31. Trick or treats
Je fixe le dessin à la craie reprenant la silhouette d'un homme. Ou plutôt d'une femme, son cadavre pour être plus précis. Quelques taches de sang sont demeurées sur le tapis du hall de la résidence de Mikaël Salomon.
Le corps n'est plus là, mais l'équipe de nettoyage n'est pas encore passée. Ce qui explique ma présence ici avec Jay et Matteo.
— Tu en penses quoi ?
Jay croise les bras.
— Y'a rien là, Yelena était la plus faible d'entre eux.
Je souris. Ce qu'il est têtu...
— Et toi ?
Matteo qui lui aussi examinait la marque au sol lève les yeux vers moi.
— Je n'arrive pas à croire qu'il ait compris si vite qu'on les cherchait.
— C'est pour ça qu'ils ont compris, tu les sous-estimes.
— Putain... tu crois qu'ils savent que nous sommes les employeurs ?
Je prends une grande inspiration et m'apprête à répondre quand une voix que je reconnais tonne derrière mon dos.
— Tiens, tiens ! On ne m'a donc pas menti, le fils Ricci est parmi nous. Je peux savoir ce que vous fichez sur ma scène de crime ?
Je soupire longuement et me tourne pour faire face à Christian Morgan du FBI. Sa présence ici ne m'étonne guère, comme un arc-en-ciel après la pluie, partout où The Players passe, Morgan est là. C'est lui qui est le chef de la division qui enquête sur leur groupe.
— Agent Morgan... j'ai un nom, vous savez ?
— Peu importe. Pourquoi vous êtes ici toi et tes larbins ?
— Je ne suis pas un larbin, je suis un Ricc-
— Pourquoi est-ce que vous vous êtes là ? coupé-je Matteo. La police locale ne devrait pas elle-même se charger de ces dix homicides ? Qu'est-ce que le FBI fait ici et pourquoi un haut placé comme vous de la brigade antiterroriste s'est déplacé jusqu'ici ?
Il ne répond pas, mais je n'ai pas besoin de sa réponse.
— Les médias disent qu'on ignore encore qui est à l'origine de l'attaque, mais c'est un mensonge n'est-ce pas ? Vous savez très bien qui a fait ça, c'est la raison de votre présence. The Players a tué ces mercenaires.
Je vois bien à son expression qu'il est exaspéré que je sois au courant de son petit secret. Il me déteste. Je l'ai toujours beaucoup aimé moi pourtant.
Il soupire.
— Oui. Mais comme tu viens de le dire, c'était des mercenaires, sans motif, des armes, des outils. On se demandait qui était aux commandes, mais maintenant je sais que ce sont les Ricci.
Bordel.
J'avais bien dit à Matteo que c'était une mauvaise idée de venir enquêter ici. Ça nous relie forcément au crime, mais ce triple idiot a insisté. Il veut tellement impressionner mon père, c'en est ridicule.
— Alors, dites-moi, c'est quoi l'histoire ? Vous êtes en guerre avec The Players maintenant ? Depuis quand ? Pourquoi ? Et puis qui vous a laissé entrer ?
Un des policiers qui surveille. Des officiers corrompus, la police en regorge, il suffit de payer ou de menacer et l'on vous donne accès à tout quand vous êtes un Ricci.
— Je vous arrête tout de suite Agent Morgan, je ne suis pas venu ici passer un interrogatoire. Donc si je ne suis pas en état d'arrestation, vos questions, gardez-les pour vous.
— Dis-moi alors pourquoi vous êtes ici, sinon je vous dégage, c'est une scène de crime.
Je jette un regard vers Jay qui acquiesce.
— Nous faisons comme vous. Nous enquêtons.
— Tu ne trouveras pas grand-chose, ils n'ont pas laissé de trace. On a enquêté pendant deux jours et rien.
Mon regard se promène dans la pièce et je me dirige vers les escaliers. Je les monte et me retrouve au rez-de-chaussée.
