1. Charlie
Août 2018, Maison des Kappa Taû, fraternité du Campus.
La soirée bat son plein. Les fêtes de fraternités sont, comment dire, spéciales. Les étudiants sont tous déchaînés, boivent comme des trous et flirtent avec tout ce qui bouge, à croire qu'une sorte de compétition s'est créé entre eux. Je ne comprends pas leur délire de vouloir s'envoyer le plus de nanas possible en une soirée. Leur considération pour les femmes m'horripile. Où sont passés les hommes respectueux et gentlemen ? Une race extraterrestre a sûrement du les enlever en pleine nuit ayant un besoin de repeupler leur planète, nous laissant alors avec les hommes les plus stupides et primaires de notre planète.
Lorsque je regarde une étudiante se faire remplir le nombril de téquila pour se le faire aspirer par Milton Sharpp, je me demande comment j'ai pu me laisser convaincre de venir à cette stupide soirée. Certaines sont prêtes à tout pour se rendre intéressantes auprès des joueurs de l'équipe de basketball de l'université, ainsi que de l'équipe de baseball, de hockey et toutes les autres équipes sportives du campus. Les sportifs ont toujours rendu les femmes stupides.
Tu n'échappes pas à la règle ma cocotte !
Je reconnais que, d'un côté, je suis comme elles. Seulement, c'est de tout de même différent. Je ne suis pas attirée par tous les sportifs du campus, mais par un seul et ce, depuis mon arrivée dans cette fac. La raison de ma présence à cette soirée est simple, selon Poppy, mon amie et colocataire, je dois me socialiser. J'ai passé mes deux premières années à éviter toutes sortes de soirées et de manifestations trop concentrée sur mes études et mon boulot à la bibliothèque de la fac.
Je suis sur le point de commencer ma troisième année et je n'ai pas profité de cette institution si particulière qu'est l'Université. Peut être que Poppy a raison, je ne sais pas profiter de ma jeunesse. Bon, je ne vais certainement pas me mettre à picoler comme un trou, ou à m'envoyer en l'air avec de parfaits inconnus, mais je peux calmer les révisions et commencer à m'amuser un peu plus. Le grand changement de cette année, c'est que j'ai postulé dans une sororité du campus, et pas n'importe laquelle; celle qui est liée à la fraternité de Gabriel. Si je suis prise, je pourrai me rapprocher de lui.
Je me dirige au buffet pour me servir un verre de bière. Ce sera le seul que je boirai, non seulement je n'aime pas beaucoup l'alcool, mais je me suis dévouée pour conduire. Poppy ne parvient pas à s'amuser si elle ne boit pas quelques verres. Je profite de ce moment pour parcourir des yeux la maison. Comme environ toutes les maisons du campus, son style est victorien et d'un luxe à couper le souffle. Les joueurs de baseball ne se refusent rien. A vue d'oeil, je dirai que la maison dispose de trois étages en plus du rez de chaussé, et certainement d'une dizaine de chambres voire plus. Je suis certaine que la plupart d'entre elles sont déjà occupées.
- Etrange de te voir ici, Lili ! lance une voix derrière moi, une voix que je connais parfaitement bien et qui fait toujours autant son effet.
Je me retourne faisant face à l'homme de mes rêves. J'admets que la raison principale qui m'a poussée à sortir de ma chambre est la présence de Gabriel à cette fête. Je me fous de me socialiser. Je veux seulement que Gabriel me remarque enfin. Je suis dingue de lui depuis mon arrivée dans cette fac, soit deux ans. J'avais déjà eu le béguin pour lui en vivant à seulement quelques mètres de lui, mais il s'était évaporé lorsque je suis sortie avec un garçon de mon lycée.
Aujourd'hui, je sais que je veux devenir Madame Sheffield. Gabriel est l'homme dont rêve toutes les mamans pour leurs petites filles. Sauf la mienne. Elle le désirerait sûrement pour elle. Les dix doigts de mes mains ne sont pas suffisants pour énumérer toutes les qualités de Gabriel. Il n'est pas comme tous ses coéquipiers de l'équipe de basketball de l'université. Il n'enchaîne pas les conquêtes d'un soir, il respecte les femmes, et à notre époque ce genre d'homme est rarissime, bien que parfois, assez ambiguë. Bien sûr, il n'est pas parfait, mais il s'en rapproche.
Malheureusement, Gabriel ne me voit pas comme je l'aimerais. Pour lui, je suis seulement la meilleure amie de sa soeur, son étrange meilleure amie. C'est tellement cliché de tomber amoureuse du frère de son amie, mais que voulez vous on ne choisit pas. Je pensais que ce béguin ne durerait pas, qu'une fois qu'il partirait pour la fac, je l'oublierai. Seulement, étudier dans sa fac a ravivé la flamme. Comment ne pas tomber amoureuse de ses yeux bleus tendres et rassurant, de sa bouche pulpeuse faite pour les baisers, de ses cheveux blonds soyeux toujours impeccablement coiffés ? Et que dire de sa parfaite musculature de sportif qui est digne d'un mannequin de la marque Abercrombie.
