16. Countdown

Elle sent tellement bon...

Sans vraiment savoir pourquoi, je resserre mon étreinte, pour le sentir plus fort, pour être marqué plus fort alors que je la sens s'abandonner dans mes bras.

— Bonne chance Joker, souffle-t-elle au creux de mon oreille.

Le frisson comme je ne l'ai jamais ressenti rampe le long de mon échine et je dois me faire violence pour la laisser, pour reprendre mon rôle de l'inspecteur qui doit quitter pour aller assister à la naissance de son pseudo gosse. Je finis par le faire et pars dans le sens inverse.

Pendant que je cours, je vérifie l'heure, j'ai un petit retard de deux minutes sur le programme, il faudra que je les compense tout à l'heure.

— Je suis en position, m'informe Moïse.

— Parfait, je suis là dans une minute.

Je prends les escaliers et les déboule en direction du premier étage. Par moment, je repère des caméras, juste au-dessus des portes menant à chaque étage. Normalement, Jerome a déjà piraté leur système de sécurité. Toutes les caméras sont désactivées et jouent des enregistrements de la semaine dernière. Quand j'arrive enfin au premier, au lieu de prendre le chemin inverse de celui qu'on a pris pour monter avec Lindsay, je prends la droite, en direction des quais de chargements des livraisons. J'évite le plus possible les rencontres avec des employés, ils me décrieraient après tout ça. Cela me met encore plus en retard, mais je parviens à trouver l'énorme hangar où des dizaines de camions de tailles diverses sont stationnés, certains arrivant et d'autres quittant l'usine.

Alors que je reprends mon souffle, mon regard se promène parmi tous ceux-ci avant de repérer le camion de The Players qui porte l'insigne d'une société inventée. Discrètement, je me rends à l'arrière, cogne, patiente avant que Moïse ouvre les portes arrière, déjà changé. Je m'engouffre dans le camion et troque ma tenue de fonctionnaire pour le même uniforme de technicien que Moïse porte, avec le logo d'IONIQ. J'enfile des gants et l'équipement de protection avant de passer l'escabeau sous mon bras. Une fois fini, je prends deux des sacs qui reposent sur le sol. À eux deux, ils doivent peser presque autant que moi. Bien sûr, je suis en admiration totale quand je vois Moïse en porter quatre sans même avoir l'air de fournir le moindre effort.

— On doit se dépêcher, m'informe-t-il alors que nous marchons tous deux vers la porte J-11 indiquée sur le plan.

— Je sais, dis-je en pressant le pas comme lui.

Nous arrivons finalement à la porte qui donne sur un couloir, là où l'on doit se séparer.

— Soit prudent fiston...

— Pour rien au monde.

Il rit avant de secouer la tête.

— Très bien. Dans ce cas, ne meurs juste pas.

Il prend la gauche, moi la droite. Avec mon masque de protection, mes sacs et mon escabeau non seulement je ne crains pas qu'on m'identifie, mais en plus tout le monde me prend pour un technicien. Ce qui me permet de ne pas avoir à me cacher chaque fois que j'entends des pas ou des voix. Les employés et chercheurs passent, certains s'attardant quelques secondes sur moi par simple curiosité avant de continuer leur chemin et leurs conversations. Personne ne se doute que je suis en train d'installer des explosifs destinés à réduire le bâtiment en décombres dans à peu près une heure.

Je les sors un à un des sacs, en suivant la procédure pour ne pas que l'une explose prématurément et foute en l'air le plan, les installe de manière à ce qu'elles n'éveillent aucune suspicion, les amorce et me rends au prochain site. Je me charge de tout le premier. Je sais que Moïse lui est en bas, dans les sous-sols en train de les installer à même les fondements structuraux de l'usine.

Cette dernière est très vaste. À nous deux nous ne pouvons pas installer assez de bombes pour la démolir au complet et puis ce serait une catastrophe écologique, puisque des produits pouvant causer une explosion comme on en voit rarement sont entreposés ici. Le plan vise les portions de l'usine qui n'affecteront pas les entreposages de produits dangereux et la gestion des déchets. Nous visons principalement les bâtiments avec des bureaux et des machines ; couper la tête pour envoyer un message clair.

— J'ai fini, m'informe Moïse.

— Moi aussi, répondis-je pendant que je me change à nouveau.