— La victime représentée au sol, Yelena parvient à échapper à l'attaque d'origine, car son cadavre est loin de la majorité des autres. Elle tombe sur un Player... une plutôt. La Player se retrouve à l'affronter, mais choisit la fuite. Yelena tire le long de couloir, ce qui explique la poudre sur ses mains et les balles sur les murs. Toutefois, le courant ayant été coupé, elle ne voit rien et manque sa cible. Elle réussit à la rattraper, les deux déboulent les escaliers que voici, dis-je en descendant, et entame un combat au couteau. Yelena a clairement le dessus sur la Player, ce qui explique que son sang se retrouve un peu partout.
Les trois hommes me suivent du regard alors que je reconstruis la scène à l'aide de mes observations et des informations que j'ai.
— Probablement une novice, une femme qui ne maîtrise pas tout à fait l'art du combat. C'est elle qui a éteint la lumière pendant que les autres abattaient les Hunters. Elles se battent, Yelena prend naturellement le dessus et se mets à l'étrangler avec un fil d'acier.
— Quel fils d'acier ? demande Morgan.
— Oh, ne jouez pas à ça avec moi, Agent Morgan. Le fil d'acier n'était plus sur les lieux du crime, la Player a eu l'intelligence de partir avec. Mais Yelena est réputée pour achever ses victimes avec un fil d'acier. Les taillades sur les doigts de Yelena indiquent qu'elle s'en est servie contre la Player. Mais soudain !
Ils sursautent tous quand je crie et je ricane un peu.
— La Player lui donne un coup de tête qui lui broie le nez avant de retourner son arme contre elle et de la tuer. Tragique. C'est ce qu'on appelle la chance au débutant. Ensuite, elle monte et tue Mikaël en le prenant par surprise. Ai-je fait fausse route, Agent Morgan ?
Il serre la mâchoire. Ça le fait chier que moi aussi je puisse déduire des choses qui leur prennent des heures à trouver.
— Non. Même que nous n'avions pas fait l'hypothèse que son adversaire était novice.
— J'aime votre honnêteté Morgan.
— Donc on sait qu'ils ont un nouveau membre, résume Matteo.
— Oui... et je crois savoir de qui il s'agit.
— Qui ? demande Morgan.
Je regarde de nouveau Jay pour savoir si l'on peut partager cette information. Il prend la parole pour moi.
— Une femme métisse d'environ 1m70, cheveux bruns avec des reflets blonds, yeux noisettes, dans la vingtaine.
L'agent Morgan sort un carnet et note la description de la mystérieuse nouvelle Player.
— The Players ont toujours été méticuleux... mais pas elle. Pas encore. Si on veut les atteindre, c'est elle qui nous mènera à eux. Elle fera d'autres erreurs, j'en suis persuadé. C'est pour ça que c'est important d'attendre qu'ils fassent des coups, Matteo.
Il baisse la tête et grommelle.
Idiot que tu es.
— Pourquoi The Players s'en sont pris à vos hommes, tente encore Morgan.
— C'est vous l'inspecteur, inspectez. Moi j'en ai déjà trop dit. Et puis je n'ai pas que ça à faire moi courir après des joueurs de cartes. De toute façon ce soir c'est Halloween, laissons-les garder leur masque encore un peu. Vous avez une fille non Morgan ?
Il se raidit, ayant compris que je le menace. S'il parle de l'implication des Ricci, il sait à qui l'on s'en prendra. Quel homme intelligent, un père aimant. Vraiment, je l'adore.
— Elle sera déguisée en quoi cette année ?
Il serre encore la mâchoire.
— En policière. Elle veut arrêter les méchants, comme son père.
— Comme c'est mignon !
Je fouille dans ma poche et en sors un suçon à la fraise que j'ai pris dans le paquet que j'ai acheté pour mes joueurs avant de le déposer sans la poche de son veston.
— Joyeux Halloween, soufflé-je en lui tapotant l'épaule avant de me diriger vers la sortie suivie de mon ami et de mon larbin.
— On fait quoi maintenant ? me demande Matteo.
Sérieux, je vais finir par le tuer.
Je l'attrape par le col et le plaque contre ma voiture.
— Leonardo ! tente de me raisonner Jay.
— Rien. Absolument rien, tu comprends ça ou pas ? On attend et puis c'est tout. Ne m'appelle plus pour ce genre de chose, ne te rends plus sur les lieux de leurs crimes. Ne fais plus rien sans que je t'en donne l'ordre. C'est moi qui suis aux commandes dans cette affaire, pas toi. Est-ce que c'est clair ?
