01. New rules

Je n'arrive pas à croire que j'aie fait ça...

Suis-je une mauvaise personne maintenant?

Je serre le drap en repensant à ce que j'ai fait. À ce que nous avons fait, Leo et moi. Des flashs de nos corps en sueur imbriqués me reviennent, sa voix, la mienne, le monde qui tourne autour, ses yeux.

Un cauchemar éveillé.

J'ose tourner la tête vers lui après avoir scrupuleusement évité son regard que je devinais victorieux après qu'il soit parvenu à m'arracher supplications et prières élaborées.

J'essaie encore de déterminer si c'était pour le convaincre, pour donner la meilleure performance ou simplement contre mon gré. Et je déteste le fait que j'aie un doute sur la question.

Il a les yeux fermés et sa poitrine se soulève lentement, périodiquement. Seulement, mes trois ans auprès de lui m'ont appris de ne pas se laisser avoir par ce sommeil aux allures paisibles. Pour une raison obscure, Leo ne dort jamais vraiment.

— Leo... tu dors ?

Il ouvre les yeux à la manière d'un robot.

— Non.

Voyez?

— Je dois savoir. Tu ne vas vraiment rien dire, ni rien faire qui pourrait nuire à Adam ?

— Je t'ai donné ma parole.

— Oui, mais...

— Mais ?

— Pourquoi ? Pourquoi ça ? Pourquoi m'avoir demandé ça ? Tu ne gagnes rien à ça. D'autres diraient que c'est un marché stupide, et s'il y a une chose que tu n'es pas, c'est stupide. Alors pourquoi ? Où est le piège ?

Il soupire comme si ma question l'importune.

— Il avait raison... auto-destruction, sabotage... je suis en train de descendre une pente sans les freins...

J'essaie de trouver un sens à son charabia, mais n'y parviens pas.

— Quoi ?

— Laisse tomber. Je le voulais, c'est tout.

— Et Maya ?

Il ne répond rien. Je comprends qu'il n'a pas envie d'en parler. Mais tout de même. S'il l'a amenée à son anniversaire, rencontrer sa famille c'est que c'est plutôt sérieux entre eux... pourquoi lui faire ça ? Qu'est-ce qu'il veut au final ?

C'est mon tour de soupirer. Puis, quelque chose me vient à l'esprit.

— Pourquoi ici ?

— Hm ?

— Pourquoi on est ici ? Tu n'as pas réservé cette chambre juste pour coucher avec moi, si ?

— Non. C'est ma troisième nuit ici.

— Pourquoi ?

Encore le silence qui me communique sa réserve quant à ma question, mais étonnamment, cette fois il répond :

— On essaie de me tuer.

Là, j'oriente totalement mon corps nu vers lui. Il m'imite.

— Quoi ?! Qui ça ?

— Je l'ignore encore. Ce ne sont pas les ennemies qui manquent quand on est un Ricci. Rester chez moi n'est pas sécuritaire, on peut m'y embusquer. Alors je me déplace d'hôtel en hôtel.

— Donc tu fuis.

Il me regarde comme il le fait quand je dis qu'il se fait vieux, son ego touché.

— Pff. Bien sûr que non. Je les traque. Il suffit que je sache de qui il s'agit et je me chargerai de les éliminer en moins de temps qu'il ne faut pour le dire.

— Oh... et... ça arrive souvent ?

— Pas tant que ça. Ça dépend de qui mon père énerve. Mais oui, parfois je suis pris pour cible et il faut que je me déplace pour ne pas en être une facile à atteindre.

— Je vois. Alors tout est sous contrôle.

— J'aimerais vraiment pouvoir dire ça, mais cette fois-ci c'est différent. Peu importe qui veut ma peau... cette personne est très forte. Habituellement, je ne m'inquiète pas, car je sais à qui j'ai affaire. Mais là...

— Là ?

— Je ne sais pas du tout qui c'est, qu'elles sont ses motivations, ses moyens. J'ai toujours dix coups d'avance sur tout le monde, mais pas avec cette menace-là. Quoi que je fasse, j'ai la vague impression d'être en train de perdre.

Pour la première fois de ma vie, je vois une forme d'angoisse dans le regard de Leo.

Je pense à The Players. J'ai appris hier chez les Ricci qu'ils seraient après eux, raison pour laquelle nous devions voler des données. Mais à mon avis, Leo y aurait aussi pensé et avec ce qu'il sait sur Adam, Jérôme et moi, la partie aurait vite été remportée par lui. Si ça se trouve, c'est pour ça qu'il m'a invitée à dîner, pour tester les eaux, vérifier sa théorie, poser une menace qui nous refait reculer.

Dans ce cas, pourquoi accepter une offre en échange de son silence concernant les informations qui lui auraient donné un net avantage ?

Ce doit être une entité autre que The Players... laquelle ? Je ne m'y connais pas très bien en ce qui concerne le monde du crime organisé. À part The Players, les Hunters et les Ricci, je ne connais pas d'organisations criminelles.

