13. Precipice
— Ah, une dernière chose, il y a un élève qui vient faire un essai demain. J'ai vraiment besoin de rester ses aptitudes alors je veux que vous y alliez franchement, comme si votre vie en dépendait.
La trentaine de tête acquiesce.
— Bien, cela conclut la pratique de ce soir. Bonne soirée.
— Bonne soirée coach, disent-ils en cœur avant de commencer à se dévêtir et se diriger vers les douches pour certains.
Je sors du vestiaire avec mon collègue, le coach Williams, qui a été mon coach quand c'était moi à leur place. J'adorais jouer vraiment et étant toujours étudiant je pourrais encore le faire, mais mon doctorat et mes autres occupations font que je n'ai plus le temps pour m'investir dans le football et la lutte romaine.
Mais je trouvais trop difficile de m'en défaire totalement alors j'ai accepté la proposition d'être assistant coach des Reims cette année. Je me rends dans mon bureau, rassemble mes affaires et éteins la lumière avant de partir.
Sur le chemin, quelques de nos joueurs me souhaite à nouveau une bonne soirée. Je quitte le campus et rentre chez moi où je trouve que Heidi a rangé, ce qui m'évite de le faire.
Je me demande si elle est encore avec Cole à cette heure-ci.
Je consulte quelques courriels avant de me vêtir convenablement et de me rendre à la salle où je retrouve des amis à moi. Après deux bonnes heures d'entraînement, sac de sport pendouillant sous mon épaule, je fais le chemin inverse.
Lorsque vient le moment de retraverser le pont qui sépare la ville d'est en ouest, l'angoisse s'empare de moi, comme toujours depuis cinq ans. J'augmente le volume de la musique dans mon casque d'écoute pour ne pas entendre les voix qui me chuchote de réessayer, et de ne pas me manquer cette fois.
Je marche en fixant mes pieds pour ne pas répondre à l'appel des eaux glacées du fleuve et son courant en pas. Plus que 700 mètres.
600 mètres.
500 mètres
400 mètres
300-
Je m'arrête quand le coin de mon œil reconnaît une forme humaine. Une forme qui n'est pas sur la passerelle comme moi, une forme qui est sur la rambarde. Une femme y est assise, en larme, et elle regarde le courant puissant du fleuve. Je regarde les alentours.
Nous sommes les seuls piétons sur le pont, les voitures filent dans les deux sens et personne ne semble remarquer qu'il y a une personne sur le point de sauter.
Ce n'est pas mon problème. Je dois partir. Je dois partir.
Alors pourquoi je m'approche ?
Elle m'entend et tourne la tête vers moi. Ses larmes et son visage creusé hurlent la souffrance et je n'ai plus aucun doute quant à ce qu'elle s'apprêtait à faire. Dès qu'elle me voit, la panique s'insurge en elle.
— NE VOUS APPROCHEZ PAS !!! JE VOUS PRÉVIENS, SI VOUS ESSAYEZ DE M'EN EMPÊCHER, JE SAUTE !!!! ALLEZ VOUS-EN !!!
Comme je ne cesse de me rapprocher, elle recule dangereusement en me mettant en garde, toujours en larmes.
— JE VOUS EN SUPPLIE N'ESSAYEZ PAS DE M'ARRÊTER !!!! N'AVANCEZ PLUS !!!
Assez près d'elle, je réponds à sa requête.
— Qui a dit que j'allais tenter de vous arrêter ? Vous êtes une adulte et vous devez certainement avoir vos raisons d'être ici. Je n'ai pas le droit de vous arrêter et je ne le ferai pas.
Elle m'étudie, confuse, surprise que je n'essaie pas de la convaincre de descendre. Elle l'est encore plus quand je bondis sur la rambarde pour m'y asseoir, près d'elle. Instinctivement, elle recule, manquant de perdre l'équilibre. Je jette un coup d'œil en bas et de bribes de souvenir du soir où j'avais moi aussi tenté de mettre fin à mes jours, sur ce même pont.
— Que faites-vous ?! me demande-t-elle aussi inquiète que surprise. Vous allez tomber !
Donc tu viens de suicider et tu te soucis de moi ? Comme c'est aimable.