Il hoche vigoureusement. Je le relâche et le pousse loin de mon véhicule. Sans un autre mot pour lui, je monte côté conducteur. Jay suit côté passager et nous quittons la résidence de Salomon.
Je voudrais rentrer chez moi et pioncer à en oublier mon existence, mais je ne peux pas.
Ce soir, c'est soir de match.
Les soirs de match sont vraiment quelque chose ici. Le match ne doit commencer que dans une heure, pourtant les estrades sont déjà pleines de supporters ; des élèves, le corps enseignant, le personnel, les amis, la famille sont là pour encourager les joueurs qui défendront nos couleurs. L'équipe adverse a quelques supporters qui se font petits dans un coin, engloutis par la marée verte et blanche.
Les meneuses de claque exécutent déjà des routines en chantant pour divertir la foule en attendant le début du match. En plus des enfants déjà déguisés venus voir qui courent à travers les rangées malgré les avertissements de leurs parents, des vendeurs de boissons et de collations circulent et se font appeler.
Je tends un billet de dix dollars au vendeur qui me donne en retour quatre hot dogs fumants. Je sais que l'argent va dans une des associations universitaires, alors je lui indique de garder la monnaie.
Est-ce que j'essaie de me payer bonne conscience pour les deux meurtres que j'ai commis dernièrement ?
Peut-être.
— Tenez.
— Merci, Heidi.
Violet prend le hot-dog que je lui tends avant de prendre une bouchée qui la ravit. Un peu de ketchup dégouline hors de sa bouche et je lui donne une serviette pour qu'elle puisse l'essuyer avant de moi aussi croquer dans un hot dog.
Adam voulait qu'on vienne le voir et en discutant avec sa mère hier alors que j'étais chez eux, j'ai découvert qu'elle aussi voulait venir. Je me sentais trop mal d'encore une fois la laisser seule alors j'ai décidé de l'amener avec moi, sans prévenir Adam pour lui faire la surprise. J'en ai profité pour échanger mon t-shirt pour un des maillots d'Adam qui trainait chez lui.
Alors que je mâche mon premier vrai repas de la journée, mon téléphone sonne dans ma poche.
— Allo ? dis-je la bouche pleine.
— Termine de mâcher avant de répondre.
Je manque de m'étouffer.
— Felix! Ça va ?
— Très bien, toi ?
— Oui! Je suis au match d'Adam.
— Ah, c'est pour ça le bruit.
— Oui! Et toi ? J'entends aussi du bruit derrière.
— Hmm, tu crois que tu pourras partager ton hot-dog avec moi ?
J'arrête de mâcher et tourne la tête dans l'allée pour voir mon frère au téléphone.
— FELIX!
Je me lève et cours à sa rencontre avant de lui sauter dans les bras. Felix ricane, non peu fier de sa surprise.
— Je suis revenu plutôt parce que tu as dit que je te manque. Contente ?
— Oh mon dieu, oui! Ne me laisse plus jamais, c'était horrible sans toi.
Il me fait descendre et sèche la larme que j'ai échappée.
— Promis... reste-t-il de la place pour moi ?
— On va t'en faire!
— On ?
J'attrape sa main et le traîne dans la rangée, sauf qu'il n'y a vraiment pas de place pour lui.
— Felix, je te présente Violet, la mère d'Adam. Violet, voici Felix, mon frère jumeau.
Les deux se saluent timidement. J'indique à Felix de prendre ma place et je m'assois sur ses jambes. Il se plaint, mais finit par céder, comme toujours.
Les joueurs de notre université font enfin leur entrée spectaculaire sur le terrain sous les acclamations du public.
— Regarde Heidi, il y a tes deux petits amis, me taquine Felix en me chatouillant.
Je lui donne un coup et pointe Violet et Félix met sa main sur sa bouche pour se retenir de rire. Violet ne fait que sourire, contente d'être là, et puis c'est tout.
J'ai beau lui répéter que ni Leo ni Adam n'est mon petit ami, il refuse de comprendre. Je ne crois pas aux liens entre les jumeaux, mais c'est à peu près tout ce qui pourrait m'y faire croire, la façon dont Felix sait exactement quand je mens.
