07. Not a tear

— Allo ?

C'est pas possible.

— Allo coach ?

C'est pas vrai.

— Coach vous êtes là ?

C'est pas moi.

Si c'est toi.

Non, non, non! C'était un accident. Je suis désolée, je voulais pas... je... je n'ai pas pu frapper si fort...

Je regarde de nouveau le sang sur mes mains et réalise avec horreur que je n'ai pas porté un seul coup, mais plusieurs. Deux ? Cinq ? Dix ?! Je l'ignore, mais je sais que c'était suffisant pour qu'il ne bouge même plus.

Regarde. Regarde ce que tu as fait, où tes mensonges t'ont menée. Regarde.

La crise d'angoisse vient me frapper de plein fouet à la vue de tout ce sang. Ma trachée se referme sur elle-même et respirer devient une épreuve. D'un coup, je suis en train de revivre le même cauchemar, celui de l'exécution de cet agent de FBI. Ce cauchemar où je me vois, dans cette pièce, morte, mon sang se répandant sur le sol et où Leo apparaît derrière moi et m'attaque.

Sauf que c'est moi qui l'ai attaqué, c'est lui qui est par terre, c'est son sang que j'ai sur les mains.

— Oh non...

— Allo ? Est-ce que ça va ?

Je tourne la tête vers le téléphone toujours dans sa main quand j'entends la voix d'Adam. J'ignore depuis combien de temps j'ai donné le premier coup, combien de temps j'ai été absente.

— Allo ?! C'est mon coach de football, l'entends-je dire à quelqu'un. Je crois qu'il lui est arrivé quelque chose, il ne répond pas... je devrais appeler les secours.

Putain!

Je me redresse et rampe jusqu'au corps de Leonardo pour me saisir de son téléphone et mettre fin à l'appel. Quelques secondes plus tard, Adam lui envoie un message pour lui demander si tout va bien. Je lui répond que oui, que Leo rappellerait plus tard, espérant qu'il n'a rien entendu et qu'il y croira.

Heureusement, Adam ne s'inquiète pas plus que ça.

La pression sur mes épaules s'envole en partie. Je ne sais même pas comment gérer la situation dans laquelle je viens de me mettre, la dernière chose dont j'ai besoin, c'est que les secours débarquent ici et me trouvent avec l'homme que je viens d'agresser. Mon regard retourne sur Leo et les plaies au dos de sa tête. J'ose approcher pour constater qu'elles sont profondes, si tout le sang qui s'en échappe n'était pas déjà un bon indicateur. L'une laisse même apercevoir l'os de son crâne fissuré.

Comment est-ce que j'ai pu faire ça ? Comment ai-je pu le frapper si fort ? Je voulais juste l'arrêter, l'empêcher de tout gâcher avec Adam, pas le-

Est-ce qu'il est mort?!

Les mains tremblantes, je touche son épaule.

— Le-Leo... ?

Aucune réponse.

— Leo ?

Je tente de le secouer pour le ramener à lui, sans succès. Alors je pose mes doigts sur le côté de son cou, sous son oreille pour vérifier s'il a encore un pouls, car je ne sais pas combien de temps je suis partie.

Il en a un. Mais il est si faible... si faible...

De l'aide! Il lui faut de l'aide!

Alors j'ouvre son téléphone et compose le 911 par réflexe, mais au moment d'appuyer sur la touche, je m'arrête et regarde le corps de Leo.

Non, si j'appelle les secours, la police se pointera si je leur dis que c'est une agression. Ils m'arrêteront, ils enquêteront sur moi...

D'ordinaire, ça ne me dérangerait pas, mais avec mon rôle dans The Players, je n'ai pas le luxe de prendre le risque d'être sous la loupe. Surtout si ma victime est le fils d'un des mafieux les plus puissants. Et J'ai besoin d'un casier vierge, de rester personne.

Pareil pour l'hôpital, ils vont eux-mêmes appeler la police.

— Bordel.

Je me mords l'ongle si fort qu'il se rompt à cause du stress. Je pense à appeler directement mon père. Lui ne me dénoncerait pas et je suis sûre qu'il peut le sauver... mais est-ce que je veux vraiment impliquer ma famille là-dedans ? Rien que le fait de mentir pour moi mettrait sa carrière en danger. Maman vient à peine de se trouver un nouveau poste, je ne veux plus la ramener à la maison après des mois de guérison.

Je lâche une plainte en constatant la gravité de ma situation et combien le temps passe vite quand un homme se vide de son sang à vos genoux.

Je finis par me rendre à l'évidence, je ne peux pas m'en sortir par moi-même. Pas sans qu'il meure et c'est étrange, mais je ne veux pas qu'il meure !

