03. White lies

Après près d'une heure d'attente, mon téléphone vibre dans ma poche. Leo m'a enfin répondu après que j'aie annulé notre rendez-vous hebdomadaire à la dernière minute, n'ayant pas trouvé le courage de le faire avant.

Leo : Et tu reviens quand ?

Moi : Demain soir normalement.

Leo : C'est pour The Players ? Ton déplacement.

J'hésite à lui répondre. Une part de moi me dit qu'il connaît déjà la réponse. Pour quelle autre raison Adam et moi quitterions le pays en même temps en pleine semaine de cours pour revenir presque aussi vite qu'on est parti ? Mais il me pose la question, comme pour attendre de voir comment je vais lui répondre...

Si je vais lui mentir.

Moi : Oui.

Leo : Tu vas où ?

Moi : Confidentiel.

Je regarde les bulles sautiller de longues secondes, puis disparaître, indiquant qu'il a effacé ce qu'il allait me dire.

Leo : Adam est avec toi ?

Moi : Oui.

Leo : Je vois. Sois prudente.

Il me dit toujours ça quand vient le moment de me laisser, de s'éloigner de moi. Au départ, j'ai bien vu que ça le mettait mal à l'aise, mon implication avec The Players, les missions, entendre parler de nos coups aux nouvelles, mais peu à peu, on dirait qu'il redoute moins ce qui pourrait m'arriver lors des missions.

Même si je sais qu'il me sous-estimera toujours, je sais également qu'il est en train de commencer à voir ce dont je suis capable, ce que je peux accomplir sans lui, loin de lui, avec Adam.

Mais moi, je veux qu'il voie ce que je peux faire toute seule. Ce que je peux lui faire, moi, la Reine.

Pas le tuer.

Même si j'ai appuyé sur la gâchette ce soir-là, dans cette chambre d'hôtel, je ne voulais pas le tuer. C'était la dernière chose que je voulais, tuer un homme que j'aimais encore alors que je pointais le canon vers lui.

Je crois... je crois que j'ai appuyé simplement parce que j'ai vu dans son regard suffisant, cette confiance qui ne le quitte jamais, celle d'un éternel invaincu qui, comme lui-même l'a dit, a toujours dix coups d'avance. En voyant la victoire déjà logée dans ses yeux alors qu'il m'adjurait de lui foutre une balle dans la poitrine, j'ai su que je n'allais pas gagner, que je n'allais pas le tuer.

Alors j'ai appuyé, espérant secrètement avoir bien déchiffré cette assurance. Et j'ai eu raison. Mais dans son regard, j'ai bien vu que lui a cru que j'allais le faire pour le tuer. Mais au lieu de lui faire perdre son petit air condescendant, on dirait que ça l'a satisfait.

Aujourd'hui encore, ça m'énerve.

Mais je jure, je jure que je lui ferai perdre le sourire, l'espoir et sa dignité comme lui l'a fait avec moi.

Moi : Promis.

— Voilà, tout est rangé.

Je lève les yeux de mon écran pour tomber nez à nez avec le nombril d'Adam qui se tient dans l'allée. Il a encore les bras levés vers le compartiment réservé aux bagages à main, ce qui soulève légèrement son t-shirt, révélant sa taille marquée, ses abdominaux parfaits, la naissance de sa ceinture d'Apollon et l'inscription en partie cachée par l'élastique de son boxer.

Leap of faith

Acte de foi.

Le genre qu'on fait en sautant dans le vide, sans être sûr de parvenir à voler ou d'atterrir en un seul morceau, quand on tombe à la renverse, les yeux fermés et bras près le corps, espérant qu'on nous rattrapera, ou quand Adam saute d'un immeuble, d'un avion, de mon balcon, vers le danger, vers une mort quasi certaine, prenant tous les risques, parce qu'il a confiance non seulement en lui, mais aussi en nous.

En moi.

Est-ce que je mérite cette confiance?

Il se penche, lui qui est si grand pour passer sa tête sous le compartiment. Il prend place près de moi, libérant l'allée.

— Prête à partir ?

Je hoche la tête juste au moment où mon téléphone se met à sonner. D'abord je panique croyant qu'il s'agit de Leo et qu'Adam verra son nom, mais retrouve mon calme quand je vois le nom de ma mère. Je soupire et range mon téléphone.

— Si tu ne lui réponds pas, elle ne va pas arrêter de t'appeler.