- Lili ? reprend Gabriel me sortant de mes pensées.
- Ah...euh...Oui... Je... J'avais besoin de sortir de ma chambre, prendre un peu l'air. Je me suis dis qu'il était temps que le monde me découvre, qu'il voit à quel point j'étais fantastique, incroyable et d'une beauté sans égale ! débité je à une rapidité battant des records.
Evidemment, je n'en pense pas un seul mot. L'ironie est devenue habituelle chez moi, un peu trop d'ailleurs. Lorsque je suis nerveuse, je ne cesse de dire n'importe quoi espérant être marrante. Mais je passe surtout pour une folle ou une prétentieuse trop sûre d'elle, ce qui est totalement faux. Je ne souffre pas d'un manque de confiance en moi, seulement je suis réaliste, je ne suis pas un canon de beauté. Je suis normale et ça me convient amplement.
Gabriel gratte le sommet de son crâne signe que je l'ai mis mal à l'aise à cause de ironie débile. Je devrais apprendre à me la fermer ou à répondre de manière plus simple, comme une personne normale. Il n'a jamais vraiment compris mon sens de l'humour. En même temps ce n'est pas le seul. Au lycée, tout le monde me prenait pour une folle. Sans ma meilleure amie, Willa, je serais restée seule pendant toute ma scolarité au lycée. Elle avait fait promettre à Gabriel de prendre soin de moi après mon transfert dans cette Université, ce qu'il n'a pas fait. Avant de venir étudier en Caroline du Nord, j'ai tenté une année à l'Université de New-York. Je n'ai pas aimé l'ambiance, et la ville était trop grande pour moi. J'ai donc été transféré l'année dernière dans celle ci.
- Désolée... C'était de... Enfin je plaisantais... Ce genre de fête me rend nerveuse, je n'ai pas l'habitude ! bafouillé je en tripotant le débardeur blanc trop moulant que Poppy m'a fait revêtir.
Gabriel sourit. Il me détaille de la tête aux pieds toujours ce petit rictus au coin des lèvres. Il me voit, me découvre pour la première fois. Je remercie le ciel et surtout Poppy pour m'avoir rendue visible. Le débardeur moule ma poitrine opulente, que je m'obstine à cacher habituellement. Je ne suis pas en surpoids, ou même pourvue de kilos en trop, mais je possède quelques formes, dont une poitrine qui fait son effet. Le regard de Gabriel s'attarde quelques longues secondes sur mon décolleté se mordant presque la lèvre inférieure. Est ce qu'il me désire un minimum ? Je me sens complètement décontenancée par son regard.
- C'est seulement la fête qui te rend nerveuse ? demande t'il le sourire aux lèvres.
Oh mon Dieu, ne me dîtes pas qu'il a compris ?
Je ne réponds pas trop tétanisée par sa présence. Il me fait un effet beaucoup trop perturbant. C'est affreux de ne pouvoir me sortir de cette léthargie quand il est près de moi.
Il se rapproche de moi, replace une mèche de mes cheveux derrière l'oreille tout en gardant son regard rivé dans le mien. Ce contact me fait ressentir un tas de petits fourmillements dans le ventre. Est ce que c'est enfin mon moment, celui où il va me voir autrement qu'une petite soeur de substitution ? Plusieurs fois, j'ai cru que nous allions enfin franchir le pas, qu'il me dirait que je suis celle qu'il lui faut. Je vous assure, par moment, nous étions si proches que je pensais réellement que mes désirs devenaient réalité. Je déteste quand il agit de la sorte.
Lorsque je crois qu'il va poser ses lèvres sur les miennes, une blonde à forte poitrine nous interrompt. Elle se jette au cou de Gabriel et l'enlace de ses bras menus. Gabriel se laisse faire, il pose même ses mains sur les hanches de la blonde. Notre moment est donc terminé avant même d'avoir réellement commencé. Evidemment, elle est magnifique. Elle a un côté innocent qui lui donne de faux airs de l'actrice américaine, Dakota Fanning. A mon avis, elle est beaucoup moins innocente qu'elle en donne l'air. Elle en joue très certainement, et elle aurait tort de s'en priver.
- Gabi, les gars ont entamé une partie de bière pong, il faut que tu viennes ! lance t'elle d'une voix suave.
Les oeillades qu'elle lui lance me donnent envie de vomir. Elle porte son attention sur moi me détaillant entièrement. Elle se demande sûrement ce que Gabriel peut bien faire avec une fille comme moi. Je suis sûre qu'elle a assisté à toute la scène de loin. Elle a fait exprès de débouler pour s'assurer que rien ne se passerait avec Gabriel.
