02. Hide and seek
Quelque chose ne va pas.
— Ralentis.
Quelque chose ne va pas chez elle.
— Ralentis Heidi, tu vas t'épuiser avant le temps.
Heidi continue de courir toujours plus vite. Au début, je crois qu'elle le fait exprès, pour me taquiner, pour me fuir, pour prendre de l'avance sur moi, mais son regard suspendu je ne sais où me fait comprendre qu'elle ne m'a même pas entendu.
Elle ne m'écoute pas.
— Heidi ?
Elle accélère encore. Moi qui courais à son rythme comme d'habitude, je dois me mettre à courir au mien qu'elle est sur le point d'égaler. Elle ne ralentit pas, elle ne se fatigue pas. Nous complétons le tour de piste et même une fois la ligne d'arrivée franchie, Heidi continue de courir.
Quelque chose ne va pas.
Mais je ne sais pas quoi. Et comme elle ne semble pas réceptive au dialogue, tout ce que je peux faire, c'est courir à ses côtés.
Heidi finit par s'épuiser et s'arrête enfin de courir. Elle reprend son souffle, les mains derrière la nuque pour ouvrir au maximum sa cage thoracique de manière à ce que ses poumons prennent leur plein volume.
Des rires au loin m'indiquent que l'équipe d'athlétisme vienne d'arriver pour leur entrainement matinal.
— On doit libérer la piste.
Heidi se tourne enfin vers moi et me regarde avant de hocher la tête. Nous ramassons le matériel que nous avons utilisé pour nos échauffements et sortons de la piste. Alors que nous marchons en direction du complexe sportif, j'ose enfin la questionner sur son état.
— Heidi.
— Hm ?
— Qu'est-ce qu'il y a ?
— Quoi ?
— Je sais pas... je te trouve... bizarre, distante. Tu es malade ?
Elle secoue la tête.
— Je vais bien, balbutie-t-elle avant d'essayer d'avancer plus rapidement.
Je retiens son poignet et l'attire à moi.
— Heidi.
Elle soupire.
— J'ai mal dormi ok ? J'ai fait... des cauchemars.
— Encore ?
— Oui...
— Toujours cette exécution ?
Elle hoche la tête.
— Tu veux en parler ?
Je vois bien à sa réaction qu'elle ne veut pas, mais elle ferme les yeux et hoche la tête.
— Je n'ai jamais rien vu d'aussi violent... il la tué à main nue-
— Qui ?
— L'homme à qui l'on a demandé de le faire. Je ne sais pas de qui il s'agissait. Il y avait du sang partout et l'agent criait, hurlait, suppliait. Je l'ai même entendu appeler le nom de ses enfants.
Je hoche la tête pour lui communiquer mon attention.
— Après... après, quand ils sont partis et je ne sais pas pourquoi, je ne sais pas ce qui m'a poussé à retourner là-bas, dans cette pièce pour voir les restes de cet homme qui n'avait même plus de visage pour le reconnaitre.
— Et tu revois ça dans tes cauchemars ?
Les larmes lui montent aux yeux alors qu'elle acquiesce.
— Ça et puis moi aussi.
— Toi aussi ?
— Dans mes cauchemars, je me fais prendre et il... il me fait la même chose. Je crie, je t'appelle, mais tu ne m'entends pas parce que tu es parti en me laissant seule derrière.
La culpabilité m'envahit de nouveau lorsqu'elle me rappelle que je l'ai abandonnée dans un endroit aussi dangereux.
— Je suis tellement désolé. Je ne sais même pas quoi te dire... je n'ai aucune excuse pour ce que j'ai fait.
— Ça va, je comprends que tu voulais des réponses concernant ton père.
C'était pour avoir des informations sur mon père, mais je n'aurais jamais dû faire ça. Heidi est bien plus importante que ce que je pourrais apprendre sur un mort ou un homme ayant fait le choix de se soustraire de ma vie avant même que je ne vienne au monde.
Il va falloir que je revoie mes priorités pour que cela ne se reproduise plus jamais, car ça aurait vraiment pu très mal tourner, comme c'est le cas dans ses cauchemars, elle aurait pu se faire prendre et Dieu seul sait ce qu'ils auraient fait de ma petite Heidi.
Et si je l'avais perdue elle aussi...
Je regrette de plus en plus de l'avoir entrainée dans cette mission avec moi. Elle n'a été assignée qu'à moi pour une raison. Certes, il y a les compétences que seul moi possède, les informations, les langues que je parle, mes capacités de me défendre, mais aussi ce qu'on pourrait voir lors de ses missions.
— Je n'aurais pas dû te faire participer. Déjà que c'est contre les règles de s'engager dans une mission qui n'est pas la nôtre, c'était totalement imprudent de ma part. Pardon.