— Je sais. Mais une fois dans mes airs j'aurai la paix. Je vais lui parler une fois arrivée.

Là, c'est au tour du téléphone d'Adam de sonner et le nom de ma mère, Kate, apparaît sur l'afficheur. Adam me regarde, me suppliant de le laisser répondre.

— Non, Adam-

Il décroche.

— Allo Kate !

Je ne perçois pas bien ce qu'elle lui dit, mais je l'entends crier d'ici. Adam commence à la rassurer quant à notre voyage pour lequel le je l'ai quand même prévenue plusieurs jours d'avance. Elle sait tout ce qu'elle a besoin de savoir et pourtant elle refuse de lâcher l'affaire.

Ce matin, elle m'a parlé d'une fille qui est partie en voyage en amoureux avec son copain et qui s'est fait assassiner par lui.

Le tout devant Adam.

Je crois ne jamais avoir été aussi embarrassée de ma vie que de voir mon copain écouter ma mère le suspecter d'être une espèce de tueur en série.

Oui, techniquement oui, Adam a tué pas mal de monde et en effet, il n'est pas une personne très recommandable, je crois qu'aucun parent ne désire que leur fille finisse avec un terroriste, mais tout de même. Ça va faire plus de cinq mois qu'on est ensemble avec Adam ! Elle le connaît, elle sait qu'il ne me ferait jamais de mal et pourtant...

— Oui, Kate. Ne vous en faites pas, j'ai Heidi à l'œil. Non, je ne la laisserai pas sortir seule dans les bois, je l'attacherai à une laisse si il le faut- Aouch!

Je lui prends le téléphone.

— Je suis plus une enfant, maman et mon copain n'est pas mon baby-sitter.

— Je sais ma chérie mais tu ne vas jamais loin de moi comme ça, sans ton père ou ton frère.

— On ne se voit presque jamais.

— Oui mais je sais qu'en rentrant, je te trouverai en train de dormir devant un film, en sécurité... Mais tu as raison, tu es une femme maintenant. Bon voyage, soyez prudents sur la route. C'est où déjà ?

Oh, maman...

Elle sait très bien où c'est. Je suis sûr qu'elle a même cherché le site sur une map.

- Phelps Lake, Teton County, Wyoming. Je vais te texter l'adresse de l'auberge, tu pourras même parler au responsable si tu veux.

— D'accord... si jamais il y a un problème, tu m'appelles moi ou ton père ou Felix ou Marina ou Leonardo.

— Oui maman, je t'appelle ce soir-

— Mademoiselle, veuillez éteindre vos appareils de communication, nous allons bientôt décoller, m'indique l'hôtesse en passant.

— Décoller ?!?! Vous ne deviez pas partir en voiture ??!

— Ok, bye maman, je t'aime !

— Heidi-

Je coupe l'appel et souffle. Adam me sourit en récupérant son téléphone.

— Elle va nous faire une crise de nerfs au retour.

— Je sais... je n'avais juste pas l'énergie de tisser un énième mensonge. Surtout qu'elle ne m'aurait pas cru, elle a déjà si peu confiance en moi avec tous ceux que j'ai déjà racontés.

— Ah oui ? Tu mens toujours comme ça ?

J'arrête de penser, de bouger et de respirer. Quand je tourne la tête vers lui, il me regarde encore, dans l'attente d'une réponse. Rien dans ses yeux ne montre qu'il avait une quelconque intention en posant cette question, qu'il se doute de quoi que ce soit.

Je sais que garder le silence sur ce qu'il se passe avec Leo depuis quatre mois, c'est déjà lui mentir, même s'il s'agit d'un mensonge blanc, mais je lui dois au moi un fragment de vérité.

— Il paraît que oui. Depuis toute petite, je mens comme je respire, à tout le monde.

— Et à moi, il t'arrive de me mentir ?

Oui, à toi aussi...

— Non, pas vraiment. Du moins pour rien d'important. Tu es la seule personne en qui j'ai entièrement confiance.

Ravi, un sourire marqué par la fierté gagne ses lèvres. La culpabilité me gagne, mais je m'assure de la contenir au fond de moi, comme je le fais depuis quatre mois maintenant. En attendant que je trouve une solution concernant Leo, je dois tout garder au fond de moi.

Et ça vaut pour ce que Leo me fait ressentir. Je dois le garder au fond de moi, le contenir, l'empêcher de revenir, de grandir, de me dévorer. Je dois le dompter comme un lion et le condamner dans une cage.