Je n'ai pas le choix. Je dois en faire part à The Players. Je vais appeler Adam et lui expliquer. On contactera Jérôme... lui... lui saura quoi faire. Je vais tout perdre, on va sans aucun doute me tuer, mais c'est la bonne chose à faire.

Je sors mon téléphone et me rends dans mes contacte à la recherche de celui d'Adam, mais alors que je défile la liste de prénom commençant par A, je tombe sur l'un que je ne me souviens même pas d'avoir enregistré.

Un qui ne m'était même pas venu à l'esprit.

Peut-être pourra quelque chose pour moi. Ça ne me coute rien d'essayer, c'est là mon dernier recours. Je lance l'appel les mains tremblantes et après quelques tonalités, il répond.

— Young à l'appareil.

— Archibald !

— Oui ?

— C'est Heidi. Je ne sais pas si tu te souviens, je suis-

— Je sais qui tu es, Heidi. Comment vas-tu depuis la dernière fois ?

Comme la première fois qu'on s'est rencontrés, sa voix transpire la fatigue. Nous sommes pourtant en plein milieu de l'après-midi, mais il semble déjà exténué et sa journée doit être loin d'être terminée. Peut-être que ce n'était pas une si bonne idée de l'appeler finalement.

Mais je n'ai pas le choix.

— Euh... bien... enfin, ça allait bien, plus maintenant. Je besoin d'aide.

Ma voix tremble plus que je ne l'aurais voulu et je ne parviens pas à retenir mes larmes.

— De mon aide, je suppose.

— Oui ! Tu es disponible ?

— Non.

Et il coupe l'appel.

Je regarde mon téléphone où les vingt secondes qu'ont durées notre échange sont inscrites la bouche entrouverte, choquée.

Il m'a raccrochée au nez...

— Espèce d'idiote. Il a la responsabilité de la sécurité de tout le pays, bien sûr qu'il n'a pas le temps.

Je ferme les yeux pour me retenir de pleurer alors que la panique me gagne. Que faire ? Je n'y avais pas pensé plus tôt, mais si je contacte The Players, ils me diront de le laisser mourir, et ensuite ils me tueront.

Comprenant que je n'ai pas le choix, je décide d'amener Leo aux urgences moi-même. Ils sauront quoi faire de lui. Je m'arrangerai avec les conséquences plus tard, je suis condamnée quoi que je fasse.

Je le lève et approche de son corps toujours inerte, commence à la porter quand mon téléphone sonne de nouveau. En voyant le nom d'Archibald, je m'empresse de décrocher.

— J'ai dû passer quelques coups de fil pour annuler mon dîner de ce soir avec une sénatrice. À présent, je suis disponible. Qu'est-ce que je peux faire pour toi ?

J'ouvre la bouche pour parler, mais les mots spiralent dans ma tête, mon cœur recommence à cogner frénétiquement, ma gorge se serre et je craque.

— J'ai pas fait exprès... je- je voulais pas- il- je suis désolée...

— Calme-toi Heidi, respire. Je ne comprends pas ce que tu me dis, tu as fait quoi ?

— Je l'ai frappé... il y a du sang partout...

— Qui ?

— Mon ex.

Il y a un silence.

— Où est le problème ?

— Hein ?

— Je veux dire, certes c'est un peu extrême comme réaction, mais c'est une bonne chose... non ?

Je suis prise au dépourvu par sa question.

— Si tu as besoin de te débarrasser du corps, je connais quelqu'un-

— Non ! Non ! Il n'est pas mort... je ne veux pas qu'il meure ?

— Tu veux quoi alors ?

— Pour le moment que quelqu'un le soigne sans avertir les policiers.

— Tu es où là ?

Je lui donne l'adresse de Leonardo. Il me raccroche de nouveau au nez avant de me rappeler quelques minutes plus tard.

— Dans une dizaine de minutes, un homme viendra te sortir de là. Tu fais tout ce qu'il te dit, c'est clair ?

— Attends- quoi ? Qui ? Comment ?

— Et surtout, tu ne poses pas de question. Jamais. Tu obéis et tu ne parles que quand il te le demande. Tu m'entends ?

— Ou-oui...

— Bien. Je te rappelle dans une heure. Tu m'expliqueras comment tu t'es retrouvée dans cette situation et pourquoi ton ex est l'un des hommes les plus dangereux du pays.

Je m'apprête à répondre par plus de questions, mais à nouveau il me raccroche au nez.