Elle secoue la tête.
— Je savais dans quoi je m'embarquais en te suivant. Tu m'as prévenue avant qu'on y soit et j'ai choisi d'en faire partie quand même. C'est moi qui réagit de manière trop intense... je ne devrais pas être autant traumatisée en tant que Reine.
Je la regarde alors qu'elle baisse la tête.
— La première mission à m'avoir traumatisé en était une dans un réseau de prostitution. Je m'y étais infiltré et j'aidais à assurer le transport de la marchandise dans des camions normalement utilisés pour les livraisons par des entreprises ou les supermarchés. C'était censé être la dernière nuit, celle où on arrivait dans le bordel illégal qu'ils tenaient. Le FBI devait arriver à une heure précise, une des rares fois où nous avons collaboré avec eux.
Je vois la surprise s'ajouter à la curiosité sur le visage de Heidi.
— Une des règles lors de la livraison, c'était de n'ouvrir le camion sous aucun prétexte, peu importe si des femmes criaient à l'intérieur, pleuraient, cognaient, griffaient...
En repensant à cette nuit, ma voix vacille déjà et Heidi qui a bien vu que le récit m'est difficile à narrer des années après s'approche et pose sa main sur ma joue pour me soutenir. Je cligne des yeux pour chasser les larmes.
— Quand enfin, on a été autorisé à sortir « la marchandise »... la pire odeur qu'il ne m'ait jamais été donné de sentir m'a agressé les narines. Un mélange d'urine, de matière fécale... et de décomposition.
— Non... elles...?
Je hoche la tête.
— Pas toutes. Quelques-unes... la faim et la chaleur avaient eu raison d'elle parce qu'on avait pris du retard lors du transport.
J'avale difficilement ma salive.
— Ça n'avait apparemment choqué personne sur place. Sans doute ces crapules voyaient ça sur une base régulière. Ils ont fait sortir toutes les femmes encore vivantes. J'allais refermer le camion quand j'ai entendu du bruit dedans. Je suis entré, j'ai marché sur les cadavres qui jonchaient le sol pour arriver au fond et ce que j'ai vu... j'ai vu une fillette, dix ans tout au plus dans les bras de l'une des femmes mortes. C'était sa grande sœur Heidi, tremble ma voix.
Des images de la petite serrant le corps sans vie de sa sœur comme pour la protéger de moi me reviennent.
— J'ai dû l'en séparer, elle s'est débattue, criait, me mordait. Quand j'ai demandé ce qu'on allait faire d'une enfant, on m'a dit qu'elle était aussi de la marchandise.
— Oh mon dieu...
— Originellement, je ne devais pas entrer, mais j'avais été invité à le faire et j'ai reçu l'ordre de collaborer, au risque d'éveiller les soupçons, de compromettre la mission ou carrément de me faire exécuter. À l'époque, je pouvais à peine me défendre, donc... je suis entré. Les autres femmes avaient été dirigées vers « les douches ». Elle était surtout arrosée avec un boyau pour les décrasser un minimum. Certains des hommes avaient décidé de garder la gamine pour eux... comme un bonus... ils l'ont amenée dans le bureau et...
— Non...
Je renifle en chassant les images de ma tête.
— La police devait être là à une heure précise, juste au moment où les femmes étaient extraites du camion, mais ils avaient mis plus de temps. Presque une demi-heure de plus. Mais c'était largement suffisant pour que... Et j'ai dû regarder, sans rien pouvoir faire pour elle, autre que refuser de prendre mon tour, je- je...
Heidi me prend dans ses bras pour me réconforter et je lui rends son étreinte parce que j'en ai besoin. Ça fait longtemps, si longtemps et avec le temps j'ai arrêté d'en rêver la nuit, de voir le visage de cette enfant dans celui de toutes les petites filles, mais...
Je me calme et sèche mes larmes.
— Alors non, tu n'as pas à te sentir mal d'avoir été traumatisé, d'y penser, d'en rêver. Être une Players ne signifie pas que tu dois être invincible, inatteignable, insensible. Moi j'ai dû me retirer pendant des mois après ça. On reste des humains... alors si quelque chose, que ce soit ce que tu as vu ou autre de tracasse parle-moi, dis-moi, non seulement parce que je suis ton allié, mais aussi parce que je suis ton copain.
Elle écarquille les yeux et l'instant une fraction de seconde, j'ai l'impression qu'elle faiblit. Mais bientôt, elle retrouve son expression neutre et hoche la tête.
— J'ai compris. Mais je t'assure... à part ce que j'ai vu, tout va bien.
Je caresse son visage, ses douces lèvres qu'elle referme sur mon doigt sans me lâcher des yeux.