— Et toi tu ne mens jamais ?

— Si ce n'est pas pour The Players, jamais. Ma mère ne me demande jamais où je vais ou ce que je fais. Je n'ai qu'à lui dire « maman je pars en voyage quelques jours » et elle répond « ramène-moi un souvenir ». De toute façon, si j'essayais de mentir, elle le décèlerait rien qu'aux fluctuations de ma voix.

Hm... j'en connais un comme ça...

La voix du capitaine se fait entendre. Il se présente et résume le voyage que nous nous apprêtons à faire, puis nous laisse au soin des hôtesses qui entreprennent de nous donner les consignes de sécurité et nous indiquer les sorties de secours. Peu de temps après, l'avion décolle.

Plus que dix heures avant le début de la mission.

Quand Sky m'a annoncé que je devais aller en Chine pour une mission, j'ai cru à une blague. Mais ces gens ne blaguent jamais. J'étais prête à refuser. Je veux dire, je ne voyage jamais seule, ma mère ne le permettrait jamais et j'ai des cours, des cours où je m'en sors uniquement parce que je m'y consacre entièrement.

Mais Adam m'a convaincu d'accepter. Il a promis de m'aider à rattraper mon retard en cours et m'a été d'une grande aide pour rassurer ma mère. Voilà comment je me suis retrouvée dans un vol pour Shanghai alors que je suis censée être en road trip vers le Wyoming. Adam me fait faire de ses folies, il vit sa vie à une vitesse folle. J'ai toujours l'impression de ne pas pouvoir suivre, de traîner de la patte et même de le ralentir... mais dès que je lève les yeux il est là, à m'attendre, main tendue et sourire aux lèvres.

— Heidi, réveille-toi. Nous sommes arrivés.

— Hmm ?

Je lève ma tête lourde de sommeil et frotte mes yeux.

— Tenez, monsieur, ce que vous avez demandé, lui dit une hôtesse en lui tendant une lingette humide.

— Merci beaucoup.

— De rien. Bon séjour, dit-elle avant de me regarder et de partir en riant. Je fronce les sourcils.

— Je rêve où elle vient de se moquer de moi ?

Il me donne la lingette.

— Non, tu ne rêves pas, plutôt tu ne rêves plus et tu as de la bave séchée sur le visage, ajoute-t-il en riant à son tour alors qu'il récupère notre bagage au-dessus de ma tête. D'ailleurs, tous les passagers t'ont entendu dormir comme une bûche. La fillette qui était assise devant t'a prise en photo pour immortaliser ça.

Morte de honte, je m'essuie les commissures avec la lingette.

— Et tu ne m'as pas réveillée ?

— Pour rien au monde. On regardera les photos à l'hôtel.

— Non, supprime-les.

— Je les ferai encadrer et les accrocherai dans ma chambre.

— Je t'en supplie...

— Elles passeront à notre mariage.

— NON- Tu as dit notre mariage ?

— Oui.

— Ça fait juste cinq mois qu'on est ensemble.

— Et alors ? La vie est courte.

Il passe la sangle du sac sur son épaule et me tend sa main.

— On y va ?

Le bonheur se reprend déjà dans mes veines et j'attrape sa main pour le suivre jusqu'à l'extérieur, jusqu'à l'aéroport, jusqu'au taxi, jusqu'à notre hôtel, jusqu'à notre chambre, jusqu'au septième ciel.



— Septième étage. Suite 4.

— Merci, dis-je en récupérant le plateau que l'employé du service de restauration de l'hôtel me tend.

Il ne me répond même pas et se tourne pour gérer les autres commandes aux chambres et le restaurant lui-même. C'est l'heure du diner, les clients ont quitté leurs chambres et ont rempli la salle, mais pas celle que je voulais, pas celle que je visais.

Alors je me vois dans l'obligation de lui monter sa nourriture, déguisée en employée du service aux chambres. Un uniforme que j'ai dû subtiliser à la dernière minute. Mais bon, je sais que tout ne va pas toujours comme prévu lors des missions, ce qui compte c'est ma capacité à m'adapter, à trouver une solution dans la milliseconde, même si elle est moins parfaite.

Le retrait est le dernier recours, une défaite. Les Players ne perdent pas à leur propre jeu.

