23. Like a card castle

Felix se lève avec son téléphone et me fait un petit tour guidé du Airbnb qu'ils ont réservé pour leur voyage en Finlande, lui, mon père et sa famille. Ils y visitent de la famille de mon père. Là, ils reviennent d'un séjour de trois jours à faire du camping, l'activité favorite de papa qui adore les grands espaces. Felix, qui, dans une autre vie, devait être une divinité de la paresse, vient de me raconter à quel point il a détesté ce moment entre hommes. Il est content d'être de retour à la civilisation où il pourra glander en s'empiffrant de plats locaux comme on lui avait promis au départ.

En faisant son tour, il me montre mon père, sa nouvelle épouse et mon demi-frère qui me saluent d'où ils sont.

J'aurais normalement dû être du séjour, mais plusieurs choses m'ont retenue en Amérique. Premièrement, The Players. Même si je n'ai encore été convoquée pour aucune autre mission, peut-être à cause de ma réaction après la dernière, je me tiens prête. Si l'on a besoin de moi, il faut que je sois disponible, ils comptent sur moi.

Ensuite, mes performances académiques sont désastreuses. Je n'ai pas passé un seul examen de toute la mi-session. S'il y a quelqu'un qui est aussi à cheval que Leo sur mes résultats scolaires, c'est bien mon père. J'ai donc été privée de voyage, comme une enfant.

Leo a approuvé sa décision. Il dit que je n'ai pas le luxe de manquer des cours avec mes lacunes. Je crois que lui aussi m'en veut pour mes échecs.

En parlant de lui.

Il m'avait prévenue qu'il allait s'éloigner de moi un certain temps, mais je n'avais pas réalisé à quel point il était sérieux. Ça fait plus de deux semaines et on s'est parlé une seule fois et pendant moins de dix minutes.

Il n'est jamais disponible.

Si seulement c'était le pire.

— Et comment va maman ?

Quand mon frère demande l'état de ma mère, je vois mon père se tourner vers lui, attentif à ma réponse. Je le notifie à Felix pour qu'il change de lieu. Felix quitte le salon et va dans une des chambres.

— Alors ? chuchote-t-il.

— Pas très bien. Je crois qu'elle nous refait une petite dépression. Elle me sort plus de sa chambre, ses comprimés n'ont pas bougé, elle ne s'alimente plus.

Felix soupire.

Nous avons tous les deux redouté ce moment pendant des années. Ma mère souffre de dépression, et ce depuis son adolescence.

Si papa était parvenu à supporter cela, car il était amoureux, il a fini par se lasser, il a commencé à voir une autre femme, une infirmière du centre hospitalier dans lequel tous les deux travaillent. Ma mère a découvert la tromperie, mais était trop attachée à lui pour le quitter. Il était son ancrage, celui qui l'a faisait passer au travers de sa maladie.

Mais papa, lui n'était plus amoureux.

Je ne sais pas, je ne comprends pas comment on peut perdre ses sentiments pour quelqu'un, mais bon, apparemment ça arrive. Alors il l'a quittée, s'est installé ailleurs avec Felix, a refait sa vie avec Isabella, ils ont eu un fils, Simon qui est agé de quatre ans.

La séparation a empiré l'état de ma mère. Elle a sombré dans l'alcool pour noyer sa peine.

Il y a quelques années, quand Simon est né, elle était parvenue à se relever. Le fruit de l'amour de l'homme qu'elle a aimé et d'une autre femme lui a fait réaliser que c'était fini, qu'il ferait sa vie sans elle, alors elle s'est rappelé qu'elle aussi avait des enfants, deux, qui comptaient encore sur elle.

Elle a suivi une thérapie, est devenue sobre, me confiant la clé du cellier. Pour ne jamais avoir le temps de se morfondre, elle s'est totalement investie au travail. En fait, plus que moi et Felix, sa vocation est ce qui la maintenait hors de l'eau, sa bouée de sauvetage, soigner et aider les autres lui donnait une raison d'être.

Mais dernièrement, les tensions avec mon père qui est son supérieur ne lui ont pas réussi. Elle a commis une faute déontologique grave qu'elle et mon père n'ont pas le droit de me partager et il l'a mise à la porte.

En soi, il n'a fait que son travail. Difficile de lui en vouloir.

Nous ne craignons pas de problème financier, ma mère a des économies qui nous feraient tenir toute une vie en plus des propriétés à son nom.

Non, le problème c'est que sans son emploi, sa vocation, elle n'est plus rien. Alors elle est de nouveau au plus bas.

— Heidi...

Je remarque que j'ai versé une larme en repensant au regard sans vie de maman ce matin quand je lui disais au revoir.

Habituellement, j'ai Felix près de moi, pour encaisser ses états d'âme ou juste, me confier. Le simple fait de serrer mon frère dans mes bras me réconforte et me fait oublier mes tracas le temps d'une étreinte.

Mais il est à l'autre bout du monde. Ma moitié est à l'autre bout du monde alors qu'absolument rien ne va dans ma vie.