- Je ne te dérangeai pas au moins ? demande t'elle en me foudroyant des yeux.
- Non, absolument pas ! Lili est juste l'amie de ma soeur, répond t'il en resserrant sa prise sur la blonde.
Sa réponse me fait l'effet d'un coup de poignard dans le coeur. Non seulement il se fout que l'on soit dérangés, à croire que je me suis royalement fourvoyée sur ses intentions, mais qui plus est, il avoue publiquement que je ne suis rien d'autre que " juste l'amie " de sa soeur. Donc, pour lui je n'ai pas d'importance. Mon coeur est comme broyé, et pour la première fois de ma vie, je ne parviens pas à prononcer le moindre mot. Ma nervosité s'est envolée laissant place à un sentiment que je hais plus que tout au monde; le rejet.
- Allons faire cette partie de bière pong, Freya ! dit il en l'embrassant sur la joue.
La dénommée Freya glousse comme une collégienne. Le baiser sur sa joue m'indique qu'il est très intéressé par la blonde. En même temps, qu'est ce que je croyais, que j'arriverais à l'intéresser, que je pouvais être son style de filles ? Quelle naïveté ! Je ne fais pas encore partie d'une sororité, je ne suis pas populaire, je ne suis pas une pom pom, je ne serais jamais visible pour lui. J'aimerais tellement pouvoir oublier ces sentiments pour lui, les taire une bonne fois pour toute, mais c'est beaucoup trop difficile.
Avant de m'abandonner comme une petite chose fragile, Gabriel se tourne une dernière fois vers moi et chuchote dans mon oreille :
- Tu devrais venir plus souvent, Lili, me conseille t'il. Ca me ferait plaisir..
Je le regarde quitter la pièce, complètement sous le choc par son conseil. Je me sens si stupide. Mon QI est en chute libre à chaque fois que je croise Gabriel. Je n'aime pas cette sensation de perdre le contrôle sur mon intelligence, de ne pas être moi même. Je ne sais absolument plus quoi penser du comportement de Gabriel. Je souffle bruyamment. Cette situation ambiguë m'épuise. Je ne peux pas rester dans cet état éternellement.
Depuis quelques mois, j'ai l'impression de perdre la tête tant le comportement de Gabriel est incompréhensible. Parfois, il est très protecteur envers moi, veut savoir avec qui je traîne, si j'ai un petit ami. Et d'autres fois, il est si froid, si détaché, me traitant presque comme une étrangère. Je n'arrive plus à supporter cette situation, j'ai besoin que cela change. Je veux que Gabriel me voit comme une petite amie, non comme une petite soeur mignonne sans le moindre sexe appeal.
Je décide de me rendre dans la pièce à côté, où le bière pong a lieu. J'aurais du m'abstenir parce que je vois Gabriel et Freya très proches. Trop proches. Il est derrière elle, l'enlace de ses bras autour de sa taille, la tête posée au creux de son cou. A chaque fois qu'il lui chuchote à l'oreille, elle glousse bruyamment montrant à tous le monde qu'il est à elle. Comme si elle avait senti ma présence dans la pièce, elle lève les yeux vers moi. Elle se tourne vers Gabriel et dépose ses lèvres sur les siennes. Il ne la repousse pas. Pourquoi le ferait il ? Mon coeur se déchire en deux. J'ai l'impression que mes entrailles sont arrachées et broyées devant moi.
Freya regagne sa place dans ses bras, puis relève ses yeux en ma direction. La garçe me lance un sourire mesquin, satisfaite du mal qu'elle a provoqué. Elle a du comprendre que j'en pince pour Gabriel. En même temps, tout le monde le voit tant je ne suis pas discrète. Freya a marqué son territoire. Face à elle, je ne fais pas le poids. Face aux autres non plus d'ailleurs. Mais au lieu de me lamenter sur mon sort et de me faire du mal pour rien, je décide de rentrer à mon appartement. Cette fête a assez durée pour moi.
J'essaie de trouver Poppy, mais elle a disparue. Elle a sûrement mis le grappin sur un des sportifs de la fête. Elle n'a aucun mal à se rendre intéressante auprès des étudiants de la Fac. Elle est belle et sûre d'elle donc forcément on la remarque. Puis, elle ne souffre pas de problèmes de frigidité. Elle est capable de jouir elle. Pour moi, l'orgasme reste un rêve inaccessible. Je ne suis pas non plus une none qui ne connaît rien au sexe, je ne suis plus vierge depuis ma dernière année de lycée, mais je n'ai jamais vraiment pris un pied d'enfer.
J'envoie un sms à mon amie pour la prévenir que je rentre au cas où elles veut toujours que je la ramène.