Je pose le plateau sur mon chariot ainsi que les couverts et la bouteille de vin avant de m'élancer vers le monte-charge. Ce dernier me mène au huitième étage. En sortant de ce dernier, je vérifie que personne n'est dans le couloir avant de me rendre jusqu'à la chambre portant l'identification 704.

Arrivée devant, je donne trois coups à la porte.

Room service.

J'attends quelques secondes, qui deviennent quelques minutes.

Elle dort?

Je cogne à nouveau, plus fort cette fois.

Room service!

Toujours pas de réponse. Si ça se trouve elle est sortie, elle a changé d'idée et est allée au restaurant en bas ou dehors.

— Joker.

Il y a un grésillement, puis Adam répond dans mon oreillette.

— Oui ?

— Wong est-elle sortie de sa chambre pendant que je montais ? Elle ne répond pas. Room service! répété-je en cognant encore plus fort.

— Attends, je vérifie... non. Elle n'est pas sortie de sa chambre.

Alors elle dort?

Je lève la main pour cogner à nouveau, mais la porte s'ouvre d'un coup, faisant apparaître une femme asiatique devant moi.

— Pouvez-vous arrêter de vous acharner sur la porte ?! J'ai entendu, râle-t-elle d'une voix désagréable.

Donc tu m'ignorais?

— Pardonnez-moi... euh, room service...

Elle se tasse pour me laisser entrer avec sa commande. Je pousse le chariot à l'intérieur. La suite est spacieuse, luxueuse, le genre de chambre à laquelle une employée du gouvernement américain a droit.

Je n'ai pas le temps d'admirer la beauté de l'architecture, Annie Wong, interprète pour l'ambassade américaine de Chine, semble pressée de se retrouver de nouveau seule.

Je m'apprête à partir après lui avoir souhaité un bon appétit, mais elle m'interpelle.

— Je n'ai pas commandé de vin.

Je me tourne vers elle.

— Ah non ?

Non, elle n'a pas demandé de vin.

— Non. Je ne bois pas. J'ai demandé de l'eau, s'irrite-t-elle.

— Comment ça elle ne boit pas ? demande Adam.

Son dossier disait qu'elle était amatrice de vin et d'alcool en général, c'est presque une addiction chez elle. J'étais sûre que ça lui ferait plaisir... on dirait qu'elle a décidé de devenir sobre... ça explique l'irritabilité.

— Oh ! Une erreur a dû être faite en bas. Vous pouvez le garder, il est offert par la maison.

— J'ai dit que je ne bois pas, vous êtes sourde ?!

Voyant que le ton monte et qu'elle est très tendue, je m'empresse de faire descendre la tension.

— Je comprends, c'est mon erreur. On m'a dit que vous sembliez très énervée et très stressée, j'ai cru qu'un de nos meilleurs vins vous ferait du bien en cette fin de soirée, je ne voulais pas vous offenser, désolée d'avoir pris cette liberté, s'il vous plait ne le dites pas à mon supérieur, c'est déjà ma quatrième erreur de la journée, il va me renvoyer, j'ai vraiment besoin de ce job pour payer mes études, mon rêve est de devenir infirmière et si je ne peux pas payer-

— OK, ok, ok ! Taisez-vous. Juste... aller me chercher l'eau que j'ai demandée.

Je hoche la tête et me tourne pour sortir, mais avant que je ne parte, elle me retient.

— Tenez, ma carte magnétique, ne vous acharnez plus sur la porte. Entrez et déposez l'eau sur le plateau. Faites vite, je meurs de soif.

— Compris madame, merci madame.

Je prends sa carte et sors de la chambre.

— On fait comment si elle ne boit pas le vin ?

— Elle va boire.

— Qu'est-ce que tu en sais ?

— Elle est alcoolique.

— Alcoolique ?

— Oui, elle présente les signes. Son irritabilité, la façon dont elle s'est mise à trembler à la mention et à la vue de la bouteille, la manière dont elle la zieutait tout au long de notre échange.

— Je vois... ce n'était inscrit nulle part dans son dossier.

Comme toujours. Il y a certaines choses qu'on ne peut pas savoir avec quelques informations accessibles en ligne. Les gens ont des secrets qu'eux seuls peuvent nous livrer, de manière volontaire ou pas.

— Mais elle a dit qu'elle ne boit plus.

— Oui. C'est vrai. Ça doit être une résolution assez récente vue comme elle est sur les nerfs.

