04. Lie to me (1)
Je me réveille la bouche pâteuse et avec un mal de crâne abominable. Les lumières aveuglantes des spots au-dessus de ma tête n'arrangent en rien la migraine que je sens grandir à mesure que je reprends connaissance.
— Bon matin mademoiselle Mäkinen.
Je tourne lentement la tête pour voir un homme en chemise cravate assis au chevet du lit sur lequel je repose. Je reconnais immédiatement l'homme qui hurlait dans le mégaphone et les souvenirs de la nuit dernière refont surface.
— La nuit a été rude, n'est-ce pas ?
J'analyse la pièce dans laquelle je suis. Une cellule. Je comprends que je suis une suspecte avant d'être une victime.
Merde.
J'affiche la peur, me recroqueville et recule contre l'autre extrême du lit.
— Ne me tuez pas s'il vous plaît, je ferai ce que vous voudrez ! fis-je semblant de m'affoler.
Le policier écarquille les yeux devant ma terreur, confirmant ma suspicion qu'il allait me traiter comme une complice. Son regard et sa posture changent, elles passent de menaçantes à rassurantes.
— N'ayez crainte. Je suis l'agent Morgan, du FBI. Nous ne vous ferons aucun mal, nous avons seulement quelques questions pour vous.
Des questions ? De quelle nature ? Je m'apprête à lâcher un mensonge, mais remarque sa façon de m'observer. Il m'étudie. Il fait ça toute sa vie, interroger des menteurs, mes disquettes usuelles ne fonctionneront pas avec lui.
Je secoue la tête et commande aux larmes de couler et elles obéissent. Cet agent pose ses mains sur mes doigts l'air de se montrer rassurant.
En fait, il veut sentir s'ils sont froids. Une personne qui ment aura les doigts froids, car le sang est dirigé vers ses jambes, pour se préparer à fuir si elle est découverte. Mais il y a bien longtemps que je n'ai plus de signes physiologiques lorsque je mens.
— Vous êtes en sécurité maintenant. Personne ne vous menacera plus. Je sais que la nuit d'hier a dû être une expérience traumatisante. Pour vous et votre mère qui je le sais est impatiente de vous revoir saine et sauve.
Je me penche en sa direction et me jette dans ses bras.
— Maman ! Je veux voir ma maman ! Je ne veux pas mourir. Maman !
J'ai vu une trace de vernis violet sur son pouce lorsqu'il a mis mes mains sur les miennes, il doit avoir une fille en bas âges. S'il la laisse le vernir, c'est qu'il est un de ses pères obsédés par leur princesse. Mon père aussi était comme ça. M'infantiliser devrait l'attendrir.
Comme prévu, l'homme me rend mon étreinte et caresse mes cheveux d'une manière paternelle qui m'ébranle un peu.
— Vous verrez votre mère sous peu, nous avons juste quelques questions d'abord. Pensez-vous pouvoir nous aider ?
J'essuie ma morve sur son épaule et hoche la tête. Il nous sépare et sort son carnet.
Maintenant, il est prêt à avaler, peu importe ce que je lui pondrai.
— Je suis encore désolé que vous vous soyez retrouvée otage à cause de notre incompétence. Nous avons perdu votre trace à un moment donné. Ça ne m'étonne pas, ils font toujours ça. Effacer leur passage sur toutes les caméras possibles. Que s'est-il passé avant que l'on vous retrouve sur cette piste de décollage ?
Lorsque vous mentez, ne jamais soupirer suite aux premières questions. C'est un signe de fatigue mentale et seuls les menteurs font un effort mental dès le début.
Je feins la réflexion.
— Je ne sais plus trop bien... Je me souviens surtout du pistolet pointé sur moi - l'homme qui m'a enlevée a passé un appel.
Il note.
— À qui ?
Lorsque vous mentez, saupoudrer le mensonge de vérité ne le rendra que plus crédible, car souvent votre interlocuteur en sait plus qu'il ne veut le faire paraître.
— Je ne sais pas... il... il l'a appelé Numéro 4... Je crois.
Le policier semble familier avec le nom de code puisqu'il ne le note pas. La preuve de mon honnêteté est faite.
— Oui, Numéro 4 est le membre qui efface leur trace numérique. C'est un hacker redoutable. Et ensuite ?
— Il lui a dit d'aller quelque part. L'homme -
— Le Joker. Il s'appelle le Joker.