Moi : Toujours besoin d'un chauffeur ? Marre de cette fête, je m'apprête à rentrer.
Poppy : Je ne rentre pas ce soir ;)
Tout va bien ? Désolée de t'avoir abandonnée...
Moi : J'ai vu Gabriel, il est avec une blonde... Bref pas grave. Besoin de dormir. Bonne soirée. Protège toi ;)
Poppy : Gabriel est un con ! Tqt maman je me protège toujours ;)
Je souris en verrouillant mon portable. Il m'arrive d'être un peu trop protectrice avec Poppy. Dès ma rencontre avec elle dans notre ancienne chambre un an plus tôt, j'ai su que nous allions devenir de très bonnes amies. Ma folie et mon étrangeté ne l'ont pas fait peur ou fuir. Pourtant, j'ai tellement été nerveuse de partager ma chambre avec une inconnue, que je me suis lancée dans une conversation saugrenue sur des études stupides de sujets inintéressants, comme le classement des plus grands dictateurs de ces cents dernières années. Poppy ne m'a pas regardé comme une bête de foire mais a éclaté de rire et suivie dans mon délire. Cette fille est juste géniale.
***
Sur la route, je repense à cette blonde. Freya est elle réellement la petite amie de Gabriel ? Sûrement oui. Il n'est pas du genre à enchaîner les conquêtes. Pas lui. Je serais au courant si il avait une réputation de serial fucker. Des rumeurs se feraient entendre, les femmes finissent toujours par parler. Gabriel est du genre relation sérieuse, et cette Freya semble être sa nouvelle copine. Fais chier. Je pensais que ce serait mon tour. Mes nerfs sont piqués au vif. Freya s'est fait un malin plaisir d'embrasser Gabriel devant moi, uniquement pour me blesser. Elle ne me connaît pas, mais cela ne lui importe sûrement pas. Le principal est qu'elle ait marquée son territoire.
Je suis tellement prise par mes pensées que je ne remarque pas la fumée qui sort de mon capot de voiture. Merde, merde, merde, putain de merde ! Je me gare sur le côté de la route et coupe le moteur ne voulant pas risquer de finir carboniser. Ma vieille jeep est en train de rendre son dernier souffle, j'en suis persuadée. Oncle Rob m'a pourtant plusieurs fois mise en garde, me disant que je devrais changer de voiture, qu'elle allait rendre l'âme, mais je n'ai pas pu m'en séparer. Je l'aime tellement cette voiture. Malheureusement, je crois que c'est la fin. Ce n'est pas une simple panne, je le sais. Je descends de la jeep, portable à la main, pour constater les dégâts. Le capot ne cesse de fumer, je suis très inquiète. A cette heure ci, je ne trouverai pas de dépanneuse.
Putain ! Quelle soirée pourrie !
J'essaie de contacter Poppy, mais mon portable sonne dans le vide. Je souffle d'agacement. Dès le début, je n'aurais pas dû me rendre à cette maudite soirée de fraternité. La nuit est encore chaude, l'été risque de se prolonger encore un long moment. J'entends les criquets chanter de plus en plus forts. La circulation est inexistante, mais d'un côté je préfère cela. Je suis complètement effrayée à l'idée de tomber sur une personne tarée, un malade qui me truciderait et laisserait mon corps dans un terrain vague. Le point positif c'est qu'ici il n' y a pas de terrain vague.
Une nouvelle fois, je tente de joindre Poppy, tante Greta et Oncle Rob, mais mon portable s'éteint. La poisse continue jusqu'au bout. Deux options s'offrent à moi. Soit je laisse ma Jeep et rejoins mon appartement à pieds, soit je reste ici à attendre qu'une voiture passe par là et m'apporte son aide, ou me liquide. Ce serait dommage de mourir de cette façon, et si jeune. Je n'ai presque rien accompli dans ma vie, voire rien du tout. Je me mets à réfléchir aux manières de me faire massacrer les plus douces, quoique un malade ne fera pas dans la tendresse. Il se délectera de mes souffrances avant de m'achever sauvagement.
Plus glauque tu meurs, Charlie !
Mon coeur s'arrête brusquement lorsque j'entends le vrombissement d'une voiture qui approche. Instinctivement je baisse la tête sur mon téléphone espérant que le conducteur de la voiture pense que je sois occupée et non bloquée. Je jette un coup d'oeil sur le capot de la voiture qui fume un peu moins. Lorsque j'entends les pneus ralentir puis freiner, je relève la tête en prenant une grande inspiration. Je suis prête à affronter mon meurtrier. Ou peut être que c'est mon sauveur. Mon coeur se remet à battre quand je découvre qui est le conducteur. Il ne me fera pas de mal. Son visage a l'air beaucoup trop innocent pour commettre le moindre mal. Enfin j'espère.
- Est ce que tout va bien ?