Je me tourne tout de même pour regarder l'endroit qu'il m'a indiqué pour voir Adam et Leonardo discuter ensemble à l'écart.
Ils sont tellement beaux...
Adam dans son uniforme qui lui moule le corps et ses épaulettes qui le rendent deux fois plus viril et Leo dans sa belle chemise blanche, sans ses lunettes. Je me lève et brandit le gant géant que j'ai acheté en amont en criant le nom d'Adam pour attirer son attention.
Après trois ou quatre fois, il lève la tête du bloc-notes de Leo et semble chercher qui l'appelle dans la foule. Quand il me repère, son visage qui était en mode guerre s'adoucit. Je sautille sur place et lui fais de grands signes, qu'il me rend, avant de pointer sa mère.
Adam écarquille les yeux et quand sa mère commence elle aussi à crier et à l'encourage, je jurerais qu'il est sur le point de chialer. Je le dis à sa mère qui est encore plus ravie d'être venue.
Alors que je l'encourage, Leo apparaît derrière lui pour réclamer son attention. Adam me fait un dernier signe avant de se tourner vers son coach pour établir leur stratégie.
Une demi-heure plus tard, après des échauffements, c'est la mise au jeu.
Sincèrement, je n'y connais rien au football américain. Leo a bien essayé de m'expliquer les règles et ça a beau être notre sport national, je ne pige rien.
Je sais seulement qu'il faut passer la ligne pour marquer, le reste m'est étranger.
Je suis la dernière à réagir quand il y a faute et que la foule s'indigne et de toute façon je suis plus Adam que le ballon lui-même. Bon, c'est tout comme plus qu'il est souvent en possession de ce dernier.
Sur le terrain en plus de jouer, il crie des ordres aux autres joueurs, les plaçant en prévision des prochaines actions. Et presque chacune d'entre elles aboutit en un but pour notre camp. Nous dominons l'équipe adverse et l'écart entre les scores ne fait que se creuser. Ils ont beau se mettre à plusieurs sur lui, comme en mission, Adam ne fait qu'une bouchée d'eux.
La foule est en délire, l'euphorie partagée et moi je dois être celle qui crie le plus fort même si je n'y comprends rien. À un moment, alors que je me comportais en groupie hystérique, je croise le regard de Leonardo au loin.
Je sens mon cœur battre plus fort alors qu'il m'embrase rien qu'en me fixant, l'air mécontent. Je sens la menace comme je ne l'ai jamais ressenti. Si un regard pouvait tuer, je serais déjà morte sur le coup. Puis il ferme les yeux avant de s'asseoir sur le banc des coachs.
C'était quoi ça ?? Je tremble rien que d'y repenser...
On siffle la fin du match, les joueurs se serrent la main et les spectateurs commencent à vider les estrades. Mes amis me disent d'aller chercher Adam, ils vont directement se rendre à la fête. Felix les suit.
En guidant Violet, je monte sur le terrain pour aller à la rencontre des joueurs. Quand il nous remarque, Adam court et porte sa mère qui le félicite en riant. Elle caresse tendrement son visage avec la fierté d'une mère qui sait qu'elle a élevé un champion.
Je sors mon téléphone et capture la scène. Je suis sûre qu'Adam adorera ces photos. Puis, elle semble lui chuchoter quelque chose. Adam la dépose et se tourne vers moi.
— Heidi... Je suis content que tu sois venue. Cette victoire est pour toi.
Oh...
Je sens mes joues prendre feu et à en juger par la façon dont ses yeux scannent les mieux puis mes lèvres, je sais que comme moi, il voudrait qu'on s'embrasse.
Se retenir de se toucher a été une épreuve après la nuit qu'on a eue. Chaque regard, chaque contact, juste le son de sa voix me ramène dans sa chambre, sur son lit, au sol, dans sa douche, partout où il m'a tantôt baisée, tantôt fais l'amour comme un un mari à sa femme. Je me souviens de sa peau, de son souffle, de son sexe en moi.
— Merci...
Et le voir en sueur comme ça, essoufflé comme ça...
Putain, putain, putain!