Non, il s'appelle Adam.
— Le Joker... il a pris le volant. On est arrivé, il y avait un autre membre. Numéro 7.
L'agent Morgan note l'information.
— Et qui est ce Numéro 7 ?
— Je ne sais pas. Il attendait le Joker pour faire décoller l'avion.
— Avez-vous vu son visage ? Leur visage ?
— Celui du Joker, non, il portait un casque tout le long-
Merde, le policier qui est entré dans ma chambre à vu son visage... et il sait que je l'ai vu. Trop tard, concentre-toi Heidi.
— Quant à l'autre homme, repris-je, il était chauve et portait une moustache. C'est tout ce que j'ai remarqué le reste du temps j'avais la tête baissée comme on le l'a ordonné. On m'a traînée dans l'avion, j'ai reçu un coup sur la tête et... et je me suis réveillée ici. Je ne comprends pas...
— On vous a trouvée inconsciente devant un poste de police d'une petite commune.
Je touche mon crâne et sens un pansement sur mon front.
— Oh... Je ne vous ai même pas demandé comment vous alliez. Cette nuit a dû être une horreur. Comment vous sentez-vous ?
— Je... Je suis confuse. J'ai cru que ça n'allait jamais se terminer. Merci de m'avoir sauvée.
Montrer de la fausse gratitude pour introduire le sentiment de culpabilité chez la personne que vous manipulez.
— Nous ne vous avons pas - de rien. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, d'aide psychologique ou si vous vous souvenez d'autre chose, voici ma carte, appelez-moi. Voulez-vous voir votre famille maintenant ?
Mes yeux s'illuminent à la mention de ma famille. Le policier m'offre un sourire rassurant.
Mes parents et Felix entrent dans la salle et le policier nous laisse ce moment durant lequel je « pleure » à chaudes larmes. Après avoir réglé quelques formalités, l'on me donne congé.
Je rentre chez moi avec maman et Felix, déjeune, en leur racontant ma nuit « d'horreur » et me prépare pour aller à l'université. Maintenant que je n'ai plus de voiture, c'est Felix qui m'y dépose.
Aussitôt arrivés, je ne peux me soustraire de remarquer tous les regards posés sur moi. Pitié, compassion et curiosité se lisent sur le visage de tous ces élèves qui ont dû voir les nouvelles. Un garçon que je ne connais guère m'approche.
— Hé, t'es la fille qui a été prise comme otage-
Mon frère se place entre lui et moi.
— Laisse-la tranquille, elle ne veut pas en parler.
— Ça va, c'est juste quelques questions.
— Laisse. La. Tranquille.
L'autre soupire et retourne d'où il est venu.
— Merci, Felix, mais je peux me défendre toute seule.
— C'était juste pour t'éviter de mentir à nouveau.
Il me laisse sur ces paroles.
Il y a ça.
Felix, mon frère jumeau, est la seule personne à qui je suis parfaitement incapable de mentir. Pas parce que je n'y arrive pas, je ne sais pas comment, mais il sait toujours quand je mens.
La seule chose positive est qu'il se fout un peu de mes mensonges. Il ne me questionne pas outre mesure. Il me dit que je mens et lâche l'affaire.
Je prends l'ascenseur jusqu'au quatrième étage et me dirige vers l'aile C, local 418, celui de mon premier cours.
J'entre dans la salle de classe et le trouve là, assis, baignant dans la lumière matinale qui traverse les fenêtres, ses lunettes rondes sur son nez fin, faisant pirouetter son crayon entre ses doigts comme il le fait lorsqu'il réfléchit. Je m'approche discrètement.
— Beaucoup de devoirs ?
Leo quitte ses devoirs des yeux et me regarde.
— Oui. Alors si tu pouvais me laisser tranquille.
Je roule les yeux au ciel.
— J'ai été faite otage par un groupe terroriste hier, un petit ami normal se serait au moins inquiété de comment je vais.
— Comment vas-tu ? demande-t-il mollement, les yeux toujours rivés sur son travail.
— T'es sérieux là ? Je vais bien merci, mais j'aurais pu mourir hier.
Il me toise de haut en bas.
— Tu m'as l'air vivante.
Il se repenche immédiatement sur ses calculs. Je songe à faire comme il dit et le laisser tranquille, mais à la place balaie toutes ses feuilles au sol et m'assois sur son bureau en face de lui.