Cette voix profonde et masculine a un effet rassurant sur moi. L'obscurité de la nuit cache son visage, bien que ses yeux sombres soient extrêmement perceptibles. Les lumières du tableau de bord me font découvrir des brides du visage du conducteur. Il est jeune, j'en suis persuadée, il doit être à peine plus âgé que moi. Ses cheveux sont certainement noirs, très sombres et épais. Je remarque qu'une personne est couchée à l'arrière de la voiture. Le fait qu'il remue toutes les cinq secondes me conforte dans l'idée qu'il n'est pas une victime du conducteur. J'essaie tant bien que mal de dissimuler mon angoisse. Je n'aime pas être sur cette route déserte, en compagnie d'un homme que je ne connais pas et qui pourrait faire de moi n'importe quoi.
Je me vois déjà faire la une des journaux télévisés, " Une étudiante a été retrouvée dépecée en plein milieu d'un terrain vague ". Je suis sûre que mes parents n'en seraient pas attristés, ou du moins ils feraient semblant de l'être devant les caméras. Ils se serviraient de ce drame pour leur foutue image. Tout n'est que superficialité avec eux, rien n'est vrai. Je me demande si ce serait différent si j'avais été un garçon. Pour bien les emmerder encore plus d'être une fille, je décide de ne pas mourir ce soir.
Comme si ce choix t'appartenait, crétine !
- Tout va bien ? répète t'il.
Allez respire, Charlie. Ce garçon ne va pas te tuer, il peut t'aider.
- Je... Oui... Enfin non... Ma voiture est... sûrement en train de mourir ! Et je ne veux pas qu'elle meure, j'y tiens beaucoup plus qu'à mes parents. Je n'ai plus de batterie donc impossible d'appeler une dépanneuse. Je suis allée à une soirée complètement merdique où une pétasse m'a provoquée. Je suis coincée au beau milieu d'une route carrément flippante, et je suis angoissée à l'idée que tu sois un putain de serial killer ! balancé je si vite que j'ai oublié de respirer.
Je devrais apprendre à me la fermer. Je suis tellement nerveuse que je ne contrôle pas mon débit de paroles. La folle est de retour. Je tripote le bas de mon tee-shirt essayant de me calmer pour ne pas de nouveau faire un discours sans aucun sens. Le conducteur esquisse un sourire. Ma folie ne l'a pas fait appuyer sur la pédale d'accélérateur. Au contraire. Il coupe le moteur et sort de la voiture. Sans que je lui demande quoi que ce soit, il se dirige vers le capot de ma voiture qu'il éclaire grâce à la lampe de son portable. Ce silence est perturbant. Il aurait pu demander mon autorisation pour examiner ma voiture, mais bon je ne vais pas chipoter. C'est le seul qui me vient en aide.
Je profite de cet instant pour détailler un peu mieux le conducteur. Il est grand, il doit mesurer entre un mètre quatre vingt et quatre vingt cinq. Sa silhouette est athlétique bien qu'il ne semble pas très musclé. Comme je m'en suis doutée, ses cheveux sont noirs et épais sur le dessus. Je me surprends à imaginer fourrer ma main dedans. Ses sourcils noirs sont fournis et touffus, cela lui donne un côté assez mystérieux. Je le regarde ouvrir le capot prenant une bouffée de fumée dans le visage. Il passe la main dans ses cheveux d'un geste sensuel qui me fait mordiller ma lèvre supérieure. Ce mec dégage un charme et un sex-appeal à couper le souffle. J'ai l'impression de l'avoir vu quelque part, mais impossible de me souvenir où.
Sa main s'adonne à toutes sortes de manipulations sur ma voiture. Je ne saurais dire lesquelles, mais elles sont concluantes, puisque la fumée s'estompe et disparaît totalement. Je me maudits de ne pas avoir écoutée Oncle Rob quand il me donnait des cours de mécanique. Je n'ai jamais été une grande fan de tout ce qui touche une voiture. Le code de la route a été suffisant pour moi. Aujourd'hui je le regrette assez, surtout si j'avais pu empêcher la mort de ma jolie Jeep. Quand le beau conducteur relève la tête, je suis pendue à ses lèvres. Je prie intérieurement pour qu'il ne m'annonce pas une mauvaise nouvelle. Il pianote sur son portable, ne faisant pas attention à ma présence. Je suis donc si invisible que cela ?
- J'ai contacté une dépanneuse, elle devrait être là dans vingt minutes... Ta voiture n'est pas en phase terminale, elle peut être guérie ! explique t'il un rictus au coin des lèvres.