Je me sens un peu mal d'avoir à faire, ça, sachant tous les efforts que ça a pris à ma mère pour arrêter l'alcool. Exploiter cette maladie pour une mission me met un peu mal à l'aise, mais pour The Players, je dois laisser ma morale et ma vie personnelle de côté.

La fin justifie les moyens.

— J'ai laissé le vin sur le chariot. Imagine-la, seule avec son péché mignon, sans témoin pour assister à son écart. Elle ne tiendra pas bien longtemps d'ici à ce que je lui amène son eau.

Ma mère a dû mettre un cadenas à la porte de cellier et me confier la clé pour ne plus céder à son envie. Nous étions même passées chez tous les commerçants distribuant de la liqueur près e chez nous pour qu'il la mette sur une blacklist.

— Wow... mais si elle résiste le temps que tu lui amènes son eau ?

— C'est pour ça que je ne lui amènerai pas son eau avant un moment. La soif combinée à l'envie aura raison d'elle.

Et c'est ce que je fais. J'attends dans un coin de l'étage observant la caméra que j'ai laissé dans sa chambre avant de partir. Près de vingt minutes s'écoulent où elle perd de plus en plus patience et surtout son self-control. Elle se met à tourner autour du plateau comme un lion autour d'une proie fraichement tuée, prête à être dévorée. À quelques instants on voit la lutte intérieure qu'elle mène, elle tourne le dos à la bouteille, va se coucher sur le lit, allume la télé, se frappe la tête avec sa télécommande avant de se lever et de se téléporter vers le plateau.

Elle ouvre la bouteille, ne prend même pas la peine de se servir un verre, elle boit sa première gorgée à même la bouteille. Et quelle gorgée ! Adam et moi l'observons de vider la bouteille à une vitesse indécente, comme si c'était à la fois la première fois et la dernière fois qu'elle en boit.

C'est un peu le cas...

Cela ne tarde pas avant que le sédatif ne fasse effet, vu la quantité qu'elle a ingérée et Annie Wong s'écroule.

— Ma Reine...

— Oui mon cœur ?

— Tu es formidable.

— Je sais, dis-je en passant la carte magnétique de madame Wong devant le lecteur pour entrer dans la chambre.

Je ferme la porte, sort mes gants et les enfile. Avec chance, elle n'a pas renversé le contenu de sa bouteille sur le tapis en perdant connaissance. Ça aurait été pénible de nettoyer et je ne crois pas que l'uniforme de femme de chambre m'aille bien. Je récupère ses affaires, ses cartes d'identités et d'accès, les range, puis je passe à elle.

Je la traîne, la place sous le plateau qui contient sa nourriture encore chaude et la plie pour que ces membres ne dépassent pas la nappe qui tombe jusqu'au-dessus des roues.

— J'ai fini. J'arrive.

— Ok, je t'attends.

Je sors avec le chariot contenant la personne que je devais enlever, m'assurant de rester calme et naturelle quand je croise des clients ou des employés dans le couloir ou le monte-charge. Je me rend au deuxième sous-sol, où le stationnement souterrain se trouve.

Adam qui porte une casquette et un masque sanitaire vient m'aider à faire monter le chariot dans le camion et encore moins de temps qu'il ne faut pour le dire, nous quittons l'hôtel.











Heidi : Promis.

J'ignore depuis combien de temps je regarde ce message. « Promis ». Je vais finir par devenir fou. Ça me torture de ne pas savoir précisément où est-ce qu'elle est et ne pas pouvoir intervenir s'il venait à lui arriver quelque chose là-bas.

Devrais-je l'appeler ? Non, c'est une mauvaise idée, Adam pourrait répondre à sa place puisqu'ils sont ensemble là-bas.

Je n'ai même pas osé lui envoyer un autre message pour éviter ça. Elle est en mission, je ne dois pas la déconcentrer parce que je suis paranoïaque. Là où est-ce qu'elle est, avec Adam qui plus est, c'est sans doute plus sécuritaire qu'ici où se trouve mon père, où je me trouve.

Au fond, je le sais, mais la perte du contrôle est en train de me faire perdre la tête. Si bien que je ne suis parvenu à rien faire de ce que j'avais prévu pour la journée. Je n'ai pas préparé mon cours de demain, je n'ai pas envoyé mes rapports à Lutz, je n'ai pas avancé dans ma thèse, je n'ai pas corrigé les devoirs de la semaine dernière, je ne suis pas parti à mon rendez-vous chez l'optométriste et j'ai dit à Jay que je n'irais pas avec lui à une autre rencontre de mon père concernant ses affaires et la famille et je ne sais quoi d'autre.