Je renfile ma tenue précédente sur laquelle je jette un sarrau avec le logo de l'usine et une paire de lunettes. Avec la carte magnétique que j'ai subtilisée à Lindsay pendant qu'il essayait d'être tactile pour m'amadouer, j'ai accès à l'ascenseur, pour sauver du temps. Ce dernier me mène au cinquième étage, celui où se trouvent les quartiers de la direction, le bureau de Lindsay. Sans grande surprise, un agent de sécurité se tient devant ce bureau. Ça doit être ça d'avoir beaucoup à cacher.

Le problème est que ce n'est pas celui qui devait être là. Selon le plan, ce devait être un homme dans la cinquantaine, un peu rondouillard que je devais rapidement maitriser pour entrer. Là, je me retrouve devant un grand gaillard tout en muscle, presque aussi imposant que Moïse, et juste par sa posture et son regard, je sais que je ne peux pas le maitriser rapidement et sans faire de vague. Il a de l'expérience.

Les risques du métier.

Mon cerveau roule à 100 à l'heure à la recherche d'une solution et j'en viens à la conclusion que tout ce que je peux faire, c'est foncer, improviser et prier pour le meilleur. L'idée ne me déplait pas, au contraire, je peux sentir mon cœur s'emballer devant cette déviation du plan.

Est-ce que Jerome va encore me sermonner?

Quand j'arrive à son niveau, il lève le bras pour me bloquer le passage.

— Qui êtes-vous ? Vous ne pouvez pas entrer ici.

Je soupire dramatiquement et me frappe la tête.

— Bien sûr, je n'y avais pas pensé avant de laisser Lindsay.

Il lève un sourcil.

— Les inspecteurs sont en train de faire passer un mauvais moment à Gregory. Apparemment, l'un d'entre eux a eu vent d'accusations sur les rapports de la dernière inspection. Il m'a demandé de venir les chercher. Il m'a donné sa carte, dis-je en la lui présentant.

L'agent plisse les yeux pour déceler le mensonge dans mon histoire.

— Ça ne me prendra que cinq minutes... tenté-je.

Je sais que le fais que j'ai appelé son patron par son prénom lui indique que lui et moi sommes proches, seulement, il a des ordres. Quel zèle... exploitons-le.

— Mais je comprends, tu as des ordres. Je vais aller chercher Gregory lui-même. Ça ne va pas lui plaire qu'on le fasse mal paraître auprès des inspecteurs, mais bon, les règles sont les règles. On revient.

Je fais volte-face et m'apprête à partir.

— Attendez.

Oh...

Je me retourne.

— Hm ?

— Vous pouvez entrer, mais vous avez cinq minutes.

— Mais- vous êtes sur ? Selon le règlement-

— Cinq minutes. Pas plus.

Je lui exprime ma gratitude et lui promets de ne pas dépasser le temps imparti.

J'entre et il me surveille, les bras croisés.

Fuck, s'il m'observe, je ne peux pas voler les données que je suis venu chercher...

Je commence à chercher les documents que je lui ai dit que je chercherais en songeant à un moyen de brancher ma clé dans l'ordinateur de Lindsay.

— Il avait dit que ce serait dans ce classeur pourtant... si ça se trouve, c'est Melissa qui l'a rangé, elle fait tout pour lui. C'est son esclave.

Je vérifie si j'ai visé juste.

— Ça, c'est vrai..., concède-t-il. La pauvre.

Je m'approche du bureau et commence à fouiller les tiroirs, en guettant la moindre ouverture. Quand l'agent jette un œil dehors, sans doute pour vérifier que personne ne le verra faire un écart au règlement, je branche ma clé. C'est tout ce que j'ai à faire, elle déverrouille elle-même l'ordinateur et le téléchargement des fichiers que nous voulons s'enclenche seul. Un bijou tout droit sorti du génie de Jerome. Quand il revient dans la pièce, je suis de nouveau en train de faire semblant de fouiller, même quand j'ai trouvé le dossier que je prétends chercher, attendant que le chargement se termine.






J'ai tout mon temps.

C'est la raison pour laquelle moi qui aie l'habitude de toujours courir dans ma vie, pour jongler entre mes cours, ceux que je donne et l'équipe, je prends mon temps en ce qui concerne ma besogne avec ce poids mort de Dylan. Killing in the Name de The Rage Against the Machine à fond dans les oreilles, je fredonne les accords de guitare pour accompagner les cris étouffés de mon ami que je traîne sur la terre boueuse.