Je prends une grande inspiration, les yeux toujours rivés vers le courant.
— Si vous saviez le nombre de fois que je me suis assis ici, cherchant comme vous le courage de me lancer, de tout faire arrêter. Mais chaque fois, je faisais marche arrière... pour revenir la semaine d'après, et celle d'après... Puis, un soir d'été, un peu comme ce soir, j'ai finalement trouvé les couilles de sauter. J'espérais m'écraser sur la base de ce pilier-là tel un fruit trop mûr. PAF !
Elle sursaute quand je claque ma cuisse, ce qui me fait ricaner.
— Je me souviens du vent qui me fouettait le visage alors que je perdais de l'altitude et du sentiment de paix qui m'a envahi. Voilà, je quittais enfin ce monde pourri, j'allais me tuer et amener avec moi mes démons et mes peines. Une sensation incroyable, vraiment. Je me souviens aussi d'une douleur semblable à celle de foncer droit dans un mur de brique à 100 km/h et puis plus rien. Je sais seulement que je me suis réveillé à l'hôpital, 3 semaines plus tard.
Je la guette sa réaction après cette confession qu'elle n'a pas demandée. Son expression oscille entre la peur et la curiosité. Elle fronce les sourcils, ce qui lui donne un air plutôt mignon.
— Pourquoi vous me racontez ça ?
— Je n'en sais rien...peut-être pour vous prouver que je suis mal placé pour vous dire de ne pas sauter parce que la vie est belle et vaut la peine d'être vécue et ça ira mieux demain. C'est faux. Ça n'ira pas mieux.
— Da-dans ce cas, qu'essayez-vous de faire ?
Je regarde encore le cours d'eau puissant. Oui, qu'est-ce que je fais ici ? J'aurais dû faire comme si je n'avais rien vu, rentrer chez moi. Ce ne serait pas la première fois que j'aie à être indifférent à la cruauté et la souffrance.
— Je veux juste discuter. Mourir seul c'est naze. Je veux vous offrir un moment agréable, c'est tout.
— Qu'est-ce qui me dit que vous ne cherchez pas à m'en dissuader ?
Et puis quoi encore ?
— J'en ai franchement rien à claquer. Je veux juste discuter, vous sautez et moi j'appelle les autorités pour leur dire qu'une femme vient de sauter d'un pont. Comme ça, on repêche votre cadavre pas trop décomposé, pour que votre famille puisse vous pleurer.
Ses yeux alternent entre l'eau en bas et moi alors que la méfiance les quitte un peu.
— Vous feriez ça pour moi ?
— On est copains de suicide, non ?
Elle tente de ne pas rire à ma blague mais trop tard, un rictus s'est dessiné sur ses jolies lèvres.
— Au fait, moi c'est Leonardo.
Elle fixe la main que je lui tends avant de prudemment la serrer.
— Maya.
Les présentations faites, je laisse tomber le vouvoiement.
— Alors Maya, qu'est-ce qui te pousse à faire le grand saut ce soir ?
La tristesse traverse les iris de la brunette alors qu'elle se remémore sans doute les raisons qui l'amènent ici. Devant son silence, je reprends.
— Trop personnel...je vois. Dis-moi, tu es plutôt thé ou café ?
Elle fronce les sourcils en entendant ma question. C'est vrai que je viens de passer du suicide aux breuvages. Je lève les miens pour lui montrer que j'attends sa réponse.
— Hum...j'aime bien les deux...
— Oui mais tu dois bien en préférer un. Moi c'est le thé. Je ne supporte pas le café. Tous mes collègues en consomment, c'est comme une drogue. Ça leur donne mauvaise haleine en plus. Alors ? Tu préfères le thé ou le café ?
— Hum...Je dirais le thé moi aussi. Ma boisson préférée reste l'eau.
— Ah ouais...mais l'eau, ça ne compte pas. Ce n'est pas une boisson. Ça ne goûte rien.
— Oui, mais quand on a très soif, c'est mieux que toute les boissons.
— Pas faux. Tu aimes jouer ?
— Jouer ?
— Aux jeux de tables, les échecs par exemple ?