— Comme c'est mignon tout ça.
Oh bordel.
Leo.
J'ai passé la semaine à l'éviter. Parce que la culpabilité était en train de m'achever. Je n'aurais jamais pu le regarder dans les yeux après ce que j'ai fait, en imaginant qu'il soit là en plus. Surtout qu'il aurait fini par découvrir que je cachais quelque chose et on ne cache rien à Leonardo Ricci.
Je souffle intérieurement et rassemble mon courage pour le confronter.
— Désolé de ne pas t'avoir fait jouer plus que ça. Je ne savais pas que ta copine était venue te voir.
C'est même pas drôle.
— Mais non, c'est rien coach. À mon avis, les autres joueurs ont besoin de voir qu'ils peuvent très bien jouer sans moi.
Leo le regarde sans rien dire, mais je sens une immense fierté dans son regard.
— Je n'ai même pas besoin de te le dire. Tu comprends tout, toi.
Adam lui sourit.
Je vais vomir.
— Oh, maman, je te présente mon coach. Leonardo Ricci et coach, voici ma mère, Violet Cole.
La mère d'Adam perd son sourire à la seconde où Adam prononce son nom et Leonardo lui, la contemple longuement avant de prendre sa main.
— Enchanté, madame Cole. Vous pouvez être très fière de votre fils, il est le meilleur élément de l'équipe en plus d'être un élève exemplaire.
Pour une raison que j'ignore, la mère d'Adam semble encore chamboulée par je ne sais quoi, tétanisée. Sa main tremble, mais Leo la serre encore plus fort et elle cesse de trembler. Violet réaffiche son sourire et hoche simplement la tête, comme si être devant Leo lui avait retiré la parole en plus de la vue.
Leo relâche sa main, sans la lâcher du regard.
— Bon, donne-moi cinq minutes et je te rejoins.
— D'accord. On va amener ta mère chez moi avant d'aller à la fête. Ma mère lui tiendra compagnie.
— Ok, merci.
Puis il se dirige vers le complexe sportif avant sa mère à son bras et tous les deux discutent. Ils sont absolument adorables tous les deux.
— Vous sortez ensemble ?
— Quoi ?
— Vous sortez ce soir ?
J'ai cru entendre...
— Oui. On va fêter et la victoire et Halloween.
— Comme c'est excitant la vie d'étudiant...
— Et toi ? Tu ne fêtes pas avec tes amis. Éric et les autres. Tu ne m'as pas invitée cette année.
— Entre nous, tu préfèrerais passer la soirée avec Adam, alors je n'en ai pas vu l'utilité.
Tu l'as trompé. Plusieurs fois. Et dans plusieurs positions. Arrgghh, je suis une petite amie horrible!
Il me fixe et fronce les sourcils avant de me saisir le cou.
— C'est quoi ça ?
Oups...
Mon maillot révèle la marque de strangulation que m'a faite Yelena. Elle a cicatrisé, mais est encore bien visible. Je me mets à la recherche d'un mensonge, mais très peu de choses autres que la strangulation avec un fil d'acier explique ce genre de marque.
— C'est euh...
— Heidi ne me ment pas! Qui t'a fait ça ?!
Voyant qu'il ne semble pas prêt à gober n'importe quel mensonge, je détourne son attention.
— Pas ici Leo. Tout le monde peut nous voir.
Il réalise qu'il a ses mains sur moi et qu'il y a foule. Alors il la retire.
— Écoute, je t'avoue que je n'ai aucun mensonge à te raconter. Mais je ne peux pas te dire qui m'a fait ça.
— C'est Adam ?
— Quoi ? Non !! Il ne ferait pas de mal à une mouche.
C'est faux. Il a tué trois personnes dimanche.
— Heidi, je ne peux pas te voir avec une marque comme ça et simplement passer l'éponge.
— Et pourtant tu vas le faire. Je ne te dirai pas de qui il s'agit ni ce qu'il m'est arrivé. Mais je peux t'assurer que tout va bien. Tu n'es pas obligé de tout savoir.
Il laisse d'abord planer le silence.
— Il me semblait que j'étais censé être ton chevalier à l'armure étincelante.