— Raconte-moi ce que tu as fait avec les photos que je t'ai envoyées hier.
Je peux voir la veine de son front grossir d'ici et peu presque l'entendre me traiter de « petite peste » dans sa tête.
— Rien. Descends de là.
Je lève la jambe et la pose sur son épaule. Il serre sa mâchoire.
— À quoi joues-tu Heidi ?
— À rien du tout. Je veux l'attention de mon petit ami au cas où tu ne l'aurais pas remarqué.
— On en a déjà discuté. Sur le campus, c'est non. Si quelqu'un passe et nous voit -
— T'es beau Leo, l'interrompis-je avant qu'il ne se lance dans les grands sermons.
Je me courbe et lui retire ses lunettes, dévoilant son hétérochromie centrale ; ses yeux verts qui tirent vers l'ambre à mesure qu'on approche de la pupille. Il soupire.
— Ça, je sais déjà. Heidi descend.
— Et si je ne veux pas ?
Il se lève, se saisit de mes cuisses et m'attire brusquement à son bassin. Plus imposant que jamais, il me menace du regard.
— Ne me provoque pas Heidi -
— Madame Ricci, le corrigé-je. Appelle-moi madame Ricci et je descendrai peut-être.
Là, là je sais que j'ai atteint sa limite, je vois dans ses yeux qu'il s'imagine me faire regretter mon insolence. Je soutiens son regard du mieux que je peux, me délectant de son courroux. Alors que le tensiomètre s'apprête à exploser, des rires résonnent dans le couloir. Il détourne le regard et me libère de son emprise et je m'empresse de descendre. Il ramasse ses feuilles que j'ai précédemment envoyées valser à terre.
Je gagne ma place au dernier bureau près de la fenêtre, histoire de profiter de la brise en cette matinée de fin aout. Les autres élèves de mon cours d'équations différentielles emplissent la salle à mesure que l'heure de cours approche. Lorsque l'horloge numérique affiche 8:30 et que tout le monde est assis, Leo ferme la porte.
Nous échangeons un dernier regard avant qu'il ne le porte en direction des élèves, de ses élèves.
— Bon matin tout le monde. Bienvenue au cours MTH1102, équations différentielles, commence-t-il. Je vous prie de fermer téléphones cellulaires et autres appareils distrayants pour les deux heures à venir. Je me présente, Leonardo Ricci. Je suis candidat au doctorat, mais je donne deux cours de première année. Si vous le permettez, je vais prendre les présences cette fois seulement, ça me permettra de mettre un visage sur vos matricules.
Leo se met à parcourir la liste de présence pour associer les noms aux visages de la soixantaine d'élèves présents.
Peut-être, vous demandez vous comment je me trouve à être la copine de mon professeur de mathématiques. D'autant plus que nos personnalités clashent et suffisent à elles seules à rendre ce couple parfaitement improbable ; moi la mythomane pourrie gâtée et lui, le narcissique aux tendances suicidaires qui aime le contrôle.
Et pourtant cela fait 3 ans maintenant que Leonardo et moi sommes en couple. Au début de notre relation, j'avais 16 ans, il en avait 20. Je sais, je sais, c'est très bordeline niveau moral, mais voilà. Il me plaisait et j'ai eu la chance de lui plaire et une chose en a entraîné une autre et... OK, faut-il vraiment que je me lance dans le récit de notre couple ? Bon, OK.
Dans les faits, Leo et moi, nous connaissons depuis toujours. Il était mon voisin direct et a toujours joué le rôle de grand frère auprès de moi et mon jumeau. Cela transparaît encore dans sa manie de me parler, de me commander et de me surveiller pour être sur que je ne fasse pas de bêtises. Nous avons donc grandi ensemble.
Je me suis automatiquement attachée à lui. À l'époque, il n'était pour moi qu'un voisin, un ami, un grand frère qui jouait parfois avec moi. Puis il est entré dans l'adolescence. Leonardo a commencé à trouver plus d'intérêt chez les filles de son âge. Quand je lui proposais de jouer, il me disait qu'il devait retrouver telle ou telle fille.
La pauvre fillette de 9 ans que j'étais ne comprenait pas pourquoi il me délaissait pour des inconnues alors qu'on était amis depuis plus longtemps. Je lui ai demandai. Il m'a expliqua, sans entrer dans les détails, que ce n'était pas des amies, mais des copines, des amoureuses. Il m'expliqua la différence entre de simples amis et des gens qui s'aiment.