Maya fronce de nouveau les sourcils de cette manière adorable qu'elle a de le faire depuis cinq minutes. Ma façon de passer du coq à l'âne l'intrigue, l'a fait sourire. Cette fois-ci, elle répond immédiatement.
— Je ne sais pas y jouer.
— Aux dames.
— Non.
— Scrabble ?
— Non plus. Je suis une inculte des jeux de société.
— Aux cartes traditionnelles alors. Tu dois bien connaître des jeux. Sinon, saute vite.
Elle rigole à nouveau.
— Ah...je ne connais qu'un jeu.
— Ah oui ? Lequel ?
— Vitesse.
— Connais pas. Es-tu bonne à ce jeu ?
— Non.
— Tu perds souvent ?
— Assez oui, admet-elle en riant. Et toi, tu joues aux cartes ?
— Oui de temps à autre avec des potes à moi et ma copine parfois.
— Tu gagnes souvent ?
— Toujours. Je gagne toujours.
— Ils sont nuls ou tu es trop fort ?
— Un peu des deux, ricané-je. Il y a quelque chose qui te rend heureuse ?
Elle soupire. J'ai visé juste.
— Il y avait quelque chose... plus maintenant.
— Ah. Moi j'aime bien la musique, tous les types de musique.
— Mon copain aime aussi la musique, la musique punk. Enfin...mon ex, se corrige-t-elle.
L'expression qu'elle a me fait vite comprendre qu'il est la raison de sa présence ici. Alors j'exploite cela.
— Ton ex, tu dis...il sait que tu es ici ?
— Bien sûr que non !
— Voudrais-tu qu'il sache que tu es ici ?
— Oh que oui !
— C'est lui qui te fait souffrir ?
Elle ne dit rien. C'est lui.
— C'est donc lui qui t'a infligé ces marques. Il est violent ?
Ses yeux suivent les miens vers son corps. Elle pensait que je n'avais pas remarqué les bleus et en contusions qu'elle porte. Elle s'empresse de tirer sur son pull pour les dissimuler comme elle peut. C'est un signe qu'elle se referme.
— Je ne veux pas en parler. Tu m'as promis une jolie conversation avant que je ne meure alors ne me parle pas de lui. En fait moi aussi j'ai envie de poser les questions.
— Fais-toi plaisir.
— Regrettes-tu parfois d'avoir survécu à ta chute ?
— Tous les jours.
— Alors même après ta deuxième chance, la vie est toujours aussi moche ?
— Affreuse.
— Et les voix ? Celles qui te somment de mourir... elles s'arrêtent ?
Je ne devrais pas lui dire ça.
— Jamais... elle ne s'arrête jamais. Mais en plus s'ajoute le sentiment du devoir non accompli, une honte en quelque sorte, de ne pas voir réussi. Ça, c'est sans parler du regard des proches qui ne comprennent pas. Je regrette énormément d'avoir survécu.
— Merci. Ça me confirme que je dois sauter.
— Content que ça t'aide. Seulement, j'aimerais ajouter quelque chose.
— Quoi ?
— Si je m'en veux d'avoir survécu, je regrette amèrement de m'être assis ici pour sauter, d'avoir pensé à me tuer. Je regrette, car j'ai pu voir le mal que j'ai causé autour de moi. Tous les proches que j'ai blessés en croyant pouvoir m'échapper. J'ai dû les regarder dans les yeux et leur dire qu'ils ne me suffisaient pas. Qu'ils ne me rendaient pas assez heureux pour que je tienne à ma vie. Je regrette d'avoir survécu parce que je peux regretter d'avoir sauté.
« Pourquoi tu as fait ça Leo ? »
Elle me regarde en silence, terrorisée. Je viens de semer le doute en elle.
— Alors, Maya, veux-tu vraiment mourir ? Veux-tu finir dans la mémoire des gens comme une fille un peu dérangée, dépressive et égoïste qui s'est échappée en laissant tant d'êtres chers dans le deuil ? C'est ça que tu veux ?
Des larmes remontent ses yeux.
— Pourquoi tu fais ça ? Pourquoi tu me dis ça ? Tu as dit que tu allais me laisser tranquille.