— Oui, étais. Mais je suis sûre qu'observateur comme tu es, tu as dû remarquer que j'ai changé.
Il opine.
— Oui, j'ai remarqué.
— Je ne suis plus la petite chose à protéger. Je ne veux plus être ton espèce de petite sœur que tu dois constamment surveiller, je ne suis plus Pinocchio...
Il ouvre la bouche pour rétorquer quelque chose, mais se ravise.
— Qui es-tu maintenant dans ce cas ?
Je cherche quoi donner comme réponse. Si je ne suis plus cette Heidi-là, qui suis-je ?
— Une Reine. Je suis une Reine maintenant.
Lui ne semble pas amusé par la situation ou ma réponse. Ni même confus.
— Et bien, votre majesté, si jamais vous voyez ma Heidi, dites-lui qu'elle me manque.
Quoi ?
Il fait la courbette avant de s'éloigner et de disparaître de mon champ de vision.
Ses mots résonnent dans ma tête et moi qui n'éprouvais pas de réel remords par rapport à mes actions des derniers jours, je suis frappée par un mur de culpabilité sans précédent...
Je lui manque ?
Moi ?
Depuis quand ?
Est-ce simplement un autre de ses petits jeux de manipulation pour me faire me sentir mal ?
Non, il avait l'air sincère...
Vraiment ?
— Heidi, ça va ?
Adam qui me sort de mon débat interne. Sa mère est toujours à son bras et il porte son sac de sport à l'épaule.
— Oui. On y va ?
Il me tend sa main, je la prends et le suis. Arrivés chez moi, il prend une douche pendant que nos mères font connaissance et nous nous changeons tous les deux.
J'enfile mon costume de policière et Adam celui de prisonnier qui y est assorti. Nous laissons nos mères pour aller rejoindre nos amis à la résidence où la fête à laquelle nous avons été invités a lieu.
Seulement, malgré le fait d'être entourée de mes amis, de mon frère, d'Adam, malgré ma musique et l'alcool, je n'arrive pas à profiter des festivités. Je repense encore et encore à ce que Leo m'a dit.
Je lui manque ?
J'ai bien été invité par Éric et les autres de ma promo, mais je n'ai envie de voir personne, je veux juste dormir, et ce depuis ce matin quand j'ai dû voir mon cousin dans la résidence des mercenaires engagés par mon père pour tuer les membres de The Players. Une fois chez moi, je me fais à manger, dine et m'assoie devant un film d'horreur, mon ordinateur ouvert devant moi.
J'ignore les enfants qui cognent à ma porte et me concentre sur mon travail. Je reçois un appel de Jay.
— Allo mon cœur.
— Ne commence pas. Tu fais quoi ce soir ?
— Moi ? Je suis chez moi à travailler devant la télé.
— Il est comment ton film ?
La blonde écervelée du film ne trébuche sur un énorme morceau de rien du tout et la none démoniaque la rattrape.
— C'est hyper... intéressant.
— Ne devrais-tu pas être en train de démonter ta copine dans un joli déguisement d'infirmière ?
Je laisse s'échapper un rire. Mais où est-ce qu'il va trouver des idées pareilles ?
— J'aurais bien voulu, mais non. Elle fête avec des amis à elle.
— Des amis ?
— Des amis.
— Tu sais si tu veux, tu peux passer la soirée avec nous. Tu es le bienvenu. Comme au bon vieux temps.
— Le bon vieux temps n'existe plus, Jay.
— Tu es déprimant, Ricci.
— Bref. Qu'est-ce que tu veux ?
— Tu as reçu l'invitation de ton père ?
Je me retiens de ne pas lui raccrocher au nez.
— Non. Peu importe de quoi il s'agit, ça ne m'intéresse pas.
— Cette fois-ci, tu ne pourras pas l'esquiver. Il tient à te voir présent à son anniversaire. Ces collaborateurs seront présents, il va en profiter pour organiser un espèce de sommet, la réplique de The Players l'a effrayé. Ça ne paraît pas bien au sein de ses petits amis que tu ne sois jamais aux événements de la famiglia, termine-t-il avec ce qu'il estime être un accent italien.
— Je ne fais pas partie de la famiglia.