Il a plu hier. Malgré l'épaisseur de la canopée, le sol a été gorgé d'eau et cette même canopée qui filtre efficacement le soleil a empêché le sol de sécher. Une chance, que je me suis arrangé pour recouvrir mes vêtements et mes chaussures. Je me sentais déjà suffisamment sale de respirer le même air que Dylan, si en plus je devais être recouvert de boue froide... j'en frissonne.

Je n'aime pas la saleté.

Quand je me suis suffisamment éloigné de la circulation, quand je suis sûr qu'on aura toute l'intimité nécessaire ici, profondément dans le bois, je m'arrête. Le morceau de rap métal prend fin et les sons que produit Dylan me parviennent plus clairement.

Bâillonné et attaché tel un saucisson, il pleure depuis bientôt dix minutes, oscillant sans doute entre peur et questionnement. Vous savez, le classique « qui êtes-vous et que me voulez-vous ? »

La vérité c'est que moi-même je me demande ce que je fais là aujourd'hui. Enfin, je sais pourquoi je suis là... pour venger Maya. Ce que je ne sais pas tout à fait c'est pourquoi je fais ça. Pourquoi je la venge ?

Des injustices et des abus j'en ai vu, j'en ai été témoin... j'en ai été victime et ça ne m'a jamais perturbé comme ce fut le cas avec Maya. J'ai à maintes reprises fermé les yeux sur ce genre de comportement, le trafic humain, pour assurer ma paix et celle de Heidi. J'ai toujours mis un point d'honneur à ne pas m'investir, à naviguer dans ce monde en observateur, n'agissant que dans mon intérêt et toujours dans l'ombre.

La première dérogation à cette règle fut Heidi. Je m'étais juré de ne pas avoir d'attaches, mais elle m'a un peu forcé la main. J'aurais pu lui briser le cœur et continuer à vagabonder dans mon existence, je l'avais même fait, mais...

Puis il y a Maya. C'est peut-être le fait qu'on partage la même détresse elle et moi, mais quelque chose chez elle m'a tout de suite intrigué. Tous mes sens se sont mis en alerte quand nous nous sommes rencontrés. Pas que je n'étais pas sur mes gardes avant. Je suis toujours sur mes gardes, mais avec une longueur d'avance, même deux.

Mais assis sur ce pont avec Maya, je n'avais plus eu cette impression d'avoir deux ou trois longueurs d'avance. J'ai d'abord eu l'impression que nous étions à égalité. Soit je m'étais abaissé à son niveau, soit elle s'était élevée au mien... comme je n'avais pas changé, cette impression devait venir d'elle.

C'était supportable, après tout nous avions un point commun, à peu près le même âge, du vécu. C'est son vécu qui m'a perturbé. Plus elle m'en avait dit sur elle plus je ne me sentais plus à égalité avec elle, j'étais en train de traîner de la patte. Mon être tout entier fut saisi de l'ordre d'agir. Vite. Pour rééquilibrer les choses.

Tuer Dylan rééquilibrera les choses. Je crois. Une fois son bourreau, Maya et moi aurons moins en commun, elle ne me perturbera plus, elle ne me talonnera plus.

— On devrait être bien ici, tu en penses quoi mon Dylan ?

Il s'agite dans tous les sens, poussant ce qui devait être des cris au secours, si le ruban adhésif ne lui fermait pas la bouche.

— Je vois que tu as hâte. Moi aussi, mais un peu de patience. On ne voudrait pas mal faire les choses juste parce qu'on avait hâte si ? J'ai envie que ce soit spécial, pour que même en enfer, tu te souviennes encore de notre première fois.

Plus de cris.

— Oui, oui, ça arrive.

J'enfile des gants de baseball, histoire d'avoir une meilleure prise que tout à l'heure. Batte à la main, je me tourne vers Dylan qui est en panique, mais se maîtrise comme il peut. Les soubresauts de sa poitrine trahissent toutefois son affolement. Je réduis la distance entre nous, m'accroupis, lui tapote ensuite la joue en annonçant amicalement :

— Et si l'on commençait l'échauffement, tu es d'accord mon Dylan ?

J'attends qu'il me donne la permission sachant qu'il ne le fera pas et même s'il avait bien voulu consentir à ce qui va suivre, il ne pourrait pas le verbaliser. Quand Dylan comprend que je vais vraiment m'en prendre à lui et surtout que personne ne viendra le sauver, il gigote. Tel un ver, il rampe dans la boue pour s'éloigner de moi. C'est un spectacle aussi divertissant que pitoyable, mais j'admire l'effort, cette petite flamme d'espoir qui me tarde plus que jamais d'éteindre. Je le laisse faire sa tentative... peut-on même qualifier ce lamentable serpentement de tentative, jusqu'à ce qu'épuisé, il ne puisse plus jouer de ses abdominaux.