— Et je vais le faire.
Je descends du rempart, attrape mon sac de sport par terre et lui tends ma main.
— Je te laisse le choix, Maya. Tu peux sauter, j'appelle la police et on te retrouve. Je rentre chez moi mener ma petite vie et battre des gens aux cartes. Ou tu peux venir avez moi continuer cette agréable discussion autour d'un bon thé. Choisis.
Elle nous regarde, moi, ma main et le fleuve, l'hésitation dansant dans ses yeux marron.
— Je...je t'ai menti...je préfère le café.
Ah le mensonge...j'y suis habitué.
— Quelle horreur ! Si l'on n'était pas copains de suicide, je retirerais mon offre.
Elle rit véritablement cette fois avant de me regarder plus sérieusement.
— Si je ne saute pas, qu'est-ce que je gagne ?
— Sincèrement, pas grand-chose. Mais au moins, tu n'auras pas perdu.
Elle essuie ses larmes.
— Je suis vraiment désolée, Leonardo.
Je ferme les yeux lorsque je la vois bouger vers le vide. Lorsque je les ouvre, Maya n'est plus là.
Je soupire longuement.
— Aie !
Je baisse les yeux et l'aperçois couchée à mes pieds. Un sourire se dessine sur mon visage.
— Je suis désolée, mais tu vas devoir m'écouter raconter ma vie maintenant que tu as tout gâché.
Je m'accroupis et l'aide à se relever.
— Est-ce que le scotch figure dans tes boissons préférées ?
— Oui, heureusement pour toi.
Je lève un sourcil. Elle me plait bien.
— Dans ce cas, si mademoiselle veut bien me suivre. Je n'habite pas très loin.
— OK, renifle-t-elle.
Nous nous dirigeons vers mon appartement en discutant un peu. Arrivés, je lui serre un verre de scotch avec quelques glaçons. Elle patiente pendant que je prends ma douche et me change. Puis je vais la rejoindre au salon, me serre un verre et m'incline sur mon sofa en la regardant inspecter mon décor intérieur.
Moi aussi, je prends le temps de l'observer : hormis les traces d'abus qu'elle porte, Maya à la peau très pâle. Elle est brune ça se voit à ses racines, mais ses cheveux teint en noir, avec quelque mèches rouges. Elle porte un septum piercing, quelques-uns sur les oreilles et sur la lèvre inférieure. Elle est vêtue d'un pull troué et de jeans qui ont subi le même sort. Tout en noir. Ce look alternatif cache souvent pas mal de traumas, je me demande quels sont les siens.
— Alors, je t'écoute.
Son assurance a baissé maintenant qu'elle est chez moi.
— Hum...peut-être que je devrais rentrer chez moi, tu ne crois pas ?
— Non, je ne crois pas.
— Ah...ok. Tu as vu juste tout à l'heure, mon ex m'a mise dans cet état.
Le truc quand vous voulez que quelqu'un parle plus qu'il n'en a envie, c'est de vous taire afin que cette personne en dise toujours plus. Notre cerveau n'apprécie guère le silence. Dans des moments comme ça, où l'interlocuteur ne participe pas au dialogue, il cherchera à combler les trous en ajoutant de l'information à ce qui a été dit précédemment. C'est dans ces moments-là que les gens en révèlent trop. Avec Heidi ça marche toujours.
Alors je n'ai fait que hocher la tête.
— Au début, tout allait bien. C'était l'homme de mes rêves et il me rendait tellement heureuse.
— Mais ?
— Mais il a changé. Il m'a révélé son vrai visage. Il est devenu contrôlant mais surtout violent. Tu dois te dire que je suis une autre de ces femmes battues qui s'est laissée berner.
— C'est ce que tu es ?
Elle ouvre la bouche pour protester, puis la referme.
— Oui... Je suis restée avec lui 4 ans. J'ai subi ses abus pendant plus d'un an. Il a aussi plongé dans la drogue et l'alcool. Je te jure, il est devenu méconnaissable. Je voulais partir, mais il me tenait. Chaque fois, il s'excusait, décevait irréprochable et me promettait qu'il n'allait pas recommencer. Mais il recommençait chaque fois.