Mes notes, ma mère, mon copain, le poids de la culpabilité de la mort de Mélissa qui me pèse aujourd'hui encore et...

— Adam...

— Quoi ?

— Je te rappelle.

Je coupe l'appel quand je vois Adam sortir du pavillon Miller, juste en face de la terrasse du café dans lequel je suis. Je suis étonné, c'est un pavillon de la faculté d'art et non de sciences.

Puis, une fille aux cheveux blonds et en salopette en jean sort avec lui. Ils semblent discuter, flirter. Il sort son téléphone, elle semble lui dicter les chiffres de son numéro de téléphone. Elle finit par s'éloigner en lui faisant de grands gestes de main, une sorte de « on se revoit bientôt ».

Je sens mon sang se réchauffer dans mes veines et quelque chose d'amer se répandre dans ma bouche en les regardant.

Adam perd son sourire aussitôt qu'elle a le dos tourné. Il marche dans ma direction, sans moi voir pour autant, jusqu'à sa moto que je ne n'avais pas vu garée tout près. Une fois arrivé, il sort son casque du coffre et s'apprête à l'enfiler quand il me remarque enfin.

Mon cœur tressaute et je panique un peu alors qu'il me fixe un long moment. Je tente un petit coucou pour établir un contact et l'inviter à venir s'asseoir avec moi, mais il se tourne, comme s'il ne m'avait pas vue, met son casque, enfourche sa moto et s'en va.

Oh...

Il y a ça aussi.

Adam m'évite toujours. Je suis sûr que ça a un rapport avec ce qu'il s'est passé chez les Saeed, dans ce placard. Je lui ai demandé pourquoi il faisait ça, je croyais qu'il valorisait notre amitié.

Il m'a dit qu'il préfère prendre ses distances avec moi, pour que notre relation demeure professionnelle.

« C'est la règle. »

Pourtant c'est lui qui m'a embrassée... peut-être qu'il s'en veut. Normalement, c'est moi qui devrais m'éloigner de lui, à cause de ce qu'il me fait ressentir, parce que je suis en couple.

Pff, et quel couple!

Je me retrouve donc seule. En peu de temps, ma vie s'est effondrée tel un château de cartes et je suis seule à essayer de les rassembler pour le remonter, mais je fais toujours un faux pas qui le réduit en une pile de cartes inutiles.

Je soupire, range mon téléphone dans ma poche. Il faut que je rentre chez moi étudier.

Je vais dans ma voiture stationnée non loin. J'arrive chez moi trois quarts d'heure plus tard. La maison est plongée dans le silence.

— Maman, je suis rentrée.

Pas de réponse.

— Maman ?!

Toujours rien. Elle doit dormir.

Je me déchausse et me rends dans ma chambre, mais quand je l'ouvre, ce que j'y vois m'alerte. Un désordre qui n'était pas là à mon départ ce matin. Mes armoires et mes tiroirs ouverts, vidés de leur contenu, mes vêtements et mes produits au sol, mon matelas aussi. Ça ne tarde pas avant que je comprenne ce qu'il s'est passé ici.

— Maman ?

Le sol se met à tanguer sous mes pieds. J'accours au sous-sol, et trouve avec horreur la lumière en provenance du cellier, ouvert, le cadenas au sol.

Je m'approche et la trouve assise par terre, une bouteille à la main, deux autres, vides, à ses pieds.

— Maman...

Elle lève la tête et me révèle son visage, ses cernes, ses yeux bouffis, sa morve, son désespoir, sa détresse, sa honte.

Elle vient de rompre sa sobriété après près de cinq ans.

— Désolée, sanglot-t-elle en voyant mon expression. Désolée. J'ai essayé, j'ai essayé.

Je ne sais même pas comment réagir. La clé qui condamnait le cellier repose à côté d'elle. Je sens les larmes me monter aux yeux, mais les ravale. Elle a besoin de moi, je ne peux pas pleurer.

Alors, calmement, je lui retire la bouteille de ses mains et la dépose par terre. Je l'aide à se relever pendant qu'elle s'excuse encore et encore d'avoir brisé la promesse qu'elle m'avait faite autrefois, de ne plus toucher à l'alcool. Je la rassure, lui dit que je comprends, que ce n'est pas grave, que ça va aller, mais mon cœur se serre de l'entendre souffrir autant.

Ça m'a pris près de deux heures, mais je suis parvenue à la consoler et à la mettre au lit. Elle dort maintenant paisiblement. Nous avons discuté et elle va reprendre une thérapie bientôt. J'ai fait le ménage dans le cellier que j'ai refermé et dans ma chambre qu'elle a foutue en bordel en cherchant désespérément la clé que j'y cachais.

Assise à mon bureau, devant mon syllabus de Définition technologique, je suis incapable de me mettre au travail. Mes larmes tombent sur mon livre et brouillent ma vision.

