sentiments pour moi.
Il s'est servi de moi pour la détruire.
Alors quand j'ai mis les pieds en Italie, j'ai décidé qu'une fois que je l'aurai tué, je donnerai une seconde chance à Heidi. Parce qu'elle me manque... et parce que face à un pervers du calibre de Leonardo Ricci, elle n'avait pas la moindre chance toute seule.
Tout ce que j'ai à faire, c'est appuyer sur la gâchette. Il est seul sur ce balcon. L'autre personne dont j'ai vu l'ombre à travers les rideaux s'est éclipsée.
Mais depuis six minutes maintenant, je le regarde faire profiter de la brise qui fait danser ses cheveux, savourant le calme de la nuit sur cette île. Je devrais tirer, me tirer et en finir avec ça, mais je n'arrive pas à trouver en moi la rage qui m'a mené jusqu'ici.
Je me suis imaginé tant de fois ce moment où je l'aurai dans le viseur, la satisfaction que je tirerais à avoir sa vie entre mes mains et la lui prendre en lui plantant une balle entre les yeux.
Mais maintenant que j'en ai l'opportunité... je n'en ai plus envie. Pas comme ça.
Si je tire, il meurt, et puis c'est tout ? Après tout le mal qu'il a fait, il s'en sortirait aussi facilement ? Mourant paisiblement sur le balcon de sa villa, entouré de toute sa famille ? Sans même savoir qui a mis fin à ses jours ? Sans la moindre angoisse, le moindre regret ?
Non.
Je veux être la dernière chose qu'il verra avant de crever. Je veux qu'il comprenne pourquoi il mourra, pourquoi je suis là. Je veux qu'il se mette à genoux et m'implore de lui pardonner les abus qu'il a fait subir à Heidi avant de le tuer et surtout, je veux voir la vie quitter ses yeux qui m'ont autrefois inspiré l'admiration.
Je ne veux pas seulement le tuer, je veux l'exécuter.
Alors quand il se tourne en ma direction soudainement en ma direction, je couche mon arme sur la branche sur laquelle je suis allongé pour éviter de me faire repérer. Il plisse les yeux, mais sans ses lunettes ne voit pas grand-chose, je suppose, puisqu'après avoir scruté les alentours, ses épaules se relâchent et il retourne dans sa chambre sans se douter qu'il était à un doigt de la mort. Je souffle de soulagement et commence à ranger mon matériel de pneu de longue portée.
C'est en le regardant droit dans les yeux que je veux l'exécuter.
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