Ça pourrait tout aussi bien être les forces de l'ordre cherchant à mettre fin à l'empire des Ricci. Humphrey était infiltré pour une raison après tout. Il répondait sans doute aux ordres d'un supérieur. La police détiendrait donc une information capitale sur eux... je sais aussi que son père a dit qu'ils profitaient du conflit avec The Players pour poser leurs cartes.

J'ai aussi un vague souvenir que Sky ait expliqué que le Roi se chargeait souvent d'éliminer des cibles de son côté, en solo, sans impliquer The Players. Ce serait lui qui fait fuir Leo et le fait angoisser autant ?

Le contraire m'étonnerait.

— C'est triste.

— Quoi ?

— Comme vie. Toujours sur tes gardes. Tu ne peux faire confiance à personne. Tu n'as personne sur qui compter. Tu dois te sentir si seul.

Il écarquille les yeux, l'air étonné que je comprenne ce qu'il ressent. Je sais de quoi je parle. Avant de parler à Adam, j'ai eu un avant-goût de la solitude d'entretenir une double vie et la pression qui vient avec. Je n'imagine même pas ce que c'est pour lui, lui qui est si débordé et dépressif.

— Tu as raison. On se sent seul par moment. Mais j'ai des gens sur qui je peux compter. En tout cas... au moins une personne.

— Qui ?

— Jay. Un ami.

— Celui dont tu m'as parlé au restaurant ?

Il hoche la tête.

Alors il s'appelle Jay.

Je note mentalement le prénom de la seule autre personne qui est au courant pour moi et Adam. L'autre personne à éliminer une fois que je serai sortie d'ici. Un simple prénom n'est pas suffisant, mais demander son nom de famille éveillerait les soupçons de Leo. Il va falloir que je fasse des recherches moi-même, sur Leo et son entourage.

Mine de rien, j'en ai appris plus sur Leo dans ces cinq dernières minutes que pendant toute notre relation. Je sais maintenant qui redoute quelque chose ou quelqu'un, je sais dans quel hôtel il séjourne et pour combien de temps, je connais le nom de son ami.

Je compte bien me servir de tout cela contre lui. Le moment venu... je lui ferai regretter ce qu'il m'a fait faire ce soir en échange de son silence.

Je le tuerai.

Je me redresse et descends du lit avant d'aller m'enfermer dans la douche. Alors que l'eau coule sur ma tête, j'observe mon corps, dégoûtée. Des images des dernières heures passent en boucle dans mon esprit et mon corps refuse d'oublier la manière dont il m'a touchée.

Je vois un suçon sur ma cuisse qui n'était pas là avant que je vienne ici. Je frotte, frotte, frotte pour qu'il parte, mais rien à faire, Leo s'est appliqué à marquer mon corps, comme s'il regagnait son territoire.

Les larmes me montent aux yeux. Parce que je ne voulais pas le faire. Mais surtout parce qu'une part de moi en mourrait d'envie. Je n'aurais jamais dû venir et accepter. Je ne voulais pas coucher avec lui, sentir sa chaleur, son odeur, entendre sa voix d'ordinaire si grave monter en octave contre mon oreille.

Je ne voulais pas réaliser combien ça m'avait manqué.

— Putain... je suis vraiment une mauvaise personne.

Je ferme la douche et en sort. Je retourne dans la chambre récupérer ma robe au sol sous le regard de Leo.

— Tu t'en vas déjà.

— Oui.

— Pourquoi ?

Parce que ce qu'on a fait est déjà assez mal, je n'ai pas envie de rester parler avec toi au lit. Je n'ai pas envie que tu me dises encore que je suis tout ce que tu veux. Je n'ai pas envie de me rappeler ton visage alors que-

Je ne répond pas et me dirige vers la sortie. Leo descend du lit et me retient juste avant que je sorte. Je lis encore la supplication dans son regard. On croirait qu'il mourra si je passe le pas de cette porte.

— J'ai cours demain. Je commence à 8h30.

— Je sais, c'est mon cours. Je l'annulerai. Reste... s'il te plaît.

Stop!

Je secoue la tête alors que les larmes refont leur apparition.

— Je peux pas Leo... le sexe c'est une chose, le reste... Je ne peux pas lui faire ça.

Son regard s'assombrit quand il comprend que je parle d'Adam. Il baisse la tête.

— Je vois...

Il relâche enfin mon poignet et je recule avant d'ouvrir la porte.

— Heidi.

Je me tourne vers lui. Son expression est tout autre. Il est passé d'abattu à ce sourire malsain qu'il avait au restaurant.

— À la prochaine, je t'enverrai l'adresse.

Je prends du temps à réaliser ce qu'il veut dire par là, mais quand je comprends qu'il demande de moi que je le refasse, qu'il compte étirer son chantage sur le temps, la panique me gagne. J'ouvre la bouche pour protester, mais il me claque la porte au nez. Je cogne à maintes reprises pour le supplier de m'ouvrir, mais il ne le fait pas.