Je n'arrivais à rien faire, à me concentrer sur absolument rien. Et je crois que c'était ça le pire ; ne rien faire, ne rien pouvoir faire, patienter. Pourtant j'ai l'habitude, de patienter, d'attendre, d'observer, d'analyser pour mieux agir après, mais là...

Il fallait que je fasse quelque chose, n'importe quoi.

Alors j'ai pris ma voiture il y a deux heures maintenant et je me suis rendu chez ma mère. J'ai utilisé l'excuse d'une visite de courtoisie juste pour être près de chez Heidi, plus près d'Heidi de quelque manière que ce soit sans empiéter avec ses activités de The Players.

Si je le dis à Jay, il se moquera de moi, alors j'ai évité ses appels toute la journée.

Il est tard. Ma mère est partie se coucher depuis une demi-heure. Moi je suis resté dans mon ancienne chambre à essayer de battre mes propres records aux jeux vidéos que j'aimais plus jeunes.

Parmi mes favoris se trouvait un jeu d'échecs en ligne. On pouvait y affronter des gens du monde entier, des amateurs, d'autres génies et l'intelligence artificielle, éternelle invaincue.

Je perdais contre elle, parfois contre des esprits plus puissants que les miens. J'ai même perdu une fois contre une gamine de 9 ans qui aujourd'hui encore est perchée en haut du classement. Mais ce qui m'intéressait par-dessus tout, c'était de me battre moi-même. De dépasser mon précédent record.

C'est donc ce que j'ai tenté de faire en me rasseyant pour la première fois depuis que j'ai déménagé dans mon propre appartement. J'ai une partie décente que je pouvais contre la machine et sans étonnement j'ai perdu. J'attendais de voir si j'avais battu mon score de la dernière fois, quand j'ai reçu un message.

Jay : Tu es au courant pour les funérailles ?

Moi : Oui.

Jay : Tu comptes t'y rendre ?

Moi : Non.

Juste quand la réponse est envoyée, un jingle, suivie d'une lumière rouge s'affiche. Réalisant que je ne suis pas parvenu à vaincre mon record, je me redresse. Il est vrai que je suis loin d'avoir donné mon 100%, mais tout de même, j'espérais que je serais meilleur que la version de moi plus jeune.

Quand le record que je ne suis pas parvenu à battre s'affiche, il est bien plus élevé que la moyenne dont je me rappelle.

— Qu'est-ce que...

Je clique sur le score pour en apprendre plus et tombe des nues quand je vois qui a établi ce record. Le nouveau record appartient à : Pinocchio.

Heidi.

Elle m'a battue...

Je regarde l'écran, n'arrivant presque pas à croire ce que je lis. Elle n'était jamais parvenue à ne serait-ce qu'approcher ma performance et maintenant, elle l'a surpassée. Je regarde la date de ce record. 21 mars. La semaine dernière.

Elle est entrée dans ma chambre la semaine dernière et a battu mon record. Un rapide coup d'œil sur l'historique me montre qu'elle n'y est pas arrivée du premier coup. Des centaines de parties s'étalant sur les deux dernières années attestent qu'elle s'y est exercée, jusqu'à dépasser mon score. Puis elle l'a laissé là, satisfaite, consciente que je finirais un jour par le voir moi aussi.

Je souris et ferme les yeux.

— Tu t'inquiètes pour rien Leo. Elle est plus forte que ce que tu penses... elle s'en sortira.

Réalisant combien mon angoisse était ridicule, j'éteins la télé et me lève pour rentrer chez moi. Je me dirige vers la sortie, ouvre la porte d'entrée, mais au moment de m'élancer vers ma voiture, je tombe nez à nez avec un homme.

Un homme essayant d'ouvrir la serrure de la maison d'Heidi.

Tous les deux, figeons et mes sens se mettent en alerte. Mais je garde mon calme et demande comme si de rien n'était :

— Bonsoir, je peux vous aider ?

Je vois bien qu'il panique un peu, sans doute ne s'attendait-il pas à croiser un résident.

— Euh... non, ça ira... je... viens visiter ma nièce... mais on dirait qu'elle n'est pas là. Elle m'a pourtant dit qu'elle m'attendait ici...

C'est dans ces moments-là que les mensonges élaborés d'Heidi me manquent.