Je fais quelques pas pour arriver à son niveau, tiens la batte dans mes deux mains et effectue un excellent échange de poids. Celle-ci lui percute le dos. Je vois à son expression qu'il a crié dans le fond sa gorge, mais ne l'entends pas à cause de la musique dans mon casque d'écoute. Je prends un autre élan et le bâton va frapper sa nuque. Un autre coup, puis un autre et encore un autre. Je m'applique à le frapper de toutes mes forces avec la batte de baseball. Elle n'aurait pas servi avant un moment puisque je ne joue plus, mais j'y suis trop attaché pour le jeter, alors je lui ai trouvé une autre utilité. Mouis, j'ai un petit penchant écologique.

J'ignore pendant combien de temps je le roue ainsi de coups pendant qu'il se tord de douleur et hurle au sol, je sais seulement que je m'arrête lorsque la batte se rompt en deux morceaux de bois inutiles.

J'en ferai du compost.

Je laisse tomber la partie inférieure près de son corps qui git au sol et replace mes cheveux. J'essuie grossièrement le sang qui a giclé sur mon visage et reprends mon souffle.

Je suis assez échauffé.

Je regarde son corps recouvert de blessures et d'ecchymoses. Il est aussi bien défiguré et son nez qui prend la tangente vers la gauche me rappelle l'instant où la batte s'est écrasée sur lui. Le craquement sourd m'a donné le frisson, je l'ai ressenti à travers le bois, c'était exquis, je vous jure. Je retire alors mes écouteurs. Le chant des oiseaux perchés dans les arbres et témoins de notre tête-à-tête me parvient. Je perçois aussi l'odeur de terre, de feuille et de sève mêlées à la senteur métallique caractéristique et écœurante du sang. Je ferme les yeux et inspire profondément, profitant des quelques rayons de soleil qui percent l'épais feuillage. Les sanglots de Dylan me rappellent qu'on n'a pas fini. En le trainant par ses liens, je le ramène au pied du chêne que j'avais précédemment choisi. Il est si faible, il ne résiste pas. Alors que l'assoit au pied du chêne pour l'y attacher, j'entends comme de l'eau dans sa bouche.

Je lui enlève le ruban et tout le sang qui s'était accumulé dans sa bouche coule au sol, sur lui, sur ma combinaison. Il tousse, car il avait commencé à s'étouffer avec. Il marmonne ensuite quelque chose d'inaudible.

— Pardon tu as dit quelque chose ?

Il se remet à pleurer comme une bonne femme et commence à négocier.

— Je... je vous en pris... je sais même pas qui vous êtes... j'ai rien fait... Arrêtez s'il vous plait...

Je ne réponds pas. Ça fait partie de la séance. Souffrir est une chose, souffrir sans même savoir la raison pourquoi en est une autre. Le sujet entre dans un état de perpétuel questionnement, d'anxiété, de remise en question. La torture transcende alors la douleur physique, c'est comme ça qu'on brise une personne.

Comme je ne dis rien, il reprend.

— Qui vous envoie ? Laissez-moi partir et je vous paierai le double, non le triple de son offre... pitié...

— Avec ton argent volé dans ton trafic de mineures ? C'est que tu es drôle pour une ordure. Personne ne m'envoie.

Le désespoir l'envahit quand il comprend que je n'en ai rien à foutre de son argent sale et que je ne le laisserai pas partir... pas avant de m'être amusé.

— Mais qui êtes-vous ?!

Les dents en moins, j'ai un peu de mal à déchiffrer ce qu'il dit, mais je sais la question qu'il a posée, ils la posent tous.

Je ne fais que sourire en levant les yeux au ciel avant de me fouiller dans mon sac de sport d'où j'extrais l'arrache-ongle. J'ai envie d'y aller doucement, de savourer un peu le moment.

En voyant l'instrument de torture dans mes mains, il pousse un cri strident qui retentit dans tout le boisé et me fait littéralement bander.





— Les cinq minutes sont écoulées. Vous allez devoir sortir.

J'arrête ma fouille pour me tourner vers le gardien. Il se tient dans l'encadrement de la porte, les bras croisés.