— D'accord. Je te fais confiance. Bon allons-y, on va être en retard au cours de monsieur Ricci et il n'apprécie pas du tout.
Son visage se ferme.
— Oui...
Elle glisse sa main vers la mienne et nous entrons dans le bâtiment.
8h14.
Les élèves devraient arriver sous peu.
C'est le dernier endroit où j'ai envie d'être ce matin, dans cette salle de classe, à donner un cours. Je suis mort de fatigue après ma nuit avec Heidi.
En plus du sexe qui comme toujours et malgré notre séparation était... du sport, je n'ai pas pu fermer l'œil de la nuit. C'est toujours comme ça quand je dors avec Heidi. J'ai la phobie que ceux qui me ciblent s'en prennent à moi alors qu'elle est là. La phobie qu'il lui arrive malheur par ma faute.
Alors chaque fois que je la laissais m'approcher, venir chez moi, dormir chez moi, j'entrais en alerte maximale. Veillant l'entièreté de la nuit, sur nous, sur elle.
Mais moi aussi, je suis un humain normalement constitué. J'ai besoin de mon sommeil, d'une certaine paix d'esprit. Alors je ratifiais ces moments. Pour diminuer les chances qu'elle soit là lors d'une attaque et pour pouvoir dormir.
Je sais que ça lui faisait du mal... que je ne sois pas là pour elle, pas disponible pour elle, que je ne « veille pas la voir. » Ça doit être la raison pour laquelle elle a préféré Cole, quelqu'un qui pouvait l'aimer convenablement, en plus de ses charmes naturels.
Je pensais pouvoir gérer, en finir avec tout ce qui concerne ma famille et un jour tout lui dire, lui expliquer... mais il a fallu que Cole entre dans sa vie et pas de n'importe quelle manière, en tant que Joker, membre de The Players qui venaient tout juste de prendre pour cible les Ricci.
C'est bien là la seule chose que je hais chez lui.
Maintenant, Heidi pour qui j'avais sacrifié temps, argent, hommes pour la garder le plus loin possible du monde du crime organisé a intégré l'organisation qui a sans doute le plus d'ennemis sur terre après la Corée du Nord !
Elle a le tour de se mettre dans des situations pas possibles.
Et c'est à présent à moi de gérer tout ça, les Ricci, The Players et elle ainsi que Cole. J'ai l'impression que je n'y parviendrai pas... que le poids sur mes épaules finira par m'écraser et que les bombes Heidi et Adam vont m'exploser au visage.
Mais cette nuit... dans ses bras, alors qu'elle répétait mon nom à moi, me priait moi, m'encourageait moi, ce poids c'est comme volatilisé.
C'est ça mon problème.
Jay m'avait recommandé au début de simplement la larguer si je craignais tant pour sa sureté et je le voulais vraiment, je savais que c'était la chose intelligente à faire. Mais je n'ai jamais pu m'y résoudre. Parce qu'au fond, je savais que sans Heidi pour me motiver à continuer, à rester fort, j'aurais flanché sous la pression, je me serais... bref.
Elle a toujours eu cet effet sur moi. Celui de rendre tous mes soucis insignifiants. Elle a toujours été très exigeante et elle réclamait mon attention la plus totale. Si je m'égarais dans une quelconque réflexion autre qu'elle, je ne parvenais plus à la suivre. Avant c'était quand elle réclamait de jouer avec moi. Ce n'était jamais très divertissant pour moi, vu la différence d'âge, mais l'instant d'une partie de cache-cache les images d'horreurs quittaient mon esprit.
Les parties de cache-cache se sont simplement transformées en parties de jambes en l'air.
8h17
J'ai pu tenir un mois sans elle pour alléger mes épaules, vider ma tête, donner des ailes à mon cœur, mais quand elle est venue dans ma chambre d'hôtel hier, avec ce regard assassin, réclamant d'échanger mon silence contre... elle, je n'ai pas pu résister.
Mais au fond, je sais que je n'aurais pas dû accepter, combien même elle a semblé apprécier ces quelques heures. Je n'aurais pas dû faire ça à Adam, je n'aurais pas dû faire ça tout court.
Qu'en pensera Jay ?
Profitant des quelques minutes qu'il me reste avant le début des cours, je sors mon téléphone et compose le numéro de Jay. Il n'aime pas que je l'appelle tôt le matin parce que c'est toujours pour lui exposer un problème et il dit que ça commence mal ses journées, de recevoir de mauvaises nouvelles de ma part. Mais je suis sûr qu'en secret, il aime bien que je lui passe des coups de fil, matinaux, sinon il ne répondrait pas.
Après deux tonalités seulement, il répond.
— Oui allo ?
— J'ai fait une connerie.
Il y a une longue pause et puis :
— Je le savais.
— Je n'ai rien dit encore.