Je me mis alors en tête à l'âge de 9 ans que pour le récupérer, il fallait que je l'aime.
Et c'est ce que je fis.
Pourtant j'avais beau « l'aimer » de tout mon petit cœur de fillette, ça ne l'empêchait pas de ramener encore et toujours une nouvelle copine à la maison.
Je me demandais ce qu'il pouvait bien faire avec ces filles dans sa chambre qu'il ne pouvait pas faire avec moi ou tous les trois si elle voulait jouer avec nous dans la mienne. Surtout qu'à les entendre, ils avaient l'air de bien s'amuser.
C'était l'innocence.
Puis ça a été mon tour d'entrer dans l'adolescence. Je savais maintenant que ce que lui offraient ces filles, je ne pouvais pas le lui offrir. Mon délire aurait dû s'arrêter là. Seulement l'idée que je l'aimais avait germé dans mon esprit pendant trois ans, jusqu'à ce que ce soit vraiment le cas.
Mon corps réagissait à sa voix, à son odeur, à ses regards, il habitait mes rêves érotiques. J'étais amoureuse de Leo et j'aurais donné n'importe quoi pour qu'il daigne m'accorder ne serait-ce qu'un dixième de l'attention qu'il leur octroyait à elles.
Mais avec leurs formes, leur maquillage et leurs vêtements à la mode, je ne faisais tout simplement pas le poids. Et même lorsque j'ai moi aussi eu des formes et tout le reste, lui les préférait aussi matures que lui. Peu importe ce que je faisais, j'avais quatre écrasantes années de retard sur ces filles.
Un jour alors que ma mère travaillait et que la sienne était en déplacement, nous nous croisâmes à l'entrée de nos maisons respectives.
— Tiens, ça fait longtemps Heidi. Tes parents travaillent ?
— Maman oui et papa... je n'en ai aucune idée...
Mes parents venaient tout juste de divorcer. En parler m'attristait encore l'époque. Il cueillit une larme qui s'était échappée.
— Si tu ne veux pas passer la soirée seule, je vais jouer à la console, ça te dit de me rejoindre ?
Je n'ai jamais rien accepté aussi vite de ma vie. Avoir Leonardo à moi seule pour toute une soirée. Cela faisait des années que ce n'était pas arrivé.
Voilà comment je me retrouvai assise sur son lit jouer à un de ses jeux de guerre sanglants avec lui à mes côtés. Après quelques heures, c'était comme si nous n'avions jamais cessé d'être de très bons amis. Je perdais à chaque partie, mais ça m'importait peu, il était là, avec moi et seul cela comptait.
Il commençait à s'assoupir vers minuit. Il m'expliqua que c'était un des effets secondaires de ses antidépresseurs et que comme il avait bu tout au long de la soirée, ça le fatiguait.
— Je vais juste m'allonger un peu. Continue de jouer, je te regarde perdre.
Je continuai de jouer après qu'il se soit allongé derrière moi et lorsque je gagnai pour la première fois, je me tournai pour lui montrer, mais il dormait.
Je déposai la manette pour mieux l'admirer dans son sommeil. Ces longs cils, son nez parfait, sa mâchoire tranchante, sa peau lumineuse, ses cheveux bruns, ses lèvres délicates, oh oui ses magnifiques lèvres avaient l'air délicieuses.
Avant que ne je ne m'en rende compte j'étais à quatre pattes au-dessus de son corps inanimé. Je humai d'abord son odeur d'après rasage et me risquai à lui embrasser le front. L'entre-jambes palpitant furieusement, je recommençai. Puis ç'a été son nez, sa joue, la ligne de sa mâchoire et puis... et puis....Je n'osais pas le faire. Sa bouche était si près de la mienne, mais je n'osais pas. Son souffle chaud chargé d'alcool me chatouillait le visage, m'excitant comme je ne l'avais jamais été au paravent.
J'aime bien me dire que c'est respirer ce souffle alcoolisé qui m'a rendue un peu saoule, car je me lançai. Prudemment, le cœur tambourinant, je déposai mes lèvres sur les siennes.
J'entrouvris les yeux pour m'assurer qu'il ne commençait pas à se réveiller et découvrit avec effroi que deux disques au dégradé de vert et d'ambre étaient rivés sur moi.
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