— Pourtant tu portes le nom Ricci. Il va falloir grandir un peu, je ne peux pas toujours te couvrir. Et entre nous, tu ne veux pas que ce soit eux qui viennent te chercher.
Je soupire.
J'ai juste à me suicider et ce sera fini...
— Bien. C'est quand ?
— La date d'anniversaire de ton père ? Très drôle. Bonne soirée- J'oubliais... invite ta chérie.
Il coupe l'appel.
Je sens déjà un mal de tête monstre me guetter. Il est accentué par je ne sais quel gamin agaçant s'acharne à toquer à ma porte. Je me lève pour aller donner la frousse à l'enfant de quelqu'un, mais quand j'ouvre la porte, c'est Maya qui se tient devant moi, en Bunny girl.
Mes yeux partent de ses oreilles de lapine, au pompon à son cou, à ses seins dans un décolleté ouvert, sa taille sous le cuir brillant noir et ses longues jambes dans des collants demi-transparents. Elle tient un sac à friandises en main.
Elle me sourit.
— Des bonbons ou un sort ?
— Maya...
Ce n'est même plus une surprise, elle se glisse à l'intérieur et je ferme la porte.
— Ne me dis pas que tu es allée collecter des bonbons... dans cette tenue.
— Les bonbons sont pour toi !
— Il y a des enfants là dehors Maya. Et puis je n'aime pas les sucreries.
— Qu'est-ce que tu aimes ?
Je ne sais pas quoi lui répondre. La paix, la solitude, le silence, Heidi.
Alors je n'ajoute rien.
— Je me disais aussi que tu étais probablement en train de passer la soirée seul à bosser devant ta télé.
— Ok et ?
— Je reviens d'une fête. Je suis venue te tenir compagnie, me dit-elle en me tournant autour.
Puis elle se plante devant moi.
— Et si on s'amusait tous les deux.
Le coin de ma lèvre se relève alors que sa main se pose sur ma boucle de ma ceinture.
Ça fait bientôt trois heures que nous sommes à cette fête d'Halloween chez Tommy Garcia, un étudiant en commerce. Elle est vraiment réussie. Je devrais m'amuser comme une folle, mais je n'y parviens pas. Chaque fois qu'un peu de plaisir m'envahit, j'entends la voix de Leonardo dans ma tête.
Il a seulement dit que je lui manque... pourquoi est-ce que ça m'affecte autant ?
Il ne me dit jamais des choses comme ça... Il ne dit jamais ce qu'il ressent, si bien qu'il ressente quelque chose, alors pourquoi ? Et moi comment je me sentirais si lui commençait à me tourner le dos comme je le fais... mais ne m'a-t-il pas déjà tourné le dos tant de fois ?
Ce qu'Adam m'a dit aussi m'occupe l'esprit. Sa déclaration, ses mots d'amours sur l'oreiller, sa promesse d'attendre. Il m'aime et il me l'a dit tant de fois et j'avais oublié à quel point ça faisait chaud au cœur, quelqu'un qui vous dit qu'il vous aime. Quelqu'un qui se met à nu devant vous et vous confie son cœur, son corps, son âme.
Comment ai-je pu tomber amoureuse d'un homme qui ne m'a jamais dit qu'il m'aimait ? M'aime-t-il véritablement ? Et s'il avait fini par se fatiguer de moi... le Leonardo dont je suis tombée amoureuse n'est pas le même qu'aujourd'hui.
Avant il était attentionné, aimant, réconfortant. Je ne sais pas ce qu'il lui est arrivé, mais il s'est renfermé sur lui-même et moi j'ai essayé de l'aimer malgré ce virage de sa personnalité. J'ai essayé de garder le sourire quand je lui disais que je l'aimais et qu'il ne me m'offrait que ce regard triste ou indifférent.
Comme si je lui faisais du mal.
Et si je lui en fais ? Et si... et s'il ne trouve simplement pas la force de me dire qu'il ne veut plus de moi, qu'il veut une femme de son âge qui est rendu au même endroit que lui dans la vie ?
Pourquoi suis-je restée ? Pourquoi me suis-je acharné ?
Notre relation était immorale de toute manière. Ça ne mène à rien. Tout a changé, je ne suis plus la même, je suis capable de tuer, je suis attiré par quelqu'un de mon âge qui peut m'aimer comme il se doit.