— Je n'ai pas encore trouvé le dossier.

— Peu importe, je ne peux pas vous laisser plus longtemps ici. Contactez Lindsay, qu'il vienne chercher ces rapports lui-même. Lui ou sa secrétaire.

Je soupire. Ça va, le téléchargement a pris fin, il y a de cela bientôt une minute. J'attendais que ce soit lui qui me foute à la porte.

— Bon... domma- qu'est-ce que... oh ! dis-je en lui présentant un dossier, celui que j'avais trouvé dès le début de mes recherches. Le voilà, inspection de mai ! Je n'ai même pas pensé à chercher ici. Quelle tête en l'air !

Son expression ne change pas, il se met de profil pour m'indiquer de sortir.

— Bon, je ne vais pas abuser de votre temps.

Je profite de faire semblant de ranger pour retirer la clé. Mission réussie !

Dossier de l'inspection en main, je me dirige vers la sortie et passe le garde en lui souriant. Lui me regarde passer sous lui, parce qu'il ne fait pas moins de deux mètres celui-ci, c'est sur. Au moment de m'éloigner, il m'interpelle.

— Attendez un peu... qu'êtes-vous venu chercher déjà ?

— Le rapport de l'inspection de mai. Je dois y aller maintenant on m'att-

— Les inspecteurs sont sensés déjà posséder ces documents non ? C'est eux qui les produisent, il ne nous en donne qu'une copie. Et puis n'êtes-vous pas un peu jeune pour être chercheur ici ? J'ai eu beau chercher, votre visage ne me revient pas.

Merde, il n'a pas que des muscles.

Aucune excuse ne me vient à l'esprit, en tout cas pas une qui justifiera tous les arguments qu'il m'a apportés. J'espérais qu'il soit assez con pour gober l'histoire que j'ai tricotée en quelques secondes quand je l'ai vu posté devant la porte il y a cinq minutes. En réponse à mon silence, il pose sa main sur le Taser à sa ceinture.

— Qui es-tu ?

Désolé, Jerome.

Je lui balance la pile de feuilles à la figure et prends mes jambes à mon cou. Après la confusion, il me prend en poursuite. Pendant ma course, j'établis un contact avec numéro 4.

— Je me suis fait prendre par un gardien de sécurité qui est en train de me pourchasser en ce moment.

— EHHH !!!! REVIENS ICI !!!!!!!! crie le gardien.

— Ughhh Joker, qu'est-ce que tu as encore fait ? Tu es où ?

— Au dernier étage, je venais de sortir du bureau de Lindsay, dis-je en virant à gauche.

— Putain... bon, on devance la phase finale. Valet, redéfinis le compte à rebours à dix minutes au lieu d'une heure. Déclenche aussi l'alarme incendie.

— Compris, répond Sky.

— L'alarme incendie ? Pour une évacuation en 10 minutes ? Personne ne la prendra au sérieux. Il y a trop d'employés, interviens-je en pensant à tous ces ouvriers et chercheurs que j'ai croisés plutôt.

— Personnellement, ils peuvent tous crever, je dormirai bien cette nuit, mais je sais que pas toi.

— Non. Valet, annonce qu'il va y avoir une explosion.

Pendant que je cours, j'entends le gardien qui avait sorti son talkie-walkie signaler ma présence à ses compères. Je suis en train de descendre quand quatre hommes poussent la porte de la cage d'escalier, me repèrent et fondent sur moi. Je fais demi-tour et ouvre la porte de l'étage la plus proche, dans l'espoir d'y trouver un autre escalier, une autre issue. Le souci c'est que de toutes les portes menant au premier, d'autres agents de sécurité débarquent. Je parviens à les esquiver sans grand mal, me servant des murs et même de leur corps comme tremplins, mais même s'ils sont essoufflés je commence à être accablé par leur nombre.

Comme si ça ne pouvait pas être pire, je me retrouve dans une impasse. Je m'arrête devant le mur et me tourne pour voir la bonne douzaine d'hommes armés de Taser qui se tient devant moi.

Fuck...

Alors que mes neurones fonctionnent à plein régime, que je calcule comment je pourrais m'en sortir, qui attaquer en premier, qui esquiver, si je fais semblant de me rendre et attends une meilleure opportunité de prendre la fuite, la voix robotique de Sky se fait entendre dans tout le bâtiment, faisant lever les têtes à mes poursuivants.