— Personne ne pouvait t'aider ? Ta famille ? Tes amis ?
— Je n'ai pas parlé à mes parents depuis des années. Et il m'a isolé pendant toutes ces années... il m'interdisait d'avoir des amis, car il me suspectait de lui être infidèle.
— Je vois... et tu n'aurais pas pu... t'enfuir ? Je sais que ça sonne stupide dans ta situation.
— Non, non ! Hum... je ne pouvais pas partir, je me serais retrouvée sans abri. Je ne possédais rien, car j'ai fugué à un très jeune âge et j'étais entièrement dépendante de lui. On s'est rencontrés quand j'étais danseuse.
J'arque mon sourcil.
— Danseuse ? Nue ?
— Parfois.
— Intéressant.
On se sourit, puis elle humecte sa lèvre inférieure.
— Bref, l'appart, la voiture, tout était à lui et comme ses activités illégales lui permettaient de tout payer, je ne travaillais pas. Je l'attendais à la maison et il rentrait saoul ou défoncé pour me battre, dormir ou me violer. Ça, c'est quand il ne ramenait pas une fille pour me traiter comme une esclave devant elle et coucher avec elle dans notre lit... il faisait ça quand il m'accusait de le tromper, pour me punir.
— Terrible.
— Il s'excusait toujours et me faisait culpabiliser en me disant que je ne comprenais pas à quel point la vie était dure pour lui. Que je le stressais que si je devais en vouloir à quelqu'un et bien c'était moi. Alors je suis restée. Il m'a manipulé ainsi pendant des années.
— C'est pour ça que tu voulais mourir ? Pour une pourriture qui n'en vaut franchement pas la peine ?
Elle secoue la tête.
— Non...Je... À force de rester avec lui, j'ai fini par tomber enceinte de lui.
J'arrête de boire nonchalamment et l'écoute plus attentivement.
— Je portais une petite fille en moi, je n'en sais rien, mais je voulais vraiment une fille alors... Quand j'ai découvert cela, ça a été comme une illumination. Je ne voulais pas que cet enfant grandisse dans cet environnement malsain. Moi je pouvais encore le supporter, mais je n'arrivais pas imaginer Dylan être violent avec mon enfant. Mon bébé m'a donc ouvert les yeux et donné le courage de quitter cette crapule.
— Hm, je comprends.
— Je suis alors allé voir Dylan. Je lui ai dit que j'étais enceinte. Il m'a tout de suite ordonné d'avorter. J'étais contente qu'il ne veuille pas de l'enfant. Ainsi, il ne s'opposerait pas à ce que je parte avec. Je lui ai alors dit que je comptais aussi le quitter pour le bien du bébé à venir. Je lui ai expliqué que ce n'était pas un bon milieu élever un gamin et que je comptais retourner chez mes parents après 6 ans d'absence.
— Ça a dû te demander beaucoup de courage.
— Énormément. Seulement, la partie où moi, je le quittais ne lui a pas du tout plu. Il s'est mis à me battre comme chaque fois qu'il se fâchait. Je me souviens lui avoir crié que j'étais enceinte. Il s'est brusquement arrêté et j'ai cru que c'était fini. Mais il a sifflé « c'est à cause de ce foutu mioche que tu me quittes c'est ça ? Et bah qu'il crève ». Il s'est alors acharné sur mon ventre. Il m'a battu comme il ne m'avait jamais battu avant et j'ai cru en mourir..., tremble sa voix.
— Mais tu n'en es pas morte...
— Non. J'ai réussi à prendre la fuite et à appeler les secours.
— C'est une bonne nouvelle.
— Ça ne l'a pas été pour très longtemps. À l'hôpital, j'ai appris que j'avais perdu mon bébé.
— Oh mon dieu...Je...je ne sais même pas quoi te dire.
Maya secoue sa tête.
— Ne dis rien. C'est bon. Ça va faire un mois jour pour jour que c'est arrivé. Je ne peux plus me regarder dans le miroir sans me dire que j'ai en quelque sorte tué mon bébé. Que je n'aurais pas dû lui annoncer que je le quittais mais juste partir. Que si j'étais partie bien avant, ma fille serait encore vivante. Que mon bébé est mort parce que je suis une femme battue avec un putain de syndrome de Stockholm. Qu'elle est morte à cause de mon mauvais choix de partenaire.