J'ai à peine le temps d'assimiler ce qu'il m'a dit que l'on cogne à la porte. Dix minutes se sont écoulées sans même que je ne m'en rende compte. Je me lève et m'empresse d'aller ouvrir. Comme indiqué par Archibald, je ne m'adresse pas à l'homme blond et mince vêtu d'un col roulé noir et de pantalons de même couleur qui entre chez moi. Il ne me demande rien non plus et se dirige directement vers le corps de Leonardo, vérifie qu'il est encore vivant avant de m'indiquer de l'aider à le sortir de l'appartement.

Puis, au moment d'entrer dans son véhicule avec eux, il m'en empêche, démarre et s'en va avec Leo sans me dire où il part et ce qu'il compte faire de lui. C'est donc toujours dans l'angoisse que j'attends l'appel d'Archibald.

Quand il rappelle enfin, je lui explique tout de ma situation, ma relation avec Leo, comment il a su pour moi et Adam, le chantage qu'il m'a fait subir, le fait que je ne peux pas en parler à The Players. Il me confie que la meilleure des solutions ce serait vraiment de l'éliminer, mais j'en profite pour lui faire part d'une idée qui n'était qu'au stade embryonnaire, car je ne savais même pas encore comment la réaliser.

Elle lui plait. Il accepte de ne pas en parler aux Players et ensemble nous établissons un plan, ou plutôt, il apporte des correctifs au mien.

— Ce sera fait d'ici demain soir.

— Merci Archibald. Tu me sauves la vie, littéralement.

— Ne t'en fais pas. Je vais le dresser, moi, ton lion blanc.








Je détestais cela. Pour moi, il n'y avait rien de pire que c'est moment là. Ces moments qui duraient une éternité.

Je détestais ce couloir, je détestais cette porte. Mais par-dessus tout, je détestais imaginer ce qui pouvait bien se produire à l'intérieur pour qu'elle crie aussi fort, pour qu'elle pleure aussi fort.

Mais je ne pouvais pas fuir, je ne pouvais pas partir, m'enfermer dans ma chambre, boucher mes oreilles et attendre que le moment passe. Non. Seuls les faibles fuient. C'est ce qu'il disait. C'est pour ça qu'il m'obligeait à rester là, debout devant la porte derrière laquelle il la martyrisait, pour que j'écoute.

Si je partais, elle le payait. Si j'essayais d'entrer, elle le payait. Si en sortant, il me trouvait en larmes, elle le payait. Il y retournait et recommençait.

« Chaque larme que tu verseras, elle en versera le double.»

Ça avait été long, horrible, j'avais chaque fois l'impression que tout ceci était de ma faute. Non, je savais que c'était de ma faute. Je l'avais entendue un jour dire que maintenant que j'étais né, maintenant qu'il avait l'héritier qu'elle avait la responsabilité de pondre, il ne se sentait pas l'obligation de retenir ses coups. Mais j'avais fini par y parvenir. À ne plus fuir, à ne plus essayer d'entrer et de supplier qu'il l'épargne, à ne plus pleurer.

À la place de la peur, la culpabilité et la tristesse, c'était de la colère que je ressentais, debout, telle une statue, attendant qu'il finisse et vienne voir que je n'ai pas réagi. Mais toute la colère du monde ne me servait à rien. J'étais impuissant.

Je n'avais que quatre ans.

— Quand est-ce que ça va s'arrêter ? lui avais-je demandé alors qu'on attendait dans le couloir, tous les deux, comme c'était souvent le cas.

Il ne m'avait pas répondu.

— Pourquoi tu ne fais rien ?

Il avait enfin descendu ses yeux bleus sur moi, l'un partiellement dissimulé derrière une mèche blonde.

— Ce n'est pas ma place.

Ce n'était pas la réponse que j'attendais.

— Quelle est ta place ?

— Obéir aux ordres de mon employeur, remplir mon contrat, ma mission. Rien de plus, rien de moins.

— Quelle est ta mission ?

Après quelques secondes de silence, sans doute parce qu'il avait vu où je voulais en venir, il répondit :

— Protéger ta mère de possibles menaces.

— Alors pourquoi tu ne le fais pas ? Pourquoi tu ne la protèges pas de lui ?

— Je ne peux pas. C'est lui mon employeur. Je dois rester à ma place.

Insatisfait par sa réponse, j'avais détourné le regard pour le reporter vers la porte d'où s'échappaient ses pleurs et supplications.

— Alors tu m'as menti ?

Je pouvais deviner qu'il était intrigué par ma question.

— Quand tu m'as dit ce qu'un homme, un vrai. Tu as dit que je devais la protéger. Qu'on devait la protéger... alors pourquoi ?

Ma voix avait commencé à trembler. J'allais pleurer, mon père allait le voir et lui faire encore plus de mal et cette idée me fit craquer plus vite.