— Votre attention personnel d'IONIQ. Ceci n'est pas un exercice. Cette structure va être la cible d'un attentat terroriste commandité par The Players. Des bombes ont été installées un peu partout et exploseront sous peu. Je répète, ceci n'est pas un exercice. Temps restant avant la déflagration 300 secondes. 299. 298. 297. 296. 295...

Je sais que Jerome n'a pas déclenché ça pour que les employés puissent évacuer. Ce message m'est adressé ; tu as 300 secondes pour déguerpir.

— Quoi ? Des terroristes ? Ici ?

— The Players, elle a dit...

— C'est sérieux tu crois ?

— C'est très sérieux. Si l'on ne sort pas d'ici, on crève tous. C'est moi qui ai posé les bombes dans cette aile.

— 282. 281. 280...

Ils se concertent, la confusion apparente. Je vois que beaucoup voudraient s'enfuir, loin, très loin, mais peut-être ont-ils peur d'être les mauviettes qui se sont enfuies devant la menace. Le garde qui m'a démasqué s'avance.

— Allez superviser l'évacuation, je m'occupe de lui.

Non peu contents d'avoir une chance de fuir, les autres agents font demi-tour et courent pour aller « superviser l'évacuation ». D'expérience, la moitié fuira simplement en pensant à leur propre vie. Quand on a des victimes, c'est souvent parce qu'elles ont été abandonnées par des gens qui voulaient sauver leur propre poire.

Je me retrouve donc seul, avec le baraqué.

— Vous ne partez pas aussi ? C'est votre seule chance.

Il reste là, à me fixer, une colère comme on en voit rarement dans les yeux.

— Vous... bande de meurtriers. Mon fils est mort, à cause de vous, il y a quatre ans. Si tu savais le nombre de fois où j'ai rêvé de mettre la main sur vous pour le venger. Je ne partirai pas avant de t'avoir tué de mes propres mains.

Je suis devenu membre il y a deux ans et demi. Je sais que le groupe était beaucoup plus sanguinaire à ses débuts. The Players n'était constitué que des membres fondateurs c'est-à-dire Jerome, Senri, Ash et le Roi, des tueurs nés et personne pour défendre la cause des innocents.

— 267. 266. 265. 264. 263...

Rien ne les arrêtait, pas le nombre des victimes, l'absence de leur implication, même l'âge leur importait peu, car il arrivait que des enfants soit dans le bilan des morts. C'est quand Moïse, Diego et moi nous sommes opposés aux effusions de sang inutiles que le nombre de victimes a chuté. Mais quand il y en a, j'ai quand même l'impression de n'avoir pas fait assez, pareille pour les victimes qui ont précédé mon intégration au groupe. Alors quand il me parle de son fils, je sens le poids de la culpabilité me peser alors que je ne devrais pas.

— Votre fils ? Quel âge avait-il ?

— Six ans.

Je ne sais pas si c'est l'âge ou le craquement dans sa voix alors que des larmes se forment à ses yeux, mais cette information m'atteint droit au cœur.

Six ans... putain...

— Je...

— 234. 233. 232. 231...

Je ne trouve même pas les mots, peu importe les phrases toutes faites de sympathies que j'ai moi-même entendues à l'égard de mon père, rien ne me semble suffisant pour apaiser la douleur que je lis en cet homme, ce père qui n'en est plus un par la faute de The Players et indirectement, par la mienne.

— Désolé... je suis vraiment désolé.

Il essuie les deux trois larmes qui s'étaient échappées et la haine établie de nouveau domicile sur ses traits.

— Tu lui diras à lui, quand tu le verras là-bas ?

Je n'ai pas encore saisi le sens de sa phrase qu'il se jette sur moi. Je n'ai pas le temps de réagir, ses bras puissants entourent ma taille et m'entrainent avec lui vers le sol. Comme je sais que la chute est inévitable, je ne la combats pas. Je me laisse tomber avec lui et profite du moment de force pour le propulser vers l'arrière avec mes jambes. Il fonce dans le mur la tête première. Je tente de me lever pour profiter de l'ouverture et fuir vers les escaliers, mais il m'attrape la cheville et la tire avec une telle force que j'en perds l'équilibre. Aussitôt, il tire dessus et m'attirant à lui. Ses mains parviennent à agripper mes cheveux et il s'en sert pour cogner ma tête contre le sol à de multiples reprises, comme s'il essayait d'ouvrir une noix de coco. Mon crâne ne va pas tarder à subir le même sort si je ne fais pas quelque chose, mais je suis totalement sonné. Entre les impacts réguliers, je perçois seulement la voix de Sky.