— Oui mais je savais que tu allais faire quelque chose de stupide, ça se voyait dans tes yeux, sur ton visage que tu étant en mode autosabotage. Putain de merde j'aurais dû te ligoter quand j'en ai eu l'occasion !
Je ne peux retenir mon sourire.
— Tu sais Jay, tu n'as pas besoin de me suspecter d'être sur le point de merder pour me ligoter. Demande et je suis tout à toi.
— Ne commence pas Ricci.
Je ricane.
— Bon, qu'est-ce que tu as fait ?
— J'ai couché avec Heidi.
Je l'entends s'étouffer avec ce que je devine être son café.
— Quoi ?! Comment ça ?!
Un long soupire s'échappe de mes narines.
— Je l'ai peut-être... un peu fait chanter... ? Enfin, pas vraiment, je lui ai juste dit que je sais qu'elle est membre de The Players et qu'Adam l'est aussi. Et que je comptais le dénoncer, mais c'était juste pour voir comment elle réagirait.
— Leo.
— Je sais...
— Leo !
— Je sais. Elle a paniqué et m'a demandé ce que je voulais en échange de mon silence.
— Et tu as répondu elle.
— Oui.
— Et l'idiote a accepté.
— Oui. Enfin... non. Elle a d'abord refusé, alors je l'ai laissée sans plus y penser, mais elle m'a suivie et elle m'a refait la proposition... et j'ai pas résisté.
Il grogne.
— Vous me tapez sur le système. Tous les deux.
— Pardon...
— Tu ne lui as rien dit concernant le fait que ta famille cherche activement à éliminer The Players.
— Non rien.
Enfin... je crois... Heidi me met dans un tel état que je pourrais avoir lâché quelque chose de sensible dans l'euphorie poste coït. En plus, elle a posé pas mal de questions, je ne sais plus vraiment ce que je lui ai répondu.
— Ok. C'est déjà ça. Tu crois qu'elle en parlera à The Players ?
— J'en doute. Elle risque trop. Sinon elle n'aurait pas voulu coucher avec moi et serait directement allée les voir.
Jay soupire une énième fois et se met à jurer dans cet anglais incompréhensible. Je peux ressentir ses ondes négatives d'ici, dirigées principalement vers Heidi, la source de ses maux de tête et sa rivale en quelque sorte, quand il arrêtera de se voiler la face. Alors je change le sujet.
— Où en est Matteo ?
— Il stagne. Ta menace de la dernière fois a fonctionné. Il ne fait plus rien par lui-même, mais ne fait aucun progrès de son côté, alors c'est ton père qui s'impatiente.
— Dis-lui.
— Quoi ?
— Que The Players était là pendant sa soirée d'anniversaire. Dis-lui qu'ils ont volé des données. Fournis-leur de quoi pouvoir vérifier ce que j'avance, une trace d'intrusion dans le système. Dis-lui aussi que j'ai le nom d'un de leur membre.
— Lequel ?
— Maya Khomenko. Même si ce n'est pas son vrai nom. Explique-leur comment on a su qu'elle était une impostrice.
Il se tait.
— Maya ?
— Maya.
— Membre de The Players ?
— Oui. On l'a laissée seule une bonne partie de la soirée. Largement suffisant pour miner les informations que The Players était venu chercher.
— D'accord... je vois... pas bête. Pour Heidi...
Les premiers élèves commencent à faire leur entrée dans ma salle de classe, dont mon duo favori.
Heidi et Adam.
La Reine et son Joker.
— Ça, je m'en charge. Je me suis assuré de maintenir le contact avec elle, pour filtrer tout ce qu'elle sait et ce qu'elle compte faire.
Heidi me jette un regard lourd de culpabilité en prenant place avant de le reporter vers Adam. Est-ce qu'elle aussi se repasse notre nuit en boucle dans sa tête ? Regrette-t-elle ? S'en veut-elle de m'avoir supplié de ne surtout pas m'arrêter, de la conduire vers l'extase ? Meurt-elle d'envie comme moi que l'on remette ça ?
Je ne saurais dire, elle s'applique à ne plus regarder dans ma direction, comme si fixer Cole l'absoudra de son péché.
— Je suis sûr qu'elle va mordre à l'hameçon. C'est Heidi.
Et il me tarde de jouer à nouveau avec elle.
— Bon. Si tu penses pouvoir gérer ça de ton côté, alors ça va.
— J'y vais, mon cours commence à l'instant. Jay.
— Quoi encore ?
— Mon offre tient toujours, si tu veux me ligoter, tu-
Il coupe l'appel.
Je me retiens de le rappeler exprès pour lui dépeindre tout ce que je le laisserais me faire, range mon téléphone et tape dans mes mains pour attirer l'attention des étudiants.
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