Il s'était accroupi à mes côtés et c'était mis à sécher mes larmes, sans doute pour éviter ce que je redoutais.

— Non. Je ne t'ai pas menti. Un homme, un vrai, doit toujours protéger la femme qu'il aime. Mais il arrive qu'un homme ne puisse pas remplir son devoir parce qu'il est trop faible... ou parce qu'il n'est encore qu'un petit garçon.

Rien de plus vrai. Si je ne pouvais rien pour elle, c'est parce que j'étais un enfant. Si lui ne pouvait rien pour elle, c'est parce qu'il travaillait pour mon père et était loin d'être aussi puissant que lui.

— Et que fait un homme quand il est trop faible pour remplir son devoir ?

— Il attend. Il attend d'être assez fort et le moment venu...

Il avait laissé sa phrase en suspens un instant. Cette fois, son regard s'était voilé de quelque chose que je n'avais jamais vu chez lui ; de la noirceur.

— Il se venge, formula-t- il d'une voix glaciale.

Mon petit cœur fut pris d'un soubresaut à l'entente de ce mot, de cette idée, de ce rêve ; la vengeance. Elle m'était devenue plus attirante même que simplement protéger ma mère.

Il fallait à présent que je tue mon père.

Que je lui fasse subir ce qu'il lui a infligé au centuple. Je voulais qu'il crie comme elle criait, qu'il pleure comme elle et qu'il supplie, qu'il me supplie de l'épargner avant que je ne lui inflige la plus ingrate des morts. Et au fond des yeux de James, j'avais vu ce même désir.

— Est-ce que je pourrai me venger bientôt ?

— La patience est amère, mais ses fruits en sont doux. Patience, Leo.

Sa voix était calme, posée, comme toujours, mais ses mains tenait fermement mes épaules et la prise se resserrait à mesure que les cris s'intensifiaient de l'autre côté. Ses pupilles tremblaient de ce qui s'apparentait à une rage sans fin, s'assombrissant. Je compris alors que ces mots, ils les disaient autant pour lui que pour moi.

Patience.

La porte s'ouvrit en coup de vent, révélant mon père qui en sortit, décoiffé, légèrement en sueur, essoufflé, du sang sur sa chemise et ses poings. Ses yeux verts dont j'ai hérité, ceux d'un prédateur qui s'illuminent dans la nuit alors qu'il vous approche, ceux d'un serpent sur le point de vous asphyxier, descendirent sur moi pour constater l'absence de larmes.

Il ne vit que la pulsion sanguinaire que James venait d'insuffler en moi.

Sans rien me dire, il tourna les talons et s'en alla. J'avais passé l'épreuve cette fois encore. Avec brio cette fois. Je lui ressemblais un peu plus et ça lui plaisait.

Peu de temps après, elle aussi en sortit.

Si je parvenais à présent à me contenir quand une porte me séparait du cauchemar qu'elle vivait, la voir après, titubante, boitant, souffrante, des bleus sur le corps, du sang sur le visage, la lèvre fendue, je ne manquais jamais de fondre en larmes.

Mais ce jour-là, je ne le fis pas.

Elle le remarqua, fronça les sourcils et dirigea son regard vers James dont le visage s'était adouci en la voyant.

— Giulietta...

Elle l'ignora et vint s'accroupir en face de moi.

— Tu vas bien ?

J'opinai.

— D'accord. C'est l'heure de ton bain, allons-y garçon, dit-elle faiblement.

Elle se redressa, me tendit la main et sans un mot pour James avec qui elle s'était disputée juste avant le retour de mon père, elle m'entraîna vers ses quartiers.

Ce soir-là, comme beaucoup d'autres, nous prîmes notre bain ensemble. C'était un des rares moments où nous pouvions être ensemble sans la présence de mon père. Nous ne faisions rien en particulier, nous ne discutions de rien non plus. Ma mère n'était pas bavarde et cela, j'en avais hérité.

Il n'y avait qu'en sa présence qu'on se transformait en véritables pipelettes.

Nous apprécions simplement le silence, l'eau parfumée à la violette dans laquelle nous baignions, nous peau l'une contre l'autre, résonnant de la même fréquence comme seuls peuvent le faire une mère et son enfant.

C'était des instants si paisibles, qu'il arrivait que je m'endormisse contre elle, bercé par le son de son cœur contre mon oreille, son souffle dans mes cheveux, l'eau chaude qu'elle faisait ruisseler le long de mon dos et son collier que je faisais tourner dans ma petite main, les pierres entre mes doigts alors que je sombrais dans un lourd sommeil.

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