Je souris. Mon discours plein de nervosité ne l'a pas fait flipper, il en plaisante même. Son humour me plaît enfin si il est semblable à cette dernière phrase. Je déteste les personnes qui n'ont pas d'humour. La vie est tellement plus intéressante avec un peu d'humour et de folie. Je suis rassurée de savoir que je ne vais pas devoir dire adieu à ma jolie Jeep. Mon soulagement est bruyant. Je lâche même un " putain de merde " pour exprimer ma joie. Rob m'a offert la Jeep le jour de l'obtention de mon permis à dix sept ans. Elle était déjà vieille et a appartenu à Rob dans sa jeunesse. Mais comment dire, je suis tombée amoureuse de cette voiture. Elle est le symbole de ma liberté, de mon renouveau. Je ne veux pas m'en séparer tout de suite.
- Génial ! Merci... Je me voyais déjà lui faire mes adieux après une cérémonie bouleversante lui rendant hommage. Enfin dans l'optique où je ne me faisais pas trucider sur cette route par un dingue !
Putain ! Je ne peux vraiment pas m'empêcher d'être dingue pendant plus de deux minutes. C'est sûrement une sorte de pathologie incurable. Mon sauveur et accessoirement mon mécanicien plisse le front. Mes névroses commencent certainement à lui faire peur. Je suis surprise quand il se met à rire à coeur joie. Son rire est franc et très agréable à écouter. Je sais que n'est pas de la moquerie. Au cours de ma jeune existence, j'ai pu voir ce qu'est la moquerie. Les adolescents peuvent se montrer cruels, vraiment très cruels. Contrairement à eux, Docteur mécanique semble amusé.
- Je vois d'ici la cérémonie, tu aurais sûrement fait un discours très émouvant ! plaisante t'il. Tout le monde aurait pleuré, c'est certain !
- On m'aurait félicitée en plus, renchéris je en ricanant. Je te remercie pour t'être arrêté et de m'avoir secourue, je reprends plus sérieusement. Le cliché de la fille en détresse n'est pas mon genre d'habitude ! Je veux dire, tu vois ces filles dans les films ?
Il acquiesce m'incitant silencieusement à continuer ma pensée. Il ne m'en faut pas plus pour me lancer dans un monologue plein de non sens.
- Elles sont toutes si nunuches, toujours à besoin d'un homme pour les secourir. C'est franchement pathétique et réducteur. Où sont les héroïnes indépendantes, qui en ont dans le pantalon ? Ces films qu'on juge de classiques sont l'exemple même de la femme cucul qui sort de sa vie morose grâce à un homme riche, parfait... Il la libère de son enfer comme si elle en était pas capable seule ! soufflé je agacée. Merde quoi, nous ne sommes pas toutes des nanas en détresse qui attendent le prince charmant sur son cheval blanc !
Cette fois je crois que je suis allée un peu loin. Surtout que parfois tu es comme elles nunuche, regarde toi avec Gabriel !
Docteur Mécanique ne répond pas. Il me scrute avec attention comme si il était en train de m'étudier. Son regard sur moi m'intimide sans que je comprenne pourquoi. Je n'ai jamais été regardée de cette manière. Je ne me sens pas comme une bête de foire, la lueur dans ses yeux n'est pas péjorative. La couleur de ses yeux a l'air d'être noisette ou ambre. Malgré le manque de lumière, je sais que Docteur Mécanique est canon.
- Tu n'es pas comme les autres filles, avoue t'il plantant ses yeux dans les miens.
C'est stupide mais la manière dont il me regarde me met mal à l'aise, pas dans le mauvais sens. Je suis gênée, seulement pas mécontente qu'il me considère comme différente des autres.
- Enfin pas comme celle du campus Universitaire, sûrement parce que tu n'en fais pas partie ! ajoute t'il sûr de lui.
- Détrompe toi, Docteur Mécanique, j'en fais partie, le reprenné je.
- Docteur Mécanique ? interroge t'il haussant un sourcil.
- Je trouve que ça te correspond bien, tu fais des comparaisons médicales et tu t'y connais en mécanique, me justifié je. Puis je ne connais pas ton prénom donc Docteur Mécanique c'est pas mal !
- Vraiment ? Toutes les étudiantes de l'Université savent qui je suis, comment je m'appelle, elles veulent être avec mon nom ! lance t'il sur un ton légèrement arrogant.
Cette soudaine arrogance ne me plaît pas. J'ai horreur des personnes trop sûres d'elles. D'accord avoir confiance en soi c'est carrément génial, mais trop c'est juste l'enfer. Ces personnes se prennent pour les meilleures, pensent être au dessus des autres, et surtout font preuves d'un dédain pas croyable. Je déteste cela. Docteur Mécanique sous entend être populaire, surtout auprès de la gent féminine. J'en déduis que c'est certainement un séducteur qui enchaîne les étudiantes. Je me sens d'un coup assez irritée.
- Eh bien pas moi ! Et honnêtement ton nom ne m'importe pas, Don Juan ! le remets je à sa place.
Il ricane.