Leonardo Ricci... Il est rude, blessant, contrôlant, effrayant même. Mais je sais que quelque part il est fragile. Derrière cet immense mur de glace, il y a un homme qui a tenté de mettre fin à ses jours... Il ne m'a jamais dit pourquoi.
Je veux savoir pourquoi. Ça fait bientôt quatre ans qu'on est ensemble, il aurait dû me dire depuis le temps. Peut-être qu'il a essayé, mais que je ne m'en suis pas rendu compte. Peut-être que c'est moi le problème.
Je veux qu'il me dise. Je veux savoir ce qu'il se passe dans sa tête quand elle ne résout pas des problèmes de math et de physique. Je veux qu'il s'ouvre à moi.
Mais qu'est-ce que je raconte ?
Ce serait hypocrite de ma part d'exiger qu'il s'ouvre à moi alors que moi-même je lui cache pas mal de choses. En plus, j'ai couché avec un autre dans son dos...
Si je veux qu'il s'ouvre à moi, il faut que moi aussi je m'ouvre à lui. Que je lui dise tout absolument tout. Le connaissant, il ne me dénoncera pas. Il va sans doute m'en vouloir, mais il comprendra non ? Il m'a dit que si j'avais quoi que ce soit sur le cœur je pouvais aller le voir et lui dire.
C'est ça. Je vais aller le voir, tout lui dire, The Players, mes crimes, ce que j'ai fait avec Adam et lui demander pardon.
— Continuez sans moi, il faut que j'aille quelque part.
Adam me retient.
— Tu veux que je te dépose chez toi ?
— Non, ça ira je t'assure. Amuse-toi.
Je lui donne un baiser sur la joue et lui souris. Puis je me dirige vers la sortie avant d'appeler un taxi direction chez Leo. Dans le taxi, je pleure en essayant de me préparer à révéler mes secrets à Leonardo dans l'espoir qu'il fasse de même. Peut-être qu'il ne me pardonnera pas, mais au moins notre relation ne reposera plus sur des mensonges.
Quand j'arrive, je passe à la supérette du coin acheter à manger et à boire. Je veux qu'on discute, mais aussi passé la soirée avec lui, s'il veut encore de moi après ce que je vais lui dire.
J'arrive à son étage et me dirige vers son appart à lui. De la musique assez forte me parvient.
Bizarre.
Leo n'est pas du genre musique à fond. Il respecte trop ses voisins pour ça.
J'ouvre la porte avec mes clés et remarque une paire de talons que je ne reconnais pas. Je m'arrête le cœur battant.
— Qu'est-ce que-
Non... calme toi, ça doit être Marina qui lui rend visite.
C'est ce que je me dis, mais j'ai peur, je ne sais pas de quoi, mais j'ai peur.
J'entre et me rends au salon. La télé est allumée, le volume à plafond. J'aperçois un bol de bonbons sur la table.
Le volume et des bonbons ?
Je saisis la télécommande pour baisser le volume quand un gloussement me parvient.
Leo ne glousse pas.
J'avance avec appréhension dans la maison, jusqu'à la porte de sa chambre d'où sort de la lumière. Je passe discrètement ma tête pour voir la scène qui se déroule devant moi. La réalisation d'une de mes phobies depuis trois ans. Leo avec une femme, dans son lit.
Ma vision se trouble alors que les larmes remontent avant de déferler sur mes joues. Ça fait quoi, 30 secondes que je suis là et qu'ils sont tellement absorbés l'un par l'autre qu'ils ne m'ont même pas remarquée ?
Je sens mon cœur se tordre dans tous les sens. J'ai envie de pleurer, j'ai envie de crier, j'ai envie de vomir, de me faire du mal, de me faire rouler dessus, n'importe quoi sauf ça.
C'est donc ça, avoir mal...
Prisonnière du mutisme et de la douleur que je ressens, c'est le sac de plastique que je tenais qui, en tombant sur le sol, déclare ma présence. Leo et cette femme que je ne connais pas se tournent tous deux vers moi, surpris. Elle couvre sa poitrine de ses mains.
Leo pâlit.
— Heidi...
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top