— Je vois... elle est sortie il y a peu, vous l'avez manquée.

— Oh... oh non... hum...

— Mais je suppose qu'elle vous a dit de l'attendre.

— C-c'est ça oui ! Je dois l'attendre.

Je le toise.

— Si vous voulez, j'ai un double des clés des voisines, elles nous en ont donné un en cas d'urgence. Comme ça, vous l'attendez à l'intérieur.

— Vraiment ? s'empresse-t-il de demander, heureux de ne pas avoir à crocheter la serrure.

— Oui, suivez-moi.

L'idiot me suit. Nous marchons à deux dans l'allée venant à la rue où est stationnée ma voiture. Pendant ce court trajet, je peux enfin réfléchir sur la situation et cherche qui il est et ce qu'il veut à Heidi. Très vite, j'ai déjà mes doutes sur la raison de sa venue.

Faire du mal à Heidi pour exercer une pression sur moi.

Dès que nous sommes suffisamment près de ma voiture, je sors mon arme et la pointe sur lui. Il lève aussitôt les mains.

— Wow, wow, qu'est-ce que-

— Tais-toi.

— Je-

— Tais-toi.

Juste à ce moment, deux joggeuses passent notre niveau. Elle nous saluent et je fais de même, mon revolver dissimulé derrière le dos de mon nouvel ami. Quand elles sont suffisamment loin, je le dirige vers son abdomen.

— Bien, maintenant parle. Qui es-tu ?

Il garde d'abord le silence, alors je tire une balle dans son pied. Le silencieux couvre la détonation et quand il ouvre la gueule pour crier, je plaque ma main sur celle-ci et étouffe son cri. Des larmes se forment dans ses yeux et il prend de grandes inspirations à cause de la douleur.

— Dernière fois que je me répète ; qui es-tu ?

— Je suis-

— À bien y réfléchir, ça ne m'intéresse pas. Qui t'envoie ?

— Ricci... Leonardo Ricci, répond-il entre deux gémissements de douleur.

Putain...

— Ricci ?

Il confirme vigoureusement.

— Qu'est-ce que Ricci t'envoie faire ici ?

— Je devais... j'ai reçu la description et l'adresse d'une fille... Mäkinen... Heidi Katerina Mäkinen... je devais...

Il lâche des cris à cause de sa souffrance qui s'intensifie maintenant que l'adrénaline ne fait plus effet. Je lui donne une gifle pour le ramener à notre conversation.

— Tu devais quoi ?

— Je devais la prendre... avec moi, pour l'amener et la garder...

— Pour faire quoi ?

— Je n'en sais rien. Je devais juste prendre la fille, je ne sais rien de ce qu'il voulait faire d'elle. Je ne faisais que mon job...

Je vois... mon père ne fait jamais le sale boulot lui-même. Je croyais qu'il avait compris mes avertissements lors de sa fête, mais on dirait que non. Ce que j'ai redouté toute ma vie est en train de se produire :

Heidi est à présent sa cible.

— Tu sais qui je suis ?

Il secoue la tête.

— Tu ne sais pas qui je suis. Je suis Leonardo Ricci, le fils de ton employeur. Et la fille que tu t'apprêtais à kidnapper c'est ma petite amie.

La peur s'inscrit dans ses yeux quand je lui donne mon nom.

Commence les négociations.

Les bras bien en évidence près du corps, les yeux si grand ouverts que ses globes pourraient tomber de leur orifice, la voix cassante comme un adolescent de 14 ans qui mue, il enchaîne sans même prendre son souffle :

— Je suis désolé, je suis désolé, Je ne le savais pas ! Je le jure, on m'a juste dit de la chercher, je n'allais rien lui faire, je le jure, je ne savais pas, si j'avais su je n'aurais pas accepté le job, je-

Je lui inflige une autre gifle.

— Ferme-moi ça.

Il fait un dernier son de pure terreur et se mord la lèvre jusqu'au sang pour ne plus l'ouvrir.

— À compter de maintenant, je suis ton employeur. Capisce ?

Il hoche la tête.

— Je vais avoir besoin de toi. Tu crois que tu peux me rendre un service ?

— N'importe quoi, je ferai n'importe quoi.

Je plisse les yeux en l'analysant, me retenant de le buter ici et maintenant. Puis, en voyant un homme qui promène son chien apparaître au bout de la rue, je me tourne vers le mercenaire.

— Bien. J'ai besoin que tu passes un message à mon père.

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