— 200. 199. 198. 197. 196...

Quand il voit que je n'oppose plus de résistance, il me retourne, monte sur moi et se noue ses mains calleuses autour de mon cou et serre. Comme l'air commence à me manquer, par réflexe, je me débats, j'essaie de frapper, de retirer ses mains, de griffer, mais il est trop fort et trop déterminé pour me relâcher. Je peux sentir mon pouls cogner dans ma tête qui tourne et la pression dans ma tête est telle qu'une des lentilles de contact que je porte tombe de mon œil.

— 177. 176. 175. 174...

Il appuie encore plus fort, si fort que je crains qu'il finissent par me broyer la trachée.

Putain, c'est comme ça que je vais mourir?

— Joker, tu te bats ?

C'est la voix de Moïse. Pour seule réponse, je pousse de drôle de sonorités en essayant de me défaire de la prise du garde.

— Qu'est-ce qu'il dit ? demande Jerome.

— Rien, je crois qu'on l'étrangle.

Bien, vu maintenant aidez moi bordel de merde!

— Personne ne peut entrer t'aider, c'est trop dangereux. Tu vas devoir t'en sortir tout seul.

Ça j'avais compris, mais là je ne pense pas pouvoir m'en sortir, il est trop balèze.

Comme s'il avait lu dans mes pensées, Moïse me demande ;

— Est-ce qu'il est plus fort que moi ?

Mes pensées dispersées convergent vers cette question. Est-ce qu'il est plus fort que Moïse. La réponse est simple. Non. Si ça avait été Moïse, il aurait eu le temps de me tuer quatre fois depuis le début de cet affrontement.

— ....non..., parviens-je à peine à prononcer.

— 131. 130. 129. 128. 127. 126. 125...

Je n'arrive plus à parler et j'entends la voix de Moïse, mais ce qu'il dit est de moins en moins perceptible. Je sens mes appendices devenir froids, la force me quitter alors que je glisse vers l'inconscience, acceptant mon sort.

— Adam ! Adam, tu m'entends ?! Tu dois rentrer avec moi ! Adam... ne meurt pas.... s'il te plait... Tu m'as promis qu'on fêterait ma première mission ensemble !

Heidi... l'initiation... ensemble...

Un semblant de conscience me revient, je repense à ce que Moïse m'a demandé. « Est-il plus fort que moi ? ». Me reviens alors en mémoire la fois où je m'entrainais avec lui et qu'il m'avait mis dans une situation similaire. Cette fois-là, je n'étais pas parvenu à me défaire de sa poigne de fer. J'étais tombé dans les pommes comme la plupart des fois où je me bats avec Moïse. Quand j'étais revenu à moi, Moïse m'avait expliqué quels avaient été mes erreurs, mon manque de réactivité et mon entêtement à essayer de le battre par la force alors qu'il me supplante de ce côté-là. Mais je ne voyais pas comment j'aurais pu le battre autrement, je lui ai demandé quoi faire pour m'en sortir face à quelqu'un de plus fort que moi et il m'a répondu :

— Triche.

Comme si mon corps était animé de lui-même, ma main s'élance vers la ceinture du garde, attrape son Taser et je m'en sers pour le retourner contre lui. L'effet est immédiat, la décharge le fait se tendre et pousser un crie. À moi aussi, car elle m'atteint comme il me tient. Mais contrairement à lui, j'y ai été presque désensibilisé donc quand lui s'écroule au sol, moi j'en profite pour m'éloigner de lui et reprendre mon souffle, toussant et crachant au sol. Alors que je suis courbé, en train de me battre pour réoxygéner mes poumons, je l'entends bouger. Je me tourne pour le voir essayer de me prendre en traitre. Je roule sur le sol et l'évite de justesse, me redresse, le balaie au sol avec ma jambe droite, monte sur lui et l'électrocute de nouveau, bien plus longtemps et à un voltage plus élevé.

Il s'agite sous l'effet de la décharge, les yeux révulsés, le corps gainé, salivant au bout de quelques secondes.

Quand il perd connaissance, je retire l'appareil de sur sa peau qui garde deux marques de brûlure. Toujours sur lui, je reprends mon souffle. Le décompte de Sky me rappelle que je dois absolument sortir de l'édifice. Je me lève et cours en direction des escaliers. Je m'apprête à ouvrir la porte quand du coin de l'œil je vois le corps inerte de mon adversaire au sol.