Épuisée par cette nuit, j'abandonne. Je le ferai. C'est juste du sexe. C'est pour Adam, pour The Players.

Je vais en profiter pour collecter des informations sur lui, ses alliés, ses faiblesses, le meilleur moyen d'en finir avec lui.

Je tourne les talons et quitte l'hôtel.

Le chemin jusqu'au hall, jusqu'à ma voiture dans le stationnement, jusque chez moi, jusque dans ma chambre est comme une longue marche de la honte pour moi. Arrivée, je fonds en larmes, regrettant ma décision d'aller le voir, celle de ne pas en parler à Adam.

Maintenant, je suis coincée. Il m'a piégé et peut me faire faire ce qu'il veut parce qu'il sait combien je tiens à Adam.

Je sors mon téléphone et l'appel. Il y a trois tonalités avant qu'il réponde.

— Heidi ? T'as vu l'heure ? Il y a un problème ?

Je renifle le plus doucement possible.

— Oui...

Je peux l'entendre se redresser.

— Quoi ? Qu'est-ce qui ne va pas ? Tu as besoin que je vienne ? Qu'est-ce qu'il y a Heidi ?

— Je...

« Tu as déjà entendu parler de la noyade artificielle? Non? Écoute, tu vas adorer.»

Je songe à toutes les choses que Leo a menacé de faire et qu'il ne fait simplement pas grave à notre entente. Je sais aussi que si j'en parle à Adam, il essaiera quelque chose, quelque chose de dangereux. Leo n'est pas à sous-estimer, il peut écraser The Players à tout moment. Et puis, si je compte sur son silence, lui aussi compte sans doute sur le mien.

Je renifle et sèche mes larmes.

— Tu me manques, c'est tout.

Il se détend et son rire roule jusqu'à moi. Ce rire, je dois le protéger à tout prix.

— Me fais pas de frayeur comme ça... on se voit demain en cours.

J'acquiesce. Nous discutons brièvement, puis je l'entends se réinstaller dans son lit.

— Bonne nuit, petite Heidi.

— Bonne nuit... Adam !

— Hm ?

— Je t'aime.

— Je t'aime.

Pour la première fois depuis le début de cette soirée infernale, un sourire sincère étire mes lèvres et la chaleur d'Adam m'atteint malgré la distance.

D'un coup, mes doutes, mes regrets et mes craintes s'envolent. Je sais très bien pourquoi j'ai fait ce que j'ai fait et j'en suis fière. Les règles ont changé, je ne fais que m'y plier.

Je me lève hors du lit et ouvre mon ordinateur. Je lance la recherche sur Leonardo, son père et leur clan.

Leur influence s'étend sur toute l'Europe et l'Amérique, et ce depuis trois générations. Ils sont basés en Italie d'où ils sont originaires, mais Leonardo Ricci III possède des résidences secondaires réparties sur tout le globe, mais lui comme ses associés passe le clair de son temps au pays.

Leonardo Ricci III a été marié à deux reprises ; d'abord à une femme du nom de Giulietta Mancino avec qui il a eu Leo avant que celle-ci soit assassinée par une organisation rivale en guise de représailles, puis à sa présente compagne, Margherita de Vecchis qui lui a donné quatre autres enfants.

Leonardo a donc des demi-frères et sœurs. Il m'a toujours dit qu'il était enfant unique, je suppose qu'il se considère comme tel.

Je comprends un peu mieux l'hostilité de Leonardo envers son père. Il a mentionné le nom de Giulietta hier dans ce sous-sol, il semblait laisser entendre que son père était violent avec elle. Il le tient responsable de la mort de sa mère...

Mais alors... qui est cette femme qui a élevé Leo ?

Je fais plus de recherche sur Giulietta Mancino. Elle-même appartenait à un clan mafieux influent, les Mancino. Le mariage en était donc un d'alliance, pour servir les intérêts des deux parties impliquées et étendre leur influence. Giulietta était l'ainée d'une fratrie de trois garçons et deux filles, elle et Marina Mancino.

Je dois faire une pause, reculer un peu de mon écran et mettre mes mains sur ma tête pour absorber toutes ses informations et surtout pour réaliser combien je n'ai aucune idée de qui est Leo. Je n'avais jamais pensé à chercher des choses sur lui, je n'en voyais pas le besoin et pourtant toutes ses informations sont là, si facilement accessibles.

Je m'apprête à ouvrir un article sur les circonstances de l'assassinat de Giulietta quand une sonnerie aigüe et agressive me fait sursauter.

Mon alarme. Il est déjà 4h30.

J'y mets fin, me masse les tempes dans l'espoir d'apaiser ma migraine après une nuit à négocier, coucher avec Leo et passer deux heures devant mon écran. Je rabat le couvercle de l'ordinateur et m'en éloigne. Je reprendrai mes recherches ce soir ou demain.

Là, je dois rejoindre Adam sur la piste d'athlétisme.

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