Elle qui était triste mais calme devient alors émotive. Ses larmes coulent sans s'arrêter et elle laisse même tomber son verre sur mon tapis blanc, le ruinant. Je n'imagine même pas ce que c'est que de se sentir responsable de la mort de son bébé, même à l'état d'embryon.
— Alors j'en ai eu marre. Marre de pleurer la nuit et le jour. Marre de regarder mon ventre recouvert de cicatrices qui auraient dû disparaître avec un beau ventre rond. Je me suis dit que si je mourais à mon tour, je pourrais au moins la rencontrer dans l'au-delà et lui faire mes excuses pour avoir été une mère aussi faible, aussi indigne. Alors je me suis rendue sur le pont et tu connais la suite.
Il y a un long silence, mais cette fois ce n'est pas pour la manipuler pour qu'elle parle, mais parce que je ne trouve vraiment pas les mots.
Qu'est-ce que je peux dire ? Je suis pas une femme, une mère, encore moins une mère ayant perdu son enfant. Je ne peux pas simplement jouer la réaction que je devrais avoir comme je le fais toujours. Je pense toutefois que c'est ce que ma mère a dû ressentir chaque fois que j'ai tenté de porter atteinte à ma vie. Cette culpabilité.
Mon cœur se serre.
— Je mentirais en te disant que je te comprends. Ce que tu as vécu...non, ce que tu traverses est horrible. C'est normal que tu aies envie d'y mettre fin.
— En fait, je ne veux pas mourir. Mais j'ai peur que demain ou la semaine prochaine, l'idée que mourir soit la solution me revienne. Je sais que je ne pourrais pas la combattre.
— As-tu porté plainte ? Contre Dylan.
— Je n'ai pas les moyens pour ça. Je vis chez mes parents depuis peu et je n'ai pas 10 $ à moi. Je ne veux pas leur causer plus d'ennui que je l'ai fait par le passé. Alors j'ai gardé ça secret et je n'ose pas leur demander autre chose que le gîte et le couvert.
— Je vois. Donc ce Dylan, ton ex, il continue à mener une vie tranquille, comme si de rien n'était.
Elle hoche lentement la tête.
— Je n'y peux rien. Il a une nouvelle petite amie à maltraiter maintenant.
— Sait-il que votre bébé est mort ?
— Je ne pense pas. Je ne lui ai rien dit. Il a tué ce bébé intentionnellement alors lui dire qu'il est mort lui apporterait un plaisir qu'il ne mérite pas.
— Et lui dire que tu es morte...tu crois qu'il mérite ce plaisir ?
Elle me fixe silencieuse alors que je lui balance la vérité sans prendre de gant.
— Donc tu comptes le laisser s'en tirer comme ça ?
— Oui...la dernière chose que je veux c'est de le revoir en court. Ou le revoir tout court. Non, je veux l'oublier.
— Je vois.
— Tu dois te dire que je suis vraiment une femme faible.
— Effectivement. Mais qui suis-je pour juger ?
Je regarde ma montre qui affiche 22:44. Elle remarque mon geste et se lève.
— Bon...je vais y aller moi. Il commence à se faire tard.
— D'accord. Je te raccompagne.
Je prends une veste et nous marchons jusqu'à l'extérieur du bâtiment. Je lui propose de la ramener chez ses parents, mais elle refuse et m'assure que tout ira bien pour elle. Avant qu'elle ne parte, je l'interpelle.
— Dis-moi Maya.
— Oui ?
— Tu comptes recommencer bientôt ?
Je parle de sa tentative de suicide.
— Je... je n'en sais rien.
— Pourrais-tu attendre deux semaines ? Pour moi, ton copain de suicide.
— hum...pourquoi ?
— Promets-le-moi, c'est tout. Dis-moi que tu tiendras 2 semaines.
— Hum...ok...je ne te promets rien...mais je vais essayer.
— Cool.
Je remarque qu'elle tremble légèrement. C'est vrai que l'air s'est refroidi. Je retire ma veste et la lui mets.