.- 86. 85. 84. 83. 82. 81...

«Mon fils est mort par votre faute».

...

— Fais chier !

Je reviens sur mes pas et porte l'homme sur mon épaule.

— 61. 60. 59. 58. 57. 56. 55. 54...

— LA FERME SKY !!

— Adam ? Tu es vivant ?! crie Heidi dans mon oreille.

— Je n'ai pas le choix, une jolie fille m'a dit une fois que mourir n'est pas une option, lui répondis-je en courant aussi vite que je puis avec ce poids qui me ralentit considérablement.

Je ne sais pas si le trait d'humour est pour la rassurer elle ou moi. Ni même si je vais vraiment réussir à m'en sortir avec lui.

— Je te donne l'itinéraire le plus court, m'informe Sky. Tourne à gauche au prochain couloir.

Je m'exécute.

— Dirige-toi vers l'aile A et longe-la. Bien maintenant descends les escaliers devant toi, la fourgonnette t'attend à la porte. Tu as trente secondes.

— Adam fait vite ! me presse Heidi.

J'essaie putain!

Il doit me rester deux étages à descendre ou trois ? Je ne sais plus, merde. Je n'aurai jamais le temps d'arriver en bas et en plus m'éloigner du bâtiment. J'arrête de courir, sors le Taser et me sers de la crosse pour briser la vitre d'une fenêtre dans la cage d'escalier. Une fois celle-ci hors du chemin, je jette le type à travers la fenêtre avant de m'élancer à mon tour dans le vide. Il amortit ma chute, mais je sens mon épaule droite se déboiter. Poussé par l'adrénaline, non seulement je ne ressens aucune douleur, mais en plus je m'empresse de le reporter de peine et de mal pour sprinter comme jamais vers la fourgonnette ouverte où je vois Moïse crier pour m'encourager ou je ne sais pas. Quand j'estime être suffisamment loin,  je laisse tomber mon fardeau humain sur la pelouse. L'impression de m'être fait pousser des ailes, je double de vitesse.

— Aller grimpe !! ordonne Moïse en me tendant la main.

Une première bombe explose puis les autres suivent. Je finis par toucher la main de Moïse qui me harponne comme si j'étais une plume dans le véhicule qui se met aussitôt en mouvement. Les portes se referment ensuite et seuls le moteur et les explosions se font entendre. Maintenant que je suis tiré d'affaire, je peux me concentrer sur la douleur que je ressens.

- AAAAAAAAAAHHRRRRRRRRHHHH MEEERRRRDEEE!!!!!!!!!!! hurlé-je roulant sur le plancher métallique et froid du fourgonnette.

— Qu'est qu'il y a ? me demande Moïse.

— Je me suis fait un truc à l'épaule... arrrgghh !!! PUTAIN ÇA FAIT MAL !!! BORDEL !!!

— Ah. Ce n'est rien. Debout, je vais t'arranger ça ???

— NON, NON, NON !!!! JE DOIS ALLER À L'HÔPITAL !!!

— Après avoir commis un attentat ? Très drôle. Viens là, je vais la replacer ton épaule, moi.

— Oh putain non !!!

— Allez, fiston, tu vas faire ta chochotte devant une dame ?

J'arrête de geindre et lève la tête pour voir c'est Heidi qui est au volant. Elle jette plusieurs coups d'œil vers l'arrière, l'air alarmée, sans doute par mes cris. Moïse prend mon visage et me force à le regarder.

— Fais-moi confiance, tu ne sentiras rien.

Je me tais et le fixe. Ma respiration est encore saccadée à cause de l'adrénaline et aussi la terreur de me retrouver entre les mains de cette brute pour traiter ma blessure.

— Ok..., lâché-je faiblement et à contrecœur. Comment tu vas faire pour que je ne sente rien?

Il me sourit avant de pointer ma droite. Je me tourne mais ne voit rien d'autre que la paroi d'aluminium du van. Quand je me retourne pour lui demande ce que je suis censé regarder, tout ce que je vous, c'est son poing.

Et puis trou noir.




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C'était tout pour ce chapitre! Merci de l'avoir lu et pour ceux qui le font d'avoir interagi avec 🫶🫶🫶.

Retrouvez moi sur instagram: luxe_8831_ pour être informé de l'avancée de l'histoire et pour qu'on discute des théories de chacun quant à la suite des événements.

Luxe🪂

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