Je crois que le pire c'est n'est pas ce qu'il s'est passé tout à l'heure. Le pire, c'est de savoir que ce ne sera pas la dernière fois. Ça a été très difficile pour elle la première fois de se libérer de son addiction, même avec la thérapie. Ça ne sert à rien de jeter l'alcool, elle en trouvera ailleurs. Et avec toutes les merdes qui me tombent dessus dernièrement, c'est vraiment le coup fatal.

Je sais qu'absolument rien ne pourra régler mes problèmes dans l'immédiat, mais j'ai juste... j'ai juste besoin de parler quelqu'un. J'en peux plus de supporter ça seule.

Je pense à appeler de nouveau Felix, mais me rappelle du décalage horaire. Il se fait très tard là-bas. Je ne veux pas le réveiller.

Je me lève, laisse mes cahiers et m'habille pour sortir. Je laisse un mot à ma mère lui disant que je suis chez une amie et que j'ai cuisiné pour elle si elle a faim.

Une fois dehors, le vent de début octobre me souffle au visage. Je monte dans ma voiture et me dirige vers l'appartement de Leo.

Lui... il saura m'aider. Il trouve toujours des solutions à tout et puis même s'il n'en trouve pas, je veux juste qu'il me prenne dans ses bras, m'embrasse tendrement le front et me rassure. Je veux l'entendre râler sur tout et n'importe quoi.

Je veux m'oublier en écoutant son cœur battre, en sentant sa peau chaude contre la mienne.

Je descends de la voiture une fois dans le stationnement de son immeuble, y pénètre et prends l'ascenseur qui mène au sixième. Je marche jusqu'à sa porte, mais au moment de l'ouvrir, je réalise que j'ai laissé les clés chez moi.

Alors je lève le poing pour cogner.

« Évite de débarquer chez moi à l'improviste, c'est désagréable.»

Je m'arrête en plein geste en me rappelant ce qu'il m'a dit l'autre jour. Il ne veut pas que je me pointe chez lui sans le prévenir...

Mais là, je ne vais pas bien, il comprendra, il m'excusera... non ?

Je reste là, le poing devant la porte de l'homme, que j'aime, incapable de toquer de peur qu'il m'en veuille après.

Je suis réveillé par la sonnerie de mon téléphone. Pas celle d'un appel ou d'un message, celle de mon système d'alarme, celle qui m'indique que quelqu'un se tient devant ma porte.

— Hm...

Je baisse le regard vers la tête de Maya qui repose sur mon torse, une partie de son corps nu allongé sur le mien.

Je fais de mon mieux pour bouger sans la réveiller, quoiqu'elle doit encore l'être. Je parviens à tendre le bras suffisamment loin pour atteindre mon téléphone, le déverrouiller et me vendre sur l'application. Quand j'ouvre la vidéo qui retransmet ce que la caméra filme, mon cœur chute dans ma poitrine.

Heidi se tient devant chez moi.

Merde!

— Qu'est-ce qu'il y a à Leo ?

— Rien. C'est un courriel que j'ai reçu.

Maya lève la tête de ma poitrine et serpente jusqu'à mon visage avant de venir m'embrasser.

— T'es sérieux là ? Tu réponds à tes courriels à cette heure ?

J'étends le bras pour garder l'écran de mon téléphone derrière elle pendant qu'elle me baise le cou, visiblement d'attaque pour une autre partie. Une main sur ses reins, je lui rends ses attentions, un œil sur l'écran où Heidi se tient toujours.

Va-t'en, va-t'en, va-t'en!

Je ne sais pas pourquoi elle n'a pas encore cogné. Elle ne fait que se tenir là, devant la porte, le bras levé, le poing fermé, prête à exécuter le geste qui gâchera tout.

Seulement, elle ne fait rien. Elle semble hésiter à cogner. La qualité de la retransmission est telle que je peux voir ses larmes.

Elle pleure.

Je commence à réfléchir à comment je vais gérer ça, qu'est-ce que je vais lui dire ? Quelle excuse je vais lui sortir qu'elle sera en mesure de gober ? Et puis comment m'arranger pour que ce soit crédible parce que là je suis nu comme un ver, Maya aussi.

Je n'ai pas le temps, je n'ai pas le temps pour toi, pars!

D'une main, je m'apprête à discrètement lui écrire de foutre le camp, quand elle baisse sa main, sa tête, se tourne et se retire du champ de vision de la caméra.

Elle a dû se souvenir de la consigne que je lui ai donnée. De ne pas débarquer chez moi à l'improviste.

Bonne fille.

L'esprit en paix, j'éteins mon téléphone et me concentre sur Maya qui réclame mon attention. Toutefois, ses larmes restent imprimées dans mon esprit. Elle avait besoin de moi.

Non...

Elle a besoin de lui.












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C'était tout pour ce chapitre! Merci de l'avoir lu et pour ceux qui le font d'avoir interagi avec 🫶🫶🫶.

Retrouvez moi sur instagram: luxe_8831_ pour être informé de l'avancée de l'histoire et pour qu'on discute des théories de chacun quant à la suite des événements.

Luxe🪂

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