- Je préfère Docteur Mécanique ! rétorque t'il avec un sourire carnassier exaspérant.
Je lève les yeux au ciel. Sa compagnie ne me semble plus aussi agréable qu'au début. Il est amusé par mon irritabilité. Dans la voiture de Don Juan arrogant, le jeune homme assis sur la banquette arrière commence à remuer de plus en plus. Il se relève passant la tête par la fenêtre. Son visage est pâle, livide, il n'a pas l'air bien du tout. Il est jeune, trop jeune pour être étudiant dans cette Université. La luminosité à l'intérieur de la voiture ne laisse aucun doute sur sa ressemblance avec Don Juan. Ils sont de la même famille, j'en suis intiment convaincue. L'ado n'est pas dans son état normal. Ses yeux sont rouges, sa bouche a l'air d'être pâteuse.
- C, questufous ? Su pas bien... Veux rentrer ! meugle l'ado visiblement malade.
Le Don Juan se tourne vers l'ado croisant les bras sur sa poitrine. Son prénom commence par un C ou alors il s'agit d'un surnom qui n'a rien à voir avec son prénom.
- Rendors toi, Cam ! Tu n'avais qu'à pas boire comme un trou, grogne Docteur Mécanique sur un ton autoritaire.
La manière dont il lui parle me conforte dans l'idée qu'ils sont de la même famille, certainement des frères. Cam possède des cheveux un peu plus clairs que ceux de son frère, leurs yeux sont similaires, parsemés de longs cils noirs. Leur mâchoires carrés sont agrémentées par une bouche pulpeuse, attirante. La nature les a bien fait. Cam écoute son aîné et se recouche en ronchonnant. Je suis étonnée qu'il soit aussi obéissant. Dans son état, j'aurais sans doute insulter celui qui essayait de m'aider. L'alcool peut me rendre méchante et vulgaire. C'est sûrement la raison principale qui m'empêche de trop boire.
Doc Mécanique se tourne vers moi. Il n'a pas l'air ravi que son frère nous ait légèrement dérangé. En même temps pauvre gosse, il ne pouvait pas savoir.
- Tu devrais rentrer, ton frère n'est pas bien... Il va peut être vomir sur ta banquette arrière, genre ses tripes et tout ! Ce sera un vrai carnage si tu restes ici à attendre je ne sais quoi. Si tu tiens à ta voiture et à l'empêcher d'avoir une odeur nauséabonde pendant des jours, rentre ! me moqué je.
- Tu cherches à te débarrasser de moi, Princesse ? demande t'il amusé.
- Princesse ? répété je en grimaçant.
- Tu es la Princesse en détresse que je viens sauver sur mon cheval blanc ! explique t'il en me désignant sa voiture blanche.
- La Princesse peut attendre seule la dépanneuse ! Elle n'a plus besoin du crapaud qui lui ait venu en aide ! rectifié je.
Il rit accentuant un peu plus mon agacement. Pour qui il se prend ? Je suis reconnaissante qu'il se soit arrêté pour me venir en aide, mais je n'aime pas qu'il me mette dans une case de " princesse en détresse ". Je ne suis pas ce genre de fille. Je me suis toujours débrouillée seule. Je crois que je ne supporte pas quand on me vient en aide. J'ai l'impression d'être un boulet, et je refuse de me sentir comme tel. Ma mère m'a toujours traitée comme tel parce qu'elle ne voulait pas d'enfants. C'est mon père qui l'a convaincue de sauter le pas. Il aurait mieux fait de se crever un oeil. Quelle déception pour lui quand la gynécologue lui a annoncé que ma mère attendait une fille. Elle ne pouvait plus avorter.
- Tu as un caractère très... intéressant !
Je ne réplique pas. Je ne sais pas très bien comment interpréter cette phrase. Est ce qu'il vient de dire que j'avais un caractère pourri ? Je n'ai pas envie de lui poser la question. J'ai hâte que cette journée se termine tant elle a été horrible. Don Juan a deux balles me fixe attendant certainement une réponse de ma part.
- Pourquoi ton nom intéresse les étudiantes de la Fac ? Qu'est ce qu'il a d'intéressant ? je demande changeant de sujet par la même occasion.
Il esquisse un sourire.
- Je préfère ne pas répondre à cette question ! Le fait que tu ne saches pas qui je suis est rafraîchissant, comme ça je n'ai pas l'impression que tu t'intéresses à moi pour mon nom ! explique t'il plantant ses iris ambrées dans les miennes.
- Je ne suis pas intéressée par toi, je ne te connais pas, Don Juan à la noix ! m'offusqué je.
- Oh arrête, je t'ai vu me mater pendant que je regardais ta voiture ! rétorque t'il sûr de lui.
- Tu as une trop haute opinion de toi même pour croire que toutes les femmes te matent !
- Pas toutes les femmes, mais toi oui, assure t'il.