— Merci.
— De rien, dis-je en lui souriant chaleureusement.
Elle me fixe quelques secondes.
— Pourquoi je ne tombe jamais amoureuse de mecs comme toi ?
Je ne m'attendais vraiment pas à cette réflexion. Mais pour moi, la réponse est évidente.
— Crois-moi, tu ne veux pas d'un type comme moi. À côté de moi, ton Dylan c'est un enfant de chœur.
Elle se met à rire.
— J'en doute.
Elle ne te croit pas ? Allez, montre-lui !
Non.
— Bon...Je te souhaite une bonne soirée. Sois prudente. Si tu as besoin de parler, tu sais où me trouver.
Quand elle réalise qu'elle va de nouveau se retrouver seule avec ses idées noires, je lis la panique dans ses yeux. Je fais alors un geste qui me dépasse moi-même : je la prends dans mes bras et la rassure. Puis je l'éloigne, essuie ses larmes et lui souris.
Wow Leo, tu mérites un oscar.
— Merci encore, Leonardo et désolée pour ton tapis.
— Ah ça ce n'est rien, c'est juste un tapis et tu peux m'appeler Leo.
Elle sourit avant de me tourner le dos et de s'éloigner.
Alors que je la regarde disparaître au loin, une silhouette cachée derrière ma voiture m'interpelle. Je reconnais la chevelure de Heidi.
Elle est venue me voir ? Pourquoi se cache-t-elle ? Elle nous a vus c'est ça ? Dieu sait ce qu'elle va bien pouvoir s'imaginer.
Mon téléphone sonne et son nom s'affiche.
— Oui allô, qui est-ce ?
— C'est moi, Heidi.
Normalement, elle se fâche quand je fais semblant de ne pas savoir qui est à l'appareil. Elle est trop occupée à créer un nouveau mensonge pour s'emporter ?
— Oh, je connais une Heidi.
— Je suis presque chez toi, je suis là dans10 minutes. Tu es chez toi ?
Elle essaie de nous piéger ou je rêve.
Oh Pinocchio, pourquoi toujours tant de mensonge ?
— Non, je suis chez Eric là.
Je peux l'entendre murmurer un « menteur ! ». Ça me fait doucement rigoler.
— Excuse-moi, tu dis ?
— Ah non ! Rien. Bah alors je rentre chez moi ?
— Bien sûr que tu rentres chez toi. Va faire tes devoirs et dormir au lieu de te promener toute seule la nuit. N'as-tu donc pas de parents ?
— Je n'ai plus l'âge pour que tu me poses ce genre de questions. Je sors à l'heure que je veux, je ne dois d'explication à personne.
— D'accord, fais comme tu veux Heidi. Moi je dois y aller, je suis crevé. Rentre chez toi.
— Je vais rentrer ! Pas parce que tu le veux, parce que je le veux
— Mais oui ! C'est ça. Sois prudente et fais attention de ne pas actionner l'alarme de ma voiture. Tu réveillerais tout le voisinage.
— Quoi ? Comment-
Elle sort de sa cachette et on se fait face à plus de 40 mètres de distance. Nous avons encore le téléphone à l'oreille. Elle ouvre grand les yeux quand je lui souris, puis je lui tourne le dos. Je me retiens de rire alors que je marche vers mon appartement pendant qu'elle m'injurie pour m'être foutue de sa gueule à l'autre bout du fil. Puis j'entends un simple « bonne nuit Leo ». Je m'apprête à lui répondre mais elle coupe l'appel.
Seul dans ma chambre, je réponds dans le vide.
— Fais de beaux rêves, Heidi.
♤ ♡ ♢ ♧ ♤ ♡ ♢ ♧ ♤ ♡ ♢ ♧ ♤ ♡ ♢ ♧ ♤
C'était tout pour ce chapitre! Merci de l'avoir lu et pour ceux qui le font d'avoir interagi avec 🫶🫶🫶.
Retrouvez moi sur instagram: luxe_8831_ pour être informé de l'avancée de l'histoire et pour qu'on discute des théories de chacun quant à la suite des événements.
Luxe🪂
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top