Encore une fois, je me tais. Son arrogance m'horripile. Je reconnais que je fais preuve d'une grande mauvaise foi, mais je ne vais pas lui avouer que je le matais. Je ne suis pas suicidaire. Ce mec doit pouvoir attirer qui il veut dans son lit, j'ai conscience que je ne dois pas être son genre de filles. Il sort sûrement qu'avec des pom pom ou des mannequins. Je ne dis pas que je suis vilaine, mais je ne suis pas une bombe. Il aime flirter, il s'amuse avec moi pour flatter son égo de séducteur, pas besoin de chercher plus loin.
Lorsque je vois arriver au loin une dépanneuse rouge, je soupire de soulagement. Je n'ai pas à m'étendre sur ce sujet plus longtemps. D'ailleurs, je suis persuadée que ma gêne est complètement perceptible.
- La dépanneuse arrive, tu peux partir ! insisté je. Ecoute, je reprends plus calmement, je te remercie de m'avoir aidée... Seulement, tu devrais vraiment rentrer, pour ton frère !
- Comment tu sais qu'il est mon frère ? demande t'il intrigué.
- Regardez vous dans un miroir, je réponds comme une évidence. Vous vous ressemblez !
Il sourit. Il jette un oeil dans sa voiture s'assurant de l'état de son frère. Ce dernier ne cesse de gigoter tellement il n'est pas bien sur cette banquette. Il doit sûrement rêver d'être dans son lit, bien confortablement, une bassine à porter de main. Tout le monde sait à quel point il est rassurant d'avoir une bassine pas loin après une bonne soirée de buverie. Doc Mécanique pose à nouveau son regard sur moi.
- Tu as raison, je vais rentrer... Tu ne risques plus rien ! dit il en me désignant la dépanneuse qui se gare derrière ma voiture.
- Encore merci...
Il me répond d'un bref signe de la main signifiant que son aide n'est pas grand chose, que c'est normal. Il monte dans sa voiture ne voulant plus s'attarder une minute de plus ici. Je suis chanceuse d'être tombée sur lui bien qu'il soit par moment insupportable. Sans que je lui ai demandé, il est resté avec moi jusqu'à ce que la dépanneuse arrive, il s'est assuré de ma sécurité. Je crois que je lui dois une fière chandelle.
Malheureusement, je ne sais pas comment on remercie quelqu'un qui nous a empêché de nous faire trucider, oui j'exagère ! Don Juan baisse la vitre de sa voiture après avoir démarré. Ses yeux ambrés sont encore plus voyants grâce à la lumière, je crois même déceler des éclats de vert.
- Je serai ravie de venir te sauver une nouvelle fois, Princesse ! lance t'il accompagné d'un clin d'oeil ringard.
- Jamais plus ça n'arrivera, je rétorque sûre de moi.
- Ne jamais dire jamais...
Il s'engage sur la route et disparaît de mon champ de vision en quelques secondes. Je ne sais pas vraiment quoi penser de lui. Est ce qu'il est réellement aussi populaire qu'il le prétend ? J'ai conscience que nous sommes des centaines d'étudiants, voire plus, sur le campus, mais je ne l'ai jamais croisé ou entendu parler d'un mec aussi beau.
C'est parce que tu es trop obnubilée par Gabriel !
J'ai voulu me débarrasser de Doc Mécanique par tous les moyens. Seulement, maintenant qu'il est parti je me sens toute bizarre. J'aurais du prendre son numéro, afin de pouvoir le remercier en lui offrant je ne sais pas quoi. Je me demande si je vais le revoir. J'aimerais le remercier mais c'est peine perdue. Je devrais demander à Poppy de me venir en aide, c'est une enquêtrice de choc. Elle parviendrait à démanteler un réseau de drogue en quelques heures. Elle aura forcément entendues parler d'un beau gosse populaire du campus. D'ailleurs, je me dis qu'il est temps pour moi d'avoir une petite conversation avec elle. Sa proposition de me rendre visible n'est plus aussi stupide que je l'ai pensé.
La fête dans cette fraternité de joueur de baseball m'a prouvée que tu ne comptes pour personne si tu n'es pas populaire. Je n'ai pas aimé le mépris de certain, mais surtout cette satanée Freya m'a piquée dans mon orgueil. La manière dont elle m'a détaillée me donne des envies de meurtres. Elle a réveillé en moi une grande envie de lui clouer le bec. Je ne suis pas quelqu'un d'insipide. Je peux être intéressante comme l'a souligné ce cher Don Juan. Je sais ce que je veux. Je me donnerai tous les moyens pour parvenir à mes fins. C'est ce que je veux depuis presque quatre ans, et personne ne pourra m'en empêcher, surtout pas cette blondasse de Freya.
Je réussirai à devenir la petite amie de Gabriel Sheffield.
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